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Date : 20210628


Dossier : IMM‑2225‑20

Référence : 2021 CF 677

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 juin 2021

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

BOLUWAJI EMMANUEL FAGITE

DAVID AYOMIDE FAGITE

ELIJAH TEMILOLUWA FAGITE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Boluwaji Emmanuel Fagite et ses enfants, David Ayomide Fagite et Elijah Temiloluwa Fagite, sont des citoyens nigérians qui affirment craindre d’être persécutés par la famille de M. Fagite et les anciens de sa communauté puisque celui‑ci refuse que les enfants soient soumis à de dangereux rituels. La présente demande concerne la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé celle de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) et rejeté la demande d’asile des demandeurs au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] au motif qu’ils disposaient de possibilités de refuge intérieur (PRI) à Port Harcourt et à Benin City.

[2] David Ayomide Fagite, Elijah Temiloluwa Fagite et leur mère ont présenté une demande de séparation et de réouverture de leur appel devant la SAR qui a fait droit à leur demande. La SAR a accueilli l’appel et renvoyé l’affaire à la SPR pour réexamen en vertu du paragraphe 111(1) de la LIPR. Par conséquent, les parties conviennent que la présente demande de contrôle judiciaire est à présent théorique en ce qui concerne les enfants.

[3] M. Fagite fait valoir que la décision de la SAR quant à la PRI est déraisonnable. Il soutient que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle s’est appuyée sur un guide jurisprudentiel pour le Nigéria, la décision TB7‑19851 (le guide jurisprudentiel ou GJ), qui a par la suite été révoqué. Il ajoute que la SAR a eu tort de conclure que les agents de persécution n’avaient ni la motivation, ni la capacité, ni l’influence pour le retrouver et lui faire du mal à Port Harcourt ou à Benin City, de rejeter la preuve psychologique et de ne pas prendre en compte son état émotionnel lorsqu’elle s’est demandé s’il serait raisonnable qu’il déménage dans ces villes. M. Fagite fait aussi valoir que la SAR a eu tort de ne pas se poser la question de savoir si sa demande présentait un lien avec un motif de persécution prévu dans la Convention, aux termes de l’article 96 de la LIPR.

[4] Pour les motifs qui suivent, M. Fagite n’a pas établi que la décision de la SAR est déraisonnable, compte tenu de ces erreurs alléguées.

II. Question préliminaire

[5] La demande est rejetée parce que devenue théorique à l’égard de David Ayomide Fagite et d’Elijah Temiloluwa Fagite; elle sera examinée uniquement en ce qui concerne M. Boluwaji Emmanuel Fagite.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[6] Les questions soulevées par la présente demande sont de savoir si l’analyse de la PRI par la SAR est déraisonnable, compte tenu des erreurs suivantes alléguées :

  • (1) La SAR a‑t‑elle eu tort de s’appuyer sur le guide jurisprudentiel?

  • (2) La SAR a‑t‑elle eu tort de conclure que les agents de persécution n’avaient ni la motivation, ni la capacité, ni l’influence pour retrouver M. Fagite et lui faire du mal à Port Harcourt ou à Benin City?

  • (3) La SAR a‑t‑elle eu tort de ne pas tenir compte de la preuve psychologique et de l’état émotionnel de M. Fagite?

  • (4) La SAR a‑t‑elle eu tort de ne pas se demander si la demande d’asile de M. Fagite présentait un lien avec un motif prévu dans la Convention?

[7] Les parties conviennent, et je suis d’accord, que la norme de contrôle applicable à toutes les questions est celle de la décision raisonnable, suivant les principes régissant cette norme qui sont décrits dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

IV. Analyse

[8] Suivant le critère en deux volets de la PRI, les éléments suivants doivent être établis : i) le demandeur d’asile ne serait pas exposé dans la PRI à une possibilité sérieuse de persécution, à un risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités; et ii) il ne serait pas déraisonnable vu l’ensemble des circonstances, y compris celles propres au demandeur d’asile, qu’il cherche à se réfugier dans la PRI proposée : Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), [1992] 1 CF 706 (CA); Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), [1994] 1 CF 589 (CA). Il incombe au demandeur d’asile d’établir qu’une PRI proposée n’est pas viable, ce qu’il peut faire en mettant en échec au moins l’un des deux volets du critère.

