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Date : 20000124


Dossier : IMM-102-99


Entre :

     Ayonda SIMBA

     Stéphanie SIMBA AWUKU

     Partie demanderesse

ET

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

     DE L'IMMIGRATION

     Partie défenderesse



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX:


[1]      Les requérantes, deux soeurs, citoyennes de la République démocratique du Congo (RDC), revendiquent le statut de réfugié. En date du 26 novembre 1998, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) rendit une décision à l'effet que les revendicatrices ne sont pas des réfugiées au sens de la Convention et que leurs revendications n'ont pas un minimum de fondement.

[2]      Suite à l'autorisation de cette Cour, les requérantes demandent que la décision du tribunal soit infirmée pour motifs d'erreur de droit et d'une conclusion de fait erronée, tirée de façon capricieuse, arbitraire et sans tenir compte de la preuve.

[3]      La revendication d'Ayonda Simba est fondée, essentiellement, sur celle de sa soeur Stéphanie Simba Awuku. Mlle Simba quitta son pays au mois de février 1985 pour poursuivre ses études en Allemagne et en Belgique. En février 1995, elle quitte la Belgique pour le Canada et décide de poursuivre ses études à l'Université Laval, dans la province de Québec. Le 5 décembre 1995, elle revendiqua le statut de réfugié.

[4]      La revendicatrice Stéphanie Simba Awuku décide de fuir son pays le 22 novembre 1996 pour arriver au Canada le lendemain et à cette même date, elle revendiqua le statut de réfugié.

LA DÉCISION DU TRIBUNAL

[5]      Le tribunal récite les faits sous-jacents la demande de revendication de Mme Simba Awuku. Ainsi, l'événement déclencheur est une manifestation organisée à Kinshasa le 29 juillet 1995 par le Parti Lumumbiste Unifié (PALU), un parti d'opposition au gouvernement de la RDC. Le père des revendicatrices aurait été conseiller auprès du gouvernement Mobutu avant de faire défection pour adhérer au PALU.

[6]      Mme Simba Awuku aurait participé à cette manifestation et aurait été témoin de l'arrestation de son père et de celle du président fondateur du PALU, Antoine Gizenga, alors que les militaires faisaient feu sur les manifestants. Mme Simba Awuku réussit toutefois à s'évader. Le même soir, elle, sa mère, son frère et sa soeur auraient été arrêtés par les militaires.

[7]      Mme Simba Awuku a témoigné que pendant environ un mois, elle et les membres de sa famille furent détenus dans la même cellule. Ensuite, elle fut séparée de sa famille et interrogée pendant un mois et demi sur les motifs qui avaient amené son père à quitter la mouvance présidentielle Mobutu pour adhérer au PALU, la provenance de son argent, la nature de ses activités et ses fonctions au PALU ainsi que l'identité de ses compagnons de travail. En outre, Mme Simba Awuku indique qu'elle fut près de subir deux agressions sexuelles au cours du mois de décembre 1995, alors qu'elle était en prison.

[8]      Vers le mois de février 1996, Mme Simba Awuku aurait soudoyé son gardien qui l'aida à s'évader de la prison. Elle témoigna à l'effet qu'elle est demeurée à la maison de son gardien jusqu'à son départ du pays, le 22 novembre suivant; son billet d'avion aurait été payé par des amis de son père. Outre son billet d'avion, elle possédait deux faux passeports, un français et un canadien.

[9]      Quant à la présence de Mme Simba Awuku à la manifestation du 29 juillet 1995, le tribunal indique ce qui suit:

. . . nous considérons invraisemblable son témoignage voulant qu'elle aurait été présente à la manifestation du 29 juillet 1995 et qu'elle aurait assisté à l'arrestation de son père à cette occasion.

[10]      Afin d'étayer sa conclusion, le tribunal donna trois motifs:

     (1)      Mme Simba Awuku a témoigné que les militaires avaient fait feu au hasard sur la centaine de manifestants le 29 juillet 1995. La preuve documentaire révèle que quelques 2,000 manifestants se sont rassemblés à Kinshasa le 29 juillet 1995, "ce qui est considérablement plus que le nombre estimé par la demanderesse".
     (2)      Mme Simba Awuku a témoigné à l'effet qu'elle serait demeurée 10 à 15 minutes sur les lieux de la manifestation pendant que les militaires faisaient feu sur les manifestants.
     (3)      Selon son témoignage, Mme Simba Awuku se serait trouvée au dernier rang des manifestants (2,000 selon la preuve documentaire), et elle aurait eu le temps de voir les militaires arrêter son père et le chef du PALU qui était, pour leur part, au premier rang des manifestants.

