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Date : 20210916


Dossier : IMM‑3490‑20

Référence : 2021 CF 956

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 septembre 2021

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

QIQING LI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Qiqing Li, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR). M. Li est un citoyen de la Chine et, en tant que membre d’un groupe religieux clandestin appelé les Crieurs, il craint de faire l’objet de persécution religieuse de la part du Bureau de la sécurité publique (le PSB). Un ami de M. Li lui a fait connaître le groupe.

[2] Après que le groupe eut fait l’objet d’une descente de la part du PSB, M. Li est parti se cacher pour échapper au PSB, qui continuait à le chercher. Il s’est enfui au Canada avec l’aide d’un passeur et il a présenté une demande d’asile. Il a continué à pratiquer sa religion dans une église de Toronto.

[3] La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande d’asile de M. Li au motif que celui‑ci manquait de crédibilité et qu’il n’avait pas démontré le bien‑fondé de sa demande d’asile sur place dans laquelle il alléguait que ses activités religieuses au Canada l’exposeraient à des risques s’il devait retourner en Chine. La SAR a rejeté l’appel interjeté par M. Li à l’encontre de la décision de la SPR et elle a confirmé la décision de la SPR portant que M. Li n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[4] Dans la présente demande de contrôle judiciaire, M. Li soutient que la SAR a commis une erreur en refusant d’admettre comme nouvel élément de preuve en appel un document concernant l’arrestation de son ami. M. Li soutient aussi que la SAR a réalisé une évaluation déraisonnable de sa demande d’asile sur place en se fondant sur une conclusion déraisonnable en matière de crédibilité.

[5] Pour les motifs exposés ci‑après, je conclus que M. Li n’a pas établi que la décision de la SAR était déraisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[6] Les questions soulevées dans la présente demande sont de savoir si la décision de la SAR est déraisonnable sur le fondement de trois erreurs alléguées :

  • (1) La SAR a‑t‑elle commis une erreur en refusant d’admettre un nouvel élément de preuve?

  • (2) La SAR a‑t‑elle commis une erreur dans ses conclusions en matière de crédibilité?

  • (3) La SAR a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation de la demande d’asile sur place?

[7] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, selon le cadre d’analyse révisé du caractère raisonnable établi dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Au moment d’appliquer cette norme, la Cour doit se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci : Vavilov, au para 99.

III. Analyse

A. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en refusant d’admettre un nouvel élément de preuve?

[8] La SAR a refusé d’admettre, à titre de nouvel élément de preuve en appel, un avis d’arrestation délivré à l’encontre de l’ami de M. Li. La SAR a conclu que le document ne répondait pas aux conditions d’admissibilité énoncées au paragraphe 110(4) de la LIPR; puisque le document était antérieur à l’audience de la SPR, il était normalement accessible, et l’explication fournie par M. Li quant à la raison pour laquelle il n’avait pas pu le présenter avant que sa demande d’asile soit rejetée par la SPR n’était pas convaincante. Plus précisément, la SAR a conclu que le document confirmait une arrestation dont M. Li avait été informé un an avant la tenue de l’audience de la SPR en juillet 2018. L’explication de M. Li selon laquelle il ne savait pas qu’il pouvait obtenir le document n’était pas convaincante pour diverses raisons : (i) M. Li était représenté par un avocat expérimenté; (ii) le formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) qu’il avait rempli donnait pour instructions aux demandeurs de joindre des copies des documents à l’appui de leur demande ou de les fournir sans délai; (iii) au titre de l’article 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256, les demandeurs doivent transmettre « des documents acceptables qui permettent d’établir [leur] identité et les autres éléments de [leur] demande d’asile ».

