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Date : 20210826


Dossier : IMM‑7738‑19

Référence : 2021 CF 888

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 26 août 2021

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

OMAR MOHAMED KEDIYE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] M. Kediye a revendiqué le statut de réfugié à l’étranger. Un agent des visas lui a refusé ce statut parce qu’il estimait que M. Kediye disposait d’une solution durable en Italie, où il réside actuellement. M. Kediye demande maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.

[2] J’accueille la demande de M. Kediye. L’agent a raisonnablement conclu que le statut conféré par la protezione sussidiaria (protection subsidiaire) à M. Kediye est semblable au statut de réfugié, mais il a déraisonnablement omis de tenir compte de la situation personnelle de M. Kediye lorsqu’il a évalué si ce dernier disposait d’une solution durable.

I. Contexte

[3] M. Kediye est un citoyen de la Somalie, originaire d’une région contrôlée par des militants d’Al‑Shabab. Il affirme que le groupe Al‑Shabab croyait qu’il était un espion du gouvernement central parce qu’il s’était rendu à Mogadiscio à plusieurs reprises. Un « tribunal » d’Al‑Shabab l’a d’ailleurs condamné à mort en 2014 pour cette raison. Il a cependant réussi à s’échapper de la prison de fortune où il était détenu avant que la sentence soit exécutée. Fuyant son pays, il a traversé l’Afrique pour finalement parvenir en Libye. Après plus d’un an passé à Tripoli, il a traversé la Méditerranée pour se rendre en Italie, où il a présenté une demande d’asile.

[4] En 2016, les autorités italiennes ont rejeté la demande d’asile de M. Kediye au motif que son témoignage n’était pas crédible. Néanmoins, compte tenu du danger auquel il serait exposé s’il retournait en Somalie, il s’est vu accorder la protezione sussidiaria, ou protection subsidiaire. La nature précise de ce statut sera analysée ci‑dessous. M. Kediye est demeuré en Italie depuis lors.

[5] En 2017, un groupe de cinq résidents permanents du Canada a présenté une demande afin de parrainer M. Kediye au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières. Les répondants ayant été approuvés, le dossier a été envoyé à l’ambassade du Canada à Rome afin qu’il soit déterminé si M. Kediye avait la qualité de réfugié au sens de la Convention outre‑frontières.

[6] Au titre de l’alinéa 139(1)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement], l’asile ne peut être accordé à une personne qui a une possibilité de solution durable dans un autre pays. Après un premier examen du dossier, un agent des visas a envoyé à M. Kediye une lettre d’équité procédurale pour lui expliquer qu’il était possible qu’il n’ait pas droit au statut de réfugié étant donné qu’il semblait avoir une solution durable en Italie et pour lui demander de fournir une réponse.

[7] Dans sa réponse, M. Kediye a invité l’agent à se pencher sur sa situation réelle et à aller au‑delà de son statut officiel en Italie. Il a décrit des conditions de vie qui semblaient être celles d’un refuge où il résidait avec d’autres migrants. Il a ajouté ce qui suit :

[traduction]

En tant qu’immigrant, je n’ai pas droit à un logement, à des services d’éducation, à des soins médicaux, à des prestations d’aide sociale ou à une protection en matière de pensions, et je ne peux être inscrit aux registres de la population résidente.

Pire encore, si j’obtenais un permis de séjour, je perdrais d’emblée le droit de dormir dans des refuges pour les nouveaux arrivants, ce qui signifie qu’il me faudrait trouver un endroit où dormir dans l’une des gares ferroviaires ou routières.

Quant au travail, les seuls emplois auxquels je peux aspirer en tant qu’immigrant du tiers‑monde sont des emplois subalternes et non spécialisés qui sont souvent dangereux et sous‑payés. En Italie, les immigrants doivent souvent accepter de travailler au noir, ce qui signifie qu’ils ne bénéficient d’aucune protection légale ou médicale.

[...]

Enfin, je tiens à préciser qu’il n’y a aucun autre membre de ma famille en Italie; je vis seul et je dors dans des habitations de fortune ou dans des gares.

