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Date : 20060609

Dossier : IMM‑4292‑05

Référence : 2006 CF 725

Ottawa (Ontario), le 9 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PAUL U. C. ROULEAU

 

 

ENTRE :

MONICA MARIA VAAMONDE WULFF

VALENTINA MARIA CARIAS VAAMONDE

GUSTAVO ENRIQUE CARIAS VAAMONDE

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 11 juillet 2005, selon laquelle les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger suivant les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). La Commission a conclu que les demandeurs pourraient retourner au Venezuela et qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour étayer leurs prétentions. En conséquence, elle a rejeté leurs demandes d’asile.

[2]               La demanderesse principale, Monica Maria Vaamonde Wulff, est une citoyenne du Venezuela. Les deux autres demandeurs, ses enfants mineurs, fondent leurs demandes sur la sienne. Les demandeurs craignent d’être persécutés par le gouvernement du Venezuela à cause des opinions politiques de la demanderesse principale et du travail qu’elle a fait dans le passé au sein d’une organisation non gouvernementale appelée SUMATE, qui est opposée au gouvernement vénézuélien actuel.

 

[3]               La demanderesse principale prétend que son contrat d’enseignement avec le ministère de l’Éducation du Venezuela n’a pas été renouvelé à cause de son travail au sein de SUMATE et qu’elle a reçu des menaces en raison des activités politiques qu’elle a menées sur l’île de Margarita en juin 2004. Elle allègue en outre qu’elle a reçu des menaces pendant qu’elle travaillait sur l’île de Margarita pour SUMATE, que le gouvernement vénézuélien a harcelé des membres de cette organisation et que, comme elle était une coordonnatrice de celle‑ci, les membres du gouvernement s’en sont pris plus particulièrement à elle.

 

[4]               La demanderesse principale a quitté SUMATE en juin 2004 et a déménagé chez ses parents à Caracas. Elle a quitté l’île de Margarita à cause des menaces.

 

[5]               La demanderesse principale allègue qu’elle a reçu d’autres appels téléphoniques à Caracas, après avoir déménagé dans cette ville pour vivre avec sa famille, en juillet 2004. Elle dit que la personne qui l’a appelée voulait savoir si elle retournerait sur l’île de Margarita et posait des questions au sujet de son séjour à Caracas. Elle dit aussi que les appels ont été reçus à la maison de ses parents.

 

[6]               Après avoir quitté le Venezuela, les demandeurs sont entrés au Canada en novembre 2004 et ont demandé l’asile. La Commission a rejeté leurs demandes le 30 juin 2005 (de vive voix) et le 11 juillet 2005 (par écrit).

 

[7]               La Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger. Elle a considéré qu’ils avaient établi leur identité et que la demanderesse principale avait témoigné de manière crédible au sujet de la perte de son emploi et des menaces reçues alors qu’elle se trouvait sur l’île de Margarita. Elle a par contre jugé que le récit des demandeurs concernant les menaces reçues à Caracas n’était pas crédible.

 

[8]               La Commission a constaté que la demanderesse principale avait quitté son emploi au sein de SUMATE en juin 2004 et avait déménagé à Caracas. À ses yeux, il n’était pas crédible que le gouvernement actuel du Venezuela ait retrouvé la demanderesse principale après qu’elle eut quitté SUMATE et eut déménagé à Caracas. La Commission a fait remarquer que les appels téléphoniques que la demanderesse principale aurait reçus à Caracas ont cessé en septembre 2004, mais que les demandeurs sont tout de même demeurés dans cette ville jusqu’au mois de novembre suivant. Elle a conclu que, suivant la prépondérance des probabilités, la demanderesse principale avait fabriqué sa preuve concernant les appels téléphoniques qu’elle disait avoir reçus à Caracas.

 

[9]               La Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas prouvé qu’ils étaient susceptibles de subir un préjudice à Caracas s’ils y retournaient.

 

[10]           De plus, la Commission a rappelé que la demanderesse principale avait cessé de travailler pour SUMATE en juin 2004. Elle a fait remarquer qu’elle n’avait pas voté au référendum qui a eu lieu au Venezuela en août 2004 et a conclu que les demandeurs ne risquaient pas d’être persécutés s’ils retournaient à Caracas aujourd’hui.