[9] M. Li soutient que la SAR a déraisonnablement refusé d’admettre un document corroborant une allégation centrale de sa demande, soit que son ami avait été arrêté. Selon M. Li, il était, dans les faits, déraisonnable pour la SAR de conclure qu’il aurait dû savoir qu’un avis d’arrestation avait été délivré et qu’il aurait dû en obtenir une copie avant la tenue de l’audience de la SPR puisqu’il était au courant de l’arrestation de son ami et qu’il était représenté par un avocat. M. Li affirme que le simple fait qu’il ait été au courant de l’arrestation de son ami ne signifie pas qu’il aurait dû savoir que le PSB avait produit un document officiel relativement à cette arrestation. Il ajoute que l’hypothèse de la SAR sur ce point ne repose sur aucun élément de preuve. En outre, il affirme que si un demandeur ne sait pas qu’un document existe, le fait qu’il soit ou non représenté par un avocat n’est pas pertinent. M. Li fait valoir que la SAR aurait dû, à tout le moins, admettre le document et tenir une audience en vertu du paragraphe 110(6) de la LIPR afin de lui faire part de ses réserves.

[10] Le défendeur soutient que la décision de la SAR d’exclure le nouvel élément de preuve était raisonnable. Il s’appuie sur la décision Gu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 543 [Gu] au paragraphe 42, où la Cour a conclu qu’il était loisible à la SAR de refuser d’admettre des documents liés à une arrestation ayant eu lieu un mois avant que la SPR rejette la demande d’asile des demandeurs au motif que ceux‑ci n’avaient pas réussi à expliquer pourquoi les documents n’étaient pas normalement disponibles. La Cour a déclaré que même si les demandeurs n’avaient pas été en mesure d’obtenir les documents avant que la décision soit rendue un mois plus tard, il était loisible à la SAR de conclure qu’ils auraient pu signaler à la SPR l’existence de nouveaux éléments de preuve. M. Li réplique que l’affaire Gu se distingue de la présente espèce en ce que, dans cette affaire, les demandeurs avaient été mis au courant de l’existence des documents avant que la décision de la SPR soit rendue.

[11] À mon avis, M. Li n’a pas démontré que le refus de la SAR d’admettre le nouvel élément de preuve est déraisonnable.

[12] Le paragraphe 110(4) de la LIPR prévoit ce qui suit :

Éléments de preuve admissibles

110 (4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

Evidence that may be presented

110 (4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

[13] Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 [Singh], la Cour d’appel fédérale a expliqué que le cadre législatif entourant un appel devant la SAR témoigne de la volonté claire du législateur de baliser étroitement l’introduction de toute nouvelle preuve : Singh, aux para 35 et 51. Les conditions énoncées au paragraphe 110(4) sont incontournables et ne laissent place à aucune discrétion de la part de la SAR, bien que celle‑ci ait le loisir de les appliquer avec plus ou moins de souplesse selon les circonstances propres à chaque affaire : Singh, aux para 35 et 64.

[14] Comme il a été mentionné précédemment, l’avis d’arrestation est antérieur au rejet, par la SPR, de la demande d’asile de M. Li et il confirme une arrestation dont M. Li avait été informé un an avant la tenue de l’audience de la SPR. Le défendeur souligne, à juste titre, que M. Li devait établir qu’on ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à ce qu’il produise le document à l’audience devant la SPR : Singh, au para 35. M. Li a déclaré ce qui suit dans l’affidavit qu’il a présenté à la SAR :

[traduction]
3. Après la première audience, il a été porté à mon attention que je pouvais obtenir l’avis d’arrestation. Avant ce moment, je ne savais pas qu’il m’était possible d’obtenir ce document. Ma famille s’est alors adressée à la famille du membre du groupe qui avait été arrêté en Chine pour savoir si ce dernier était en possession d’un tel document. Ce n’est qu’à ce moment que le nouveau document m’a été transmis par télécopieur.

4. Le ou vers le 10 août 2018, mon épouse m’a informé qu’elle avait rencontré l’épouse de [l’ami] et que celle‑ci lui avait dit qu’elle était en possession d’un avis d’arrestation délivré à l’encontre de son mari [...]. Une copie du document a alors été remise à mon épouse.

[15] Je conviens avec le défendeur qu’il était raisonnable pour la SAR de s’attendre à ce que M. Li ou son avocat prennent les mesures nécessaires pour obtenir les éléments de preuve pertinents avant la tenue de l’audience de la SPR, notamment compte tenu des instructions figurant dans le formulaire FDA. L’affidavit de M. Li ne décrit aucune mesure qui aurait été prise pour s’enquérir de l’existence d’éléments de preuve documentaire concernant l’arrestation ni pour tenter d’en obtenir avant que la décision de la SRP soit rendue. La SAR a raisonnablement conclu que l’explication de M. Li selon laquelle il ne savait pas qu’il pouvait obtenir ce document n’était pas convaincante.