[11]      Le tribunal, par la suite, analyse le témoignage de Mme Simba Awuku concernant son séjour en prison et les agressions sexuelles mentionnées dans son Formulaire de Renseignements Personnels (FRP) qu'elle aurait failli subir. Le tribunal, à la page 4 de sa décision, écrit:

Dans les circonstances, nous ne pouvons ajouter foi au témoignage de la demanderesse à l'effet qu'elle aurait été victime d'agressions ou même de tentatives d'agressions sexuelles.

[12]      Cette conclusion fut justifiée par le tribunal de la façon suivante:

     Dans son FRP, la demanderesse rapporte avoir "failli subir deux agressions sexuelles" alors qu'elle se trouvait en prison, en décembre 1995. Dans son témoignage, à la suite de questions très suggestives de son procureur, la demanderesse a d'abord déclaré qu'il s'agissait d'attouchements puis de tentatives de viol et, finalement, d'attouchements et de viol. Interrogée à savoir ce qu'elle entendait par cette phrase: "Je n'ai jamais su pourquoi il commençait et ne finissait pas", la demanderesse a répondu qu'elle parlait alors d'attouchements. Quant on lui demanda pourquoi elle avait écrit dans son FRP qu'elle avait "failli subir deux agressions sexuelles", la demanderesse ne fournit aucune réponse.

[13]      En conclusion, le tribunal détermina que les demanderesses n'ont pas fait la preuve d'une crainte bien-fondée de persécution si elles devaient retourner en RDC. De plus, le tribunal déclara qu'elles ne sont pas réfugiées au sens de la Convention et que leurs revendications ne possèdent pas un minimum de fondement au terme de l'article 69.1(9.1) de cette même Loi.

ANALYSE

[14]      La décision du tribunal se fonde sur l'invraisemblance du témoignage de Mme Simba Awuku et ce, quant à deux aspects de ce dernier: sa présence à la manifestation du 29 juillet 1995 et son témoignage d'agression sexuelle en prison.

     (1)      La manifestation du 29 juillet 1995

         (a) Le nombre de manifestants

[15]      Le procès-verbal de l'audience démontre clairement qu'à trois reprises Mme Simba Awuku témoigne qu'il y avait plus d'une centaine et moins de deux cents personnes dans la foule. Dans sa décision, le tribunal se réfère à la preuve documentaire The Europa World Year Book 1996 pour établir que quelques 2,000 manifestants se sont rassemblés à Kinshasa le 29 juillet 1995.

[16]      Le procureur des demanderesses soutient que le Europa World Year Book 1996 n'était pas dans le dossier du tribunal et que Mme Simba Awuku n'a jamais été confrontée à cette preuve documentaire. On ne lui a jamais demandé d'expliquer pourquoi elle croyait qu'il n'y avait eu qu'entre 100 et 200 personnes à la manifestation.

         (b)      L'arrestation de son père

[17]      Mme Simba Awuku explique dans son FRP que lorsqu'elle était arrivée sur les lieux de la manifestation, elle a vu son père dans les premiers rangs et est allée l'informer de sa présence. Elle écrit que son père lui a ordonné de rester près de l'ami qui l'accompagnait et de se tenir dans les tous derniers rangs. Dans son témoignage, elle confirme sa position au dernier rang des manifestants lorsque les militaires tiraient au hasard. Suite aux coups de feu tirés par les militaires, Mme Simba Awuku souligne que les gens couraient dans tous les sens.

[18]      Voici l'extrait du procès-verbal, aux pages 443 et 444, des questions et réponses qui viennent par la suite:

