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Date : 20000928


Dossier : IMM-5328-99


ENTRE :


MOJTABA GHAMOOSHI RAMANDI

SORAYA VAZIRI

SANAZ GHAMOOSHI RAMANDI

INAZ GHAMOOSHI RAMANDI


demandeurs


- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ


défendeur



MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE LEMIEUX


INTRODUCTION


[1]      Mojtaba Ghamooshi et sa famille (son épouse Soraya Vaziri et leurs deux filles, Sanaz, 14 ans et Inaz, 6 ans), tous citoyens de l'Iran, ont déposé la présente demande de contrôle judiciaire, sollicitant l'annulation d'une décision rendue le 12 octobre 1999 par la conseillère en matière de citoyenneté et d'immigration P.M. Johnson (l'agente d'immigration), qui avait rejeté leur demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire d'être exemptés de l'application du paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration, afin qu'ils puissent présenter leur demande de résidence permanente au Canada de l'intérieur plutôt que dans un pays étranger, comme cela est normalement requis.

LES FAITS

[2]      Les demandeurs sont arrivés au Canada le ou vers le 24 novembre 1994 et ont revendiqué le statut de réfugié. Le 10 février 1997, la Section du statut de réfugié a rejeté leurs revendications, et la Cour a rejeté leur demande d'autorisation le 7 juin 1997.

[3]      Le 28 juillet 1997, les demandeurs ont présenté une demande en vue d'être considérés demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC). Le 27 juillet 1998, ils ont reçu une évaluation des risques défavorable. Les DNRSRC sont des personnes dont le renvoi vers un pays (en l'espèce, l'Iran) les expose à un risque, objectivement identifiable, que leur vie soit menacée, que des sanctions excessives soient exercées contre eux ou qu'un traitement inhumain leur soit infligé.

[4]      En septembre 1998, les demandeurs ont présenté une demande en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi, afin que leur demande de résidence permanente soit présentée de l'intérieur du Canada.

[5]      Le 22 septembre 1999, l'agente d'immigration a procédé à l'entrevue des demandeurs. L'avocat Benjamin Kranc était aussi présent à l'entrevue.

[6]      Le 19 juillet 2000, l'agente d'immigration a signé un affidavit qui, fondamentalement, reprenait, confirmait ou expliquait les notes qu'elle avait prises lors de l'entrevue des demandeurs. Elle a dit que les demandeurs avaient eu, à l'entrevue, la possibilité de présenter des observations et de faire valoir tous les éléments pertinents dont ils voulaient qu'elle tienne compte, notamment sur la question du risque et, s'il y avait lieu, leur opinion sur l'évaluation des risques effectuée en 1998.

LA DÉCISION DE L'AGENTE D'IMMIGRATION

[7]      Les notes et l'affidavit de l'agente d'immigration montrent qu'elle a examiné le dossier d'emploi au Canada de M. Ramandi ainsi que celui de son épouse.

[8]      Monsieur Ramandi et Mme Vaziri ont tous les deux suivi des cours d'anglais, langue seconde, et M. Ramandi a suivi un cours de formation en mécanique d'une durée de huit mois. L'agente d'immigration a indiqué que la famille avait économisé environ 8 000 $.

[9]      L'agente d'immigration a inscrit qu'ils avaient deux jeunes enfants. Les enfants vont présentement à l'école au Canada et sont respectivement au premier cycle du secondaire et à la maternelle. Deux frères et une soeur de M. Ramandi vivent au Canada.

[10]      L'agente d'immigration a ensuite examiné l'allégation des demandeurs selon laquelle à l'été 1994, il y avait eu une manifestation contre le gouvernement à l'occasion de laquelle plusieurs personnes avaient été tuées; M. Ramandi avait été témoin de la manifestation et avait passé une semaine en prison en compagnie d'autres personnes. L'agente d'immigration a noté que l'avocat de M. Ramandi avait allégué que M. Ramandi avait pris part à la manifestation, avait été arrêté et avait ensuite été libéré trois jours plus tard.

[11]      L'agente d'immigration a dit que M. Ramandi et son épouse avaient reconnu qu'aucun nouveau facteur de risque n'était apparu depuis l'évaluation des risques faite en 1998, et elle a indiqué qu'on ne lui avait fourni aucune preuve que les demandeurs avaient tenté de faire annuler la décision défavorable relative au statut de DNRSRC par la Cour fédérale, ou qu'elle avait effectivement été annulée.