[16] Je ne suis pas d’accord avec M. Li pour dire que l’affaire Gu se distingue de la présente espèce au motif que les demandeurs dans cette affaire avaient appris l’existence des documents en question avant que la SPR rende sa décision. Les conclusions de la Cour dans la décision Gu ne portaient pas sur le moment où les demandeurs avaient appris l’existence des documents : Gu, aux para 43‑44. Cela dit, la pertinence des conclusions de la Cour dans la décision Gu est limitée puisque le caractère raisonnable du refus de la SAR d’admettre l’avis d’arrestation dans la présente affaire est tributaire des motifs de la SAR et des faits de l’espèce.

[17] À mon avis, les conclusions de la SAR, à savoir que l’avis d’arrestation était normalement accessible et que l’explication de M. Li quant à la raison pour laquelle il n’avait pas pu présenter le document au moment du rejet de sa demande d’asile n’était pas convaincante, concordent avec les principes établis dans l’arrêt Singh. La SAR n’a pas pour rôle d’offrir la possibilité de compléter une preuve déficiente devant la SPR : Singh, au para 54. La SAR a raisonnablement conclu que l’avis d’arrestation ne répondait pas aux conditions prévues par la loi pour être admis à titre de nouvel élément de preuve en appel.

B. La SAR a‑t‑elle commis une erreur dans ses conclusions en matière de crédibilité?

[18] L’appréciation globale de la crédibilité faite par la SAR repose sur trois conclusions défavorables en la matière : (i) M. Li a fait des déclarations contradictoires au sujet du lieu où se tenaient les services religieux en Chine et du lieu où s’était déroulée la descente du PSB; (ii) M. Li n’a pas mentionné, dans l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire FDA, que deux jours après la descente, il avait quitté le premier endroit où il s’était caché dans la province du Fujian pour se rendre à un deuxième endroit dans la province du Zhejiang, où il était resté jusqu’au moment de quitter la Chine plus d’un mois plus tard; (iii) M. Li a fait des déclarations contradictoires au sujet du passeur qui l’avait aidé à quitter la Chine.

[19] Dans son exposé des arguments présenté à l’appui de sa demande, M. Li contestait les première et deuxième conclusions de la SAR en matière de crédibilité résumées précédemment, mais lors de l’audience devant la Cour, il n’a contesté que la deuxième conclusion, soit celle portant sur le fait qu’il ait omis de mentionner les deux endroits où il s’était caché dans l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire FDA. M. Li soutient que la conclusion déraisonnable de la SAR à ce sujet revêt une grande importance et qu’elle rend l’appréciation globale de la crédibilité déraisonnable.

[20] M. Li affirme que la SAR a déraisonnablement [traduction] « fait primer la forme sur le fond » et qu’elle a ignoré l’ensemble de la preuve après avoir conclu que le défaut de mentionner, dans l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire FDA, les deux endroits où il s’était caché minait la crédibilité de ses allégations concernant les incidents qui s’étaient produits en Chine. M. Li fait valoir que le formulaire FDA n’est qu’un formulaire parmi tous ceux qu’un demandeur d’asile doit fournir lorsqu’il présente une demande et que son formulaire Annexe A modifié indiquait qu’il se trouvait dans la province du Zhejiang au moment où il avait quitté la Chine.

[21] M. Li prétend qu’il était déraisonnable pour la SAR de conclure que le fait de ne pas avoir mentionné le deuxième endroit où il s’était caché dans son formulaire FDA en particulier avait de l’importance. À ce sujet, la SAR a fait une distinction entre les objectifs visés par les différents formulaires. Elle a précisé que certains formulaires, y compris le formulaire Annexe A, « relèvent de la compétence d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (Citoyenneté et Immigration Canada) » et qu’ils servent à recueillir des renseignements généraux, mais pas à poser des questions concernant la demande d’asile elle‑même. Elle a ajouté que le récit d’un demandeur d’asile doit être présenté à la SPR directement dans le formulaire FDA, dans lequel il est attesté que son contenu est « complet, véridique et exact ».

