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Date : 20050725

Dossier : IMM-7282-04

Référence : 2005 CF 1028

Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

VERONICA MARIA FABELA

JUAN MANUEL ARREDONDO

JESSICA ARREDONDO

ELVIA ROSARIO ARREDONDO LOPEZ

JOSE MANUEL ARREDONDO SALGADO

TOMAS ARREDONDO SALGADO

VERONICA ARREDONDO FABELA

ARMANDO ARREDONDO SALGADO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), qui vise la décision datée du 4 août 2004 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et de la protection des réfugiés (la Commission) a jugé que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[2]         Les questions en litige sont les suivantes :

1.         La Commission a-t-elle commis une erreur en déclarant que le demandeur principal n'était pas un réfugié à cause de l'alinéa 1(F)a) de la Convention des Nations Unies sur le statut de réfugié (la Convention)?

2.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que tous les demandeurs avaient une possibilité de refuge intérieur (PRI)?

[3]         Pour les motifs qui suivent, j'ai apporté une réponse négative à ces questions. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

LE CONTEXTE

[4]         Les demandeurs sont tous des citoyens mexicains et demandent l'asile en se fondant sur leur appartenance à un groupe social, à savoir les personnes ayant été témoin de la corruption au sein des forces de la police judiciaire mexicaine.

[5]         Tomas Arredondo Salgado (le demandeur principal) a été agent de police à Toluca, au Mexique, de 1985 à 1998. Ayant été témoin d'abus de pouvoir et de corruption chez les policiers, il allègue qu'il craint pour sa vie et qu'il risquerait d'être persécuté par des agents de police corrompus parce qu'il a refusé de se livrer à la corruption. Il allègue qu'il a été frauduleusement accusé par des policiers corrompus, parce qu'ils craignaient qu'il signale leurs actes de corruption. Il soutient qu'il a été obligé de s'enfuir de son pays pour échapper au risque d'être persécuté et torturé par la police judiciaire mexicaine. À la suite de sa décision de quitter le pays, les membres de sa famille ont fait l'objet de menaces, de harcèlement, de violence et d'agression de la part des policiers. C'est pourquoi ils ont tous décidé de rejoindre le demandeur principal au Canada.

[6]         De plus, Elvia Rosario Arredondo Lopez, la nièce du demandeur principal, allègue avoir été persécutée en raison de son appartenance à un groupe social, celui des femmes victimes de violence de la part de leur ancien petit ami. Elle allègue que son ancien petit ami et la mère de celui-ci ne voulaient pas qu'elle ait l'enfant qu'elle portait, qu'ils souhaitaient qu'elle ait un avortement ou qu'elle fasse adopter le bébé. Elle craint qu'ils ne lui prennent son bébé s'ils la trouvent. Elle craint pour sa propre sécurité, pour celle de son enfant et ne veut pas retourner dans son pays.

LA DÉCISION ATTAQUÉE

[7]         Dans la première partie de la décision, la Commission exclut le demandeur principal de la définition de réfugié au sens de la Convention en raison de l'alinéa 1(F)a) de la Convention qui énonce que celle-ci n'est pas applicable aux personnes qui ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité.

[8]         La décision de la Commission est fondée sur le fait que le demandeur principal a été pendant des années agent de police dans un service de police reconnu pour sa corruption. La Commission a estimé qu'il avait une connaissance personnelle et directe du fait que les policiers recouraient à la torture de façon systématique et généralisée pendant qu'il était un agent de cette organisation. La Commission a tiré une conclusion négative du fait que Tomas Arredondo Salgado a obtenu un taux de confession supérieur à la moyenne, à savoir un taux de 90 p. 100, alors que le taux de ses collègues était en moyenne de 60 p. 100. De plus, il a obtenu une prime pour avoir exécuté le plus grand nombre de mandats d'arrestation.

[9]         À titre subsidiaire, la Commission a examiné la question de savoir si le demandeur principal était un réfugié au sens de la Convention comme tous les autres demandeurs. Après avoir effectué une analyse complète de tous les éléments de preuve présentés, la Commission a conclu que tous les demandeurs avaient une PRI à Monterrey, une ville où vit encore le frère du demandeur principal. La Commission a fondé sa décision sur un certain nombre d'éléments. Premièrement, il n'existe aucune preuve indiquant que le frère du demandeur principal, qui habite à Monterrey, ait été interrogé au sujet du demandeur principal. Deuxièmement, il n'existe aucune preuve indiquant que la soeur du demandeur principal, qui vit toujours à Toluca, connaît des problèmes du fait que la police recherche son frère. Troisièmement, la mère du demandeur principal ne s'est fait demander qu'une fois en douze mois où se trouvait son fils. Le manque de détails au sujet de ces enquêtes n'a pas convaincu la Commission que la police cherchait véritablement à le retracer, même dans Toluca, sa ville d'origine. Par conséquent, la Commission a conclu qu'ils auraient un refuge sûr à Monterrey, une ville située à 12 heures de Toluca.

