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Date : 20210729


Dossier : IMM‑6526‑20

Référence : 2021 CF 802

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 juillet 2021

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

STUART SIMBARASHE MUNYANYI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire déposée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiésLC 2001, c 27 [la LIPR] à l’encontre d’une décision d’un agent des visas [l’agent] par laquelle ce dernier a refusé de lui délivrer un permis de travail postdiplôme [le PTPD].

II. Contexte

[2] Le demandeur, âgé de 28 ans, est un étudiant étranger originaire du Zimbabwe. Il est arrivé au Canada muni d’un permis d’étude en mai 2012. En septembre 2020, il a obtenu un baccalauréat ès arts avec majeure en communication et mineure en sociologie de l’Université Simon Fraser [l’USF].

[3] Après l’obtention de son diplôme, le demandeur a présenté une demande de PTPD. Cette demande a été rejetée dans une lettre datée du 11 décembre 2020 [la décision].

[4] Dans le cadre de sa demande de PTPD, le demandeur a expliqué son inscription à temps partiel et l’interruption de ses études de la façon suivante :

  • a) Au printemps 2017, le demandeur a tenté de s’inscrire à un cours obligatoire pour l’obtention de son diplôme. En raison d’une pénurie de devises étrangères au Zimbabwe, il avait payé ses droits de scolarité en retard, ce qui avait retardé son inscription. Au moment où il a tenté de s’inscrire, le cours affichait complet. Il n’a pu remplir les critères liés au statut d’étudiant à temps plein et a donc été inscrit comme étudiant à temps partiel.

  • b) À l’automne 2018, une autre pénurie de devises étrangères a eu pour effet de retarder le paiement des droits de scolarité du demandeur, même si ses parents avaient fait transférer d’avance les fonds nécessaires pour les payer. Par conséquent, il n’a été inscrit à aucun cours lors de cette session.

III. La décision contestée

[5] L’agent des visas a refusé la demande au titre du sous‑alinéa 205c)(ii) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés [le Règlement]. Il a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas aux critères d’admissibilité au PTPD énoncés dans les instructions sur l’exécution de programmes du PTPD [les IEP‑PTPD] pour les motifs suivants :

  • a) Le demandeur n’était inscrit à aucun cours à la session d’automne 2018;

  • b) Le demandeur, qui détenait un permis d’étude, est demeuré au Canada à la session d’automne 2018, malgré l’interruption de ses études;

  • c) Le demandeur n’a pas fait changer son statut pour celui de visiteur au cours de la session où il n’était inscrit à aucun cours;

  • d) L’agent n’était pas convaincu que le demandeur était admissible au PTPD, compte tenu des raisons de l’interruption des études de ce dernier durant l’automne 2018.

[6] Le 15 décembre 2020, le demandeur a déposé la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision.

IV. La question en litige

[7] La question à trancher en l’espèce est celle de savoir si la décision était raisonnable, c’est‑à‑dire : l’agent a‑t‑il interprété et appliqué les critères énoncés dans les IEP‑PTPD de façon raisonnable, lorsqu’il a jugé le demandeur inadmissible au PTPD au motif que ce dernier n’avait pas changé son statut pour celui de visiteur ni quitté le Canada lorsqu’il avait interrompu ses études durant moins de 150 jours?

V. La norme de contrôle

[8] Dans la décision Nootkala c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1019, la juge Mactavish a traité de la question de savoir si un demandeur devait remplir les critères énoncés dans les IEP‑PTPD. Dans son examen de la question, elle a appliqué la norme de la décision raisonnable. Dans la décision Osahor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 666, le juge Gleeson a appliqué la norme de la décision raisonnable à la question de l’interprétation et de l’application des IEP‑PTPD dans le contexte du cadre établi par la LIPR.

[9] La norme de la décision raisonnable s’applique.

