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Date : 20210826


Dossier : IMM‑4790‑20

Référence : 2021 CF 882

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 août 2021

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

PAUL NDUBISI ADESOMI ANYIRA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Monsieur Paul Anyira est citoyen du Nigéria. Il sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 9 septembre 2020 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a rejeté sa demande d’asile. La SAR est allée dans le sens de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) qui avait statué que M. Anyira pouvait se prévaloir de l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (la PRI) à Lagos, au Nigéria.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée. En bref, je conclus que la SAR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle dans le cadre de son analyse des nouveaux éléments de preuve produits par M. Anyira. De fait, l’analyse est détaillée et transparente. La SAR a énoncé les conditions requises pour la présentation de nouveaux éléments de preuve en appel et a apprécié raisonnablement, à l’aune de celles‑ci, chaque nouveau document déposé par M. Anyira. De surcroît, la SAR a appliqué dans sa décision le critère bien établi employé pour déterminer l’existence d’une PRI viable et a soupesé soigneusement la preuve documentaire relative au Nigéria ainsi que les éléments de preuve admissibles dans le cadre de l’appel. La conclusion de la SAR voulant que les agents de persécution de M. Anyira, les extrémistes de Boko Haram, ne disposent pas des moyens ou de la motivation pour le traquer jusqu’à Lagos reflète un examen réfléchi des activités et du champ d’action actuels dont dispose le groupe tout comme de la situation personnelle de M. Anyira.

I. Contexte

[3] Monsieur Anyira travaillait comme graphiste et exploitait une ferme dans l’État de Borno. Le 2 décembre 2017, il vendait des biens dans un marché lorsque des kamikazes de Boko Haram ont fait éclater deux bombes. M. Anyira affirme être intervenu pour empêcher l’action d’un troisième kamikaze et que, ce faisant, il a empêché d’autres pertes de vie. Il prétend aussi que des membres de Boko Haram ont assisté à son intervention et que, depuis, il a été la cible des attaques du groupe.

[4] Monsieur Anyira allègue que des membres de Boko Haram ont abattu une partie du cheptel dans sa ferme le 3 décembre 2017. Lorsqu’il a été mis au fait de l’attaque, il s’est rendu à la ferme mais a décidé de ne pas se mesurer aux hommes. À la place, il est allé au poste de police pour déposer une plainte et est retourné à la ferme avec deux agents de police. Les membres de Boko Haram se sont approchés des agents et ont admis être à l’origine du massacre. Les agents ont conseillé à M. Anyira de prendre des photos et de retourner au poste. M. Anyira a commencé à le faire mais a été agressé et s’est enfui, retournant chez lui à Abuja.

[5] Monsieur Anyira affirme que Boko Haram a déniché et saccagé sa maison d’Abuja le 19 décembre 2017.

[6] Monsieur Anyira prétend que Boko Haram a proféré des menaces téléphoniques contre lui et sa famille dès décembre 2017. Il soutient aussi que ces menaces se sont poursuivies après son départ du Nigéria et il fait valoir que sa famille a déménagé d’un endroit à l’autre dans le pays en raison de la crainte éprouvée envers le groupe.

[7] Le 24 février 2018, M. Anyira a fui le Nigéria. Il est arrivé au Canada en mars 2018 et a demandé l’asile le mois suivant.

[8] Le 19 août 2019, la SPR a rejeté la demande de M. Anyira au motif que ses allégations principales manquaient de crédibilité.

[9] Dans l’appel interjeté auprès de la SAR, M. Anyira a soutenu que l’appréciation de la crédibilité par la SPR était erronée et que celle‑ci a fait fi de ses explications sur de prétendues contradictions et lacunes dans sa preuve. Il a présenté de nouveaux éléments de preuve à la SAR à l’appui de ses observations.

[10] Après avoir reçu le dossier d’appel de M. Anyira, la SAR a informé ce dernier qu’elle allait se pencher sur la question de l’existence d’une PRI au Nigéria lors de l’instruction de l’appel. M. Anyira a fourni des observations à ce sujet et a prétendu qu’il ne serait nulle part à l’abri dans le pays parce que Boko Haram y sévit partout et que la police ne peut pas le protéger.