ANALYSE

L'exclusion de la définition de réfugié fondée sur l'alinéa 1(F)a) de la Convention

[10]       La norme de contrôle applicable à la décision de la Commission selon laquelle certains actes sont visés par la définition de « crime contre l'humanité » est celle de la décision correcte (Mendez-Levya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 846, au paragr. 36; 2001 CFPI 523, et Gonzalez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 24 Imm. L.R. (2d) 229 (C.A.F.); [1994] 3 C.F. 646; [1994] A.C.F. no 765) et la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission selon laquelle certains actes ont été commis est celle de la décision manifestement déraisonnable (Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1292; 2003 CAF 325; [2004] 1 R.C.F. 3).

[11]       En l'espèce, il ne semble pas contesté que la torture et l'emprisonnement illégal sont considérés comme des crimes contre l'humanité. Le ministre soutient que le demandeur principal a participé à des crimes contre l'humanité à cause du rôle qui était le sien au sein de la police judiciaire mexicaine. Cependant, les demandeurs soutiennent que la Commission a conclu à tort que le demandeur principal devait être exclu de la catégorie des réfugiés du sens de la Convention aux termes de l'alinéa 1Fa) de la Convention. L'essentiel de l'allégation des demandeurs est que les crimes perpétrés par la police judiciaire mexicaine ne constituent pas des crimes contre l'humanité.

a)         Les crimes perpétrés par la police judiciaire mexicaine sont-ils visés par la définition de crime contre l'humanité?

[12]       Les demandeurs soutiennent que la Commission n'a pas tenu compte du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (le Statut de Rome) qui exige qu'un crime contre l'humanité ait été commis « dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique » [...] Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur susceptible de révision parce qu'elle a préféré s'appuyer davantage sur un arrêt du Tribunal pénal international chargé de juger les crimes commis dans l'ancienne Yougoslavie, plutôt que sur le Statut de Rome.

[13]       En fait, la Commission a cité l'arrêt Le Procureur c. Dragoljub Kuranac, Radomir Kovac et Zoran Vulovic, (2002), affaire no IT-96-23 et 23/1 (Tribunal pénal international pour l'ancienne Yougoslavie, Chambre d'appel), en ligne : Nations Unies http://www.un.org/icty/cases-f/index-f.htm, au paragr. 98 qui se lisait comme suit (voir les p. 8 et 9 des motifs de la Commission) :

Contrairement à ce qu'en disent les Appelants, il n'est pas nécessaire que l'attaque ou les actes des accusés soient le fruit d'une « politique » ou d'un « plan » quelconque. Rien, dans le Statut ou le droit international coutumier tel qu'il existait à l'époque des faits allégués, n'exige la preuve de l'existence d'un plan ou d'une politique visant à la perpétration de ces crimes. Comme il est indiqué plus haut, le fait que l'attaque était dirigée contre une population civile et le fait qu'elle était généralisée ou systématique sont des éléments constitutifs du crime. Mais pour prouver ces éléments, il n'est pas nécessaire de démontrer qu'ils résultaient de l'existence d'une politique ou d'un plan. Pour établir que l'attaque était dirigée contre une population civile et qu'elle était généralisée ou systématique (et en particulier cette dernière caractéristique), il peut être utile de démontrer qu'il existait effectivement une politique ou un plan, mais ces éléments peuvent être prouvés autrement. En conséquence, l'existence d'une politique ou d'un plan peut être pertinente dans le cadre de l'administration de la preuve, mais ne saurait être considérée comme un élément constitutif du crime.

[14]       La question de savoir si l'existence d'une politique ou d'un plan est un élément constitutif de la définition de crime contre l'humanité a fait l'objet d'un débat dans la jurisprudence de ce tribunal. Les précédents examinés par la Chambre d'appel permettent pour la plupart d'affirmer que le droit coutumier international n'impose aucunement cette condition.