VI. Analyse

[10] Le demandeur concède que l’agent a eu raison d’affirmer que les étudiants étrangers au Canada sont admissibles au PTPD s’ils maintiennent un statut d’étudiant à temps plein à chacune des sessions universitaires de leur programme d’études, et que lui avait interrompu ses études. Toutefois, compte tenu des importants facteurs en equity qui entrent en jeu le concernant et des circonstances particulières de l’affaire, il ajoute que l’agent aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire en sa faveur et que son défaut de le faire rendait la décision était déraisonnable.

[11] Le demandeur reconnaît aussi qu’il est exceptionnel qu’un agent des visas exerce son pouvoir discrétionnaire. Cependant, comme la juge Reed l’a affirmé au paragraphe 17 de la décision Yeung c Canada (Citoyenneté et Immigration), (2000) 186 FTR 189, « [i]l s’agit d’un pouvoir de nature résiduaire qu’il convient d’exercer dans les affaires comportant des faits inhabituels ou lorsque le demandeur [est près de remplir les critères] ».

[12] Le demandeur soutient que la présente affaire comporte des faits inhabituels, à savoir qu’il est originaire d’un pays moins développé, le Zimbabwe, et que l’économie y est dans un si piètre état que des pénuries de devises étrangères l’ont empêché de s’inscrire à temps lors de l’automne 2018. Le demandeur allègue que le Canada s’enorgueillit d’être la destination de prédilection d’étudiants internationaux et que cette prédilection ne devrait pas être réservée aux étudiants de pays développés ou occidentaux n’ayant pas de problèmes d’accès aux devises étrangères.

[13] Le demandeur affirme qu’aucune des notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas [SMGC] n’indique que l’agent avait envisagé d’exercer son pouvoir discrétionnaire. Il souligne qu’au paragraphe 10 de la décision Singh Tathgur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1293, le juge Mandamin a affirmé que :

[…] si l’agent des visas néglige de s’interroger sur l’opportunité pour lui d’exercer son pouvoir discrétionnaire, sa décision sera susceptible de contrôle judiciaire, car elle résulterait du non‑accomplissement d’une obligation qu’il était tenu d’accomplir, en application du paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales […].

[14] Selon le défendeur, la décision était raisonnable, car (i) le demandeur n’avait ni changé le statut de son visa pour celui de visiteur ni quitté le Canada au cours de la période où il n’était pas inscrit en tant qu’étudiant à temps plein; (ii) le demandeur n’avait pas demandé à l’USF l’autorisation de prendre un congé d’études; et (iii) l’agent n’avait pas le pouvoir discrétionnaire requis pour faire abstraction des critères du Programme de PTPD et il ne lui était donc pas nécessaire de considérer les raisons invoquées par le demandeur pour expliquer pourquoi il n’avait pas maintenu son statut d’étudiant à temps plein, des raisons que l’agent a pourtant considérées en procédant à un examen minutieux des documents.

[15] Compte tenu de l’exigence de conserver un statut d’étudiant à temps plein pendant le programme d’études, le demandeur n’était tout simplement pas admissible au PTPD.

[16] De plus, le défendeur affirme que le fait que l’agent se soit fondé sur les critères d’admissibilité au PTPD ne constituait pas une entrave à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, puisque les agents d’immigration n’ont pas le pouvoir discrétionnaire de faire abstraction de celles‑ci.

[17] Il est bien établi que les agents doivent appliquer strictement les IEP‑PTPD et n’ont pas le pouvoir discrétionnaire nécessaire pour ne pas respecter ses conditions (Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 513 au para 9). La juge Mactavish a affirmé ce qui suit aux paragraphes 11 et 12 de la décision Nookala c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1019 :

[11] Il y a entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire lorsque le décideur traite des directives comme des dispositions impératives : voir, par exemple, Canadian Reformed Church of Cloverdale B.C. c. Canada (Emploi et Développement social), 2015 CF 1075, 2015 A.C.F. no 1089. Toutefois, la partie clé du document qui établit le permis de travail au titre du Programme de travail postdiplôme n’est pas une « directive », au sens donné à ce terme dans la jurisprudence : voir, par exemple, Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 32, 3 R.C.S. 909.

