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Date : 20210927


Dossier : IMM-571-20

Référence : 2021 CF 1004

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2021

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE:

ARJUMAND BANO AMBER MALIK

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse est citoyenne du Pakistan. Dans sa demande de permis d’études, elle a répondu « oui » à la question de savoir si on lui avait déjà refusé un visa ou un permis, interdit l’entrée sur le territoire, ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays ou territoire. Elle a donné des précisions au sujet d’une demande de visa de visiteur au Canada refusée en juin 2010, et d’une demande de permis d’études refusée en janvier 2017.

[2] Après avoir examiné sa demande, un agent des visas [l’agent] a envoyé à la demanderesse une lettre d’équité procédurale. Cette lettre indiquait qu’elle avait déclaré dans sa demande qu’aucun autre pays que le Canada ne lui avait jamais refusé un visa ou un permis, mais que l’agent avait conclu que cette information n’était pas véridique.

[3] Dans sa réponse à la lettre d’équité procédurale, la demanderesse a reconnu qu’elle avait coché « oui » à la question 2b) : « Vous a-t-on déjà refusé un visa ou un permis, interdit l’entrée ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays ou territoire? ». Elle a déclaré que la section du formulaire de la demande allouée à l’ajout de précisions à sa réponse par l’affirmative n’avait accepté qu’une quantité limitée de texte. Par conséquent, elle n’avait inscrit que les informations relatives au Canada et n’avait pas mentionné qu’elle s’était vu refuser un visa pour les États‑Unis. Elle a convenu [traduction] « [qu’]il y aurait pu avoir une possibilité de joindre une feuille séparée énumérant toutes [ses] demandes de visa qui ont été refusées ou acceptées [et donc] qu’il s’agi[ssait] d’une erreur commise de bonne foi dans cette partie ». La demanderesse a également déclaré qu’elle n’avait pas l’intention d’induire l’agent en erreur. À l’appui de cette affirmation, elle a fait valoir que l’agent avait accès à toutes ses autres demandes par le biais de la base de données d’IRCC et a souligné que dans une autre demande, soit une demande de résidence permanente présentée dans le cadre d’un programme des investisseurs du Québec, à la section 6 de l’Annexe A du formulaire, intitulée Antécédents, elle avait divulgué qu’on lui avait refusé un visa pour les États-Unis. La demanderesse a affirmé qu’elle n’avait donc aucune raison d’essayer de dissimuler cette information.

[4] Dans une lettre datée du 10 janvier 2020 exposant sa décision négative, l’agent a indiqué qu’il n’était pas convaincu que la demanderesse avait répondu sincèrement à toutes les questions qui lui avaient été posées. Il a également informé la demanderesse qu’elle avait été déclarée interdite de territoire aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’Immigration et la Protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] pour avoir, directement ou indirectement, fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou pourrait entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Conformément à l’alinéa 40(2)a) de la LIPR, l’interdiction de territoire dont est frappée la demanderesse court pour les cinq ans suivant la date de la lettre de décision.

Question en litige et norme de contrôle

[5] La seule question que soulève la présente affaire consiste à savoir si la décision de l’agent était raisonnable. Comme il s’agit d’une décision administrative, la norme de contrôle applicable en l’espèce est présumée être celle de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]).

Analyse

[6] La demanderesse soutient que l’agent n’a pas tenu compte du fait qu’elle avait déclaré s’être vu refuser un visa américain dans sa précédente demande de résidence permanente qui était en cours de traitement. Elle affirme qu’il s’agit d’un élément important, car le fait qu’elle a divulgué cette information antérieurement pouvait faire en sorte que l’omission de la divulguer dans sa demande de permis d’études ne puisse pas donner lieu à une conclusion de fausse déclaration. Elle fait également valoir que les motifs de l’agent n’abordent ni n’examinent la question de savoir si le fait qu’elle a déjà mentionné le refus de visa américain constitue un élément de preuve potentiellement atténuant susceptible d’influer sur la conclusion de fausses déclarations. Elle soutient également que la brièveté des motifs de l’agent ne reflète pas la gravité des conséquences de la décision pour elle. En effet, elle a des enfants qui étudient au Canada et la conclusion voulant qu’elle ait fait une fausse déclaration l’empêchera de leur rendre visite pendant cinq ans.