[15]       Dans l'arrêt Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.); [1993] A.C.F. no 1145, au paragr. 14, le juge Linden a signalé que la définition de crime contre l'humanité selon le droit international comportait habituellement certaines conditions juridiques supplémentaires. Il a explique que, d'une façon générale, les crimes contre l'humanité doivent être commis de façon généralisée et systématique. Il a fait référence à l'article d'un commentateur canadien, Joseph Rikhof, intitulé « War Crimes, Crimes Against Humanity and Immigration Law » (Crimes de guerre, crimes contre l'humanité et droit de l'immigration) (1993), 19 Imm. L.R. (2d) 18, à la page 30 :

[TRADUCTION]

Cette condition ne signifie pas qu'un crime contre l'humanité ne puisse pas être commis contre une personne, mais afin de faire qualifier un crime interne, tel le meurtre, de crime international, il faut que cet élément supplémentaire soit présent. Cet élément réside dans ce que la victime appartient à un groupe qui a été, de façon systématique et généralisée, la cible d'un des crimes susmentionnés...

[16]       Selon moi, il ressort de la jurisprudence qu'il n'est pas nécessaire que l'organisation en question ait un plan ou une politique officielle pour conclure qu'il y a eu crime contre l'humanité. Dès que des crimes considérés comme étant des crimes contre l'humanité ont été perpétrés de façon généralisée et systématique par un groupe particulier, les éléments constitutifs de la définition de crime contre l'humanité sont réunis.

[17]       En l'espèce, le demandeur principal a été membre de la police judiciaire de l'État mexicain pendant treize (13) ans. Il est établi que cette organisation a pratiqué la torture et l'emprisonnement illégal; il est reconnu que ces crimes constituent des crimes contre l'humanité. Même si le but officiel de cet organisme n'est pas la perpétration de ces crimes, les éléments de preuve indiquent que l'immense majorité des agents de police ont participé à de tels crimes.

[18]       À mon avis, le fait qu'il soit largement reconnu que l'organisation en question ait pratiqué la torture et l'emprisonnement illégal contre ses propres ressortissants suffit pour conclure que la police judiciaire mexicaine a commis des crimes contre l'humanité.

b)         Le demandeur a-t-il participé à des crimes contre l'humanité en raison du rôle qui était le sien au sein de la police judiciaire mexicaine?

                                   

[19]       Comme cela est mentionné dans l'arrêt Sivakumar, précité, au paragr. 5, il existe une jurisprudence abondante sur la question de l'imputabilité des crimes contre l'humanité. Il est bien établi que la personne qui commet personnellement un acte constituant un crime contre l'humanité en est responsable. Cependant, il est maintenant largement reconnu qu'il est possible d'imputer ces crimes à une personne qui en a été complice, même si cette personne n'a pas personnellement perpétré les actes en question. Le fait de tolérer la commission de tels crimes suffit à engager la responsabilité pénale du complice.

[20]       Il incombe au ministre d'établir que le demandeur principal doit se voir refuser la protection prévue par la Convention. Pour obtenir gain de cause, il doit établir qu'il existe « des raisons sérieuses » de penser que le demandeur principal a commis de tels crimes. Cette norme exige davantage que de simples soupçons mais n'exige pas une preuve selon la prépondérance des probabilités (Sivakumar, précité, au paragr. 18). La norme de preuve est énoncée à la section 1(F) de la Convention qui se lit ainsi :

Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser : [...]

[21]       La torture et l'emprisonnement illégal sont visés par la définition de crimes contre l'humanité que l'on trouve à l'article 7 du Statut de Rome. De plus, l'article 6 de la Constitution du Tribunal militaire international, un des grands instruments internationaux mentionnés dans la section 1(F) de la Convention, précise la responsabilité du complice. La Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre du Canada adopte expressément le Statut de Rome.