Q.      Et vous avez dit tout à l'heure que les gens couraient dans tous les sens?
R.      Um-hum. Oui, c'est ça que j'ai dit.
Q.      Comment avez-vous vu, là? Est-ce que vous avez pu voir votre ... votre père et le ... le président du... du PALU être arrêtés à ce moment-là si vous vous étiez enfuie vers la... voiture de votre ami?
R.      Oui, je m'en allais, là, vers la voiture, mais c'est vrai que je... je regardais pour savoir qu'est-ce qui arrivait à mon père parce qu'il était justement dans les premiers rangs.
Q.      Et alors?
R.      Et je l'ai vu qu'il se faisait... on l'arrêtait puis qu'on le conduisait vers un des camions.
Q.      Tout ça, ça a pris combien de temps entre les coups de feu et l'arrestation de votre père et qu'on le conduise dans un camion et que vous voyez aussi le président du PALU être arrêté et lui aussi conduit dans un camion? Combien ça prend de temps tout ça?
R.      Ça m'a pris dix, 15 minutes.
Q.      Pardon?
R.      Dix, 15 minutes peut-être.
Q.      Dix, 15 minutes? Et vous restez... pendant tout ce temps-là, vous restez sur place?
R.      Non, je reste pas sur place, je... je m'en vais vers la voiture, mais en même temps aussi je... je fais semblant de regarder ce qui se passe.
Q.      Si je comprends, c'était une manifestation. S'il y a des coups de feu qui sont tirés sur les manifestants, 100 à 200 personnes, ça doit créer toute une... toute une panique? Je comprends à ce moment-là que vous preniez les dispositions pour quitter les lieux immédiatement. En fait, vous dites que vous demeurez dix à 15 minutes sur les lieux. C'est exact? Le temps de voir votre père et le... le président du PALU être arrêtés et conduits dans un camion?
R.      Oui.

[19]      Le procureur des demanderesses soutient que la conclusion du tribunal sur ce point est déraisonnable.

     (2)      La demanderesse a-t-elle été ou non agressée sexuellement?

[20]      Quant à la deuxième invraisemblance relevée par le tribunal, après une lecture attentive du procès-verbal, j'en conclus que le témoignage de Mme Simba Awuku doit être lu et compris de la façon suivante: à la page 383, à une première question "Et à l'extérieur ou en dehors des moments d'interrogatoires, est-ce que vous étiez battue?" Mme Simba Awuku répond: "Non, juste une fois j'ai eu des... des attouchements sexuels". À la page 384 après avoir répondu que le soldat était seul en sa présence, on lui pose la question "Et qu'est-ce qu'il a voulu faire". Mme Simba Awuku répond: "Il... il voulait me violer".

[21]      À la page suivante, on lui demande: "Est-ce que c'est arrivé à... seulement à une reprise"; Mme Simba Awuku répond: "Deux fois". À cette même page, on lui demande: "Est-ce qu'il a fait seulement des attouchements sexuels ou vous avez été violée?" Elle répond: "La deuxième fois".

[22]      À la page 386, le président s'adresse à la revendicatrice et lui pose cette question: "J'avais compris au début, Madame, que vous aviez subi deux attouchements sexuels, ensuite deux tentatives de viol et maintenant je comprends que vous avez été violée une fois. C'est ça?" Madame Simba Awuku répond: "C'est-à-dire que la première fois c'était des attouchements sexuels et puis la deuxième fois j'ai été violée".

[23]      À la page 387, l'échange suivant est intervenu:

Q.      Pendant qu'on y est, c'est parce que moi de la façon que je lis votre formulaire, c'est indiqué "J'ai failli subir deux agressions sexuelles." Je ne vois pas en... dans votre formulaire où vous indiquez que vous avez été violée comme tel. Est-ce que vous avez une explication pour ça?
R.      Je dirais que c'est... c'est une période de ma vie que j'essaye d'oublier, c'est vrai.
Q.      Mais pourquoi vous indiquez "J'ai failli subir" si vous en avez subi une effectivement? Vous n'avez pas de réponse?
R.      ...
PAR LE PRÉSIDENT (s'adressant à la revendicatrice)
Q.      Il y a dans le même paragraphe, vous dites: "Je n'ai jamais su pourquoi il commençait et ne finissait pas." Qu'est-ce que vous entendez par là? Est-ce que vous...
R.      Les attouchements sexuels.
-      Ah bon.

[24]      Le dernier échange entre le commissaire et la revendicatrice sur ce point se trouve à la page 391:

PAR LE COMMISSAIRE (s'adressant à la revendicatrice)
Q.      Vous avez indiqué au deuxième paragraphe de la page 4: "À partir de ce moment, j'ai commencé à vivre dans la peur que la prochaine fois soit la bonne." Qu'est-ce que vous voulez dire par ça? Ce que vous dites avant: "J'ai failli subir deux agressions sexuelles, je n'ai jamais su pourquoi il commençait et ne finissait pas. À partir de ce moment, j'ai commencé à vivre dans la peur que la prochaine fois soit la bonne." Qu'est-ce que vous voulez dire?
R.      Que la prochaine fois qu'il me viole.

[25]      Je note toutefois que les demanderesses n'ont soumis aucun argument quant à cette invraisemblance lors de l'audition.

