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Date : 20210921


Dossier : IMM-3206-20

Référence : 2021 CF 970

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 21 septembre 2021

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

FAUSTIN RUTAYISIRE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur et sa famille sont arrivés au Canada en tant que réfugiés en 2003. Le demandeur était résident permanent du Canada à son arrivée. Il a perdu ce statut après que la Section de l’immigration a conclu qu’il était interdit de territoire au Canada parce qu’il avait été complice de crimes commis pendant le génocide de 1994 au Rwanda.

[2] En 2012, le demandeur a présenté une demande au titre de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), demandant que le ministre lui accorde une dispense et le réintègre comme résident permanent du Canada pour des motifs d’ordre humanitaire. Après que la Cour suprême a publié son arrêt dans l’affaire Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40, [2013] 2 RCS 678, il a fait valoir que la jurisprudence en matière de complicité avait changé et qu’il ne serait plus jugé complice des crimes au Rwanda. Cette conclusion, si elle est correcte, pourrait avoir une incidence sur l’issue de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[3] Dans une décision datée du 17 juillet 2020, une agente principale de l’immigration a refusé sa demande de dispense pour motifs d’ordre humanitaire. En appliquant les règles de droit énoncées dans l’arrêt Ezokola, l’agente a conclu que le demandeur serait toujours considéré comme complice des crimes. Après avoir examiné la position du demandeur sur les difficultés que lui et sa famille subiraient s’il retournait au Rwanda, l’agente a conclu, en fonction de la preuve, qu’étant donné la nature très grave de l’interdiction de territoire du demandeur, une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire n’était pas justifiée.

[4] Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur prie la Cour d’annuler la décision de l’agente et de renvoyer l’affaire à un autre agent d’immigration afin que celui-ci rende une nouvelle décision.

[5] Pour les raisons ci-dessous, je conclus que l’agente n’a pas commis d’erreur susceptible de révision. La demande est en conséquence rejetée.


I. Faits et événements à l’origine de la présente demande

[6] Le demandeur est citoyen du Rwanda. Il est d’origine hutue. Avant avril 1994, il était professeur de mathématiques et actif dans la politique rwandaise en tant que membre fondateur d’un parti d’opposition. Le demandeur vivait dans la province la plus au sud du Rwanda, le Butare.

[7] Le 6 avril 1994, l’aéronef qui transportait le Président rwandais Juvénal Habyarimana a été abattu, tuant le Président et déclenchant le génocide commis par la majorité rwandaise des Hutus contre la minorité tutsie. Le génocide a duré d’avril à juillet 1994, lorsqu’un parti dirigé par des Tutsis a renversé le régime hutu.

[8] De fin avril 1994 jusqu’à sa fuite du Rwanda début juillet 1994, le demandeur était un haut fonctionnaire (sous-préfet) du gouvernement du Butare.

[9] En 2002, le demandeur a sollicité avec succès le statut de réfugié au Canada auprès du Haut-Commissariat du Canada en Afrique du Sud. Dans sa demande de statut de résident permanent, le demandeur a révélé qu’il avait été sous-préfet du Butare, de sorte qu’il n’y avait pas de problème de fausse déclaration. Le demandeur, son épouse et ses enfants sont arrivés au Canada en tant que résidents permanents en novembre 2003. Sa femme et ses enfants sont maintenant citoyens canadiens.

[10] Le 21 janvier 2005, un rapport a été établi en application du paragraphe 44(1) de la LIPR, dans lequel il était allégué que le demandeur était interdit de territoire au Canada : a) à titre de personne ayant commis hors du Canada des infractions énumérées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, LC 2000, c 24 ou b) à titre de personne ayant occupé un poste de rang supérieur – au sens du règlement – au sein d’un gouvernement qui a commis un génocide ou des crimes contre l’humanité.

[11] Dans une décision rendue le 4 décembre 2009, la Section de l’immigration (la SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur était interdit de territoire au Canada aux termes de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR. Notre Cour a rejeté une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SI : Rutayisire c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1168 (juge Pinard). Les motifs du juge Pinard exposent en détail les circonstances factuelles du génocide rwandais et le rôle du demandeur en tant que sous-préfet du Butare, ainsi que le contenu de la décision de la SI qui l’a amenée à conclure à l’interdiction de territoire du demandeur pour complicité dans le génocide.

[12] À la suite de la décision de la SI, le demandeur a perdu son statut de résident permanent du Canada et une mesure de renvoi a été prise à son encontre. Cependant, il demeure une personne protégée au Canada en raison de son statut de réfugié.

[13] En juillet 2014, l’Agence des services frontaliers du Canada a demandé au ministre d’émettre un avis de danger concernant le demandeur. Cet avis n’a pas encore été publié.

II. La décision faisant l’objet du contrôle

[14] Comme nous l’avons déjà mentionné, dans une demande présentée en janvier 2012, le demandeur a demandé au ministre de rétablir son statut de résident permanent du Canada pour des motifs d’ordre humanitaire. Le 17 juillet 2020, l’agente principale a rejeté cette demande aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR. Le dossier ne fournit pas d’explication complète sur les années de retard qui se sont écoulées depuis que la décision dans l’arrêt Ezokola a été rendue.

[15] Les motifs de l’agente décrivent les antécédents du demandeur en matière d’immigration et le processus qui a mené à la décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, y compris la référence à deux soi-disant lettres relatives à l’équité procédurale envoyées au demandeur. L’agente a ensuite examiné, en détail, les deux principaux sujets préoccupants de la décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire : a) la question de savoir si le demandeur continuerait d’être considéré comme interdit de territoire après l’arrêt Ezokola, et b) les observations du demandeur sur les difficultés qu’il éprouve pour lui et sa famille et les autres facteurs influant sur la décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[16] L’examen de la complicité par l’agente visait uniquement à évaluer la demande présentée par le demandeur en application de l’article 25, afin de déterminer le poids à accorder à la conclusion d’interdiction de territoire avant d’évaluer les facteurs d’ordre humanitaire. La décision de l’agente ne portait pas sur le réexamen de la décision finale de la SI sur la complicité.

[17] L’agente a d’abord examiné la question de l’interdiction de territoire aux termes de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR, qui est ainsi libellé :

Atteinte aux droits humains ou internationaux

Human or international rights violations

35 (1) Emportent interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux les faits suivants:

35 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of violating human or international rights for

a) commettre, hors du Canada, une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre;

a) committing an act outside Canada that constitutes an offence referred to in sections 4 to 7 of the Crimes Against Humanity and War Crimes Act.

[18] L’agente a déclaré que, dans l’arrêt Ezokola, la Cour suprême a conclu que la complicité aux fins de l’alinéa 35(1)a) découle d’une contribution. L’agente a énoncé les six facteurs non exhaustifs suivants pour déterminer si le comportement d’une personne doit être considéré comme une complicité :

1. la taille et la nature de l’organisation;

2. la section de l’organisation à laquelle le demandeur d’asile était le plus directement associé;

3. les fonctions et les activités du demandeur d’asile au sein de l’organisation;

4. le poste ou le grade de la personne au sein de l’organisation;

5. la durée de l’appartenance du demandeur d’asile à l’organisation (surtout après qu’il a pris connaissance de ses crimes ou de son dessein criminel);

6. le mode de recrutement du demandeur d’asile et la possibilité qu’il a eue ou non de quitter l’organisation.

