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Date: 19980814


Dossier: IMM-2419-97

Entre :

     NICKOLAI CHUDINOV,

     BOGDAN CHUDINOV,

     ELENA CHUDINOV,

     Requérants,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     Intimé.

     MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE JOYAL


[1]      Il s'agit d'une demande de révision judiciaire à l'encontre d'une décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (ci-après " le tribunal ") rendue le 23 avril 1997. Par cette décision, le tribunal décidait que les requérants ne sons pas des réfugiés au sens de l'article 2(1) de la Loi sur l'immigration .


Les faits

[2]      Les requérants " père, mère et fils " sont d'origine ukrainienne. Le père se dit juif, cependant, toute la famille est de confession chrétienne. Alors que la famille résidait en Ukraine, le père militait pour la réouverture des mosquées, synagogues et églises dans la ville de Krim. Ce dernier, en raison de ses origines juives, est ostracisé par ses concitoyens ukrainiens et la famille décide donc de quitter l'Ukraine pour l'Israël en décembre 1991.


[3]      À leur arrivée en Israël, les requérants emménagent à proximité d'une famille de Evpatoria, leur région d'origine. Ces derniers les dénoncent au rabbinat, alléguant que le père avait fait ouvrir des mosquées et avait appuyé la culture musulmane alors qu'il résidait en Ukraine. En une semaine, la famille est de nouveau ostracisée et on lui recommande d'aller s'installer sur le territoire musulman.


[4]      Alarmés, les requérants demandent la protection de la police. Cette dernière admet ne pouvoir rien faire, pusqu'aucune menace de mort n'a été proférée à leur endroit. Les requérants décident alors de déménager dans une autre ville.


[5]      En février 1992, le père reçoit sa carte d'identité avec la mention "inconnue" pour la nationalité. Puisque ses parents sont juifs, il se plaint au Mìnistère de l'intérieur, où on lui répond qu'un juif qui aide les musulmans n'est pas un juif en Israël.


[6]      En novembre 1992, le fils est battu par des camarades de classe qui auraient découvert qu'il n'est pas juif. Suite à cet incident, il aurait reçu les premiers soins et serait demeuré à la maison pendant une semaine. Les autorités scolaires auraient alors convaincu les requérants de ne pas porter plainte à la police en promettant qu'un tel incident ne se reproduirait pas.


[7]      En juillet 1993, le fils est battu par des inconnus qui le menacent de mort s'il ne quitte pas le pays incessamment. Les requérants, munis d'un certificat médical, portent plainte à la police. Ils rapportent aussi qu'ils sont ouvertement menacés de représailles par des graffitis laissés sur leur porte.


[8]      En août 1993, lors d'un voyage organisé, la mère entre dans un cloître russe pour se confesser. À sa sortie, elle constate que leur guide aurait dit à tout le groupe qu'elle n'aurait jamais dû venir s'installer en Israël. Le lendemain, la mère est congédiée. Les requérants allèguent qu'à compter de cet événement, ils sont devenus la cible de harcèlement incessant de la part de fanatiques religieux. La police leur promet protection, mais les requérants affirment que rien n'est fait en ce sens.


[9]      En août 1994, le père est congédié sans préavis, et lorsqu'il demande pourquoi, on lui répond qu'on a des doutes quant à l'authenticité de ses origines juives. Les requérants font alors une demande d'immigration à l'ambassade canadienne, demande qui suite à une entrevue, leur est refusée en novembre 1995.


[10]      Les menaces s'intensifiant, les requérants quittent l'Israël le 20 janvier 1996, pour le Canada, où ils sont arrivés le même jour et ont demandé le statut de réfugié.


La décision du tribunal

[11]      Le tribunal estime, malgré la présomption de véracité du témoignage des requérants, que les faits relatés lors de l'audition semblent invraisemblables. Il soutient que les motifs invoqués pour refuser au père son statut de juif lui paraissent irrationnels et que les allégations de ce dernier concernant sa perte d'emploi sont tout au plus de la discrimination. Et finalement, le tribunal estime que la police s'est occupée adéquatement des plaintes des requérants et que cette dernière a une obligation de moyen et non de résultat.


L'argumentation des parties

(a)      Les requérants

[12]      Les requérants allèguent que le tribunal a commis une erreur lorsqu'il affirme qu'il ne soit pas rationnel que l'on reproche aux requérants de remettre aux musulmans les lieux musulmans alors que l'on accepterait que les synagogues aillent aux juifs et les églises aux chrétiens. Selon les requérants, la conclusion du tribunal à cet effet est manifestement arbitraire, sans fondement, et aussi irrationnelle que celle attribuée aux autorités israéliennes.


[13]      D'autre part, les requérants allèguent que le tribunal est manifestement déraisonnable lorsqu'il reconnaît qu'il existe discrimination dans l'emploi en Israël, mais estime les requérants non-crédibles lorsqu'ils se plaignent de cette discrimination. Puisque le tribunal n'invoque aucune autre élément pour justifier sa conclusion de non-crédibilité, les requérants estiment que cette conclusion est sans fondement.


[14]      Quant à la protection de l'état, les requérants allèguent que le tribunal a commis une erreur lorsqu'il exclut le rabbinat comme source de persécution dans l'appareil étatique israélien. Le requérant allègue que lorsque la crainte de persécution provient de l'état lui-même, ou d'une composante de l'état, un revendicateur du statut de réfugié n'a pas à s'adresser à l'état pour prouver qu'il n'obtiendra pas de protection. Les requérants concluent qu'en l'espèce, la protection de l'état ne saurait être déterminante sans être étudiée plus en profondeur par le tribunal.