[22] M. Li soutient qu’il était déraisonnable pour la SAR de s’attendre à ce qu’il comprenne les prétendues distinctions entre les divers formulaires de demande d’asile et à ce qu’il répète, dans l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire FDA, les renseignements contenus dans son formulaire Annexe A modifié. M. Li affirme que cet écart entre les renseignements fournis dans l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire FDA et ceux fournis dans son formulaire Annexe A modifié ne constituait pas un motif raisonnable, pour la SAR, de tirer une conclusion défavorable en matière de crédibilité. Il soutient que son cas s’apparente à celui visé par la décision Musthafa Samseen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 542 aux paragraphes 4, 5 et 32, où la Cour a conclu que « la Commission a fait preuve de zèle intempestif dans sa recherche de contradictions lorsqu’elle a conclu que l’omission du demandeur de noter à la question 9 de son FRP [formulaire de renseignements personnels] qu’il avait été détenu par l’armée était importante, parce qu’il avait inclus cette information dans l’exposé circonstancié de son FRP ».

[23] De plus, M. Li allègue que la SAR n’a pas tenu compte de l’incidence que son profil pouvait avoir eue sur la preuve. Compte tenu de son niveau d’éducation équivalant à une 6e année, de ses symptômes cliniques de TSPT et de dépression, et de ses symptômes psychologiques déclarés (notamment une mémoire, une concentration et une attention déficientes), il n’y a eu aucune omission de sa part. M. Li affirme que ses formulaires, pris ensemble, révèlent la chronologie de ses déplacements d’un endroit à l’autre.

[24] Le défendeur soutient que la SAR a raisonnablement conclu que le fait que M. Li n’ait pas mentionné le deuxième endroit où il s’était caché dans l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire FDA jetait un doute sur l’histoire selon laquelle il fuyait le PSB. Étant donné que M. Li allègue s’être caché dans la province du Zhejiang durant plus d’un mois pour échapper à la persécution, le défendeur prétend que la SAR a raisonnablement jugé improbable que ce renseignement ait été omis de l’exposé circonstancié contenu dans le formulaire FDA. Des omissions importantes, dans le formulaire FDA, qui concernent des aspects centraux d’une demande peuvent justifier des conclusions défavorables en matière de crédibilité : Osinowo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 284 aux para 15‑17.

[25] Le défendeur soutient que les incohérences et les omissions dans la preuve de M. Li concernent des aspects centraux, et non des aspects accessoires. Il s’appuie sur la décision Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1379 [Kaur] au para 34 :

[34] Si la cour de révision peut trouver dans la preuve un quelconque fondement raisonnable aux conclusions défavorables de la Commission sur la crédibilité, ou si l’on peut considérer que celles‑ci ont un fondement rationnel, par exemple la présence dans la preuve d’incohérences, contradictions ou omissions [ICO] importantes et confirmées, elle doit normalement laisser subsister ces conclusions (Dunsmuir, précité, paragraphe 41). Il en va ainsi même si la Commission ne fait pas explicitement référence à la preuve en question dans sa décision, ou ne l’y analyse que partiellement. [Souligné dans l’original.]

[26] Le défendeur fait valoir que la SAR a tenu compte du rapport psychologique du Dr Pilowsky, mais qu’elle ne l’a pas trouvé concluant. Il s’appuie sur les décisions de la Cour qui précisent qu’un rapport psychologique ne peut remplacer la preuve d’un demandeur ni pallier les lacunes contenues dans une telle preuve : Yuan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1073 au para 22, citant Khatun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 159 au para 94. Le défendeur s’appuie également sur les décisions de la Cour dans lesquelles ont été soulignées les lacunes des rapports du Dr Pilowsky en particulier : Okoloise c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1008 au para 7; A.C. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1196 au para 48, citant Hernadi v Canada (Minister of Public Safety and Emergency Preparedness), 2018 CanLII 126350 (FC).

[27] À mon avis, la SAR n’a pas commis d’erreur dans ses conclusions en matière de crédibilité.