A. La SAR a‑t‑elle eu tort de s’appuyer sur le guide jurisprudentiel?

[9] M. Fagite fait valoir que la SAR a eu tort de s’appuyer sur des conclusions factuelles contenues dans le guide jurisprudentiel révoqué. Il avance que la Cour d’appel fédérale a reconnu qu’il était risqué de s’appuyer sur les guides jurisprudentiels, attendu que les conditions dans le pays sont appelées à changer, ce qui peut avoir des conséquences dramatiques sur les demandeurs d’asile et les exposer à un préjudice : Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CAF 196 au para 89 [ACADR CAF]. Même si la SAR était en droit d’invoquer le GJ lorsqu’elle a rendu sa décision, M. Fagite fait valoir que la nature et le degré de son appui sur un GJ révoqué ultérieurement affaiblissent la conclusion qu’elle a tirée à l’égard de la PRI jusqu’à la rendre déraisonnable. Il soutient que plusieurs paragraphes de sa décision sont pratiquement identiques au GJ, et que des documents mentionnés dans ce guide et invoqués par la SAR ont depuis été retirés du cartable national de documentation (CND) pour le Nigéria. Il affirme à ce titre que le fondement factuel étayant l’analyse de la SAR sur la PRI n’est plus valide. M. Fagite invoque la décision Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 918 [Liang] au paragraphe 10 pour faire valoir que la révocation du guide jurisprudentiel dont le décideur a expressément adopté les conclusions affaiblit la conclusion de ce dernier sur la question. Il soutient qu’une distinction peut être établie entre son cas et la décision Agbeja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 781 [Agbeja], dans laquelle la Cour a confirmé la décision de la SAR malgré la révocation du GJ au motif que cette dernière avait dûment tenu compte des circonstances particulières du demandeur, parvenant à ses propres conclusions à l’égard des faits, et ne s’était pas indûment servi du GJ comme d’un seuil ou d’un point de repère pour tirer ses conclusions de fait.

[10] Le défendeur fait valoir que les guides jurisprudentiels n’entravent pas le pouvoir discrétionnaire de la SAR de tirer des conclusions factuelles (ACADR CAF au para 88) et qu’en l’espèce, la SAR n’a pas entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en s’appuyant sur le GJ en question. Il soutient que la SAR a mené sa propre analyse, en se basant sur la preuve de M. Fagite et sur la preuve documentaire la plus récente sur le Nigéria, pour conclure raisonnablement que ce dernier pouvait se réinstaller à Port Harcourt ou à Benin City. Bien que le GJ ait été révoqué à la suite de développements survenus au Nigéria, notamment en ce qui concerne la capacité des femmes célibataires à déménager dans les diverses PRI proposées dans ce GJ, le défendeur soutient que le cadre d’analyse demeure valide pour ce qui est de cerner une PRI viable. D’après lui, le cas de M. Fagite peut être distingué de la situation dans Liang (au para 10) et Cao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 337 [Cao] (aux para 37‑41), où la décision de la SAR a été jugée déraisonnable pour des motifs allant au‑delà du simple fait qu’elle avait invoqué un guide jurisprudentiel révoqué.

[11] À mon avis, la révocation du guide jurisprudentiel n’a pas affaibli la conclusion de la SAR à l’égard de la PRI jusqu’à la rendre déraisonnable : Liang au para 10. Comme le fait remarquer le défendeur, le cadre analytique contenu dans le GJ révoqué, abstraction faite de toute conclusion factuelle, demeure valide. Il s’agit précisément du type d’analyse et d’évaluation que la SAR a menées lorsqu’elle s’est demandé si Port Harcourt ou Benin City était une PRI viable.

[12] La SAR a expressément reconnu que le GJ n’était pas contraignant. Elle a fait remarquer qu’elle avait examiné le dossier, les conclusions de la SPR et les observations de M. Fagite pour conclure que la SPR avait correctement appliqué le GJ à son évaluation de la PRI, et clairement tranché l’affaire en s’appuyant sur les faits propres au dossier.

[13] Pour ce qui est du premier volet du critère de la PRI, la SAR a énoncé plusieurs constatations factuelles propres à la situation de M. Fagite, qui appuyaient la conclusion de la SPR selon laquelle les agents de persécution (les anciens de la communauté et la famille de M. Fagite) n’auraient ni les moyens ni la motivation de le retrouver et de lui faire du mal dans les PRI proposées. La SAR a ensuite résumé les conclusions déterminantes tirées par la SPR à cet égard, notamment : l’absence de preuve établissant que les agents de persécution avaient poursuivi leurs recherches; l’insuffisance de la preuve relative à l’influence et à la capacité des agents de tirer parti des mécanismes de l’État ou des ressources nationales; et l’absence de preuve crédible établissant que M. Fagite était très en vue au Nigéria. La SAR a noté que ce dernier n’avait présenté aucune observation en appel à l’égard de ces conclusions. (Celles qu’il a présentées à ce sujet dans le cadre du contrôle judiciaire sont abordées ci‑après.)