[26]      En outre, les demanderesses plaident que la conclusion du tribunal est manifestement déraisonnable puisqu'il existe plusieurs éléments de preuve dignes de foi notamment, la preuve documentaire déposée au dossier quant au régime Mobutu et au nouveau régime Kabila; la carte de membre du PALU au nom de leur père et la photo de leur père démontrant son activisme politique.

[27]      De plus, les demanderesses rappellent que Mlle Simba a déposé en preuve trois lettres qu'elle a reçu d'une tante, d'un oncle et d'un ami du père, restés au RDC relatant les événements qui se sont produits lors de la manifestation du 29 juillet 1995, la disparition de son père qui participait activement à la manifestation et le fait que toute sa famille immédiate fut mise en prison étant donné les activités politiques de son père au sein du PALU et ce, sans compter la vidéocassette perdue démontrant que leur demeure à Kinshasa fut abandonnée et saccagée.

ANALYSE DE L'ENSEMBLE DE LA PREUVE AU DOSSIER

[28]      La Cour d'appel fédérale rappelle dans Florea v. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] F.C.J. No. 598 (F.C.A.) l'obligation du tribunal de prendre en compte l'ensemble de la preuve au dossier sans toutefois avoir à faire mention de chaque élément de preuve dans son analyse.

[29]      Toutefois, dans un jugement récent, Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1998) 157 F.T.R. 35, mon collègue, le juge Evans, soulignait l'obligation du tribunal de faire mention dans ses motifs des éléments de preuve importants:

[15]      [Traduction] La Cour peut inférer que l'organisme administratif en cause a tiré la conclusion de fait erronée "sans tenir compte des éléments dont il [disposait]" du fait qu'il n'a pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion, et en arriver à une conclusion différente de celle de l'organisme. Tout comme un tribunal doit faire preuve de retenue à l'égard de l'interprétation qu'un organisme donne de sa loi constitutive, s'il donne des motifs justifiant les conclusions auxquelles il arrive, de même un tribunal hésitera à confirmer les conclusions de fait d'un organisme en l'absence de conclusions expresses et d'une analyse de la preuve qui indique comment l'organisme est parvenu à ce résultat.
[16]      Par ailleurs, les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal (Medina c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 12 Imm. L.R. (2d) 33 (C.A.F.)), et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve (voir, par exemple, Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut-être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd. Une simple déclaration par l'organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l'ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l'organisme a analysé l'ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.
[17]      Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée " sans tenir compte des éléments dont il [disposait] " : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

Ainsi, une présomption existe à l'effet que le tribunal a soupesé chaque élément de preuve mais une obligation demeure, soit celle de faire mention des éléments de preuve importants justifiant la décision du tribunal.

[30]      Or, je dois constater qu'il n'est nullement fait mention de la carte de membre du PALU identifiant le père des demanderesses comme membre de cette organisation, la photo de ce dernier lors d'activités politiques, les lettres de l'oncle, de la tante et de l'ami du père des demanderesses rapportant la disparition des membres de leur famille et l'existence d'une vidéocassette montrant leur demeure de Kinshasa abandonnée et saccagée.

[31]      Ainsi, compte tenu de l'impact de ces éléments de preuve quant aux conclusions tirées par le tribunal sur la revendication des demanderesses, j'en conclus que cette erreur du tribunal justifie à elle seule le renvoi du présent dossier devant le tribunal pour une seconde audition mais cette fois, avec un panel nouvellement constitué. Toutefois, je tiens à traiter également des conclusions du tribunal quant à la crédibilité du témoignage de la demanderesse, Mme Simba Awuku.

CRÉDIBILITÉ ET PLAUSIBILITÉ

[32]      En ce qui a trait à la norme de contrôle applicable dans le cas où la décision du tribunal est fondée sur l'absence de crédibilité due à l'implausibilité ou à l'invraisemblance du témoignage d'un revendicateur, la Cour d'appel fédérale s'est attardée à quelques reprises sur la question.