[12] Le document relatif au programme en cause en l’espèce établit les critères qu’un candidat doit satisfaire pour obtenir un permis de travail au titre du Programme de travail postdiplôme. Même si ce document contient également de l’information et des directives sur la manière d’administrer le programme, rien dans ce document ne confère aux agents de l’immigration le pouvoir de modifier les critères d’admissibilité du programme. En conséquence, l’agent de l’immigration n’a nullement entravé son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il a déterminé que M. Nookala devait détenir un permis d’études valide pour obtenir un permis de travail au titre du Programme de travail postdiplôme.

[18] Pour être admissible au PTPD, un demandeur doit (i) détenir un permis d’études valide quand il présente une demande de permis de travail; (ii) avoir maintenu son statut d’étudiant à temps plein pendant chacune des sessions du ou des programmes d’études qu’il a terminés et soumis dans le cadre de sa demande de permis de travail postdiplôme; (iii) avoir terminé un programme de formation universitaire ou professionnelle d’une durée d’au moins 8 mois au Canada dans un établissement désigné et menant à un grade, à un diplôme ou à un certificat, et (iv) avoir reçu un relevé de notes et une lettre officielle de l’établissement d’enseignement désigné concerné confirmant qu’il a satisfait aux critères de réussite de son programme d’études.

[19] La Cour a conclu, au paragraphe 20 de la décision Brown c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 452, qu’il n’y avait « aucun conflit entre la politique relative au Programme de permis de travail postdiplôme et le Règlement. Le ministre a le pouvoir d’établir les critères permettant de satisfaire au respect du sous‑alinéa 205c)(ii) du Règlement, et donc aux termes desquels un permis de travail devrait être délivré en application du sous‑alinéa 200(1)c)(ii) du Règlement. »

[20] Comme il est indiqué précédemment, le demandeur était un étudiant à temps partiel à la session du printemps 2017 et n’a suivi aucun cours à la session de l’automne 2018 à cause de pénuries de devises étrangères dans son pays d’origine.

[21] Selon les IEP‑PTPD, un étudiant qui poursuit activement ses études est un étudiant à tout le moins inscrit à temps partiel dans un établissement d’enseignement. Par conséquent, la session « problématique » est celle de l’automne 2018, car il y a eu interruption des études.

[22] Si un demandeur a pris un congé d’études au cours de son programme, l’agent doit s’assurer que le demandeur a respecté les conditions liées à son permis d’études. Les lignes directrices des IEP‑PTPD concernant la prise de congé d’études sont les suivantes :

Il est possible que l’étudiant souhaite ou doive interrompre temporairement ses études pendant son séjour au Canada. Lorsqu’il s’agit d’évaluer si l’étudiant poursuit activement ses études, tout congé d’un programme d’études au Canada ne doit pas dépasser 150 jours à compter de la date de début du congé, et le congé doit avoir été autorisé par l’EED [l’établissement d’enseignement désigné].

On considère qu’un étudiant en congé qui commence ou reprend ses études dans les 150 jours qui suivent la date de début du congé (c’est‑à‑dire la date à laquelle l’établissement lui a accordé un congé) poursuit activement ses études pendant son congé. Si l’étudiant ne reprend pas ses études dans les 150 jours, il doit suivre un des 2 scénarios suivants :

  • changer son statut (c’est‑à‑dire changer pour un statut de visiteur ou un statut de travailleur);

  • quitter le Canada.

S’il ne change pas son statut ou ne quitte pas le Canada, il est réputé non conforme aux conditions liées à son permis d’études.

Dans le cas d’un étudiant ayant pris plusieurs périodes de congé au Canada pendant son programme d’études, l’agent doit tenir compte des raisons invoquées par l’étudiant. Si les périodes de congé ne semblent pas appuyer la réalisation de progrès raisonnables vers la réussite du cours ou du programme dans le délai prévu dans le cadre du cours ou du programme, l’agent peut conclure que le titulaire du permis d’études n’a pas respecté la condition de poursuite active de son cours ou de son programme d’études.