[7] La demanderesse avance en outre que l’agent n’a pas envisagé la possibilité que l’exception relative à l’erreur de bonne foi puisse s’appliquer en l’espèce, même s’il concluait qu’il y avait eu fausse déclaration. En dernier lieu, la demanderesse affirme que la décision de l’agent est inintelligible. Comme la décision ne précise pas quelles informations la demanderesse aurait omis de divulguer, il lui est difficile de savoir quel est le fondement exact de l’interdiction de territoire.

[8] À mon avis, il est utile de résumer d’abord le contexte juridique dans lequel s’inscrit la présente demande. J’examinerai ensuite les arguments de la demanderesse au regard de ce contexte.

[9] Le paragraphe 16(1) de la LIPR exige que l’auteur réponde véridiquement à toutes les questions qui lui sont posées. L’alinéa 40(1)a) porte sur les fausses déclarations :

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

[10] Dans la décision Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 368 [Wang], la Cour a déclaré ce qui suit :

[15] J’ai déjà résumé les principes généraux portant sur les fausses représentations dans l’affaire Goburdhun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971, au paragraphe 28. Aux fins de la présente demande, ces principes supposent une interprétation très large de l’article 40 afin d’en promouvoir l’objectif sous-jacent (Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 512, au paragraphe 25 [Khan]), l’objectif étant de prévenir les fausses déclarations et préserver l’intégrité du processus d’immigration. Pour réaliser cet objectif, il incombe au demandeur de s’assurer que sa demande est complète et exacte (Oloumi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 428, au paragraphe 23 [Oloumi]; Jiang, au paragraphe 35; Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059, aux paragraphes 55 et 56 [Wang]).

[16] En ce sens, le demandeur a une obligation de franchise et de fournir des renseignements complets, fidèles et véridiques en tout point quand il présente une demande d’entrée au Canada (Bodine c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 848, aux paragraphes 41 et 42 [Bodine]; Baro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1299, au paragraphe 15 [Baro]; Haque c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 315, au paragraphe 11 [Haque]). L’article 40 est intentionnellement formulé en termes généraux et appliqué de façon élargie, et englobe même les présentations erronées faites par une tierce partie, dont celles d’un consultant en immigration, sans que le demandeur soit mis au courant (Jiang, au paragraphe 35 ; Wang, aux paragraphes 55 et 56).

[17] L’exception à l’article 40 est restreinte et s’applique uniquement dans des circonstances véritablement extraordinaires où le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas de présentation erronée sur un fait important et qu’il était impossible pour le demandeur d’avoir connaissance de la déclaration inexacte (Masoud c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 422, aux paragraphes 33 à 37 [Masoud]; Goudarzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 425, au paragraphe 40 [Goudarzi]). C’est-à-dire que le demandeur ignorait subjectivement qu’il dissimulait des renseignements (Medel c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 CF 345 (CAF) [Medel]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh Sidhu, 2018 CF 306, au paragraphe 55 [Singh Sidhu]).

[18] Pour décider si une fausse déclaration est importante, il est nécessaire de tenir compte du libellé de la disposition ainsi que de l’objet qui la sous‑entend (Oloumi, précité, au paragraphe 22). Il est nécessaire d’examiner les circonstances entourant chaque cas avant de décider si les renseignements dissimulés constituent une présentation erronée des faits (Baro, au paragraphe 17; Bodine, aux paragraphes 41 et 42; Singh Sidhu, aux paragraphes 59 à 61). De plus, une fausse déclaration n’a pas à être décisive ou déterminante; il suffit qu’elle ait une incidence sur le processus amorcé (Oloumi, précité, au paragraphe 25);

[19] [U]n demandeur ne peut non plus tirer parti du fait que la fausse déclaration a été mise au jour par les autorités d’immigration avant l’examen final de la demande. L’analyse de la notion de fait important ne se limite pas à un moment particulier dans le traitement de la demande (Haque, aux paragraphes 12 et 17; Khan, aux paragraphes 25, 27 et 29; Shahin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 423, au paragraphe 29 [Shahin]).