Voir l’arrêt Ezokola, au paragraphe 91. Les présents motifs renvoient à cette liste comme étant les « facteurs énoncés dans l’arrêt Ezokola ».

[19] L’agente a présenté le passage suivant du paragraphe 92 de l’arrêt Ezokola :

Selon les faits de l’affaire, certaines joueront plus que d’autres dans l’établissement des éléments constitutifs de la complicité. Cependant, au bout du compte, ces considérations seront soupesées dans le but principal de déterminer s’il y a eu une contribution à la fois volontaire, significative et consciente à un crime ou à un dessein criminel. [Non souligné dans l’original.]

[20] L’agente a décrit la situation générale de Butare en 1994 et les conclusions de la SI et de la Cour fédérale concernant le demandeur. Reconnaissant son rôle de décideur indépendant, l’agente a décidé d’accorder un « grand poids » aux conclusions de la SI et de notre Cour, notamment en raison de l’audience de la SI au cours de laquelle le demandeur a témoigné.

[21] L’agente a ensuite analysé chacun des six facteurs énoncés dans l’arrêt Ezokola. En somme, l’agente a conclu ainsi :

[TRADUCTION]

• Le demandeur jouait un rôle dans la préfecture de Butare, qui était une grande organisation comptant des centaines d’employés.

• Le demandeur a exercé les fonctions de sous-préfet chargé des affaires techniques et économiques de la préfecture.

• Le demandeur était également membre du conseil de sécurité préfectoral. Ces conseils ont été utilisés par le gouvernement central provisoire « comme un outil pour gérer la mise en œuvre de leur plan génocidaire dans chaque préfecture ». L’agente a constaté que le demandeur avait participé aux réunions du conseil de sécurité de Butare visant à mettre en œuvre la campagne génocidaire.

• L’une des directives du gouvernement central aux conseils de sécurité était de créer un « comité civil d’autodéfense » dans le but de financer le génocide. Des fonds ont été recueillis auprès de la population rwandaise pour acheter des armes et nourrir la milice. Le demandeur était signataire du compte bancaire du comité d’autodéfense, bien qu’il ait déclaré qu’il ne pouvait pas refuser le pouvoir de signature sans danger et qu’il n’a jamais signé de chèque sur le compte.

• L’appartenance du demandeur au conseil de sécurité de la préfecture signifiait qu’il était au courant de crimes qui avaient déjà eu lieu. Il était également au courant des projets de crimes et des stratégies mis en œuvre pour atteindre l’objectif du gouvernement central d’exterminer les Tutsis au Rwanda.

• Les tâches et activités du demandeur comprenaient le rationnement et la redistribution d’articles tels que l’essence et la nourriture, et il était chargé de fournir des cartes de transport et des escortes militaires.

• Comme la SI, l’agente a estimé que l’exécution de certaines des tâches du demandeur « a clairement facilité la commission des crimes ». Ainsi :

Si les tueurs n’avaient pas de boisson ni de nourriture à leur disposition, ils auraient tué moins efficacement. Si aucun laissez-passer et aucun carburant n’avaient été fournis aux organisateurs du génocide ou aux tueurs pour le transport, davantage de victimes auraient survécu. Si aucun comité civil d’autodéfense n’avait existé pour fournir des armes, organiser et motiver la population à tuer, le génocide aurait été moins efficace.

• L’agente a constaté que le demandeur était impliqué dans de nombreuses tâches administratives de la préfecture qui facilitaient la mise en œuvre du plan du gouvernement central visant à exterminer les Tutsis.

• Le poste de sous-préfet du demandeur était un poste de haut niveau, tout juste un échelon en dessous du poste le plus élevé de la préfecture. Bien que le demandeur ait déclaré qu’il n’avait aucun pouvoir de décision, l’agente a conclu :

Je conclus qu’accorder ou non un passage sécurisé, donner ou non du carburant à quelqu’un, fournir ou non de la nourriture et des boissons aux tueurs, assister ou non à une réunion du conseil de sécurité préfectoral, en tant que sous-préfet chargé des affaires techniques et économiques, sont autant de décisions que [le demandeur] a prises. Ces décisions ont eu une incidence sur les personnes impliquées et sur le niveau d’efficacité du génocide.

• Le demandeur a été membre de l’organisation du début du mois de mai 1994 au début du mois de juillet, soit une période de deux mois. Il savait depuis le début que l’organisation était impliquée dans des activités criminelles et était au courant des massacres commis dans la préfecture. Il est resté à son poste jusqu’à ce que l’organisation soit maîtrisée par le Front patriotique rwandais, une force militaire opposée au génocide.

• Si le demandeur n’a pas cherché à se joindre à l’organisation, il n’a pas accepté le poste de sous-préfet sous la contrainte et aurait pu partir plus tôt qu’il ne l’a fait.

[22] L’agente a conclu que le [traduction] « poste élevé du demandeur dans l’organisation ajoutée à son appartenance au conseil de sécurité préfectoral et à la grande pertinence de ses fonctions particulières dans le maintien de l’efficacité du génocide » étaient les trois facteurs énoncés dans l’arrêt Ezokola qui avaient le plus de poids. L’agente a estimé que le demandeur était conscient des crimes qui se produisaient et qu’en continuant à exercer les fonctions qui lui étaient assignées malgré cette situation, il [traduction] « a volontairement contribué de manière importante à la bonne continuation et à l’efficacité du génocide à Butare ». L’agente a conclu que le demandeur était complice du génocide au Rwanda et a déterminé que ce facteur devait peser lourdement contre lui dans l’analyse des circonstances d’ordre humanitaire.

[23] L’agente s’est ensuite penchée sur les circonstances d’ordre humanitaire soulevées par le demandeur : liens familiaux, établissement, difficultés pour le demandeur et sa famille et intérêt supérieur des enfants.

[24] Les liens familiaux ont pesé de manière importante en faveur du demandeur, car il risque de ne plus revoir sa femme et ses enfants s’il est renvoyé au Rwanda. Le demandeur s’est établi avec succès au Canada et était un membre actif de la société avec un bon dossier civil, ce qui a eu un poids important dans l’évaluation de l’agente. L’agente a estimé qu’il ne fallait accorder aucun poids à l’intérêt supérieur des enfants adultes du demandeur. L’analyse de ces trois facteurs par l’agente n’est pas en litige dans la présente demande.

[25] Le demandeur a invoqué des difficultés pour lui-même et pour sa famille s’il est renvoyé au Rwanda. L’agente a estimé que le demandeur serait probablement aux prises avec des difficultés parce qu’il est soupçonné de complicité dans le génocide. L’agente n’a pas trouvé d’éléments de preuve suffisants pour soutenir la thèse du demandeur selon laquelle il serait victime de discrimination dans la société rwandaise en raison des allégations. L’agente n’a pas non plus trouvé d’éléments de preuve suffisants selon lesquels il ne bénéficierait pas d’un procès équitable au Rwanda, mais a conclu que les conditions de détention comprenaient le surpeuplement et la rareté de la nourriture. L’agente n’était pas convaincue que les problèmes antérieurs d’accès aux soins de santé et aux médicaments pour les détenus persistent dans les prisons gérées par le Service correctionnel du Rwanda. L’agente a estimé que le demandeur, en tant que personne instruite ayant travaillé comme enseignant pendant de nombreuses années et ayant vécu plus de la moitié de sa vie au Rwanda, pouvait trouver un emploi pour subvenir à ses besoins s’il y retournait.