II. Décision à l’étude

[11] La SAR a examiné les nouveaux éléments de preuve présentés par M. Anyira à l’aune des exigences prévues au paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) et de l’exigence que l’élément de preuve soit nouveau, crédible et pertinent (citant Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 (Raza), confirmée dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 (Singh)). La SAR a admis plusieurs rapports de police et articles de journaux postérieurs à la décision de la SPR ainsi que la lettre du 26 août 2020 rédigée par l’épouse de M. Anyira. Le tribunal a rejeté d’autres documents au motif qu’ils étaient antérieurs (ou contenaient des renseignements antérieurs) au rejet de la demande par la SPR, étaient sans date ou étaient normalement accessibles à M. Anyira avant la date de la décision de la SPR. Je vais faire référence à cette dernière catégorie de documents comme étant la preuve exclue.

[12] La SAR a alors rejeté l’appel de M. Anyira et a confirmé que ce dernier n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger parce qu’il pouvait se prévaloir d’une PRI viable à Lagos. Pour arriver à cette conclusion, la commissaire a généralement convenu avec M. Anyira que la SPR s’était méprise lorsqu’elle avait tiré des conclusions défavorables relatives à la crédibilité. La SAR a plutôt qualifié les allégations de crédibles à moins qu’il en soit fait état autrement dans sa décision.

[13] Lorsqu’elle a examiné le premier volet du critère permettant d’établir l’existence d’une PRI, la SAR a conclu qu’il n’existait pas de possibilité réelle que M. Anyira soit persécuté ou soumis, selon la prépondérance des probabilités, à un risque au sens de l’article 97 à Lagos. La commissaire a apprécié chaque argument de M. Anyira, y compris celui selon lequel Boko Haram sévit partout au Nigéria et que sa famille a sans cesse déménagé pour s’en protéger depuis qu’il était parti. La SAR a conclu que la preuve n’étayait pas que les déménagements de la famille étaient provoqués par les menaces constantes de Boko Haram ou que le groupe pouvait les repérer à Lagos. La commissaire a constaté que rien ne démontrait que les menaces avaient persisté depuis 2018 ou que Boko Haram continuait à chercher assidûment M. Anyira.

[14] La SAR a apprécié les éléments de preuve sur le Nigéria contenus dans le cartable national de documentation (le CND) et le champ d’action de Boko Haram dans le pays. La commissaire a conclu que les activités du groupe sont restreintes dans la région de Lagos et que M. Anyira n’avait pas démontré que celui‑ci avait la capacité de le repérer là‑bas. En outre, selon la SAR, M. Anyira n’a pas le profil d’une personne que Boko Haram serait susceptible de traquer. Enfin, la SAR a conclu que la thèse de M. Anyira selon laquelle Boko Haram serait en mesure de le traquer au moyen de son téléphone ou d’autres systèmes électroniques était hypothétique.

[15] La SAR a aussi analysé le deuxième volet du critère relatif à l’existence de la PRI et a conclu que M. Anyira n’avait pas réussi à établir qu’un déménagement à Lagos serait déraisonnable dans son cas. Même si la commissaire a relevé que M. Anyira n’avait mis de l’avant aucun argument concret à ce sujet, elle a tout de même examiné la situation de ce dernier, ses compétences linguistiques, sa religion et l’accessibilité des ressources publiques pour lui et sa famille à Lagos, y compris en ce qui concerne l’éducation et les soins de santé.

III. Question préliminaire – admissibilité de l’affidavit de M. Anyira

[16] Le défendeur soutient que des pans importants de l’affidavit du 30 octobre 2020 de M. Anyira ne sont pas admissibles ou devraient se voir accorder une faible valeur probante dans la présente demande parce qu’ils ne sont pas conformes au paragraphe 81(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106. Le défendeur avance que les parties attaquées constituent en fait des opinions, des arguments et des conclusions de droit et ne contiennent rien sur les renseignements factuels nécessaires à l’examen de la demande.

[17] L’affidavit de M. Anyira se focalise sur le témoignage que celui‑ci a présenté à l’audience de la SPR et conteste plusieurs des conclusions tirées par cette dernière. M. Anyira fait valoir qu’il n’a pas eu droit à une audience équitable. Il allègue aussi des faits déjà mis en preuve et tente d’expliquer des facettes de ses éléments de preuve, qu’ils aient déjà été présentés ou non.