ARTICLE 6 : Constitution du Tribunal militaire international

Le Tribunal établi par l'Accord mentionné à l'article premier ci-dessus pour le jugement et le châtiment des grands criminels de guerre des pays européens de l'Axe, sera compétent pour juger et punir toutes personnes qui, agissant pour le compte des pays européens de l'Axe, auront commis, individuellement ou à titre de membres d'organisations, l'un quelconque des crimes suivants :

Les actes suivants, ou l'un quelconque d'entre eux, sont des crimes soumis à la juridiction du Tribunal et entraînent une responsabilité individuelle :


a) « Les crimes contre la paix » : c'est-à-dire la direction, la préparation, le déclenchement ou la poursuite d'une guerre d'agression, ou d'une guerre en violation des traités, assurances ou accords internationaux, ou la participation à un plan concerté ou à un complot pour l'accomplissement de l'un quelconque des actes qui précèdent;


b) « Les crimes de guerre » : c'est-à-dire les violations des lois et coutumes de la guerre. Ces violations comprennent, sans y être limitées, l'assassinat, les mauvais traitements et la déportation pour des travaux forcés ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés, l'assassinat ou les mauvais traitements des prisonniers de guerre ou des personnes en mer, l'exécution des otages, le pillage des biens publics ou privés, la destruction sans motif des villes et des villages ou la dévastation que ne justifient pas les exigences militaires;

c) « Les crimes contre l'humanité » : c'est-à-dire l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime.

Les dirigeants, organisateurs, provocateurs ou complices qui ont pris part à l'élaboration ou à l'exécution d'un plan concerté ou d'un complot pour commettre l'un quelconque des crimes ci-dessus définis sont responsables de tous les actes accomplis par toutes personnes en exécution de ce plan.

ARTICLE 7 : Statut de Rome de la Cour pénale internationale

Crimes contre l'humanité

1.          Aux fins du présent Statut, on entend par crime contre l'humanité l'un quelconque des actes ci-après lorsqu'il est commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque :

    a)          Meurtre;

    b)          Extermination;

    c)          Réduction en esclavage;

    d)          Déportation ou transfert forcé de population;

    e)          Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international;

    f)          Torture;

    g)          Viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable;

    h)          Persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d'ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste au sens du paragraphe 3, ou en fonction d'autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour;

    i)          Disparitions forcées de personnes;

    j)          Crime d'apartheid;

    k)          Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé physique ou mentale.

2.          Aux fins du paragraphe 1 :

    a)          Par « attaque lancée contre une population civile » , on entend le comportement qui consiste en la commission multiple d'actes visés au paragraphe 1 à l'encontre d'une population civile quelconque, en application ou dans la poursuite de la politique d'un État ou d'une organisation ayant pour but une telle attaque;

    b)          Par « extermination » , on entend notamment le fait d'imposer intentionnellement des conditions de vie, telles que la privation d'accès à la nourriture et aux médicaments, calculées pour entraîner la destruction d'une partie de la population;

    c)          Par « réduction en esclavage » , on entend le fait d'exercer sur une personne l'un quelconque ou l'ensemble des pouvoirs liés au droit de propriété, y compris dans le cadre de la traite des être humains, en particulier des femmes et des enfants;

    d)           Par « déportation ou transfert forcé de population » , on entend le fait de déplacer de force des personnes, en les expulsant ou par d'autres moyens coercitifs, de la région où elles se trouvent légalement, sans motifs admis en droit international;

    e)          Par « torture » , on entend le fait d'infliger intentionnellement une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, à une personne se trouvant sous sa garde ou sous son contrôle; l'acception de ce terme ne s'étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légales, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles;

    f)          Par « grossesse forcée » , on entend la détention illégale d'une femme mise enceinte de force, dans l'intention de modifier la composition ethnique d'une population ou de commettre d'autres violations graves du droit international. Cette définition ne peut en aucune manière s'interpréter comme ayant une incidence sur les lois nationales relatives à la grossesse;

    g)          Par « persécution » , on entend le déni intentionnel et grave de droits fondamentaux en violation du droit international, pour des motifs liés à l'identité du groupe ou de la collectivité qui en fait l'objet;

    h)          Par « crime d'apartheid » , on entend des actes inhumains analogues à ceux que vise le paragraphe 1, commis dans le cadre d'un régime institutionnalisé d'oppression systématique et de domination d'un groupe racial sur tout autre groupe racial ou tous autres groupes raciaux et dans l'intention de maintenir ce régime;

    i)          Par « disparitions forcées de personnes » , on entend les cas où des personnes sont arrêtées, détenues ou enlevées par un État ou une organisation politique ou avec l'autorisation, l'appui ou l'assentiment de cet État ou de cette organisation, qui refuse ensuite d'admettre que ces personnes sont privées de liberté ou de révéler le sort qui leur est réservé ou l'endroit où elles se trouvent, dans l'intention de les soustraire à la protection de la loi pendant une période prolongée.