[28] En appel devant la SAR, M. Li a allégué que la SPR avait commis une erreur en tirant une conclusion défavorable du fait qu’il n’avait pas mentionné le deuxième endroit où il s’était caché dans son formulaire FDA. La SAR a traité directement de l’erreur alléguée. Elle était au courant des renseignements contenus dans le formulaire Annexe A modifié, selon lesquels M. Li avait séjourné dans la province du Zhejiang de juillet 2017 à août 2017. Néanmoins, elle a conclu que le défaut de M. Li de mentionner, dans l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire FDA, les deux endroits où il s’était caché constituait une omission importante et que lorsque M. Li s’était vu demander pour quelle raison il n’avait pas mentionné le deuxième endroit où il s’était caché dans son exposé circonstancié, il n’avait pas été en mesure de fournir une explication raisonnable. La SAR a expliqué que le fait, pour M. Li, d’avoir fui le PSB qui le poursuivait après avoir fait une descente dans son église constituait un aspect central de sa demande d’asile. En outre, la SAR a souligné que la déclaration de M. Li selon laquelle il était resté caché au premier endroit durant seulement deux jours avant de fuir très loin dans une autre province faisait état d’une mesure importante que celui‑ci avait prise pour fuir la persécution et éviter de faire courir des risques à d’autres personnes. À la lumière des problèmes de crédibilité concernant le lieu où se tenaient les services religieux, la SAR a conclu que le fait que M. Li n’ait pas mentionné l’endroit où il était demeuré caché le plus longtemps montrait que son récit n’était pas crédible. La preuve apporte un fondement rationnel à ces conclusions (Kaur, au para 34) et il était loisible à la SAR de conclure que si M. Li s’était bel et bien caché à deux endroits après avoir échappé à la descente du PSB, il aurait dû mentionner ce renseignement dans l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire FDA.

[29] Si j’admets qu’il est possible que M. Li ne saisisse pas la distinction entre les objectifs visés par les différents formulaires, je ne suis pas d’accord pour dire que la SAR n’a pas tenu compte de tous les éléments de preuve ou que la déclaration de la SAR au sujet des objectifs visés par les différents formulaires rend la décision déraisonnable. Il est évident que la SAR était au courant des renseignements contenus dans le formulaire Annexe A modifié de M. Li et qu’elle en a tenu compte. Les commentaires de la SAR concernant les objectifs visés par les différents formulaires répondaient aux arguments soulevés par M. Li en appel selon lesquels toute réserve quant au fait qu’il n’avait pas mentionné les deux endroits où il s’était caché dans l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire FAD constituait un point de détail et était purement technique et sans importance. La position de la SAR était que le défaut de M. Li d’expliquer son départ vers la province du Zhejiang ou de faire mention de l’endroit où il était resté caché le plus longtemps dans son formulaire FDA – un document qui offre aux demandeurs d’asile la possibilité d’expliquer, dans leurs propres mots, ce qui leur est arrivé et pourquoi ils demandent une protection – constituait une omission importante. Il s’agit là d’une conclusion raisonnable, à mon avis. Le formulaire Annexe A modifié fait mention d’une adresse dans la province du Fujian où M. Li a habité durant la période « 2017‑07/2017‑07 » et d’une adresse dans la province du Zhejiang où il a habité durant la période « 2017‑07/2017/08 ». Cependant, il ne contient aucun détail sur la signification de ces adresses ni sur les événements qui ont mené M. Li à changer d’endroit. À mon avis, la mention des deux adresses dans le formulaire Annexe A modifié ne comblait pas une lacune dans l’exposé circonstancié contenu dans le formulaire FDA concernant un événement que la SAR avait raisonnablement jugé important.

[30] Par conséquent, la SAR a raisonnablement examiné l’omission et elle a conclu que l’explication de M. Li n’était pas convaincante. M. Li n’a pas établi que la conclusion de la SAR en matière de crédibilité ou son appréciation globale de la crédibilité sont déraisonnables.