[14] Pour ce qui est du second volet du critère de la PRI, la SAR a mentionné les conclusions de la SPR et tiré ses propres conclusions factuelles, estimant que M. Fagite n’avait pas démontré qu’il serait excessivement difficile ou objectivement déraisonnable de déménager dans les PRI proposées, compte tenu de sa situation particulière. La SAR a évalué des facteurs tels que : les transports et les déplacements, la langue, l’éducation et l’emploi, le logement, le statut d’autochtone, la religion, les crimes et les enlèvements, l’accessibilité à des soins de santé mentale. La SAR a examiné la preuve et les circonstances personnelles de M. Fagite en fonction de chacun de ces facteurs, mentionnant par exemple qu’il était un professionnel qualifié et expérimenté ayant fait 18 années d’études et accumulé 11 ans d’expérience professionnelle comme agent de marketing, qu’aucune preuve n’établissait des obstacles sérieux, au‑delà des coûts, qui l’empêcheraient de trouver un logement, et que le statut d’autochtone ne poserait pas de problème compte tenu de ses aptitudes linguistiques, de son instruction et de son expérience professionnelle. En dehors d’une erreur alléguée liée au défaut d’examiner la preuve psychologique (abordée ci‑après), M. Fagite n’a pas contesté les conclusions se rapportant au second volet du critère de la PRI dans le cadre du contrôle judiciaire.

[15] Lorsqu’elle a considéré la preuve en l’espèce, la SAR n’a pas « récité de façon mécanique » les facteurs énoncés dans le guide jurisprudentiel pour tirer ensuite une conclusion sommaire : A.B. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 90 [A.B.] au para 65, citant Ossai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 435 au para 26 [Ossai]. À mon avis, la SAR a fondé sa décision sur la preuve et la situation particulières de M. Fagite. Aussi, je conviens avec le défendeur qu’une distinction peut être établie entre la présente affaire et la situation qui prévalait dans Cao, où la décision de la SAR a été infirmée, car cette dernière s’était déraisonnablement appuyée sur la même erreur factuelle qui avait en fin de compte entraîné la révocation du guide jurisprudentiel utilisé dans cette affaire.

[16] En conclusion, je ne suis pas convaincue que la SAR ait entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, irrégulièrement traité le GJ comme un « point de repère » ou un « seuil », ou qu’elle se soit autrement appuyée sur le GJ révoqué d’une manière qui rendrait sa décision déraisonnable : Agbeja aux para 77‑78; Onjoko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1006 aux para 24‑25; A.B. aux para 51, 56‑59; Ossai au para 26. Voir aussi Saliu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 167 aux para 42‑43; Ogunkunle c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 111 aux para 9, 15. M. Fagite n’a pas établi que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle s’est appuyée sur le guide jurisprudentiel révoqué.

B. La SAR a‑t‑elle eu tort de conclure que les agents de persécution n’avaient ni la motivation, ni la capacité, ni l’influence pour retrouver M. Fagite et lui faire du mal à Port Harcourt ou à Benin City?

[17] M. Fagite n’a pas abordé cette question dans les observations orales qu’il a présentées à l’audience devant notre Cour. Selon ses observations écrites, il soutient que la SAR a eu tort de conclure que rien n’établissait que les agents de persécution poursuivaient leurs recherches, que la preuve de l’influence et de la capacité des agents à tirer profit des mécanismes de l’État ou de ressources nationales était insuffisante et qu’aucune preuve crédible n’établissait que M. Fagite était très en vue au Nigéria. M. Fagite affirme que la SAR a commis les erreurs suivantes :

  • 1) elle a sous‑estimé le risque associé au fait de refuser les rituels, ce qui est considéré comme une insulte grave;

  • 2) elle a exigé une preuve corroborant que les agents de persécution poursuivaient leurs recherches;

  • 3) elle a accordé peu de poids au fait que l’un des agents de persécution est un policier à la retraite, et mal rapporté la preuve sur les conditions dans le pays concernant les « problèmes avec la base de données policière nationale »;

  • 4) elle a appliqué une norme de preuve plus stricte que celle de la « possibilité sérieuse » de persécution dans la PRI.