[8] Le 17 septembre 2019, l’agent a rejeté la demande de M. Kediye au motif que celui‑ci disposait d’une solution durable en Italie. Dans ses motifs, l’agent a résumé la réponse de M. Kediye avant d’indiquer ce qui suit :

[traduction]

Le demandeur a déclaré que son permesso di soggiorno per protezione sussidiaria (permis de séjour pour les personnes bénéficiant d’une protection subsidiaire) ne lui permettait pas d’avoir accès aux services de soins de santé et aux services d’éducation ni d’avoir un logement; toutefois, une personne qui a un tel permis de séjour a le droit de se rendre dans des refuges, de travailler, ainsi que d’accéder au système de soins de santé, au système d’éducation et au système d’aide sociale de l’Italie. Elle a aussi le droit d’avoir une carte d’identité italienne. Les détenteurs d’un statut de ce type peuvent également bénéficier de la réunification familiale. Le statut conféré par la protezione sussidiaria est un statut renouvelable de cinq ans et, après dix ans, le demandeur peut présenter une demande de citoyenneté italienne. Qui plus est, après cinq ans, le demandeur peut présenter une demande de permis de travail ou d’études dans d’autres pays de l’Union européenne. Bien que le demandeur ait déclaré que sa demande de statut de réfugié au sens de la Convention a été rejetée et que, pour cette raison, il n’a pas de solution durable en Italie, il s’est vu accorder un statut au titre d’une autre catégorie qui concerne les demandeurs qui ne peuvent pas retourner dans leur pays d’origine parce qu’ils craignent de subir un préjudice grave (mort, torture, menace grave). Comme pour la catégorie Asilo (demandeurs d’asile), ce statut permet à ses détenteurs d’obtenir la citoyenneté italienne et d’avoir accès entre‑temps aux services sociaux et au marché de l’emploi. J’ai examiné les considérations susmentionnées, ainsi que le contexte sociopolitique que le demandeur a décrit dans ses observations. Bien que les demandeurs d’asile, les réfugiés et les autres immigrants doivent surmonter quelques difficultés liées à l’intégration en Italie, nombreux sont ceux qui ont réussi à s’y intégrer. En outre, le pays dispose d’un cadre législatif qui leur permet d’accéder aux services et d’avoir une solution durable.

[9] En réponse à l’affirmation de M. Kediye selon laquelle la protezione sussidiaria n’est que temporaire et ne saurait constituer une solution durable, l’agent a fait remarquer ce qui suit :

[traduction]

Même si le demandeur affirme qu’il s’agit d’un statut temporaire, le permesso di soggiorno (permis de séjour) délivré aux réfugiés au sens de la Convention présente des conditions semblables; il est délivré pour cinq ans et est renouvelable.

[10] M. Kediye demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision défavorable de l’agent.

II. Analyse

[11] L’exigence qui est au cœur de la présente affaire est énoncée au paragraphe 139(1) du Règlement, qui est libellé ainsi :

139 (1) Un visa de résident permanent est délivré à l’étranger qui a besoin de protection et aux membres de sa famille qui l’accompagnent si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

139 (1) A permanent resident visa shall be issued to a foreign national in need of refugee protection, and their accompanying family members, if following an examination it is established that:

[...]

[...]

d) aucune possibilité raisonnable de solution durable n’est, à son égard, réalisable dans un délai raisonnable dans un pays autre que le Canada, à savoir :

(d) the foreign national is a person in respect of whom there is no reasonable prospect, within a reasonable period, of a durable solution in a country other than Canada, namely

(i) soit le rapatriement volontaire ou la réinstallation dans le pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle,

(i) voluntary repatriation or resettlement in their country of nationality or habitual residence,

(ii) soit la réinstallation ou une offre de réinstallation dans un autre pays; [...]

(ii) resettlement or an offer of resettlement in another country; [...]

[12] Il n’existe pas de définition précise d’une solution durable : Al‑Anbagi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 273 au paragraphe 17 [Al‑Anbagi]. Néanmoins, comme je l’expliquerai ci‑dessous, le concept de solution durable comporte un volet juridique et un volet factuel.

[13] M. Kediye conteste la décision de l’agent quant à ces deux volets. Il fait valoir que l’agent a mal interprété son statut juridique en Italie et a omis de tenir compte de ses conditions de vie réelles. Bien que je ne souscrive pas au premier volet des arguments de M. Kediye, je suis d’accord avec le deuxième, c’est‑à‑dire que l’agent n’a pas véritablement tenu compte de la situation personnelle de M. Kediye.

A. Solution durable et statut juridique

[14] Au soutien de sa demande de contrôle judiciaire, M. Kediye affirme tout d’abord que l’agent s’est fondé de manière déraisonnable sur le statut que lui conférait la protezione sussidiaria pour conclure qu’il disposait d’une solution durable en Italie. Il fait valoir que, contrairement au statut de réfugié, le statut conféré par la protection subsidiaire est temporaire et ne saurait constituer une solution durable.