[26] L’agente a conclu que le demandeur serait aux prises avec d’importantes difficultés s’il était expulsé vers le Rwanda, notamment en ce qui concerne le système judiciaire. S’il est condamné, il connaîtra des conditions de détention difficiles. Après avoir été poursuivi ou une fois libéré, il aurait à relever le défi de se réinstaller au Rwanda, ce qui serait difficile. L’agente a accordé un « poids important » à ces difficultés dans l’évaluation des circonstances d’ordre humanitaire.

[27] Après avoir soupesé l’interdiction de territoire du demandeur et les facteurs d’ordre humanitaire, l’agente a conclu qu’il existait des circonstances d’ordre humanitaire « importantes ». L’agente a estimé que le retour du demandeur au Rwanda [traduction] « se traduirait par des souffrances pour toute la famille » et qu’il serait aux prises avec des difficultés importantes une fois au Rwanda, en particulier si les autorités choisissaient de le poursuivre. L’agente a également estimé que l’interdiction de territoire du demandeur était [traduction] « l’une des plus graves auxquelles une personne puisse être confrontée » aux termes de la LIPR et que ses actes pendant le génocide au Rwanda [traduction] « ont contribué à la mort ou à la souffrance de nombreuses personnes ». L’agente a déclaré que les difficultés auxquelles il serait confronté s’il était renvoyé au Rwanda étaient [traduction] « en grande partie, une conséquence de son comportement pendant le génocide ». Dans l’ensemble, l’agente a accordé plus de poids à l’interdiction de territoire du demandeur qu’aux motifs d’ordre humanitaire en cause.

[28] Étant donné la « nature très grave de l’interdiction de territoire en cause », l’agente a conclu que les facteurs d’ordre humanitaire n’étaient pas suffisants pour justifier une dispense aux termes de l’article 25 de la LIPR.

III. Questions soulevées par le demandeur

[29] Devant notre Cour, le demandeur a soulevé quatre questions :

a) L’agente a-t-elle correctement appliqué la norme juridique énoncée dans l’arrêt Ezokola?

b) L’agente a-t-elle omis d’analyser les éléments de preuve de coercition en concluant que le demandeur a agi volontairement?

c) L’agente a-t-elle omis de procéder à une mise en balance appropriée des facteurs aux termes de l’article 25 de la LIPR?

d) L’agente a-t-elle privé le demandeur d’équité procédurale?

[30] Chacune de ces questions sera analysée ci-dessous.

IV. Les règles de droit générales

A. Norme de contrôle du bien-fondé de la décision

[31] La norme de contrôle de la décision de fond de l’agente est la norme de la décision raisonnable, telle que décrite dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65. Il incombe au demandeur d’en démontrer le caractère déraisonnable : arrêt Vavilov, aux para 75 et 100.

[32] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit comporter une évaluation sensible et respectueuse, mais aussi rigoureuse, des décisions administratives : arrêt Vavilov, aux para 12 et 13. En commençant par les motifs fournis par le décideur, l’examen de la Cour porte à la fois sur le processus de raisonnement suivi et sur le résultat : arrêt Vavilov, aux para 83 et 85 et 86. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : arrêt Vavilov, aux para 85 et 99. La cour de révision doit lire les motifs de manière globale et contextuelle, et en corrélation avec le dossier dont disposait le décideur : arrêt Vavilov, aux para 91 à 96, 97 et 103; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 31.

[33] L’examen de la Cour est à la fois rigoureux et discipliné. Ce ne sont pas toutes les erreurs ou réserves au sujet des décisions qui justifieront une intervention. La cour de révision n’interviendra que si elle est convaincue que la décision « souffre de lacunes graves » à un point tel qu’elle ne satisfait pas aux exigences en matière de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision ni représenter une « erreur mineure ». Le problème doit être suffisamment capital ou important pour rendre la décision déraisonnable : arrêt Vavilov, au para 100; arrêt Postes Canada, au para 33; arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 36.


B. Demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire aux termes de la LIPR

[34] Le paragraphe 25(1) de la LIPR accorde au ministre le pouvoir discrétionnaire de dispenser certains étrangers des exigences habituelles de la loi et de leur accorder le statut de résident permanent au Canada s’il est convaincu que des considérations d’ordre humanitaire le justifient. Le pouvoir discrétionnaire fondé sur les considérations d’ordre humanitaire que prévoit le paragraphe 25(1) se veut donc une exception souple et sensible à l’application habituelle de la LIPR permettant de mitiger la sévérité de la loi selon le cas : Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 RCS 909 au para 19.

[35] Le pouvoir discrétionnaire fondé sur le paragraphe 25(1) doit être exercé de manière raisonnable. L’agent appelé à se prononcer sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire doit véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance et leur accorder du poids : Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux para 74 et 75; Kanthasamy aux para 25 et 33.

[36] C’est le demandeur qui a le fardeau d’établir que l’exemption est justifiée : Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, [2010] 1 RCF 360 aux para 35, 45 et 61. C’est à ses risques et péril qu’il omet de soumettre des éléments de preuve ou de produire des renseignements pertinents à l’appui d’une demande CH : Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] 2 RCF 635 aux para 5 et 8.


V. Caractère raisonnable de la décision de l’agent

A. L’agente a-t-elle correctement appliqué la norme juridique énoncée dans l’arrêt Ezokola?

[37] Dans l’arrêt Ezokola, la Cour suprême a déclaré ce qui suit au paragraphe 8 :

Des individus peuvent être complices de crimes internationaux sans être liés à un crime en particulier, mais il doit exister un lien entre ces individus et le dessein criminel du groupe, ce sur quoi nous reviendrons. [...] ce lien est établi lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que la personne a volontairement et consciemment contribué de manière significative à la perpétration d’un crime par un groupe ou à la réalisation du dessein criminel de ce groupe. D’ailleurs, nous verrons que se dessine à l’échelle internationale un large mouvement favorable à l’application d’un « critère axé sur la contribution significative ».

[En italique dans l’original.]

[38] Le demandeur a fait valoir que l’accent doit toujours être mis sur la contribution réelle d’un individu lorsqu’il s’agit de déterminer s’il existe des raisons sérieuses de considérer que l’individu a volontairement apporté une contribution significative et consciente à un crime international ou au dessein criminel d’un groupe (invoquant l’arrêt Ezokola, aux para 91 et 92).