Parmi les raisons invoquées pour prendre un congé, mentionnons entre autres les suivantes :

  • une maladie ou une blessure;

  • une grossesse;

  • une urgence familiale;

  • un décès ou une maladie grave d’un membre de la famille;

  • un changement de programme d’études au sein du même établissement, en dehors d’un congé prévu au calendrier;

  • un renvoi ou une suspension (selon la gravité du geste posé);

  • un report de la date de début du programme (voir « Inscription différée »).

[En caractères gras dans l’original.]

[23] Le demandeur a interrompu ses études pendant moins de 150 jours. L’agent a noté dans le SMGC que [traduction] « le client sembl[ait] être demeuré au Canada et ne pas avoir changé son statut en demandant une fiche du visiteur durant cette session sans cours ». Cependant, il ne s’agit pas d’exigences imposées à un étudiant ayant pris un congé d’études de moins de 150 jours. L’étudiant doit changer son statut pour celui de visiteur ou quitter le Canada s’il ne reprend pas ses études dans les 150 jours, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Lorsqu’un étudiant prend un congé de moins de 150 jours, seule l’autorisation de l’établissement d’enseignement désigné est exigée.

[24] Le défendeur affirme que le demandeur n’a pas demandé à l’USF l’autorisation de prendre un congé d’études et que [traduction] « le demandeur, qui connaissait évidemment les conditions liées à un permis d’études, ne les a cependant pas remplies ». D’après le raisonnement du défendeur, comme le demandeur n’avait pas respecté l’exigence d’obtenir l’autorisation de l’USF relativement à son congé d’études, il était par conséquent raisonnable de refuser la demande de PTPD pour ce motif.

[25] Selon la jurisprudence, rien dans les IEP‑PTPD ne confère à l’agent d’immigration le pouvoir discrétionnaire de modifier les critères d’admissibilité ou d’en faire abstraction, mais il y est en revanche stipulé que l’agent « doit faire preuve de jugement et prendre en compte tous les facteurs pertinents lorsque vient le temps d’évaluer si l’étudiant respecte les conditions liées à son permis d’études ».

[26] Le site Web de l’USF indique ceci :

[traduction]

L’USF n’a pas établi de processus officiel permettant aux étudiants de premier cycle de demander un congé d’études, et il ne vous est pas nécessaire de demander l’autorisation de l’Université pour prendre une session de congé. Cependant, si vous prenez une session de congé, cela peut y avoir une incidence sur votre statut d’immigration et votre capacité juridique de travailler au Canada.

[…]

Consultez un conseiller aux étudiants internationaux avant de décider de prendre un congé d’études à la session d’automne ou du printemps afin de prendre une décision éclairée.

[En caractères gras dans l’original.]

[27] Considérant que le demandeur (i) a pris un congé d’études d’une session, soit pour une période de moins de 150 jours, (ii) n’avait pas à obtenir l’autorisation de l’USF pour prendre une session de congé, (iii) a produit une preuve selon laquelle il avait été forcé de prendre un congé d’études en raison d’une pénurie de devises étrangères dans son pays d’origine, et (iv) a produit une preuve selon laquelle la banque Standard Chartered avait avisé l’USF qu’il y avait pénurie de devises étrangères et que les parents du demandeur disposaient des fonds requis pour payer ses droits de scolarité, mais l’USF n’avait pas approuvé cette entente de paiement, et considérant que l’agent « doit faire preuve de jugement et prendre en compte tous les facteurs pertinents lorsque vient le temps d’évaluer si l’étudiant respecte les conditions liées à son permis d’études », je conclus que la décision était déraisonnable.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑6526‑20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen;

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6526‑20

 

INTITULÉ :

STUART SIMBARASHE MUNYANYI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 JUILLET 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 juillet 2021

 

COMPARUTIONS :

Malvin J. Harding

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Albulena Qorrolli

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Malvin J. Harding

Avocat

Surrey (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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