[15] Pour évaluer cet argument, il convient d’expliquer tout d’abord ce que l’on entend par protection subsidiaire. La Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (28 juillet 1951, 189 RTNU 150) [la Convention sur les réfugiés] assure une protection contre les persécutions fondées sur certains motifs énumérés. Les réfugiés au sens de la Convention ne peuvent être renvoyés dans leur pays d’origine : il s’agit du principe de non‑refoulement. La Convention sur les réfugiés exige des États qu’ils traitent les réfugiés comme leurs propres ressortissants en ce qui concerne l’éducation, les services de santé, le travail, etc.

[16] Au fil des années, cependant, il est apparu que le fait de renvoyer dans leur pays d’origine des personnes dont le statut de réfugié n’avait pas été reconnu pouvait donner lieu à de graves violations des droits de la personne si ce renvoi pouvait les exposer, par exemple, à un risque de torture ou à des menaces à leur vie. La protection prévue pour ces catégories de personnes est appelée protection subsidiaire ou complémentaire : Jane McAdam, Complementary Protection in International Refugee Law (Oxford, Oxford University Press, 2007). Au Canada, la protection subsidiaire est conférée par l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. Les personnes protégées en vertu de l’article 97 jouissent des mêmes droits que les réfugiés. D’autres pays, cependant, peuvent ou non accorder des droits analogues aux réfugiés et aux bénéficiaires de la protection subsidiaire.

[17] À la lumière de ce qui précède, nous pouvons maintenant nous pencher sur la décision de l’agent. Le caractère raisonnable d’une décision doit être évalué en fonction de la preuve et des arguments présentés au décideur. Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada au paragraphe 127 de l’arrêt de principe, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] : « [...] les motifs d’un décideur administratif [doivent tenir] valablement compte des questions et préoccupations centrales soulevées par les parties » [non souligné dans l’original]. Ainsi, une décision n’est pas déraisonnable parce que le décideur a omis d’aborder des arguments qui ne lui avaient pas été initialement présentés : Grillo c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2021 CF 343 au paragraphe 2. Par conséquent, la Cour doit se pencher sur ce que M. Kediye a dit à l’agent au sujet des droits découlant du statut que lui conférait sa protezione sussidiaria.

[18] Dans sa demande initiale, M. Kediye a déclaré qu’il n’avait pas réussi à obtenir le statut de réfugié et que son statut en Italie était temporaire. En ce qui concerne les droits découlant de son statut, il a affirmé que [traduction] « [s]on statut [lui] permet[tait] de travailler légalement, mais [que] les entreprises ne donn[aient] pas de travail aux personnes comme [lui] ». M. Kediye a ensuite reçu une lettre d’équité procédurale dans laquelle l’agent lui expliquait qu’il croyait que le statut que lui conférait la protezione sussidiaria constituait une solution durable en Italie. Dans sa réponse à cette lettre, M. Kediye n’a pas abordé directement cette question. Il a plutôt fait valoir que son statut officiel [traduction] « ne correspond[ait] pas à sa situation réelle ». La plus grande partie de sa réponse consiste en une description des conditions de vie désastreuses des immigrants en Italie. Même s’il déclare qu’il n’a [traduction] « pas droit à un logement, à des services d’éducation, à des soins médicaux, à des prestations d’aide sociale ou à une protection en matière de pensions », il semble s’agir d’une description des faits entourant sa situation plutôt que des droits que lui confèrent officiellement les lois.

[19] Comme on l’a vu ci‑dessus, l’agent a estimé que la protezione sussidiaria conférait à M. Kediye les mêmes droits qu’à un réfugié au sens de la Convention. Pour parvenir à cette conclusion, il est évident que l’agent a dû se fonder sur sa connaissance personnelle du droit des réfugiés en Italie. Les agents des visas dans les ambassades à l’étranger ont le droit, voire l’obligation, de s’appuyer sur leur connaissance des conditions locales, y compris des droits accordés aux réfugiés : Saifee c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 589 aux paragraphes 28 à 32; Bahr c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 527 aux paragraphes 41 et 42; Yuzer c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 781 aux paragraphes 17 et 18.

[20] Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, il incombe au demandeur de démontrer le caractère déraisonnable de la décision : Vavilov, au paragraphe 100. Pourtant, M. Kediye n’a pas démontré que la conclusion de l’agent est incompatible avec la preuve qu’il a fournie. Compte tenu de la manière dont M. Kediye a présenté son dossier, l’agent était en droit de privilégier sa propre compréhension du droit italien plutôt que les affirmations de M. Kediye selon lesquelles son statut était temporaire ou encore qu’il était de fait privé des droits que lui conférait son statut. Il n’y a tout simplement rien qui donne à penser que les conclusions de l’agent concernant le statut de M. Kediye aient été erronées.