[39] En l’espèce, le demandeur a fait valoir que la conclusion de complicité de l’agente reposait sur une série de déductions déraisonnables, faites sans tenir compte des éléments de preuve. Le demandeur a soutenu que l’agente n’a désigné aucun crime auquel il aurait contribué. Il n’a pas été établi qu’il avait des opinions extrémistes ou qu’il avait déjà incité à la violence, ou qu’il l’avait préconisée ou approuvée, ou qu’il avait exercé de la discrimination contre les Tutsis dans le cadre de son travail au sein du gouvernement. Il a fait valoir qu’il n’y avait aucun fondement pour conclure qu’il a déjà approuvé ou contribué volontairement au dessein criminel du gouvernement central de commettre un génocide. Selon le demandeur, il doit être démontré qu’il a contribué à des crimes particuliers commis par des membres de l’organisation. Il a prétendu que l’agente n’a pas décelé un tel crime et n’a à aucun moment indiqué que le demandeur avait agi avec l’intention de promouvoir le dessein criminel du génocide.

[40] Le demandeur a également fait valoir que, si la décision de la SI l’a jugé complice parce qu’il a facilité la commission de crimes dans la préfecture, l’arrêt Ezokola a modifié le critère juridique de la complicité. Se fondant sur l’arrêt Ezokola et des décisions de notre Cour, le demandeur a soutenu que l’agent l’a jugé complice en raison de sa simple association avec la préfecture ou de son acquiescement passif aux actes de l’organisation, ce qui, en droit, ne constitue plus une complicité (invoquant l’arrêt Ezokola, au para 80; Concepcion c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 544 au para 17; et Niyungeko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 820 aux para 49, 61 et 64).

[41] Le demandeur a fait valoir en particulier que l’agente n’a constaté aucun acte coupable, en soulignant un paragraphe de l’arrêt Ezokola dans lequel la Cour suprême a affirmé que les motifs de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Ezokola ne devraient pas être invoqués de manière inappropriée pour conclure à la complicité d’une personne « alors même qu’elle n’a accompli aucun acte coupable et n’a eu aucune connaissance ou intention criminelle, mais a seulement su que d’autres membres du gouvernement avaient commis des actes illégaux » : Ezokola, au para 80. Au contraire, l’agente a expressément déclaré qu’il était raisonnable de supposer que le demandeur [traduction] « travaillait sur les dossiers courants et techniques de Butare, ce qui était une occupation légitime ». Elle n’a pas conclu à une contribution spécifique à un crime en particulier et a estimé qu’il n’avait accompli que des tâches légitimes en apparence, sans conclure à un dessein ou à une conséquence criminels. Selon ce point de vue, la simple appartenance du demandeur au conseil de sécurité était insuffisante pour démontrer un acte coupable aux fins de complicité et il n’y avait aucune preuve qu’il ait fait quoi que ce soit en relation avec le compte bancaire au-delà de sa nomination en tant que signataire autorisé. Selon le demandeur, la constatation de la facilitation par l’agente a obscurci l’absence de tout acte coupable dans cet élément de preuve.

[42] La thèse du défendeur était que l’agente a raisonnablement conclu que le demandeur était complice parce qu’il a volontairement apporté une contribution significative et consciente aux crimes ou au dessein criminel de la préfecture de Butare et du conseil de sécurité. Selon le défendeur, l’agente n’a commis aucune erreur susceptible de révision pour deux raisons principales : a) le demandeur était complice des crimes commis par la préfecture, car ses fonctions étaient essentielles pour faciliter la mise en œuvre du dessein criminel de la préfecture et ses propres actes ont facilité la commission de crimes; et b) les éléments de preuve ont étayé la conclusion de l’agente selon laquelle le demandeur était membre du conseil de sécurité de la préfecture utilisé par le gouvernement central pour mettre en œuvre le génocide et était signataire autorisé du compte bancaire du comité civil d’autodéfense utilisé pour financer le génocide. Cette appartenance témoignait d’une contribution volontaire, consciente et significative au génocide. Le défendeur a renvoyé aux conclusions du juge en chef Crampton dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Kljajic, 2020 CF 570, [2020] 3 CF 317, (au para 212) et a fait valoir que la preuve et les conclusions de l’agente en l’espèce allaient au-delà d’une simple association ou d’une simple appartenance et contribution aux activités légitimes de l’organisation (distinctes des affaires telles que la décision Niyungeko, au para 61).

[43] Le défendeur a également fait référence aux paragraphes 87 à 89 de l’arrêt Ezokola, que je reproduis ci-dessous :

(2) Contribution significative aux crimes ou au dessein criminel

[87] Selon nous, la simple association devient complicité coupable [...] lorsqu’une personne apporte une contribution significative aux crimes ou au dessein criminel d’un groupe. Comme l’affirme le lord juge Brown dans J.S., l’existence du lien requis entre la personne et le comportement criminel du groupe n’exige pas que la contribution de l’accusé [traduction] « vise la perpétration de crimes identifiables précis »; elle peut viser un « dessein commun plus large, comme la réalisation de l’objectif d’une organisation par tous les moyens nécessaires, y compris la commission de crimes de guerre » : par. 38. Cette interprétation [...] s’accorde avec la reconnaissance par le droit pénal international de la participation collective et indirecte aux crimes en question, ainsi qu’avec le par. 21(2) du Code criminel du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-46, qui impute une responsabilité pénale à quiconque prête son concours à la réalisation d’une fin commune illégale.

[88] Étant donné que toute forme ou presque de contribution apportée à un groupe peut être considérée comme favorisant la réalisation de son dessein criminel, le degré de contribution doit être soupesé avec soin. L’exigence voulant que la contribution soit significative se révèle cruciale afin d’éviter un élargissement déraisonnable de la notion de participation criminelle en droit pénal international.

(3) La contribution consciente aux crimes ou au dessein criminel

[89] Pour être complice de crimes gouvernementaux, un fonctionnaire doit être au courant de leur perpétration ou du dessein criminel du gouvernement et savoir que son comportement facilitera la perpétration des crimes ou la réalisation du dessein criminel.

[En italique dans l’original.]

[44] J’ai conclu que l’agente n’a commis aucune erreur susceptible de révision en appliquant l’arrêt Ezokola et en concluant, aux fins de l’application de l’article 25 de la LIPR, que le demandeur était complice du génocide rwandais.

[45] L’agente a énoncé le critère juridique global approprié établi dans l’arrêt Ezokola, à savoir si le demandeur a contribué volontairement, de manière significative et en connaissance de cause à un crime ou à un dessein criminel. La présente question concerne l’application par l’agente de l’aspect de la contribution significative du critère établi dans l’arrêt Ezokola aux éléments de preuve.

[46] À mon avis, l’agente n’a pas commis d’erreur susceptible de révision en concluant que le demandeur a contribué de manière significative aux crimes ou au dessein criminel du génocide. L’agente a conclu que le comportement du demandeur allait bien au-delà d’une simple association ou appartenance à une organisation neutre.

[47] L’agente a constaté que le demandeur était un fonctionnaire de haut niveau de la préfecture. Le demandeur n’a pas contesté les conclusions de l’agente sur la connaissance qu’avait le demandeur des crimes commis et planifiés, connaissance que le demandeur avait acquise par ses propres observations et par sa participation au conseil de sécurité de Butare.