[18] Un affidavit a pour but de porter à la connaissance de la Cour les faits pertinents au litige. Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Quadrini, 2010 CAF 47 (au para 18), la Cour d’appel fédérale a affirmé qu’une cour peut radier tout ou partie des affidavits lorsqu’ils sont abusifs ou manifestement sans pertinence ou « lorsqu’ils renferment une opinion, des arguments ou des conclusions de droit ». L’affidavit de M. Anyira renferme des renseignements généraux pertinents qui s’inscrivent dans le cadre autorisé, mais contient aussi des opinions, arguments et conclusions de droit concernant les questions que je dois trancher et concernant des questions qui dépassent le cadre de la présente demande. Afin d’instruire efficacement l’instance, je ne vais pas diviser l’affidavit et radier certains paragraphes, mais je vais exercer mon pouvoir discrétionnaire en n’accordant aucune valeur probante aux opinions et aux arguments contenus dans certains paragraphes de l’affidavit de M. Anyira (Abi‑Mansour c Canada (Procureur général), 2015 CF 882 au para 30).

IV. Questions et norme de contrôle

[19] Monsieur Anyira prétend que la SAR s’est méprise en rejetant la preuve exclue, car elle traite directement de la viabilité de Lagos en tant que PRI. Il a aussi soulevé que la SAR avait appliqué un critère erroné à la question d’une PRI viable et avait écarté des éléments de preuve importants sur sa situation personnelle, sur les activités de Boko Haram et leur portée au Nigéria.

[20] Le rejet de la preuve exclue par la SAR et le bien‑fondé de sa décision sont assujettis à la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 23 (Vavilov); Onuwavbagbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 758 au para 20; Okunowo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 175 aux para 27‑28 (Okunowo)).

[21] Une décision raisonnable est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 32).

[22] Monsieur Anyira a le fardeau de démontrer que la décision rendue par la SAR est déraisonnable. Pour annuler une décision sur ce fondement, la Cour doit être convaincue « qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

V. Analyse

1. Le traitement par la SAR de la preuve exclue

[23] Tout d’abord, il est important de garder en tête qu’un appel interjeté à la SAR d’une décision de la SPR est instruit sur dossier (Ching c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 725 au para 59). Un appel à la SAR n’est pas, pour le demandeur, une nouvelle occasion de présenter des éléments de preuve pour remédier aux lacunes dans son dossier relevées par la SPR (Abdullahi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 260 au para 15).

[24] Le paragraphe 110(4) de la LIPR permet au demandeur de présenter de nouveaux éléments de preuve dans certaines circonstances :

Éléments de preuve admissibles

Evidence that may be presented

(4) Dans le cadre de l'appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

[25] Afin de trancher sur le sort des nouveaux éléments de preuve présentés par M. Anyira, la SAR devait d’abord déterminer s’ils étaient admissibles au titre du paragraphe 110(4) de la LIPR. Je conviens avec le défendeur que les nouveaux éléments de preuve du demandeur doivent appartenir à l’une des trois catégories énumérées au paragraphe 110(4) (Dugarte de Lopez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 707 au para 17) avant que la SAR ne pondère les facteurs de l’arrêt Raza dans le contexte de l’appel (Okunowo, au para 41; voir aussi, Singh, au para 63).

[26] Monsieur Anyira fait valoir que la SAR aurait dû admettre la preuve exclue pour deux principales raisons. Il soutient que son omission de déposer la preuve exclue devant la SPR était en grande partie due à la conclusion tirée par son ancien conseil selon laquelle elle n’était pas nécessaire pour l’appréciation de sa demande par la SPR. Il plaide également que, dans tous les cas, la SAR ne devait pas exclure des éléments de preuve qui étaient directement pertinents dans son dossier.

[27] La SAR a examiné chaque document ou chaque groupe de documents soumis par M. Anyira et a fourni des motifs concis et logiques concernant l’admissibilité et l’inadmissibilité d’éléments de preuve particuliers. La commissaire a d’abord appliqué les exigences du paragraphe 110(4) et a ensuite appliqué les facteurs énoncés dans l’arrêt Raza aux nouveaux éléments de preuve qui respectaient les exigences légales. La plus grande partie de la preuve exclue était antérieure à la décision de la SPR (dossiers médicaux, les reçus d’achat d’un téléphone, le courriel de 2018) ou n’était pas datée (la lettre de l’épouse de M. Anyira, la conversation sur WhatsApp). La SAR n’a pas accepté l’explication avancée par M. Anyira selon laquelle il n’a pas produit l’essentiel de la preuve exclue à la SPR parce que son ancien conseil ne l’avait pas incité à agir en ce sens. En l’absence d’une allégation d’incompétence formulée à l’encontre de son ancien conseil et après avoir passé en revue l’essence de la preuve, la SAR a conclu qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que M. Anyira présente la preuve exclue antérieure à la décision de la SPR.