[21] M. Kediye a cherché à s’appuyer sur certains documents figurant dans le Cartable national de documentation [le CND] sur l’Italie que tient la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Ces documents ne portent toutefois pas sur la protezione sussidiaria, mais sur d’autres types de statuts qui ne sont pas pertinents en l’espèce. M. Kediye n’a pas attiré mon attention sur quoi que ce soit dans le CND qui ait un quelconque rapport avec les conclusions de l’agent.

[22] À l’audience tenue devant moi, M. Kediye s’est dit inquiet que la nature temporaire de son statut signifie qu’il pourrait être renvoyé en Somalie advenant que la situation là‑bas change. Encore une fois, rien ne permet de contester la conclusion de l’agent selon laquelle le statut de M. Kediye est comparable au statut de réfugié et offre une voie vers la citoyenneté. Ainsi, rien ne vient étayer la crainte de M. Kediye.

[23] Enfin, M. Kediye a fait valoir que l’agent aurait dû fournir des motifs plus exhaustifs pour ses conclusions et qu’il aurait notamment dû renvoyer précisément aux dispositions législatives italiennes pertinentes. Il s’est appuyé sur le paragraphe 135 de l’arrêt Vavilov pour affirmer que les décideurs ont une responsabilité accrue de s’assurer que leurs motifs démontrent qu’ils ont tenu compte des intérêts importants des personnes vulnérables qui sont en jeu.

[24] Les motifs doivent toutefois traiter de la preuve et des arguments présentés par le demandeur. Ils n’ont pas à aborder des questions qui n’étaient pas en litige. Dans sa réponse à la lettre d’équité procédurale, M. Kediye n’a pas laissé entendre que les doutes de l’agent découlaient d’une mauvaise interprétation de la loi italienne. Ainsi, dans sa décision, l’agent n’a pas eu à entreprendre une analyse détaillée ni à renvoyer à des dispositions législatives précises.

B. Solution durable dans les faits

[25] En plus de la question du statut juridique, M. Kediye fait également valoir que l’agent a méconnu l’absence de solution durable réelle pour lui en Italie. Les conditions de vie réelles des migrants dans ce pays les empêcheraient concrètement de réussir à s’intégrer.

[26] En fait, la jurisprudence de notre Cour appuie l’idée qu’une solution durable comporte à la fois un volet juridique et un volet factuel. Dans la décision Al-Anbagi, le juge René LeBlanc (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) s’est appuyé sur un guide ministériel ainsi que sur le Guide des procédures du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés pour conclure qu’un agent doit tenir compte des conditions dans le pays et de la situation personnelle du demandeur pour déterminer s’il avait une solution durable.

[27] Dans l’affaire Anku c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 125 [Anku], ma collègue la juge Christine Pallotta a accueilli une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent des visas avait conclu que les demandeurs avaient une solution durable au Ghana. L’agent avait noté que le demandeur, un citoyen du Togo, avait obtenu le statut de réfugié au Ghana, mais qu’il ne l’avait pas renouvelé. Malgré cela, le demandeur avait produit des éléments de preuve concernant les obstacles qu’il devait franchir pour obtenir des droits et avantages semblables à ceux des citoyens ghanéens. Après avoir cité la décision Al‑Anbagi, ma collègue a tiré la conclusion suivante au paragraphe 30 :

En l’espèce, l’agent semble avoir fait fi des éléments de preuve pertinents et s’est plutôt appuyé sur des généralisations concernant la capacité des demandeurs d’avoir accès à certains services et la volonté des autorités de les aider. Par conséquent, à mon avis, les motifs de l’agent sont déraisonnables.

[28] Le ministre a attiré mon attention sur trois affaires dans lesquelles notre Cour a confirmé des conclusions selon lesquelles des personnes ayant obtenu le statut de réfugié en Afrique du Sud disposaient d’une solution durable dans ce pays : Hafamo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 995; Abdi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1050; Uwamahoro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 271. Voir également Dusabimana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1238; Gebreselasse c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 865. Il est vrai que les demandeurs dans ces affaires avaient obtenu le statut de réfugié et qu’il s’agissait d’un élément très pertinent pour conclure qu’ils disposaient d’une solution durable. Néanmoins, dans chaque affaire, la Cour a souligné que l’agent avait tenu compte de la situation personnelle des demandeurs et de leur intégration réelle en Afrique du Sud.