[12]      L'agente d'immigration a examiné l'allégation de l'avocat des demandeurs selon laquelle M. Ramandi et sa famille étaient établis au Canada et éprouveraient des difficultés à tout recommencer en Iran. L'avocat des demandeurs a aussi soulevé que les enfants éprouveraient de grandes difficultés à se réintégrer en Iran et qu'il leur serait probablement impossible d'accéder à des études supérieures, étant donné que leurs parents avaient eu des problèmes avec le gouvernement.

[13]      Dans son affidavit, l'agente d'immigration a conclu :
         [traduction]
         8.      Après avoir considéré tous les éléments de l'affaire, je ne suis pas convaincue que les demandeurs étaient établis au Canada au point que le fait de quitter leur causerait indûment préjudice, non plus qu'ils éprouveraient des difficultés excessives s'ils retournaient dans leur pays d'origine. Les enfants sont jeunes et se réadapteraient à la vie en Iran, de la même manière qu'elles se sont adaptées à la vie au Canada. On ne m'a présenté aucune preuve selon laquelle l'accès des enfants à des études supérieures était compromis.
         9.      Les demandeurs et leur avocat mettent l'accent sur le fait qu'ils étaient établis au Canada et sur les difficultés liées au fait d'avoir à tout recommencer. Les demandeurs et leur avocat n'ont pas fourni de preuve suffisante pour établir l'existence de difficultés excessives ou d'un risque. J'ai pris note du fait qu'une évaluation des risques défavorable avait été rendue en 1998 et que les demandeurs avaient reconnu qu'aucun nouveau risque n'était apparu depuis lors. J'étais d'avis que l'évaluation des risques faite en 1998 avait traité d'une manière satisfaisante la question du risque et que présentement, le retour des demandeurs n'entraînait pas de difficultés excessives ou de risque. [Non souligné dans l'original]

[14]      Sur le fondement de cette analyse, elle était d'avis qu'il n'y avait pas suffisamment de raisons d'ordre humanitaire pour accorder une exemption en vertu du paragraphe 9(1).

ANALYSE ET CONCLUSION

[15]      Il ne m'est pas difficile de conclure que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, et ce en raison d'un manquement à l'obligation d'équité et d'une conclusion tirée de façon abusive ou arbitraire, sans tenir compte des éléments de preuve.

[16]      Dans l'arrêt Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Haghighi (dossier no A-587-99, le 12 juin 2000), la Cour d'appel fédérale a statué, en se fondant sur l'arrêt Baker c. Canada (M.C.I.), [1999] 2 R.C.S. 817, que l'agente d'immigration, avant de rendre sa décision, avait contrevenu à l'obligation d'équité en n'informant pas l'intimé du contenu de l'évaluation des risques de l'agent de révision et en ne lui donnant pas une possibilité raisonnable de tenter de relever des erreurs ou des omissions dans cette évaluation.

[17]      Je reprends deux principes énoncés par le juge Evans, au nom de la Cour, dans l'arrêt Haghighi, précité.

[18]      Le premier principe se rapporte à la fonction de l'obligation d'équité. Le juge Evans a dit :

               a) Étant donné qu'une fonction importante de l'obligation d'équité est de minimiser le risque de décisions incorrectes ou mal fondées, l'un des éléments de l'évaluation visant à déterminer le contenu procédural de l'obligation d'équité dans une affaire donnée est la mesure dans laquelle le droit procédural invoqué est susceptible d'éviter le risque d'erreur dans la prise de la décision ou dans la résolution de la question particulière en litige.

[19]      Le second principe se rapporte à la gravité des effets d'une décision erronée sur ceux qu'elle touche. Le juge Evans a traité de cette question dans le contexte d'une évaluation des risques faite dans le cadre d'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire :

               Par contre, le rejet d'une revendication fondée sur des raisons d'ordre humanitaire qui repose sur une évaluation des risques erronée voulant que la personne ne serait pas en danger grave de persécution si elle était renvoyée du Canada risque vraisemblablement d'avoir des répercussions plus graves sur la personne que le refus d'une demande de visa d'admission à titre d'entrepreneur qui est présentée à l'extérieur du pays.