[28] J’ai examiné la preuve exclue et les observations de M. Anyira et je ne décèle aucune erreur susceptible de contrôle dans le raisonnement de la SAR ou dans son rejet sans équivoque de la preuve exclue. Que le conseil actuel ne s’accorde pas avec son prédécesseur quant aux conclusions tirées par ce dernier ne suffit pas à rendre la preuve exclue admissible. M. Anyira plaide qu’il n’est pas raisonnable d’escompter la perfection de la part d’un conseil mais je ne suis pas d’accord avec cette interprétation de la décision de la SAR. Celle‑ci n’a pas imposé une norme de perfection au conseil. Plutôt, elle a exigé la preuve de son incompétence et non pas une simple divergence d’avis de la part du conseil actuel. L’argument de M. Anyira, conjugué avec sa thèse voulant que la SAR ne devrait pas écarter des éléments de preuve directement pertinents, porte atteinte au rôle de la SAR comme tribunal d’appel et fait fi des exigences légales imposées par le législateur dans le paragraphe 110(4).

2. Le bien‑fondé de la décision de la SAR

[29] Le concept de la PRI est inhérent à la définition de réfugié. Si un demandeur d’asile peut chercher refuge dans son propre pays, il n’y a pas matière à conclure qu’il ne peut ou ne veut se réclamer de la protection de ce pays. En d’autres termes, pour avoir droit à la protection du Canada, le demandeur d’asile doit être un réfugié du pays et pas seulement d’une région particulière du pays (Sadiq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 430 au para 39).

[30] Le critère servant à déterminer l’existence d’une PRI viable a été établi par la Cour d’appel fédérale (CAF) dans la l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA) (Rasaratnam). La SAR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que :

  1. M. Anyira ne sera pas exposé à une possibilité sérieuse de persécution ou à un risque au sens de l’article 97 dans la PRI proposée;

  2. la situation dans la partie du pays où il existe une PRI doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur de s’y réfugier, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles qui lui sont propres.

[31] Le critère a été cité à de nombreuses reprises dans la jurisprudence de la Cour. En effet, il incombe à M. Anyira de réfuter au moins un volet du critère (Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CA) (Thirunavukkarasu); Obotuke c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 407 au para 16).

[32] Monsieur Anyira prétend tout d’abord que la SAR a appliqué un critère erroné pour la détermination de l’existence d’une PRI viable à Lagos. Je ne suis pas d’accord. La SAR a fondé sa décision sur le critère de l’arrêt Rasaratnam et, en considérant chaque volet du critère, elle a examiné les observations de M. Anyira et les éléments de preuve admissibles. La commissaire a examiné, lorsque c’était pertinent, les éléments mis en exergue par M. Anyira.

[33] Selon la principale prétention de M. Anyira, la SAR a écarté des éléments de preuve portant sur sa situation personnelle et des éléments de preuve documentaire relatifs à Boko Haram, ce qui a donné lieu à une décision déraisonnable. Je remarque que, alors qu’il présentait ses observations, M. Anyira s’est parfois appuyé sur la preuve exclue. Tout comme je n’ai découvert aucune erreur dans l’appréciation faite par la SAR des nouveaux éléments de preuve proposés, je ne relève non plus aucune erreur dans le fait que la SAR n’ait pas invoqué la preuve exclue dans son analyse de fond.

[34] La décision de la SAR repose sur les conclusions que Boko Haram est dénué de la capacité et de la motivation de traquer M. Anyira jusqu’à Lagos. Ce dernier attaque ce résultat avec des arguments qui s’appuient sur des éléments de preuve documentaire générale, sur sa situation personnelle et sur son profil de cible spécifique du groupe, qui demeure inchangé.

[35] Monsieur Anyira accorde une importance considérable au champ d’action national de Boko Haram et à ses ramifications au sein du gouvernement et de l’armée nigérians. Il soutient que la SAR a écarté les éléments de preuve documentaire qui appuyaient sa thèse qu’il pourrait être repéré par le groupe à Lagos.