C. La SAR a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation de la demande d’asile sur place?

[31] En dépit de l’évaluation de la crédibilité faite par la SAR, M. Li soutient que les erreurs commises par la SAR dans son évaluation de la demande d’asile sur place justifient l’annulation de la décision. L’évaluation de la demande d’asile sur place avait pour but de déterminer si les activités religieuses au Canada de M. Li l’exposeraient à un risque s’il devait retourner en Chine, et ce, malgré les conclusions défavorables tirées relativement aux incidents survenus en Chine. M. Li soutient que les conclusions de la SAR en matière de crédibilité appliquées à la question de sa pratique religieuse au Canada ont injustement vicié l’analyse de la demande d’asile sur place : Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 972 [Liu] au para 8. M. Li affirme que son cas s’apparente à celui visé par la décision Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 749 [Chen] aux paragraphes 58 et 59, où la Cour a conclu qu’il n’y avait pas de véritable appréciation faite par la Commission quant à savoir si la demanderesse était devenue une adepte authentique du Falun Gong au Canada et que « [l]a simple affirmation qu’elle n’[était] pas une véritable adepte parce qu’elle n’était pas une véritable adepte en Chine n’[était] pas logique et ne [tenait] simplement pas compte de la jurisprudence instructive de la Cour à ce sujet ».

[32] M. Li affirme que l’issue de sa demande d’asile [traduction] « était déjà scellée » au moment où la SAR s’est penchée sur les allégations formulées dans sa demande d’asile sur place. Il soutient qu’une telle approche ne résisterait pas à un examen approfondi. Selon M. Li, le dossier révèle qu’il a donné, au cours de son témoignage, des détails crédibles sur sa connaissance de la religion et qu’il a présenté une preuve probante et corroborante concernant sa pratique du christianisme au Canada. Une lettre d’un pasteur portant sur la participation de M. Li aux services religieux, sur son admissibilité au baptême et sur ses activités religieuses a été déraisonnablement écartée au motif qu’elle ne l’emportait pas sur les conclusions défavorables en matière de crédibilité et qu’elle aurait pu être obtenue pour donner du poids à une demande d’asile frauduleuse. M. Li soutient que la mascarade créée par la logique déficiente de la SAR a rendu impossible l’établissement d’une foi authentique : s’il n’avait pas été en mesure de répondre aux questions sur sa foi, la SAR en aurait tiré une conclusion défavorable; cependant, puisqu’il a été en mesure de démontrer sa connaissance de la religion, aucun poids n’a été accordé à cette connaissance. L’approche de la SAR revient à dire [traduction] « je ne te crois pas, par conséquent, je ne crois rien qui explique pourquoi je me trompe peut‑être » : Sterling c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 329 au para 12. M. Li s’appuie sur la décision Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1002 au paragraphe 15 pour faire valoir que l’allégation d’intention frauduleuse étaye l’inférence selon laquelle la SAR l’a soumis à une norme de connaissances religieuses élevée, allant au‑delà de la norme nécessaire pour établir la sincérité des croyances.

[33] En outre, M. Li soutient que la SAR a commis une erreur en concluant qu’il ne risquait pas de faire l’objet de persécution religieuse en Chine puisqu’il n’avait pas démontré qu’il avait été « [observé] ou [photographié] ou que qui que ce soit [l’avait approché] ou [l’avait harcelé] pendant qu’[il participait] à des activités religieuses » au Canada. Il affirme que la SAR a présumé que la seule répercussion qui pouvait équivaloir à de la persécution était le fait d’être repéré par les autorités chinoises, sans tenir compte du fait que la liberté de religion comprend aussi le droit d’exercer le culte librement et ouvertement. Toute restriction importante de la capacité de M. Li de pratiquer sa religion, qualifiée de [traduction] « culte du mal » par le gouvernement chinois, équivaudrait à de la persécution religieuse : Fosu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 1813 au para 5; Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 65 au para 2; Weng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1483.

[34] Je ne suis pas convaincue que l’approche de la SAR relativement à la demande d’asile sur place était déraisonnable. Après avoir étudié la preuve, la SAR a raisonnablement conclu ce qui suit : (i) malgré des éléments de preuve démontrant la fréquentation de l’église au Canada et une certaine connaissance religieuse, M. Li n’a pas démontré qu’il est un véritable adepte au Canada; (ii) aucun élément de preuve convaincant ne donne à penser que la participation de M. Li à des activités chrétiennes a été portée à l’attention des autorités de la Chine ou qu’il serait considéré comme un chrétien authentique à son retour en Chine.