[29] En l’espèce, en revanche, l’agent a tout simplement refusé de tenir véritablement compte des allégations de M. Kediye concernant ses conditions de vie. L’agent n’a invoqué qu’une seule raison, à savoir que la protection subsidiaire en Italie conférait des droits semblables à ceux du statut de réfugié. Même si cette conclusion est raisonnable, elle ne permet pas de trancher la question. Comme dans la décision Anku, il incombait à l’agent d’évaluer si M. Kediye pouvait effectivement réussir son intégration en Italie.

[30] Seuls deux passages des motifs de l’agent font état des allégations de M. Kediye concernant sa situation réelle. Dans le premier passage, l’agent répond aux allégations concernant les déclarations xénophobes qu’aurait faites le ministre de l’Intérieur de l’époque, M. Salvini. L’agent a simplement répondu ce qui suit :

[traduction]

Je constate que les articles n’ont pas été fournis dans leur intégralité et qu’il est donc impossible de savoir si les auteurs ont également exprimé d’autres opinions ou réactions en lien avec les circonstances ou les déclarations mises de l’avant par le demandeur.

[31] Je m’arrête ici pour souligner que cette déclaration est incorrecte du point de vue factuel. Le titre de l’un des articles comprenait une citation dans laquelle le président français Macron affirmait que le ministre Salvini était son ennemi. Mais le problème est plus profond. Les commentaires de l’agent témoignent d’une réticence à se pencher sur le fond des observations de M. Kediye. On a peine à croire qu’un agent des visas en poste à Rome ait besoin de consulter des articles de journaux complets pour connaître la position en matière d’immigration de l’une des principales personnalités politiques du pays. Comme je l’ai mentionné précédemment, les agents des visas sont censés posséder un certain niveau de connaissances locales. Le fait d’écarter les préoccupations de M. Kediye pour un motif purement formel ne peut être interprété que comme un refus de l’agent de se pencher sur le fond des observations du demandeur.

[32] Dans le deuxième passage des motifs portant sur les allégations du demandeur, l’agent a abordé les observations de M. Kediye concernant ses conditions de vie. Ces observations ont été citées précédemment, mais je les reproduis ci‑dessous par souci de commodité :

[traduction]

Bien que les demandeurs d’asile, les réfugiés et les autres immigrants doivent surmonter quelques difficultés liées à l’intégration en Italie, nombreux sont ceux qui ont réussi à s’y intégrer. En outre, le pays dispose d’un cadre législatif qui leur permet d’accéder aux services et d’avoir une solution durable.

[33] Une telle déclaration toute faite est insuffisante lorsque l’agent est tenu d’examiner la situation individuelle du demandeur : voir, par analogie, Aguirre Renteria c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 134 au paragraphe 4. Le simple fait d’affirmer qu’il existe de bons et de mauvais exemples d’intégration ne nous dit pas si l’agent estime que M. Kediye est un exemple d’intégration réussie ou non. La seule conclusion que l’on puisse en tirer est que l’agent n’a pas cru que la situation personnelle de M. Kediye était pertinente.

[34] Le ministre fait valoir que M. Kediye n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour que l’agent puisse rendre une décision concernant sa situation personnelle. Il est sans doute vrai que certains passages de la réponse de M. Kediye étaient ambigus et qu’ils pouvaient être interprétés soit comme une description des conditions de vie des migrants en général, soit comme une description des conditions au refuge où habitait M. Kediye. Mais là n’est pas la question. L’agent était clairement d’avis que les conditions de vie réelles de M. Kediye n’étaient pas pertinentes au regard de la question de la solution durable.

[35] Ainsi, l’agent a omis d’examiner la preuve et d’en tirer des conclusions concernant un élément crucial du concept de solution durable, à savoir la situation personnelle de M. Kediye en lien avec son intégration en Italie. Cela rend la décision déraisonnable.

III. Décision

[36] J’accueillerai la demande de contrôle judiciaire de M. Kediye puisque la décision de l’agent est déraisonnable. La décision de l’agent sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑7738‑19

LA COUR ORDONNE :

1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2. La décision rendue par l’agent des visas le 17 septembre 2019 à l’égard du demandeur est annulée.

3. L’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen.

4. Aucune question n’est certifiée.

« Sébastien Grammond »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM‑7738‑19

 

INTITULÉ :

OMAR MOHAMED KEDIYE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 août 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

DATE DES MOTIFS :

Le 26 août 2021

COMPARUTIONS :

Bjorn Harsanyi

POUR LE DEMANDEUR

 

Meenu Ahluwalia

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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