[20]      Dans l'affaire Mohamed Kafeel Qazi c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (dossier no IMM-5317-99, le 26 juillet 2000), le juge Hugessen, annulant un avis de danger en raison de la non-divulgation d'un rapport pertinent pour la décision, a traité de l'importance de la décision relative au contenu de l'obligation d'équité pour la personne concernée.

[21]      Les faits de la présente affaire sont différents de ceux de l'affaire Haghighi, précitée. Il ne s'agit pas d'un cas de non-divulgation, car les demandeurs avaient reçu l'évaluation des risques défavorable de l'agent de révision en 1998. Ils en connaissaient le contenu.

[22]      La présente affaire porte sur le défaut de l'agente d'immigration de tenir compte d'un élément de preuve pertinent, soit le rapport d'évaluation préparé par l'agent de révision en 1998, en concluant qu'elle « étai[t] d'avis que l'évaluation des risques faite en 1998 avait traité d'une manière satisfaisante la question du risque et que présentement, le retour des demandeurs n'entraînait pas de difficultés excessives ou de risque » .

[23]      Le 20 juin 2000, le gestionnaire intérimaire du Centre d'Immigration Canada de Scarborough (Ontario), a transmis au greffier de la Cour deux copies du [traduction] « dossier préparé de 220 pages » . La règle 317 des Règles de la Cour fédérale (1998), exige qu'un office fédéral transmette au greffe les éléments pertinents sur lesquels il a fondé sa décision.

[24]      Il ressort d'un examen détaillé du dossier certifié que celui-ci ne contient pas le rapport d'évaluation des risques préparé par l'agent de révision en 1998. Le dossier ne contenait que les observations présentées à l'agent de révision par l'avocat qui représentait alors les demandeurs, qui citait une preuve documentaire volumineuse, dont un mandat d'arrestation émis contre M. Ramandi.

[25]      L'avocate du défendeur a été invitée à commenter l'absence, dans le dossier certifié, du rapport d'évaluation des risques préparé par l'agent de révision. L'avocate du défendeur a dit que l'agente d'immigration ne dit pas dans son affidavit qu'elle avait lu l'évaluation des risques préparée par l'agent de révision en 1998 mais qu'elle était seulement d'avis que cette évaluation avait traité d'une manière satisfaisante la question du risque.

[26]      De plus, l'avocate du défendeur a ajouté que l'agente d'immigration était au courant des observations présentées à l'agent de révision par l'avocat des demandeurs en 1997 et qu'elle savait que la Cour fédérale n'avait pas annulé cette évaluation des risques. Elle a rajouté que la Cour pouvait déduire du fait que le rapport d'évaluation des risques ne se trouvait pas dans le dossier certifié que l'agente d'immigration ne l'avait pas lu.

[27]      Je ne doute pas que l'avocate du défendeur n'avait d'autre choix, dans les circonstances, que d'admettre que la Cour peut déduire que l'agente d'immigration n'a pas lu et, par le fait même, n'a pas tenu compte d'un élément de preuve pertinent, et la Cour en est ravie.

[28]      Toutefois, cette admission, qui se devait d'être faite, a pour conséquence que la décision de l'agente d'immigration ne peut être maintenue. L'agente d'immigration ne pouvait tout simplement pas être convaincue que le retour des demandeurs en Iran ne leur causerait pas des difficultés démesurées, car elle n'a pas analysé le rapport d'évaluation des risques préparé par l'agent de révision en 1998 et elle ne l'a pas comparé aux éléments de preuve que les demandeurs lui avaient présentés. Elle a seulement pris ce rapport pour acquis, ce que, à mon avis, elle n'avait pas le droit de faire.

DISPOSITIF

[29]      Pour l'ensemble des présents motifs, la décision de l'agente d'immigration est annulée et la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire des demandeurs est renvoyée à un agent d'immigration différent pour un nouvel examen. Aucune question n'a été soumise pour certification et, dans ces circonstances, aucune n'est formulée.


« François Lemieux »

J U G E

OTTAWA (ONTARIO)

LE 28 SEPTEMBRE 2000


Traduction certifiée conforme


Martin Desmeules, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :                  IMM-5328-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Mojtaba Ghamooshi Ramandi et autres c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 8 septembre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX


EN DATE DU :                  28 septembre 2000


ONT COMPARU


M. Hart Kaminker                          pour les demandeurs

Mme Cheryl Mitchell                          pour le défendeur


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Kranc et associés                          pour les demandeurs

Toronto (Ontario)


M. Morris Rosenberg                          pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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