 

[11]           La Commission a traité ensuite de l’emploi de la demanderesse principale au sein de SUMATE. Elle a pris note du fait que la demanderesse principale avait produit une lettre confirmant cet emploi; cette lettre ne corroborait pas cependant ses affirmations concernant les menaces qu’elle aurait reçues ou la persécution dont elle aurait été victime au cours de son emploi. La Commission a tiré en conséquence une conclusion défavorable concernant la crédibilité de la demanderesse principale.

 

[12]           La Commission a analysé ensuite la question de savoir si les opposants politiques couraient le risque d’être persécutés au Venezuela. Elle a conclu qu’un tel risque n’existait pas. Elle a souligné que la plus récente élection s’était décidée par une marge de 59 à 41 p. 100. Elle a conclu également que la demanderesse principale n’avait pas le profil d’une personne à laquelle on s’intéresserait aujourd’hui à Caracas. Elle a aussi rappelé que la demanderesse principale avait quitté SUMATE en juin 2004 et qu’elle n’avait participé à aucune activité politique pendant les quatre mois qu’elle avait passés à Caracas.

 

[13]           La Commission s’est ensuite intéressée à la question de savoir si la demanderesse principale aurait de la difficulté à trouver un emploi si elle retournait au Venezuela. Elle a rappelé que la demanderesse principale avait occupé plusieurs emplois au Venezuela et qu’elle avait une formation d’agente de voyages. Elle a conclu qu’elle n’aurait aucune difficulté à trouver un emploi au Venezuela, malgré le fait qu’elle avait perdu son emploi d’enseignante à cause de son travail au sein de SUMATE.

 

[14]           La Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger et elle a rejeté leurs demandes d’asile au Canada.

 

[15]           Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la Commission parce que, selon eux, celle‑ci a rendu cette décision de façon abusive ou arbitraire, sans dûment tenir compte des éléments dont elle disposait. Ils soutiennent en outre que la Commission a manqué aux principes de justice naturelle en examinant la question de la crainte subjective et de la possibilité de refuge intérieur (PRI) et en s’appuyant sur des documents qui avaient été expressément exclus du débat. Ils prétendent également que la Commission a fait naître une crainte raisonnable de partialité. Finalement, ils allèguent qu’elle a commis une erreur en ne procédant pas à une analyse distincte concernant le paragraphe 97(1) de la LIPR.

 

[16]           J’aimerais mentionner tout d’abord que l’un des arguments des demandeurs n’a aucun fondement. En effet, la question de la partialité ne peut être soulevée dans le cadre d’un contrôle judiciaire que si elle a été soulevée à l’audience (voir Re Tribunal des droits de la personne et Énergie atomique du Canada Limitée, [1986] 1 C.F. 103). Par conséquent, cette question ne sera pas examinée par la Cour.

 

[17]           On peut aussi disposer rapidement de la question de l’analyse distincte concernant le paragraphe 97(1). Comme le défendeur l’a souligné, l’absence d’une deuxième analyse concernant le paragraphe 97(1) ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle (voir Kulendrarajah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 79). L’argument des demandeurs concernant le paragraphe 97(1) doit être rejeté.

 

[18]           Pour ce qui est de l’équité procédurale et de la justice naturelle, les demandeurs prétendent qu’ils ont reçu l’assurance que la Commission n’examinerait pas les questions de crainte subjective, de PRI et de fiabilité des documents. Il est toutefois question de la PRI et de la fiabilité des documents dans le formulaire d’examen initial des demandeurs. Je suis d’avis que les demandeurs ne peuvent pas prétendre qu’ils ignoraient que ces questions pouvaient être examinées. Par conséquent, ils ne peuvent pas avoir gain de cause en soutenant ne pas avoir su que ces questions pouvaient être soulevées.

 

[19]           En ce qui a trait à la question de la crainte subjective, les demandeurs font valoir que la crainte subjective englobe la crédibilité, de sorte que la Commission ne peut rendre une décision fondée sur la crédibilité. Or, la crainte subjective et la crédibilité sont traitées dans deux sections différentes du formulaire d’examen initial des demandeurs et ces questions sont clairement examinées séparément par la Commission. Ce formulaire indique qu’il faut tenir compte de la crédibilité, mais non de la crainte subjective des demandeurs. Par conséquent, je suis d’avis qu’il faut rejeter l’argument des demandeurs selon lequel la crainte subjective englobe la crédibilité, et la décision de la Commission ne devrait pas être modifiée pour des raisons d’équité procédurale ou de justice naturelle.