[18] M. Fagite n’a pas établi que la SAR a commis une erreur à l’égard du premier volet de l’analyse sur la PRI. Je ne crois pas que la SAR ait commis l’erreur d’appliquer une norme de preuve plus stricte — ses motifs attestent qu’elle a bien compris le critère qu’il convenait d’appliquer au premier volet de l’analyse sur la PRI. Il était raisonnable de la part de la SAR d’exiger une preuve corroborante compte tenu des préoccupations en matière de crédibilité. Je conviens avec le défendeur que les arguments de M. Fagite selon lesquels la SAR a tiré des conclusions factuelles erronées à l’égard du premier volet de l’analyse sur la PRI reviennent à inviter la Cour à apprécier à nouveau la preuve, ce qui n’est pas l’objet d’un contrôle judiciaire : Vavilov au para 125; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732, 160 NR 315 (CAF); Petrova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 506 au para 55. Il incombe au demandeur d’établir qu’il serait exposé à une possibilité sérieuse de persécution dans l’une des PRI proposées, et il était loisible à la SAR de conclure que la preuve n’établissait pas que les agents de persécution avaient les moyens ou la motivation de pourchasser M. Fagite à Port Harcourt ou à Benin City.

[19] Par ailleurs, comme l’expliquait notre Cour dans Kanawati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 12 au paragraphe 23, la décision de la SAR doit être évaluée en tenant compte de la manière dont le demandeur formule les motifs d’appel, et la SAR n’est pas tenue d’examiner les erreurs potentielles qui n’ont pas été soulevées. Lorsqu’il a interjeté appel devant la SAR, M. Fagite n’a pas soulevé de question quant à l’analyse par la SPR de ces conclusions factuelles au titre du premier volet du critère de la PRI. La SAR n’est pas tenue de fournir des motifs à l’égard de conclusions non contestées, et une déclaration selon laquelle elle souscrit à de telles conclusions ne permet pas au demandeur de soulever pour la première fois dans le cadre du contrôle judiciaire des erreurs qui auraient été commises par la SPR et n’ont pas été contestées en appel : Dahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1102 aux para 30–39.

C. La SAR a‑t‑elle eu tort de ne pas tenir compte de la preuve psychologique et de l’état émotionnel de M. Fagite?

[20] M. Fagite fait valoir que la SAR n’a pas abordé l’incidence du diagnostic de trouble de stress post‑traumatique (TSPT) sur le caractère raisonnable d’un déménagement dans les PRI, au titre du second volet de l’analyse sur la PRI : Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 1995 CanLII 3495 (CF); Olalere c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 385 au para 60. M. Fagite soutient que la preuve psychologique est essentielle au regard de la question de savoir si une PRI est raisonnable, et elle ne peut être écartée : Okafor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1002 au para 13, citant Cartagena c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 289 au para 11.

[21] La SAR n’a pas commis d’erreur. Comme l’a fait remarquer le défendeur, elle a examiné le diagnostic et noté que le psychologue avait déclaré que M. Fagite craignait que sa santé mentale ne soit affectée, sans toutefois se prononcer sur l’incidence d’un retour au Nigéria. La SAR a raisonnablement conclu qu’aucune preuve n’établissait des traitements en cours, et M. Fagite ne s’était pas acquitté de son fardeau de prouver qu’il n’aurait pas accès à des traitements de santé mentale à son retour au Nigéria.

D. La SAR a‑t‑elle eu tort de ne pas se demander si la demande d’asile de M. Fagite présentait un lien avec un motif prévu dans la Convention?

[22] M. Fagite fait valoir que la SAR a eu tort de ne pas se demander si les motifs prévus par la Convention qu’il avait soulevés étaient applicables à sa demande d’asile. M. Fagite reconnaît qu’il n’est pas nécessaire, avant de déterminer s’il existe une PRI viable, de décider si un demandeur d’asile serait exposé à un risque de persécution à son retour dans sa région d’origine : Kanagaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 194 NR 46, [1996] ACF no 75 (CA). Cependant, il soutient que le risque de persécution dans une PRI proposée ne peut être adéquatement évalué sans d’abord cerner correctement la nature du risque, ce qui nécessite d’examiner les motifs de la Convention susceptibles de s’appliquer : Igbinosa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1427 au para 11 [Igbinosa].

[23] À cet égard, M. Fagite fait valoir que la SAR a eu tort de ne pas tenir compte de tous les motifs invoqués à l’appui de sa demande d’asile aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR. Toujours d’après lui, cette obligation s’étend à tous les motifs de risque qui ressortent du dossier, même ceux que le demandeur ne soulève pas, et cette obligation subsiste même lorsque la crédibilité de ce dernier est contestée. M. Fagite s’appuie sur les décisions suivantes pour appuyer ces observations : Ajelal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1093 au para 19; Vilmond c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 926 aux para 18‑19 [Vilmond]; Pastrana Viafara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1526 au para 6 [Viafara]; Canada (Procureur général) c Ward, 1993 CanLII 105 (CSC), [1993] 2 RCS 689 aux p 745‑746 [Ward]; Varga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 494 au para 5 [Varga]; Safi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1347 au para 14; et Jama c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 668 aux para 19‑20.