(b)      La partie intimée

[15]      La partie intimée soutient que le tribunal, étant juge de première instance, est celui le mieux placé pour fins d'évaluer la crédibilité des témoins, et que l'intervention d'une cour de contrôle judiciaire est restreinte aux cas où une erreur manifeste et dominante a été commise. Dans l'évaluation de la crédibilité d'un requérant, la Cour d'appel fédérale a d'ailleurs précisé que le tribunal pouvait faire reposer son appréciation de la vraisemblance d'un récit sur des critères tels la rationalité et le sens commun, et qu'il peut préférer la preuve documentaire à celle présentée par le requérant.


[16]      La partie intimée soutient que le tribunal peut conclure, selon la preuve présentée, que les difficultés subies par un revendicateur ne sont pas de la persécution, ou encore, que des actes discriminatoires étaient suffisamment sérieux pour équivaloir à de la persécution au sens de la Convention. La Cour n'interviendra dans une telle décision que dans la mesure où elle considère que les conclusions de fait du tribunal sont déraisonnables.


[17]      Depuis Ward c. Canada (P.G.), (1993) 2 R.C.S. 689, la Cour a reconnu que l'état est présumé être capable de protéger ses citoyens. Un requérant se doit de démontrer, par une preuve claire et convaincante, qu'il ne pouvait pas obtenir la protection de l'état au jour de son audition. Or, selon la partie intimée, le requérant en l'instance s'est avéré incapable de prouver que le police israélienne ne pouvait rien contre les forces religieuses du pays. À l'appui de cette conclusion, l'on cite le fait que lors de chacune des plaintes du requérant, la police s'est occupée de la plainte déposée. L'on souligne de plus que l'Israël est un pays démocratique, possédant des institutions politiques et juridiques capables de protéger ses citoyens. Et finalement, l'on souligne que la police a une obligation de moyen et non de résultat; un revendicateur ne peut exiger de l'état une protection sans faille.


Analyse

[18]      L'honorable juge Heald, dans l'arrêt Rajudeen c. M.E.I. (1984), 55 N.R. 129 (C.A.F.) à 134, formulait ainsi les critères que doit remplir un demandeur afin d'établir une crainte de persécution:

                 The subjective component relates to the existence of the fear of persecution in the mind of the refugee. The objective component requires that the refugee's fear be evaluated objectively to determine if there is a valid basis for that fear.                 

[19]      En ce qui a trait au fondement subjectif de la crainte de persécution, elle repose uniquement sur la crédibilité du demandeur. Or, en l'espèce, le tribunal a mis en doute la crédibilité des requérants en termes clairs et précis. Le tribunal pouvait donc conclure que les requérants n'ont pas démontré une crainte subjective de persécution.

[20]      J'ajouterais, d'autre part, une proposition réciproque telle qu'énoncée par M. le juge Heald. Qu'importe la forte crainte subjective d'un revendicateur, cette crainte doit tout de même être fondée sur des faits plus objectifs. À mon humble avis, c'est dans ce phénomène, qui joue entre le clair-obscur d'un côté et le bon sens de l'autre, qu'un tribunal doit évaluer la crainte objective.

[21]      La reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention est une forme de protection de rechange qui ne devient nécessaire que lorsque l'état d'origine du revendicateur ne peut ou ne veut protéger ce dernier. Or, tant que l'état continue d'exister, il est présumé être en mesure de protéger ses citoyens. Pour réfuter cette présomption, le demandeur doit prouver que l'état est incapable de le protéger, soit par une admission des autorités de l'état concerné, soit par une preuve d'incidents personnels antérieurs au cours desquels l'état ne l'a pas protégé, soit une preuve démontrant que les mesures de protection étatique n'ont pu assurer la protection de personnes se trouvant dans des situations similaires.

[22]      Dans la décision M.C.I. c. Kandenko, 15 octobre 1996, A-388-95, la Cour d'appel, en s'appuyant sur la décision dans Ward, supra, indique que le fardeau de preuve qui incombe au requérant est directement proportionnel au degré de démocratie atteint par l'état en cause. Plus le degré de démocratie est élevé dans un état donné, plus le revendicateur devra avoir épuisé les recours qui s'offraient à lui avant de revendiquer la protection d'un autre état.

[23]      En l'espèce, le tribunal a conclu que les policiers avaient une obligation de moyen et non de résultat. Il s'agit d'une lecture adéquate de la jurisprudence de la Cour. Les requérants, à mon humble avis, avaient bien d'autres ressources à épuiser avant de revendiquer la protection d'un autre pays.

Conclusion

[24]      Je ne nie pas du tout la pertinence de certains arguments, habilement soulevés par le procureur des requérants, touchant certaines erreurs de fait ou de droit dans la décision en litige. À cet égard, je me suis permis de lire la transcription de l'enquête devant le tribunal, ce qui m'a permis de mieux interpréter les motifs du tribunal et d'éclaircir les observations de nature plus ambiguë. C'est par l'entremise d'un tel examen que la Cour peut mieux interpréter le texte des motifs de la décision du tribunal et constater de façon plus précise s'il y a matière justifiant son intervention.

[25]      Tout en reconnaissant les gestes discriminatoires de la part de certains des concitoyens des requérants, je dois conclure qu'il s'agissait là de certaines expériences accumulées au cours d'une période de plus de quatre ans. En décidant que les requérants n'avaient pas établi le bien-fondé de leur crainte de persécution, le tribunal a jugé conformément à la preuve soumise, et l'on ne pourrait prétendre que dans son ensemble, cette décision soit déraisonnable.

[26]      La requête en contrôle judiciaire doit donc être rejetée.

     L-Marcel Joyal

    

     Juge

O T T A W A, Ontario

le 14 août 1998.

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