[36] Je ne considère pas que la thèse de M. Anyira soit convaincante. Ses prétentions sont, de fait, une demande à la Cour qu’elle pondère de nouveau les éléments de preuve documentaire considérés par la SAR et qu’elle parvienne à une conclusion différente, ce qui n’est pas le but d’un contrôle judiciaire. Je ne décèle aucune erreur susceptible de contrôle dans l’analyse faite par la SAR sur la capacité de Boko Haram de repérer des particuliers à travers tout le Nigéria.

[37] Dans sa décision, la SAR s’est livrée à une révision approfondie des éléments de preuve documentaire concernant Boko Haram. La commissaire a examiné des sources en provenance, entre autres, du Royaume‑Uni et de l’Australie tout comme une réponse à une demande d’information de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié dans laquelle il est indiqué que la capacité de Boko Haram de pourchasser des individus en mouvement est plus grande dans le nord‑est et diminue au fur et à mesure que l’on s’éloigne de cette région. La SAR s’est reposée sur des éléments de preuve qui montrent que la capacité d’opération de Boko Haram s’est amenuisée et est limitée au sud d’Abuja. La SAR a aussi établi que la preuve démontre que Boko Haram n’a pas de connaissances suffisamment avancées pour retrouver des personnes au moyen de systèmes électroniques ou téléphoniques. La commissaire a conclu selon la prépondérance des probabilités que Boko Haram ne serait pas en mesure de repérer M. Anyira à Lagos. Pour ce faire, la SAR a pris connaissance des articles de journaux que M. Anyira a fournis et qui laissent transparaître que le groupe continue d’opérer partout dans le pays. Cependant, elle a conclu que M. Anyira faisait de ces documents une lecture plus étendue qu’il ne convenait de le faire en réalité. Les articles en question ne supplantaient pas les éléments de preuve que renferme le CND.

[38] Monsieur Anyira s’appuie sur l’expérience personnelle de sa famille avec Boko Haram pour conforter sa prétention que le groupe serait en mesure de le retrouver partout au Nigéria s’il devait retourner au pays. Il affirme que la SAR n’a pas raisonnablement apprécié les éléments de preuve concernant les déménagements continus de sa famille au Nigéria. Il soutient qu’elle a été sans cesse en mouvement pour échapper à Boko Haram et que, tout comme lui, ses proches continuent d’être en danger à ce jour.

[39] La SAR a tiré deux conclusions lorsqu’elle a tranché que ni les déplacements antérieurs de M. Anyira ni les déménagements perpétuels de sa famille n’établissaient qu’il était exposé à un risque à Lagos au sens des articles 96 et 97. La preuve de M. Anyira comprenait une lettre de son épouse qui mentionnait qu’elle avait dû déménager à plusieurs reprises dans tout Calabar, une ville située au sud du Nigéria. La commissaire a statué que les éléments de preuve concernant les déménagements dans Calabar ne prouvaient pas que M. Anyira pourrait être repéré à Lagos. De plus, la SAR n’a découvert aucun lien entre les déménagements de la famille et une crainte à l’égard de Boko Haram. L’épouse de M. Anyira n’a été la cible d’aucune menace de la part de Boko Haram. Elle se sentait seulement observée par des membres du groupe qui espéraient le retour de son mari. Par conséquent, la SAR n’a trouvé aucun élément de preuve qui indique que Boko Haram a proféré des menaces contre M. Anyira ou sa famille depuis février 2018. Je ne trouve aucune erreur susceptible de contrôle dans l’appréciation de la preuve faite par la SAR.

[40] La SAR a ensuite évalué si Boko Haram continuait toujours d’essayer de repérer M. Anyira. Elle a noté que des sources indiquaient que le groupe tend à cibler des notables ou des gens de notoriété. La commissaire a jugé que M. Anyira n’avait pas un tel profil. Bien qu’il ait pu être une personne d’intérêt pour le groupe en 2017 et en 2018 à cause de son intervention pendant l’attentat‑suicide à la bombe, il n’est plus un acteur d’envergure à présent. Or, M. Anyira maintient qu’il continue d’être recherché par Boko Haram à cause de son intervention, mais je ne suis pas convaincue de ce qu’il avance. Que ses dires concernant l’attentat‑suicide à la bombe de 2017 aient été jugés crédibles ne signifie pas nécessairement que le groupe continue de chercher à se venger.