3.          Aux fins du présent Statut, le terme « sexe » s'entend de l'un et l'autre sexes, masculin et féminin, suivant le contexte de la société. Il n'implique aucun autre sens.

[22]       Selon de nombreuses décisions de la Cour fédérale, il est possible de déclarer quelqu'un coupable d'un crime contre l'humanité en qualité de complice, même si la personne en question n'a pas personnellement participé aux actes constitutifs du crime (voir l'arrêt Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.); [1992] A.C.F. no 109).

[23]       Dans l'arrêt Sivakumar, précité, au paragr. 6, il a été confirmé que la question de savoir si une personne était complice de crimes contre l'humanité était essentiellement une question de fait qui ne pouvait être tranchée qu'en fonction des circonstances de l'affaire. Dans l'arrêt Ramirez, précité, le revendicateur s'était engagé volontairement dans l'armée et avait été témoin du fait que l'on torturait et assassinait de nombreux prisonniers. Compte tenu des circonstances de cette affaire, la Cour a jugé qu'il était complice.

[24]       En l'espèce, la Commission a analysé les principaux facteurs qu'il y a lieu de prendre en compte pour trancher la question de savoir s'il existait des motifs sérieux de croire que le demandeur principal avait une connaissance personnelle des faits en cause ou pouvait être considéré comme complice de la perpétration de crimes contre l'humanité. Voici ces facteurs : la méthode de recrutement, le poste et le rang du demandeur dans l'organisation, la nature de celle-ci, la connaissance que le demandeur avait des atrocités commises, la durée de sa participation aux activités de l'organisation et la possibilité de la quitter.

[25]       Pour ce qui est de la méthode de recrutement, les éléments de preuve indiquent que le demandeur principal s'est engagé volontairement dans la force de police. Lorsque le demandeur principal a décidé de devenir policier, il venait de terminer un cours de comptabilité. Il aurait pu travailler comme comptable mais il a volontairement décidé de s'engager comme policier.

[26]       Pour ce qui est de la nature de l'organisation et de la connaissance des atrocités commises, la preuve documentaire montre que la police judiciaire mexicaine a utilisé de façon systématique et généralisée la torture et les arrestations arbitraires entre 1985 et 1998. De plus, le demandeur principal a déclaré qu'il était parfaitement au courant des crimes qui avaient été commis par certains policiers.

[27]       Pour ce qui est de la durée de sa participation aux activités de l'organisation, le demandeur principal a été chef de groupe pendant de nombreuses années et avait des officiers sous ses ordres. Il était connu pour avoir obtenu un taux de confession supérieur à la moyenne (90 p. 100).

[28]       Le facteur suivant est la possibilité de quitter l'organisation. Le demandeur principal a été membre de la force policière pendant plus de 13 ans. Il a démissionné à deux reprises mais il a à chaque fois réintégré cette organisation. Il affirme qu'il était obligé de réintégrer la force policière parce qu'il éprouvait trop de difficultés à se trouver un autre emploi. Le dossier montre que le demandeur principal a repris son poste d'agent de police trois jours après sa première démission et un mois après la seconde.

[29]       Compte tenu des éléments ci-dessus, la Commission a jugé qu'il existait des raisons sérieuses de considérer que le demandeur principal avait été complice de torture et de fausses accusations au Mexique.

[30]       Il est utile de citer ici la décision Penate c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 2 C.F. 79; [1993] A.C.F. no 1292 (la juge Reed), au paragr. 6 :

Selon mon interprétation de la jurisprudence, sera considéré comme complice quiconque fait partie du groupe persécuteur, qui a connaissance des actes accomplis par ce groupe, et qui ne prend pas de mesures pour les empêcher (s'il peut le faire) ni ne se dissocie du groupe à la première occasion (compte tenu de sa propre sécurité), mais qui l'appuie activement. On voit là une intention commune. Je fais remarquer que la jurisprudence susmentionnée ne vise pas des infractions internationales isolées, mais la situation où la perpétration de ces infractions fait continuellement et régulièrement partie de l'opération.

La possibilité de refuge intérieur (PRI)

[31]       La notion de PRI est une façon de décrire la situation d'une personne qui risque d'être persécutée dans une région du pays mais pas dans une autre. Dans l'arrêtThirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.); [1993] A.C.F. no 1172, la Cour a jugé que, lorsque le demandeur d'asile peut trouver un refuge dans son propre pays, il n'y a aucune raison de conclure que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de ce pays. Autrement dit, même lorsque les demandeurs ont une crainte subjective et fondée d'être persécutés, l'existence d'une PRI suffit à justifier le refus de la Commission de leur accorder l'asile.