 

[20]           Finalement, les demandeurs allèguent que la décision de la Commission est manifestement déraisonnable. Ils prétendent que la Commission a examiné à la loupe des questions accessoires (voir Attakora c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 99 N.R. 168), et a tiré des conclusions déraisonnables concernant la crédibilité qui n’étaient pas étayés par les faits.

 

[21]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable de l’absence de preuve étayant les allégations selon lesquelles la demanderesse principale avait reçu des menaces à Caracas et en concluant que celle‑ci pourrait trouver un emploi convenable à son retour au Venezuela. Les demandeurs n’ont pas démontré que les conclusions de la Commission concernant la crédibilité sont erronées. Il est bien établi en droit que la crédibilité est au cœur de la compétence de la Commission et que ses conclusions de fait ne seront modifiées par la Cour que si elles sont manifestement déraisonnables. Les conclusions que la Commission a tirées de la preuve, notamment la lettre du coordonnateur national de SUMATE, ne constituent pas une décision manifestement déraisonnable.

 

[22]           En ce qui concerne la conclusion sur l’employabilité, la demanderesse principale se fonde sur la conclusion tirée par mon collègue le juge Kelen dans Cuevas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1169, au paragraphe 13 :

La Commission doit tenir pour acquis que le demandeur sera obligé de reprendre, et qu’il reprendra effectivement, ses activités commerciales s’il retourne au Venezuela. Le demandeur est un homme d’affaires. On ne peut pas lui demander d’exercer un métier qu’il ne connaît pas, comme celui d’agriculteur. Un léopard ne peut pas changer ses taches. Si le demandeur retourne dans sa province d’origine ou à Caracas, la Commission doit évaluer le risque de persécution qu’il courra, en tenant pour acquis que le demandeur reprendra ses activités commerciales. Il faut bien travailler pour vivre.

 

[23]           Je suis d’avis que la situation en l’espèce est différente de celle de Cuevas. En l’espèce, la Commission a clairement examiné les antécédents professionnels et la formation de la demanderesse principale et elle est arrivée à la conclusion que celle‑ci serait en mesure de trouver un emploi dans un domaine correspondant à ses antécédents professionnels et à sa formation. L’argument de la demanderesse principale selon lequel elle ne pourrait pas reprendre son travail d’enseignante ne suffit pas pour dire qu’elle sera non employable, compte tenu de sa formation et de ses antécédents professionnels. La demanderesse principale a une formation d’agente de voyages et, comme la Commission l’a fait remarquer, elle a eu plusieurs emplois au Venezuela, à part son travail d’enseignante. Elle a notamment été directrice adjointe, directrice, responsable de comptes, et cadre de direction dans une banque. Par conséquent, je suis d’avis de conclure que la présente situation est clairement différente de celle de Cuevas, et la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse principale pourrait trouver un emploi convenable est raisonnable.

 

[24]           Dans un mémoire des arguments complémentaire, les demandeurs soulèvent la question de l’ordre des interrogatoires établi par les Directives no 7 du président, qui traitent de la préparation et de la conduite des audiences. Cet argument ayant été retiré, la Cour n’en traitera pas dans le présent contrôle judiciaire.

 

[25]           Comme les demandes des demandeurs mineurs sont fondées sur celle de la demanderesse principale, je suis d’avis de conclure que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée en entier, à l’égard des trois demandeurs.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification.

 

 

 

« Paul U. C. Rouleau »

Juge suppléant

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                        IMM‑4292‑05

 

INTITULÉ :                                                       MONICA MARIA VAAMONDE WULFF, VALENTINA MARIA CARIAS VAAMONDE, GUSTAVO ENRIQUE CARIAS VAAMONDE

                                                                            c.

                                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               LE 30 MAI 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                            LE JUGE SUPPLÉANT ROULEAU

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 9 JUIN 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeinis S. Patel                                                       POUR LES DEMANDEURS

 

Neega Logsetty                                                    POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jeinis S. Patel                                                       POUR LES DEMANDEURS

Avocat

 

John H. Sims, c.r.                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

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