[41] Monsieur Anyira soutient que la SAR s’est méprise en se penchant sur la motivation de Boko Haram à le retrouver. Il fait valoir que lorsque le risque de préjudice personnel est certain, la question de la motivation n’est pas pertinente. Il s’appuie sur la décision du juge Grammond dans l’affaire Gomez Dominguez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1098 (Gomez Dominguez). Cependant, le recours à ce jugement ne tient pas compte de son cadre factuel et du double aspect de l’analyse du juge Grammond (Gomez Dominguez, au para 30) :

[30] En l’espèce, la preuve démontre que les FARC ont assassiné ou fait disparaître huit membres de la famille de Mme Gomez, que le dernier de ces assassinats est relativement récent et que Mme Gomez a déjà été menacée personnellement. Ces faits ne sont pas contestés. Ils sont donc prouvés par prépondérance des probabilités. Ils établissent que les FARC ont fait preuve, sur une longue période de temps, d’une motivation hors du commun à s’en prendre aux membres de la famille et de la capacité nécessaire pour mettre leurs plans à exécution. La SAR conclut pourtant que cette motivation et cette capacité seraient disparues en raison du morcellement des FARC à la suite des accords de paix et de l’absence prolongée de Mme Gomez et de M. Cajiao. Ces conclusions ne constituent pas des constatations de fait, mais plutôt une évaluation de risque.

[42] La conclusion tirée par la SAR sur la capacité limitée de Boko Haram de sévir au sud du Nigéria et des circonstances de plus en plus circonscrites dans lesquelles il serait motivé à agir de la sorte est logique et compréhensible. Les faits et les éléments de preuve sur lesquels M. Anyira s’appuie sont substantiellement différents de ceux présents dans l’affaire Gomez Dominguez où le juge Grammond a conclu à la démonstration de la capacité et à la « motivation hors du commun » des agents de persécution.

[43] Monsieur Anyira soutient que la SAR a omis d’apprécier les éléments de preuve sur l’influence de Boko Haram sur le gouvernement nigérian. Je ne suis pas d’accord, car la commissaire s’est penchée sur cette allégation, quoique succinctement. La SAR a examiné un article qui a traité de la question des informateurs du groupe au sein du gouvernement. Or, elle a conclu que l’article n’établit pas la capacité ou la motivation du groupe à traquer M. Anyira parce qu’il rapporte que les informateurs cherchent à obtenir des renseignements militaires.

[44] En me penchant sur le deuxième volet du critère de la PRI, je conclus que les observations de M. Anyira sur les obstacles qu’il pourrait rencontrer en se réinstallant à Lagos ne permettent pas de relever une erreur susceptible de contrôle dans la décision de la SAR. Il n’a mis à jour aucun élément de preuve et n’a présenté aucune observation qui laisserait croire qu’il a rempli le critère exigeant applicable au caractère déraisonnable, lequel constitue l’élément phare du deuxième volet du critère de l’arrêt Rasaratnam (Ohwofasa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 266 au para 20, citant Ranganathan c Canada (Ministère de l’Emploi et de l’Immigration),[2001] 2 CF 164 (CA) et Thirunavukkarasu).

[45] La SAR a constaté que M. Anyira avait recensé des jugements à propos des conséquences de la réinstallation sur ses enfants, son âge, la probabilité de se rendre de façon sécuritaire dans la PRI et sa capacité d’y résider légalement, mais il n’a pas expliqué comment ces paramètres s’appliquaient à lui. Néanmoins, la SAR a apprécié les questions relatives au transport et aux déplacements à Lagos, au logement, à la religion et aux soins de santé. La commissaire a aussi examiné l’instruction de M. Anyira et ses débouchés professionnels ainsi que ses capacités linguistiques. L’analyse faite par la SAR du deuxième volet du critère de la PRI est logique et justifiée eu égard aux éléments de preuve et aux observations de M. Anyira.

VI. Conclusion

[46] La demande est rejetée.

[47] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et il ne s’en pose aucune en l’espèce.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑4790‑20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM‑4790‑20

 

INTITULÉ :

PAUL NDUBISI ADESOMI ANYIRA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 JUIN 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS:

LE 26 AOÛT 2021

 

COMPARUTIONS :

Stewart Istvanffy

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Chantal Chatmajian

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Étude Légale Stewart Istvanffy

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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