[32]       Il est bien établi que l'idée de la PRI est « inhérente » à la définition de réfugié au sens de la Convention. Étant donné que l'existence ou non d'une PRI est un aspect de la question de savoir si le demandeur est un réfugié au sens de la Convention, il incombe à celui-ci de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu'il existe une possibilité sérieuse qu'il soit persécuté dans l'ensemble du pays, y compris dans la région dont on affirme qu'elle pourrait lui offrir une PRI.

[33]       Le juge Mahoney a exposé le critère à deux volets qui permet de déterminer l'existence d'une PRI dans l'arrêt Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.); [1991] A.C.F. no 1256, à la page 711, et ce critère a été repris dans l'arrêt Thirunavukkarasu, précité, au paragr. 12.

À mon avis, en concluant à l'existence d'une possibilité de refuge, la Commission se devait d'être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que l'appelant ne risquait pas sérieusement d'être persécuté à Colombo et que, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles lui étant particulières, la situation à [lieu de la PRI] était telle qu'il ne serait pas déraisonnable pour l'appelant d'y chercher refuge.

[34]       En se fondant sur la jurisprudence ainsi que sur l'analyse pragmatique et fonctionnelle à laquelle a procédé la Cour dans Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1283 (1re inst.) (QL), la norme de contrôle appropriée dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire qui soulève une question de PRI est celle de la décision manifestement déraisonnable (Chorney c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1263; 2003 CF 999, au paragr. 10).

[35]       En l'espèce, le demandeur principal et certains membres de sa famille allèguent craindre d'être persécutés par la police judiciaire mexicaine en raison du fait que le demandeur principal a refusé de participer au recours généralisé et systématique à la torture et aux arrestations arbitraires. Cependant, la mère du demandeur principal, qui habite encore à Toluca, n'a pas eu de problème avec la police. Le frère du demandeur principal, qui vit à Monterrey, n'a pas été harcelé par les policiers au sujet de l'endroit où se trouvait le demandeur principal.

[36]       Monterrey est située à 12 heures de Toluca. Si la police s'intéressait vraiment au demandeur principal, les autres membres de la famille du demandeur principal, qui vivent toujours au Mexique, auraient été harcelés par la police. La preuve démontre que ce n'est pas le cas.

[37]       Le demandeur principal soutient que la police cherche vraiment à le persécuter, parce qu'il a établi une liste contenant tous les noms des agents corrompus ainsi que les crimes qu'ils ont commis. Il a également ajouté qu'il avait commencé à écrire un livre. Il a expliqué que ce livre était une version détaillée de cette liste. Il a été demandé au demandeur principal de produire la liste et le livre en question. Il est surprenant de constater que les noms des personnes qu'il a mentionnées dans son témoignage pour avoir participé à des crimes et à des actes de corruption ne figurent pas sur la liste. De plus, le livre ne constitue pas un développement de la liste. En fait, aucune des personnes nommées dans la liste ne figure dans le livre et celui-ci ne fait aucunement référence à des cas de torture, d'emprisonnement illégal ou d'assassinat. J'estime que ces contradictions permettent de douter de la vraisemblance de la version rapportée par le demandeur principal. Je pense que le défendeur a réussi à démontrer que les explications fournies par le demandeur principal, au sujet de l'intérêt manifesté par la police à son endroit, ne sont pas suffisamment nombreuses et fiables pour justifier sa crainte d'être persécuté.

[38]       La Commission n'a pas commis d'erreur lorsqu'elle a conclu que le demandeur principal et sa famille avaient une possibilité de refuge à Monterrey. Je ne vois aucun motif d'intervenir dans les conclusions de la Commission.

[39]       Lesparties ont eu la possibilité de présenter des questions de portée générale. Elles se sont abstenues de le faire. Aucune question de ce genre n'est donc soulevée.

ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

« Michel Beaudry »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-7282-04

INTITULÉ :                                                    VERONICA MARIA FABELA ET AUTRES

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

                                                                        DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 19 JUILLET 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 25 JUILLET 2005

COMPARUTIONS :

Veronica Maria Fabela et autres                        POUR LEUR PROPRE COMPTE

Ian Kicks                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Veronica Maria Fabela et autres                        POUR LEUR PROPRE COMPTE

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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