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Date : 20060330

Dossier : IMM-4772-05

Référence : 2006 CF 415

Ottawa (Ontario), le 30 mars 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

 

ENTRE :

YASOTHARAN MAHADEVA

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, déposée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), rendue le 19 juillet 2005, par laquelle la Commission a conclu que M. Yasotharan Mahadeva (le demandeur) n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger, au sens des articles 96 et 97 de la Loi, respectivement.

 

LES FAITS

 

[2]               Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka. Il a quitté le Sri Lanka pour se rendre en Inde en février 1992 parce qu’il craignait d’être enrôlé de force par les Tigres tamouls.

 

[3]               Le demandeur allègue qu’une fois arrivé en Inde, il s’est fait arrêter et a été détenu pendant un an parce qu’on le soupçonnait d’être un militant des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET). Le demandeur a quitté l’Inde en juin 1993 et s’est rendu en Thaïlande, puis en Angleterre en mars 1994. Il a demandé l’asile politique en Angleterre, qui lui a été refusé. Lorsque les autorités du Royaume-Uni étaient sur le point de l’expulser vers le Sri Lanka, le demandeur a décidé de se rendre au Canada en passant par les États-Unis.

 

[4]               Rendu aux États-Unis, il a passé trois mois en détention. Lorsqu’il a été remis en liberté, le demandeur est venu au Canada et a déposé une demande d’asile le 18 octobre 2002.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[5]               1. La décision défavorable de la Commission au sujet de la crédibilité était-elle manifestement déraisonnable?

 

            2.  La Commission a-t-elle commis une erreur en n’effectuant pas une analyse distincte fondée sur l’article 97 afin de déterminer si le demandeur est une personne à protéger?

ANALYSE

1. La décision défavorable de la Commission au sujet de la crédibilité était-elle manifestement déraisonnable?

 

[6]               Le demandeur a présenté une requête au début de l’audience pour déposer un nouvel élément de preuve. Ce document est un document de Human Rights Watch, qui se trouvait sur Internet le 14 mars 2006.

 

[7]               J’ai écouté les observations des deux parties et je ne suis pas convaincu qu’il s’agisse de circonstances justifiant une exception au principe général d’exclusion de la preuve qui ne faisait pas partie du dossier dont était saisi le décideur.

 

[8]               Comme la juge Carolyn Layden-Stevenson l’a conclu dans l’affaire Lubega c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 303, au paragraphe 4 :

La Cour appelée à exercer ce contrôle doit se fonder sur le dossier tel qu’il a été présenté et se limiter aux critères applicables au contrôle judiciaire : Canada (Procureur général) c. McKenna, [1999] 1 C.F. 401 (C.A.F.).

 

Par conséquent, le demandeur n’a pas l’autorisation de déposer le nouvel élément de preuve.

 

[9]               La norme de contrôle applicable aux conclusions de la Commission au sujet de la crédibilité est la décision manifestement déraisonnable, et ces conclusions ne peuvent être annulées que si elles ont été tirées de manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve qui lui avait été présentée (voir Sivanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 500, au paragraphe 13; Anthonimuthu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 141, au paragraphe 45).

 

[10]           Contrairement aux allégations du demandeur, la Commission n’a pas fondé sa conclusion défavorable au sujet de la crédibilité sur le fait qu’il avait exagéré les incidents de 1991 qui l’auraient incité à quitter le Sri Lanka en 1992. La Commission a relevé de graves omissions, contradictions et improbabilités dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP), le FRP modifié et le témoignage du demandeur, ce qui l’a portée à conclure que le récit du demandeur n’était pas crédible. Par exemple, le demandeur n’a présenté aucune preuve corroborante au sujet de sa détention en Inde en 1992 et en 1993. Il a aussi donné des versions contradictoires des circonstances de son arrestation en Inde. La Commission a aussi noté que le demandeur n’était pas venu directement au Canada après avoir quitté l’Angleterre, alors qu’au moment où il a quitté l’Angleterre, il avait l’intention de venir au Canada. De plus, le premier FRP du demandeur et son FRP modifié présentaient des versions contradictoires des faits au sujet de son séjour en Angleterre et aux États-Unis.

 

[11]           Un examen de la décision de la Commission permet de conclure que rien ne porte à croire que la Commission n’a pas examiné la preuve dont elle était saisie ou qu’elle a mal apprécié certains aspects de cette preuve avant de tirer une conclusion au sujet de la crédibilité. Par conséquent, le demandeur n’a pas réussi à prouver que la conclusion de la Commission au sujet de la crédibilité était manifestement déraisonnable.

 

2. La Commission a-t-elle commis une erreur en n’effectuant pas une analyse distincte fondée sur l’article 97 afin de déterminer si le demandeur est une personne à protéger?