[48] L’agente a cerné les comportements du demandeur qui ont contribué aux crimes et au dessein criminel du génocide. Lors de l’examen du troisième facteur énoncé dans l’arrêt Ezokola, l’agente a exposé les fonctions particulières du demandeur et a expressément lié son comportement dans l’exercice de ces fonctions à l’efficience et à l’efficacité du génocide – c’est-à-dire au nombre de personnes tuées. L’agente a convenu avec la SI que les actes administratifs accomplis par la préfecture facilitaient la mise en œuvre du plan d’extermination des Tutsis du gouvernement central et que le demandeur était impliqué dans bon nombre de ces tâches administratives. Lors de l’examen du quatrième facteur énoncé dans l’arrêt Ezokola, l’agente a rejeté l’argument du demandeur selon lequel il n’avait aucun pouvoir de décision. L’agente a constaté que, dans l’exercice de ses fonctions, le demandeur a pris des décisions et que ces décisions ont eu des répercussions sur les personnes impliquées et sur le niveau d’efficacité du génocide. Je note que tant la SI (aux paragraphes 73 et 81) que la Cour fédérale ont fait des constatations factuelles similaires et ont renvoyé aux mêmes éléments de preuve dans leurs analyses respectives avant que ne soit tranché l’arrêt Ezokola : voir 2010 CF 1168, aux para 15, 18, 21, 36, 44 et 48 à 49. Voir également la décision Kljajic, notamment aux paragraphes 201 et 212.

[49] Une partie de l’argument du demandeur était que, lorsqu’elle a évalué le deuxième facteur énoncé dans l’arrêt Ezokola, l’agente a qualifié le travail du demandeur dans le cadre des affaires techniques et économiques courantes de Butare d’[traduction] « occupation légitime ». C’est vrai jusqu’à un certain point, mais je ne crois pas que cette déclaration transcende toute l’analyse de l’agente ou démontre une erreur susceptible de révision. Il était certainement loisible à l’agente de constater que le demandeur a effectué un travail légitime, mais que certaines activités ont contribué au génocide et étaient suffisamment importantes pour constituer une complicité. J’observe également que certaines des activités du demandeur ne peuvent être qualifiées de légitimes. Par exemple, il est difficile de voir comment son appartenance au conseil de sécurité de Butare et sa participation à ses réunions pourraient faire partie de n’importe quelles fonctions « légitimes » aux fins de complicité, étant donné le but illicite du conseil et le rôle qu’il a joué dans le génocide. Son appartenance et sa participation aux réunions du Conseil de sécurité ont également étayé sa connaissance des crimes et du dessein criminel des activités de la préfecture dans la mise en œuvre du plan génocidaire.

[50] Le demandeur a également soutenu que l’agente a commis une erreur en tenant compte de son statut de signataire autorisé du compte bancaire du conseil de sécurité, alors qu’en fait le demandeur a témoigné qu’il n’a jamais signé de chèque ni pris de mesures relativement à l’argent de ce compte. Je ne relève aucune erreur dans l’utilisation de ces éléments de preuve par l’agente. La question de savoir si ce type de preuve serait suffisant en soi pour établir une complicité ne se pose pas en l’espèce.

[51] Je conclus que le demandeur n’a pas démontré que l’agente a commis une erreur susceptible de révision en appliquant les normes juridiques établies par la Cour suprême dans l’arrêt Ezokola.

B. L’agente a-t-elle omis d’analyser les éléments de preuve de coercition en concluant que le demandeur a agi volontairement?

[52] Le deuxième argument général du demandeur était que l’agente a limité son analyse du caractère volontaire de la contribution du demandeur aux crimes ou au dessein criminel à la question de la contrainte, et qu’elle n’a pas examiné la preuve liée à la coercition qui ne constitue pas une contrainte.

[53] Dans l’arrêt Ezokola, la Cour suprême a conclu que la coercition qui n’atteint pas le niveau de la contrainte peut quand même annuler le caractère volontaire (aux paragraphes 86 et 99) et qu’une analyse du contexte en entier englobe nécessairement les moyens de défense opposables, y compris celui fondé sur la contrainte, dont nous avons fait état (au paragraphe 100). Le demandeur a invoqué la décision Al Khayyat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 175, dans laquelle la juge Strickland a conclu à une erreur susceptible de révision dans l’évaluation du caractère volontaire de la décision faisant l’objet du contrôle parce que celle-ci ne tenait compte que de la contrainte et n’avait pas effectué l’analyse du contexte entier requise par l’arrêt Ezokola : voir Al Khayyat, aux para 54 à 60.

[54] Le demandeur a fait valoir trois points. Premièrement, le demandeur a fait valoir que l’agente n’a pas répondu à son argument selon lequel il n’a pas accepté le poste de sous-préfet volontairement et ne l’a fait qu’après avoir été informé que lui et sa famille seraient tués s’il ne l’acceptait pas. Il a fait remarquer que ces faits n’ont pas été contredits et que la SI les a acceptés. Deuxièmement, le demandeur a souligné que l’agente a estimé qu’il n’avait pas essayé de refuser la nomination en tant que sous-préfet, alors qu’en fait les éléments de preuve ont démontré qu’il avait essayé de la refuser. Il a noté que l’agente a reconnu la preuve de son refus initial dès le début de ses motifs, mais n’en a pas tenu compte lors de l’examen du caractère volontaire et de la coercition. Troisièmement, le demandeur a fait valoir qu’il a quitté son poste dès qu’il a jugé qu’il était sûr pour lui et sa famille de le faire – dès qu’il a jugé qu’ils n’étaient pas en danger, ce qui renvoie directement à la question du caractère volontaire. Il a noté qu’un autre sous-préfet et sa famille ont été tués pour s’être opposés au régime. Sur ce troisième point, le demandeur cherche à plaider de nouveau le bien-fondé de la décision et demande à la Cour soit de se faire sa propre opinion, soit de réévaluer les éléments de preuve, ce qui ne peut être fait dans le cadre d’un contrôle judiciaire : arrêt Vavilov, aux para 83 et 125.

[55] Dans l’arrêt Ezokola, la Cour suprême a affirmé que le sixième facteur énuméré a une incidence directe sur le caractère volontaire :

[99] Le mode de recrutement du demandeur d’asile et la possibilité qu’il a ou non de quitter l’organisation. Comme nous l’indiquons plus haut, ces deux considérations jouent directement sur le caractère volontaire de la contribution. L’individu contraint de se joindre au groupe, de l’appuyer ou d’en demeurer membre pourrait ne pas avoir agi volontairement. De même, sa participation pourrait ne pas se révéler volontaire s’il n’a pas eu la possibilité de quitter le groupe, surtout après qu’il a appris l’existence de son activité ou de son dessein criminels. La Commission pourra se demander si la situation propre au demandeur (le lieu où il se trouvait, ses ressources financières et son réseau social) était de nature à faciliter son départ ou à y faire obstacle.

[En italique dans l’original.]

[56] Lorsqu’il était membre de notre Cour, le juge LeBlanc a résumé le droit exposé dans l’arrêt Ezokola comme suit dans Sarwary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 437, au paragraphe 39 :

Comme l’énonce clairement la Cour suprême du Canada dans l’affaire Ezokola, le fait de se joindre volontairement à une organisation avec des desseins criminels, la possibilité de quitter l’organisation, le fait de rester membre de l’organisation sur une longue période de temps, particulièrement après avoir découvert que l’organisation avait des desseins criminels et le fait d’être en position d’autorité ou de posséder un grade élevé au sein de l’organisation sont des facteurs qui favorisent la conclusion qu’il y avait contribution volontaire (Ezokola, aux paragraphes 97 à 99).