[24] Je ne suis pas convaincue que la SAR ait commis une erreur à l’égard de cette quatrième question. L’erreur alléguée aurait consisté à ne pas analyser les motifs qui étayent la demande d’asile de M. Fagite aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR. Cependant, M. Fagite ne signale aucune erreur qui aurait eu une incidence sur la conclusion de la SAR quant à la PRI — par exemple une erreur dans l’identification des agents de persécution ou une incompréhension quant à la nature de la persécution. À l’audience de la SPR, M. Fagite avait soulevé les motifs de la religion, de l’appartenance à un groupe social et des opinions politiques prévus dans la Convention, mais en l’espèce, il n’explique pas en quoi la SAR s’est trompée dans son analyse de la PRI en ne décidant pas lequel de ces motifs trouvait à s’appliquer, ou si un autre motif n’ayant pas été soulevé, mais qui ressortait du dossier, s’appliquait.

[25] Il est certainement crucial de cerner et d’évaluer correctement les risques pertinents de persécution ou de préjudice tels qu’ils sont allégués par un demandeur d’asile ou tels qu’ils ressortent du dossier : Ward, Vilmond, Viafara et Varga, précités. Cependant, il n’était selon moi pas nécessaire que la SAR se lance dans une analyse des motifs de l’article 96 et (ou) de l’article 97 en l’espèce, attendu que le défaut de mener une telle analyse n’a pas entraîné d’erreur dans l’analyse de la PRI — la question déterminante. La SAR a compris le fondement de la demande d’asile de M. Fagite, et a pleinement examiné sa demande sur la base du risque ayant été cerné, c’est‑à‑dire la crainte de persécution par des membres de la famille et des anciens de la communauté en raison de l’opposition de M. Fagite aux rites traditionnels.

[26] La distinction avec la décision Igbinosa peut être établie à la fois à l’égard des faits et des questions sous‑jacentes dont la Cour était saisie lors du contrôle judiciaire. Dans cette décision, la conclusion précise (et erronée) du tribunal selon laquelle il n’existait aucun lien entre la crainte du demandeur et un motif de la Convention avait eu des conséquences sur son analyse de la PRI. Ainsi, dans Igbinosa, la Cour n’avait pas été convaincue que le tribunal avait correctement compris la nature du risque. En l’espèce, bien qu’aucun motif précis n’ait été explicitement mentionné, l’évaluation de la PRI par la SAR reposait sur une compréhension exacte des agents et du risque de persécution redoutés, et n’était pas entachée de la même erreur que celle qui avait été cernée dans Igbinosa.

[27] Je conviens avec le défendeur que la SAR peut directement passer à l’analyse de la PRI, pourvu que celle‑ci soit convenablement menée : Kazeem c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 185 aux para 25‑30. À mon avis, la SAR a raisonnablement conclu que M. Fagite pouvait déménager dans les PRI sans être exposé à un risque sérieux de persécution ou de préjudice de la part des agents de persécution, et le fait qu’elle soit directement passée à cette question déterminante n’a pas entaché son analyse de la moindre erreur.

[28] Comme je l’ai déjà noté, il ressort de la décision que la SAR a correctement identifié les agents de persécution et compris la nature du risque. Le défaut de classer la persécution ou le préjudice au titre des articles 96 ou 97 de la LIPR était sans conséquence au regard de la question déterminante de la PRI, et M. Fagite n’a pas établi que la décision de la SAR est déraisonnable.

V. Conclusion

[29] M. Fagite n’a pas établi que la décision de la SAR est déraisonnable sur la base des erreurs alléguées. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[30] Aucune partie ne propose de question à certifier. À mon avis, aucune question de ce type ne se pose.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2225‑20

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est à certifier.

« Christine M. Pallotta »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2225‑20

 

INTITULÉ :

BOLUWAJI EMMANUEL FAGITE, DAVID AYOMIDE FAGITE, ELIJAH TEMILOLUWA FAGITE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 avril 2021

 

jugement et motifs :

juge PALLOTTA

 

DATE DES MOTIFS :

Le 28 juin 2021

 

COMPARUTIONS :

Gabriel Ukueku

 

pour les demandeurs

 

Camille Audain

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Comfort Law Firm

Avocats

Calgary (Alberta)

 

pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

pour le défendeur

 

 

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