 

[12]           Dans l’affaire Bouaouni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 1540, le juge Edmond P. Blanchard, au paragraphe 42, a fait la remarque suivante au sujet de la nécessité d’effectuer une analyse distincte fondée sur l’article 97 :

La Commission a conclu en l'espèce que le témoignage du demandeur était entaché d'importantes omissions, contradictions et invraisemblances, ce qui l'a amenée à conclure au manque de crédibilité de son récit. J'ai déjà statué qu'il y avait matière pour la Commission à tirer ces conclusions. Celle-ci n'a pas prêté foi, spécifiquement et en énonçant des motifs détaillés, aux allégations du demandeur concernant son arrestation, sa détention et les actes de torture que des policiers lui auraient fait subir. Il appert, en outre, que la Commission a tenu compte de la situation régnant en Tunisie et qu'elle a examiné de façon particulière, dans ses motifs, la documentation sur le pays qui lui avait été présentée. Rien ne laisse penser que la Commission n'a pas tenu compte d'éléments de preuve dont elle disposait ni qu'elle a interprété erronément tout aspect de celle-ci. Mis à part les éléments de preuve déclarés non crédibles par la Commission, il n'y en avait pas d'autres dont celle-ci disposait et découlant de la documentation sur le pays ou de toute autre source qui auraient pu conduire la Commission à conclure que le demandeur était une personne à protéger. Dans ces circonstances, je conclus que la Commission a bien commis une erreur en omettant d'analyser spécifiquement la revendication fondée sur l'article 97. Je conclus toutefois également, exerçant à cet égard mon pouvoir discrétionnaire, que cette erreur n'a pas d'effet déterminant sur l'issue de l'affaire. Je conclus qu'il y avait matière, eu égard à la preuve, pour la Commission de conclure que le demandeur n'était pas une « personne à protéger » aux termes des alinéas 97(1)a) et b) de la Loi.

 

[13]           Dans l’affaire Stanchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 173, [2006] A.C.F. no 200, aux paragraphes 17 et 18, le juge Konrad von Finckenstein a affirmé qu’une analyse distincte fondée sur l’article 97, bien qu’elle fût préférable, n’était pas toujours nécessaire :

Il est peut-être opportun d’effectuer une analyse en vertu de l’article 97, mais cela n’est pas toujours nécessaire. Il en est ainsi parce que l’analyse peut se trouver implicitement dans la décision. L’article 97 porte sur la question de savoir si le demandeur serait exposé au risque d’être torturé ou de subir des peines cruelles s’il était renvoyé en Bulgarie.

 

Dans Yorulmaz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 128, il a été décidé que puisque la conclusion défavorable que la Commission avait tirée au sujet de la crédibilité était étayée par les faits, l’omission d’effectuer une analyse fondée sur l’article 97 n’était pas pertinente vu que la preuve n’était pas suffisante pour démontrer la nécessité de l’analyse.

 

[14]           Le demandeur allègue que la preuve dont était saisie la Commission établissait de façon claire que s’il devait retourner au Sri Lanka, il ferait face à un risque assez élevé d’être torturé et persécuté, comme les autres jeunes hommes tamouls répondant à sa description. Le demandeur soutient que la Commission aurait dû effectuer une analyse distincte fondée sur l’article 97 afin de déterminer s’il était une personne à protéger, parce qu’il était exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. Le demandeur allègue que le défaut d’effectuer une telle analyse constitue une erreur donnant lieu à révision.

 

[15]           En ce qui a trait aux raisons pour lesquelles il serait une personne à protéger au sens de l’article 97, les principaux arguments du demandeur portent sur le fait que son arrestation, sa détention et la torture qu’il a subie aux mains du Bureau central des enquêtes pourraient porter les TLET à croire qu’il avait collaboré avec le gouvernement de l’Inde, ou que l’armée pourrait apprendre qu’il n’avait pas respecté sa caution avant de quitter l’Inde. Cependant, la Commission ne croyait pas que de tels faits aient réellement eu lieu et a rendu des motifs détaillés pour justifier sa conclusion. Exception faite de la preuve qui n’était pas crédible selon la Commission, je conclus qu’aucune autre preuve présentée n’aurait pu porter la Commission à croire que le demandeur était une personne à protéger. Par conséquent, bien qu’il eût été préférable que la Commission effectuât une analyse distincte fondée sur l’article 97, je conclus que ce n’était pas pertinent vu que la preuve n’était pas suffisante pour démontrer la nécessité de l’analyse.

 

[16]           Le demandeur a présenté deux questions à certifier :

[TRADUCTION]

1. Lorsque la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) conclut qu’un demandeur n’est pas crédible et qu’elle rejette la demande pour ce motif, mais qu’il reste des preuves crédibles au dossier, telles que des pièces d’identité ou des documents sur la situation dans le pays d’origine, la SPR a-t-elle l’obligation d’évaluer la preuve crédible restante pour déterminer si la demande est fondée au sens de l’article 96 de la LIPR?

 

2. Lorsque la SPR de la CISR conclut qu’un demandeur n’est pas crédible, pour l’application de l’article 96 de la LIPR, et qu’elle rejette la demande pour ce motif, mais qu’il reste des preuves crédibles au dossier, telles que des pièces d’identité ou des documents sur la situation dans le pays d’origine, la SPR a-t-elle l’obligation d’évaluer la preuve crédible restante pour déterminer si le demandeur est une personne à protéger, au sens de l’article 97 de la LIPR.

 

 

[17]           Dans son mémoire, le demandeur n’a pas soulevé les questions qu’il a énoncées pour la certification. À mon avis, la demande a été rejetée parce que la Commission a conclu que le demandeur n’était pas crédible. Les pièces d’identité ou les documents sur la situation du pays d’origine ne faisaient pas partie des questions en litige. Il ne s’agissait évidemment pas de questions de portée générale. Par conséquent, ces questions ne seront pas certifiées.

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE :

·        La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

·        Aucune question n’est certifiée.

 

« Pierre Blais »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4772-05

 

INTITULÉ :                                       YASOTHARAN MAHADEVA c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 23 MARS 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 30 MARS 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

DAN BOHBOT

 

POUR LE DEMANDEUR

MARIE-NICOLE MOREAU

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

DAN BOHBOT

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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