[35] En ce qui concerne la question de savoir si M. Li est un véritable adepte au Canada, je conviens avec le défendeur que la SAR n’a pas commis d’erreur en tenant compte, dans le cadre de son évaluation de la sincérité des croyances déclarées par M. Li en lien avec sa demande d’asile sur place, des conclusions défavorables tirées quant à la crédibilité des événements qui se seraient produits en Chine : Gu, au para 40; Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 877 au para 29; Tan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 502 [Tan] au para 48. Dans l’arrêt Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 238 (CAF), la Cour d’appel fédérale a établi que « la conclusion générale du manque de crédibilité du demandeur de statut peut fort bien s’étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage ».

[36] Dans la décision Chen, la Cour a conclu qu’« il y avait des preuves solides d’une connaissance précise et authentique du Falun Gong, et d’une pratique durable et constante au Canada » et que « [l]a Commission n’[avait] fait aucune tentative pour découvrir si la demanderesse était maintenant une véritable adepte et en tenir compte. L’analyse de la Commission s’arrête simplement à l’affirmation que la demanderesse n’était pas une véritable adepte en Chine, et qu’elle ne peut donc pas être une véritable adepte au Canada. » Contrairement à la décision qui faisait l’objet du contrôle judiciaire dans l’affaire Chen, la SAR ne s’est pas appuyée, en l’espèce, sur une simple affirmation que M. Li n’est pas un véritable adepte au Canada parce qu’il n’était pas un véritable adepte en Chine, et elle n’a pas omis de faire une « véritable appréciation » quant à savoir si M. Li est devenu un véritable adepte depuis son arrivée au Canada. La SAR s’est demandé si la preuve démontrait la sincérité de la pratique religieuse de M. Li au Canada et elle a raisonnablement conclu que M. Li ne s’était pas acquitté du fardeau d’établir le bien‑fondé de sa demande d’asile sur place. La SAR a souligné que la pratique du christianisme de M. Li au Canada découlait des événements qui s’étaient produits en Chine. Il s’est présenté comme une personne qui avait appris l’existence des Crieurs en Chine grâce à un ami et qui avait fréquenté une maison église où une descente avait eu lieu – ce que la SAR a jugé entièrement faux. La SAR a déclaré que M. Li « n’[avait] démontré sa sincérité à aucun moment au cours du présent processus, et que les préoccupations quant à la crédibilité [étaient] telles que, bien qu’il ait démontré une certaine connaissance religieuse, la sincérité de ses croyances actuelles n’[avait] pas été suffisamment établie, selon la prépondérance des probabilités ». La SAR a convenu avec la SPR que la lettre du pasteur ne compensait pas le manque de crédibilité. Selon le dossier, il était raisonnable pour la SAR de conclure que la lettre du pasteur ne suffisait pas à établir que M. Li est un véritable adepte de la religion : Tan, au para 47.

[37] En outre, la SAR n’a pas commis la même erreur que celle invoquée dans la décision Liu au paragraphe 8, soit de ne pas examiner la question de savoir si, malgré le fait qu’il ne soit pas un véritable adepte, M. Li serait identifié comme un pratiquant en Chine et risquerait d’être persécuté pour cette raison. La SAR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que M. Li ne pratiquerait pas le christianisme avec le groupe des Crieurs à son retour en Chine. La SAR a aussi examiné la question de savoir si la participation de M. Li à des activités chrétiennes avait été portée à l’attention des autorités chinoises ou s’il serait considéré comme un chrétien authentique à son retour en Chine. La SAR a conclu, raisonnablement selon moi, que les activités de M. Li au Canada ne l’exposeraient à aucun risque en cas de retour en Chine.

[38] En résumé, M. Li n’a pas établi que l’évaluation faite par la SAR de sa demande d’asile sur place est déraisonnable.

IV. Conclusion

[39] M. Li n’a pas établi que la décision de la SAR est déraisonnable, et la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[40] Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question à certifier. Il n’y a aucune question à certifier en l’espèce.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3490‑20

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Christine M. Pallotta »

Juge

Traduction certifiée conforme

Geneviève Bernier


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3490‑20

 

INTITULÉ :

QIQING LI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 mai 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE PALLOTTA

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 16 septembre 2021

 

COMPARUTIONS :

Michael Korman

 

Pour le demandeur

 

Christopher Ezrin

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Korman & Korman LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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