[57] En l’espèce, l’analyse de l’agente à l’égard du sixième facteur a directement tenu compte des questions soulevées au paragraphe 99 de l’arrêt Ezokola comme suit :

[traduction]

[Le demandeur] n’a pas cherché à se joindre à l’organisation, il a appris par la radio qu’il était nommé sous-préfet, un fait qui pèse en sa faveur. Je note cependant qu’il n’a pas essayé de refuser sa nomination. Bien que [le demandeur] ait affirmé que lui et sa famille étaient en danger, la SI a conclu qu’il n’avait pas agi sous la contrainte. [Le demandeur] ne m’a fourni aucun élément qui pourrait m’amener à conclure que lui et ses proches étaient exposés à un danger imminent s’il n’obtempérait pas; par conséquent, je conclus également qu’il n’a pas agi sous la contrainte. [Le demandeur] allègue qu’il est parti dès qu’il a pu le faire en toute sécurité. Des documents de source générale démontrent cependant que d’autres personnes dans des circonstances similaires sont parties plus tôt. Même en tenant compte du fait qu’il n’a pas cherché à s’engager et qu’il aurait pu y avoir un certain danger à refuser la nomination, l’élément actuel reste défavorable au [demandeur] principalement en raison de son défaut de partir jusqu’à l’arrivée du FPR.

Par FPR, on entend le Front patriotique rwandais, qui, comme nous l’avons déjà indiqué, était une force militaire opposée au génocide qui a eu raison du régime au début du mois de juillet 1994. L’agente a conclu que le demandeur est resté à son poste jusqu’à cette date.

[58] À mon avis, les motifs de l’agente ont suffisamment pris en compte la contrainte et, plus largement, le caractère volontaire. L’arrêt Ezokola, au paragraphe 99, envisage une prise en compte du recrutement et de la possibilité de quitter l’organisation. L’agente a pris en compte ces deux éléments et avait précédemment abordé la question du poste élevé qu’occupait le demandeur en tant que sous-préfet et membre du conseil de sécurité, ainsi que sa connaissance des crimes commis et planifiés.

[59] Comme la SI, l’agente a conclu que le demandeur n’avait agi sous aucune contrainte lorsqu’il a accepté le poste. L’agente n’a pas expressément procédé à une analyse séparée du caractère volontaire et de la contrainte. Cependant, immédiatement après avoir pris en considération les éléments décrits dans l’arrêt Ezokola au paragraphe 99, l’agente a examiné les éléments requis de la contribution volontaire, significative et consciente. L’agente a conclu expressément que le demandeur était conscient des crimes qui se produisaient et qu’en continuant à exercer les fonctions qui lui étaient assignées, il [traduction] « a volontairement contribué de manière importante à la bonne continuation et à l’efficacité du génocide à Butare ».

[60] Cette conclusion d’une contribution volontaire, lorsqu’elle est prise conjointement avec a) les conclusions de l’agente selon lesquelles le demandeur avait connaissance des crimes, mais a continué à exercer ses fonctions et n’est pas parti avant le renversement du régime au début de juillet 1994, et b) la suffisance juridique de l’analyse des facteurs par l’agente, telle qu’elle est décrite au paragraphe 99 de l’arrêt Ezokola, m’amène à conclure que l’analyse du caractère volontaire par l’agente ne contenait aucune erreur susceptible de révision.

[61] Le demandeur a fait valoir que l’agente n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve qui étayaient sa thèse selon laquelle le fait de rester à son poste n’était pas volontaire. Par exemple, il a souligné son témoignage selon lequel il craignait pour sa vie, et qu’un autre sous-préfet a été tué alors qu’il tentait de fuir le Rwanda. Je ne pense pas que cet élément de preuve ait obligé l’agente à prendre une décision différente de celle qu’elle a prise, ni qu’elle ait dû nécessairement en tenir compte dans son raisonnement.

[62] Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que, dans son raisonnement quant au sixième facteur, l’agente a déclaré à tort que le demandeur n’a pas essayé de refuser sa nomination. Comme le demandeur l’a reconnu, les motifs de l’agente sont ici incompatibles avec sa déclaration antérieure selon laquelle le demandeur ne voulait pas du poste de sous-préfet et l’a accepté après que le préfet lui eut dit qu’il serait tué s’il refusait.

[63] La question à trancher porte donc sur l’effet de cette erreur. Comme nous l’avons indiqué précédemment, les arrêts Vavilov, Postes Canada et Mason indiquent qu’une cour de révision peut intervenir si une erreur est suffisamment capitale ou importante pour que la décision ne satisfasse pas aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Chaque cas doit être jugé en fonction des faits et des circonstances qui lui sont propres : voir, par exemple, 6586856 Canada Inc (Loomis Express) c Fick, 2021 CAF 2 au para 57; Alexander c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 762 (juge Norris) au para 67.

[64] En l’espèce, l’agente a pris en considération à la fois la manière dont le demandeur a été recruté et ses possibilités de partir. L’erreur de l’agente concernait l’acceptation initiale du poste par le demandeur et, par déduction, la raison pour laquelle il a continué à occuper ce poste. En raison d’éléments de preuve apparemment insuffisants, l’agente a conclu que le demandeur et sa famille n’étaient exposés à aucun danger « imminent » s’il ne se conformait pas à la demande d’accepter le poste. Pour déterminer le poids du sixième facteur énoncé dans l’arrêt Ezokola dans l’analyse de la contribution, l’agente a reconnu qu’un « certain » danger existait dans le refus de la nomination.

[65] Il est toutefois important de noter que l’agente a conclu que le sixième facteur était défavorable au demandeur « principalement » en raison du fait que le demandeur n’a quitté le pays comme d’autres l’ont fait qu’après le renversement du régime au début du mois de juillet 1994, environ deux mois après être devenu sous-préfet.

[66] En outre, la conclusion générale de l’agente sur la complicité du demandeur par contribution, compte tenu des six facteurs énoncés dans l’arrêt Ezokola, allait au-delà du simple caractère volontaire. L’agente a conclu que la contribution du demandeur était volontaire.

[67] Dans de telles circonstances, l’inexactitude ou l’incohérence factuelle dans les motifs de l’agente n’était pas un élément capital ou n’en faisait pas partie intégrante au point de rendre l’analyse du caractère volontaire de l’agente inintelligible ou (comme l’a soutenu le demandeur) non transparente.

C. L’agente a-t-elle omis de procéder à une mise en balance appropriée des facteurs aux termes de l’article 25 de la LIPR?

[68] Le demandeur a soutenu que la mise en balance des facteurs d’ordre humanitaire par l’agente était déraisonnable car elle manquait de transparence. Selon le demandeur, l’agente n’a pas évalué correctement la gravité de sa contribution réelle aux crimes reconnus comme graves et s’est contentée d’évaluer la gravité des crimes eux-mêmes. Le demandeur a soutenu que l’agente était tenue de procéder à une évaluation et une pondération beaucoup plus nuancées du caractère volontaire de ses actes et de son degré réel de complicité dans les crimes (qui n’impliquaient pas une participation directe).