[33]      Monsieur le juge Décary dans Aguebor v. Minister of Employment and Immigration, [1993] F.C.J. No. 732 (F.C.A.) expliquait:

[3] [Traduction] Il est exact, comme la cour l'a dit dans Giron, qu'il peut être plus facile de faire réviser une conclusion d'implausibilité qui résulte d'inférences que de faire réviser une conclusion d'incrédibilité qui résulte du comportement du témoin et de contradictions dans le témoignage. La cour n'a pas, ce disant, exclu le domaine de la plausibilité d'un récit du champ d'expertise du tribunal, pas plus qu'elle n'a établi un critère d'intervention différent selon qu'il s'agit de "plausibilité" ou de "crédibilité".
[4] Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent. Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au pont d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être. L'appelant, en l'espèce, ne s'est pas déchargé de ce fardeau.
     [C'est moi qui souligne]

[34]      Ainsi, le fardeau des demanderesses est de démontrer que les inférences tirées par le tribunal de la preuve testimoniale sont déraisonnables. Or, après analyse du dossier, je constate en effet que lesdites inférences tirées par le tribunal de la preuve au dossier sont déraisonnables et ce, pour les raisons suivantes.

[35]      En effet, j'en conclus qu'il est déraisonnable de la part du tribunal de conclure que la demanderesse, Stéphanie Simba Awuku, n'était pas présente lors de la manifestation du 29 juillet 1995 et ce pour trois raisons soit, l'évaluation du nombre de personnes présentes à la manifestation, le fait qu'elle serait sur les lieux de la manifestation entre 10 et 15 minutes pendant que les militaires faisaient feu sur les manifestants et le fait qu'elle aurait vu son père être arrêté alors qu'elle se trouvait dans les derniers rangs des manifestants et que ce dernier se trouvait dans les premiers rangs.

[36]      Eu égard à ces inférences tirées par le tribunal, je suis satisfait que la demanderesse, Mme Simba Awuku ait fourni des explications tout à fait plausibles qui ne permettaient pas au tribunal d'en arriver à une telle conclusion.

[37]      En ce qui a trait aux agressions sexuelles, après une lecture attentive du procès-verbal, je crois qu'il est important de se rappeler qu'en 1995, Mme Simba Awuku était une jeune femme de 19 ans et célibataire de surcroît. Ainsi, l'appréciation du témoignage de Mme Simba Awuku sur cette question doit être faite avec circonspection et ouverture d'esprit. Mme Simba Awuku le dit elle-même à la page 385 du procès verbal "c'est une période de ma vie que j'essaie d'oublier".

[38]      Ainsi, j'en conclus que le tribunal n'a pas tenu compte des circonstances entourant la demanderesse lorsque cette dernière fut victime de ces agressions alors qu'elle était en prison.

[39]      Ainsi, eu égard à ces circonstances et à la nature des agressions subies par la demanderesse, il est déraisonnable de la part du tribunal de trouver implausible l'histoire de la demanderesse sur la base qu'elle indique dans son FRP avoir "failli subir deux agressions sexuelles" alors que dans son témoignage, cette dernière indique finalement avoir été l'objet d'attouchements dans un premier temps et finalement de viol dans un deuxième temps. Il demeure que dans les deux témoignages, soit celui écrit et celui verbal, elle rapporte toujours l'existence d'agressions sexuelles.

[40]      En tout état de cause, je constate que la question de l'existence ou non d'agressions sexuelles n'est pas un élément central des faits rapportés par la demanderesse mais plutôt un fait collatéral. L'élément central demeure bel et bien que la demanderesse fut emprisonnée au motif que son père était membre du PALU. En aucun temps, le tribunal ne semble remettre cette partie de l'histoire de la demanderesse en question pas plus qu'elle ne remette en question le fait que sa famille fut emprisonnée et que leur demeure ait été saccagée.

[41]      Cette conclusion est d'autant plus appropriée que la Cour d'appel fédérale s'exprimait ainsi dans Mahathmasseelan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1991) 15 Imm.L.R. (2d) 29:

[Traduction]      Les incohérences que l'on retrouve dans le témoignage de l'appelante, bien qu'elles ne soient pas sans importance, ne constituent pas l'élément central de sa demande. La Commission n'a pas tenu compte d'importantes parties de sa preuve. Elle n'a tenu aucun compte du témoignage de l'appelante au sujet du fait qu'elle était soupçonnée par les IPKF d'être membre des Freedom Birds et de sa crainte d'être persécutée par les militaires indiens parce qu'elle ne s'était pas présentée au camp. Elle n'a attaché aucune importance au fait que la demanderesse craignait d'être persécutée par les Tigres parce qu'elle pensait qu'ils la soupçonnaient d'être une indicatrice.

CONCLUSION

[42]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Le dossier est retourné pour redétermination devant un panel nouvellement constitué. En outre, aucune partie n'a recommandé de question certifiée.

    

    

     J U G E

Ottawa (Ontario)

le 24 janvier 2000

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