[69] Les arguments du demandeur ne me convainquent pas. À mon avis, l’agente a bien compris, évalué et soupesé la gravité des actes du demandeur qui ont donné lieu à sa complicité dans les crimes ou le dessein criminel.

[70] Avant d’atteindre l’étape de la mise en balance ou de la pondération de l’analyse des circonstances d’ordre humanitaire, l’agente avait évalué les six facteurs énoncés dans l’arrêt Ezokola. Comme l’a observé le défendeur, le deuxième facteur comprenait la constatation que le demandeur était membre du conseil de sécurité préfectoral, dont l’agente a conclu qu’il était utilisé par le gouvernement central comme un [traduction] « outil pour gérer la mise en œuvre de leur plan génocidaire » et qui permettait au demandeur d’avoir connaissance des crimes déjà commis et des plans pour les crimes futurs. L’évaluation par l’agente des troisième et quatrième facteurs énoncés dans l’arrêt Ezokola a nécessité une analyse des fonctions et activités du demandeur et du poste qu’il occupait dans la préfecture, comme nous l’avons déjà vu.

[71] Après avoir examiné les six facteurs, l’agente a conclu que le poste élevé du demandeur au sein de la préfecture, ajouté à son appartenance au conseil de sécurité et à la [traduction] « grande pertinence de ses fonctions particulières dans le maintien de l’efficacité du génocide », avait le plus de poids et qu’il [traduction] « a volontairement contribué de manière importante à la bonne continuation et à l’efficacité du génocide à Butare ». Après avoir conclu qu’il était complice du génocide sur le fondement de l’arrêt Ezokola, l’agente a accordé à l’interdiction de territoire du demandeur [traduction] « toute son importance » et a estimé qu’elle pèserait [traduction] « lourdement contre lui dans l’analyse des motifs d’ordre humanitaire suivante ».

[72] Après avoir évalué les facteurs d’ordre humanitaire soulevés par le demandeur, y compris les difficultés qui seraient subies par le demandeur et par sa famille, l’agente a conclu que l’interdiction de territoire du demandeur était :

[traduction]

l’une des plus graves auxquelles une personne puisse être confrontée aux termes de la LIPR. Ses actes durant le génocide au Rwanda ont contribué à la mort ou à la souffrance de plusieurs personnes. Les difficultés auxquelles il serait confronté s’il était renvoyé au Rwanda étaient en grande partie, une conséquence de son comportement pendant le génocide. Dans l’ensemble, j’accorde plus de poids à l’interdiction de territoire [du demandeur] qu’aux motifs d’ordre humanitaire en cause.

[73] Compte tenu de l’analyse par l’agente des deuxième, troisième et quatrième facteurs énoncés dans l’arrêt Ezokola, des déclarations générales de l’agente en conclusion sur les six facteurs de l’arrêt Ezokola et du passage sur la pondération qui vient d’être cité, je ne suis pas d’accord avec l’argument du demandeur selon lequel l’agente n’a fait guère plus que faire une observation selon laquelle il est grave d’être jugé interdit de territoire pour des violations des droits de la personne ou internationaux. Les motifs de l’agente ont évalué la gravité des actes du demandeur donnant lieu à sa complicité, d’une manière conforme aux décisions invoquées par les parties : voir Vaezzadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 845 aux para 21 à 24; Mirza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 510 aux para 39 à 42; Figueroa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 673 aux para 31 à 34 et 37 à 38; Sabadao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 815 aux para 23 et 24; Betoukoumesou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 591 aux para 33 à 35 et 37 à 43; et Oladele c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 851 aux para 82 à 87 (qui discute de l’inintelligibilité et du besoin de clarifier les facteurs énoncés dans l’arrêt Ezokola).

[74] Pour les mêmes raisons, la mise en balance par l’agente de l’interdiction de territoire du demandeur et des circonstances d’ordre humanitaire qu’il a soulevées n’a pas souffert d’un manque de transparence. Le raisonnement a suffisamment révélé le fondement de la façon dont l’agente a mis en balance ou soupesé les éléments dans l’évaluation requise : Administration de l’aéroport international de Vancouver c Alliance de la fonction publique du Canada, 2010 CAF 158, [2011] 4 RCF 425 aux para 13 et 14 et 16d); Romania c Boros, 2020 ONCA 216 aux para 29 et 30; Kanthasamy, au para 25.

[75] Par conséquent, je conclus que le demandeur n’a pas démontré que l’agente a omis de procéder à une mise en balance ou à une pondération appropriée aux termes de l’article 25 de la LIPR.

D. Conclusion sur les questions relatives à l’examen sur le fond

[76] Le demandeur n’a pas démontré que la décision de l’agente était déraisonnable selon les principes exposés dans l’arrêt Vavilov. J’en viens maintenant à ses observations sur l’équité procédurale.

VI. L’équité procédurale

[77] La norme de contrôle qui s’applique à l’équité procédurale est celle de la décision correcte : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 RCF 121, notamment aux para 49 et 54; Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35. La Cour doit déterminer si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, en mettant l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne : Chemin de fer Canadien Pacifique, au para 54; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817.

[78] La thèse du demandeur était que l’agente a évalué des éléments de preuve extrinsèques actualisés de l’évolution des conditions dans le pays et s’est appuyée sur ceux-ci pour déterminer si le demandeur éprouverait des difficultés au Rwanda, sans divulguer ces éléments de preuve et sans lui donner la possibilité de présenter des observations supplémentaires. Le demandeur a fait valoir à l’agente qu’il éprouverait des difficultés en raison de la discrimination sociale, des procédures judiciaires inéquitables et de mauvaises conditions de détention. Pour évaluer ces propositions, l’agente s’est appuyée sur des éléments de preuve « plus récents » que ceux présentés par le demandeur.

[79] Le demandeur a soutenu que l’agente aurait dû demander des observations supplémentaires sur les risques au Rwanda avant de conclure à un changement positif dans les conditions du pays. Le demandeur a fait remarquer que l’agente a envoyé deux lettres relatives à l’équité procédurale en 2017 et 2018 et qu’elle aurait facilement pu inclure une demande d’observations sur les difficultés à la lumière des nouveaux éléments de preuve.

[80] Le demandeur a prétendu qu’il existe deux courants jurisprudentiels concernant l’équité procédurale et l’obligation de divulguer de nouveaux éléments de preuve, l’un prenant racine dans la décision Mancia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 CF 461 (CA) et le second émanant de la décision Haghighi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 CF 407 (CA), une affaire tranchée après la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Baker. Le demandeur a également souligné qu’il n’aura pas de possibilité supplémentaire de présenter des observations sur les difficultés avec lesquelles il sera aux prises parce qu’il ne peut pas présenter une nouvelle demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire : LIPR, au para 25(1), en sa version modifiée en 2013 par la Loi accélérant le renvoi de criminels étrangers, LC 2013, c 16, art 9. Il a soutenu que sa situation s’apparentait à la situation historique en matière d’évaluation des risques lorsque l’affaire Mancia a été tranchée en 1998. Le demandeur a renvoyé aux motifs du juge Bédard expliquant la norme juridique dans la décision Majdalani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 294. Le défendeur a renvoyé à la décision Bradshaw c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 632 aux para 64 à 69 et Shah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 537 aux para 34 à 42.

[81] Dans l’ensemble, il est important de déterminer si le demandeur a eu une possibilité réelle de participer au processus décisionnel de l’agente, y compris une possibilité complète et équitable de présenter sa cause : Baker, aux para 28, 30 et 32; Haghighi, au para 26; Kisana, au para 45; Majdalani, aux para 36 et 58.

[82] Une combinaison de points me conduit à la conclusion que le processus utilisé par l’agente a été équitable du point de vue procédural pour le demandeur.

[83] Le premier point est la nature publique et les sources des éléments de preuve en litige. Les observations du demandeur n’ont pas précisé quels étaient les documents en cause, mais en examinant les références de l’agent à des documents récents et les notes de bas de page de la décision, les rapports pertinents étaient les suivants : États-Unis, Département d’État, Country reports on Human Rights Practices for 2015 (Rapports par pays sur les pratiques en matière de droits de l’homme pour 2015); Amnistie internationale, Rapport annuel de 2016-2017 pour le Rwanda; et Pays-Bas, Ministère des Affaires étrangères, Rapport par pays sur les droits de l’homme et la justice au Rwanda, août 2016. Ces rapports étaient accessibles au public, préparés par des sources réputées, et le demandeur aurait pu facilement y avoir accès : décisions Majdalani, aux para 53 et 54; Shah, aux para 36-38 (discussion des décisions de notre Cour adoptant l’approche contextuelle post-Baker) et 41 et 42; Bradshaw, aux para 62 et 70.

[84] Deuxièmement, c’est au demandeur qu’incombaient le fardeau global et le fardeau de la preuve en ce qui concerne les questions de difficultés qu’il a soulevées : décisions Shah, au para 42; Majdalani, au para 40.

[85] Troisièmement, du point de vue du processus, le demandeur a participé au processus de décision. Il a eu amplement l’occasion de présenter des observations à l’agente, ce qu’il a d’ailleurs fait : voir la décision Majdalani, aux para 36 et 58.

[86] Plus précisément, le demandeur a présenté de longues observations dans sa demande initiale en 2014. Celles-ci ont été complétées par de longues observations sur les répercussions de l’arrêt Ezokola envoyées par lettre datée du 14 août 2014 en réponse à une demande faite par lettre datée du 11 juillet 2014. L’agente a envoyé deux autres lettres relatives à l’équité procédurale datées du 21 novembre 2017 et du 30 juillet 2018. Le demandeur a répondu à ces deux lettres.

[87] Dans la lettre relative à l’équité procédurale datée du 30 juillet 2018, l’agente a offert la possibilité de présenter des observations supplémentaires sur l’arrêt Ezokola, en plus des observations déjà présentées par le demandeur à ce propos en 2014 et en décembre 2017. Dans sa lettre de réponse datée du 28 août 2018, le demandeur a présenté des observations sur la question demandée, mais a également inclus de nombreux renseignements supplémentaires relatifs à sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en général. Il a inclus des documents médicaux concernant sa propre santé et celle de son fils, des lettres de soutien et des renseignements de nature financière. Ces renseignements supplémentaires ont été soumis expressément comme preuve de l’établissement du demandeur au Canada et des difficultés que lui et sa famille éprouveraient s’ils devaient quitter le Canada. Le demandeur aurait pu facilement mettre à jour ses observations sur les difficultés liées aux conditions dans le pays au même moment. En août 2018, les trois rapports sur les conditions dans le pays utilisés par l’agente avaient été publiés et le demandeur y avait donc accès.

[88] Quatrièmement, l’agente a conclu que le demandeur serait aux prises avec d’[traduction] « importantes difficultés s’il était expulsé vers le Rwanda » et a accordé [traduction] « un poids important » à ces difficultés. Il est plausible que, si le demandeur avait fourni, dans le rapport, des références supplémentaires aux éléments de preuve des conditions dans le pays, cela aurait pu avoir une incidence sur l’évaluation par l’agente du degré de difficulté auquel le demandeur aurait fait face. Toutefois, le demandeur n’a pas renvoyé la Cour à de nouveaux renseignements particuliers qu’il aurait portés à l’attention de l’agente, que ce soit dans ces rapports ou dans d’autres rapports sur les conditions au Rwanda, et qui auraient pu contredire ou concerner les conclusions de l’agente ou influencer le résultat. Je ne suis donc pas en mesure de déterminer si une autre possibilité de présenter des observations aurait pu influer sur le poids accordé aux difficultés ou influencer le résultat : décisions Majdalani, au para 37; Yang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 20, aux para 17 et 29; Haghighi, à l’al 28a) et aux para 37 et 42.

[89] Plutôt que le contenu particulier des rapports relatifs aux conditions dans le pays, les observations du demandeur sur l’équité procédurale se sont concentrées sur le caractère récent de la preuve – le fait que la preuve des conditions dans le pays sur laquelle s’est appuyé l’agente était plus récente que la preuve présentée par le demandeur. En ce qui concerne le caractère récent, je pense que notre Cour devrait faire preuve de prudence avant d’intervenir dans l’utilisation par une agente de la dernière preuve des conditions dans le pays disponible publiquement : voir la décision Bradshaw, au para 62. Il est dans l’intérêt de tous de veiller à ce que les agents prennent leurs décisions en se fondant sur la meilleure preuve disponible sur les conditions dans le pays, provenant de sources indépendantes et fiables, tout en respectant l’équité procédurale envers les demandeurs individuels. À mon avis, le simple fait que l’agente ait renvoyé à des éléments de preuve récents sur les conditions dans le pays qui n’avaient pas été divulgués de manière proactive au demandeur pour qu’il puisse les commenter n’entraîne pas nécessairement une injustice procédurale. Les circonstances particulières importent. Par exemple, si le contenu d’un rapport récent sur lequel s’appuie un agent peut véritablement provoquer une observation nouvelle ou différente sur les conditions dans le pays, un demandeur peut disposer d’un argument plus attrayant sur l’injustice procédurale que si le rapport ne contenait rien de nouveau. En l’espèce, l’utilisation par l’agente d’un élément de preuve récent des conditions dans le pays n’était pas injuste pour le demandeur.

[90] Pour ces motifs, je conclus que le demandeur n’a pas démontré que l’agente a manqué à l’équité procédurale en s’appuyant sur des renseignements récents sur les conditions dans le pays dans la décision sur la dispense pour considérations d’ordre humanitaire.

VII. Conclusion

[91] La demande est en conséquence rejetée.

[92] Aucune des parties n’a soumis de question pour certification, et aucune question ne sera énoncée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3206-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée en application de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

« Andrew D. Little »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3206-20

 

INTITULÉ :

FAUSTIN RUTAYISIRE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 juillet 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE A.D. LITTLE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 21 septembre 2021

 

COMPARUTIONS :

Charles Steven

Lorne Waldman

Pour le demandeur

 

Mary Matthews

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Charles Steven

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Mary Matthews

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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