(Voir aussi Kazzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 153 aux para 38‑39; Tuiran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 324 aux para 25‑28 [Tuiran])

Fausses déclarations

[11] Pour que l’on puisse conclure qu’une personne est interdite de territoire aux termes du paragraphe 40(1), deux éléments doivent être présents : cette personne doit avoir donné de fausses déclarations et ces fausses déclarations doivent porter sur un fait important et entraîner ou risquer d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. (Bellido c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 452 au para 27 [Bellido]).

[12] En l’espèce, le premier facteur n’est pas en cause. Dans sa réponse à la lettre d’équité procédurale, la demanderesse a reconnu avoir omis de mentionner dans sa demande le visa américain refusé. Elle a également reconnu qu’il lui aurait été possible d’inscrire toutes les informations sur une feuille supplémentaire et qu’elle aurait dû le faire. Elle a soutenu qu’elle avait commis une erreur de bonne foi en ne le faisant pas.

[13] En ce qui concerne le deuxième facteur, comme l’a souligné le défendeur, la Cour a précédemment jugé qu’un visa américain refusé constitue un fait important, car il fait intervenir la question de savoir pour quel motif le visa été refusé. L’omission par le demandeur de divulguer ce fait important pourrait priver l’agent des visas de la possibilité de mener une enquête plus poussée sur cette question, ce qui, en conséquence, pourrait entraîner une erreur dans l’administration de la LIPR.(Mohseni c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 795 aux para 39‑41, 46‑47; Bellido, au para 27; Goburdhun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 971 au para 42 [Goburdhun]).

[14] La demanderesse ne conteste pas l’importance même du renseignement omis.

[15] La demanderesse affirme plutôt que l’agent des visas a commis une erreur en omettant de tenir compte du fait qu’elle avait indiqué, dans sa réponse à la lettre d’équité procédurale, qu’elle avait précédemment mentionné le refus du visa américain dans sa demande de résidence permanente présentée dans le cadre d’un programme du Québec. Elle soutient que les décisions Koo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 931 aux para 28-29 [Koo], et Berlin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1117 aux para 21‑22 [Berlin], laissent entendre que si un demandeur a communiqué des informations dans le passé, l’omission ultérieure de divulguer ces informations ne mène pas nécessairement à une conclusion de fausse déclaration.

[16] Lors de sa comparution devant moi, l’avocate de la demanderesse a fait valoir que le problème principal qui se pose en l’espèce tient au fait que les motifs de l’agent n’ont pas abordé de manière satisfaisante l’argument que sa cliente a présenté dans sa réponse à la lettre d’équité procédurale concernant sa divulgation antérieure du visa américain refusé. La demanderesse soutient que pareille omission va à l’encontre des exigences énoncées dans l’arrêt Vavilov (aux para 127‑130). La demanderesse affirme également que l’agent se voit imposer un fardeau plus lourd de fournir des motifs adéquats compte tenu des conséquences graves que le l’interdiction de territoire aura pour elle (voir Vavilov, au para 133).

[17] À mon avis, et comme le souligne le défendeur, Koo se distingue de la présente affaire par les faits, car l’information omise dans Koo (soit un changement de nom), pouvait facilement être obtenue par l’agente dans le cadre de la demande dont elle était saisie. En l’espèce, l’information omise se trouvait dans une autre demande et n’avait pas été mentionnée dans la demande de permis d’études. De même, dans Berlin, les renseignements que le demandeur avait omis de divulguer dans sa demande se trouvaient ailleurs dans des pièces jointes à sa demande, et donc à portée de main, ainsi que dans une autre demande (Berlin, au para 20; voir aussi Hashim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 880 aux para 38‑39).

[18] La demanderesse souligne toutefois que l’affaire Koo portait également sur de prétendues fausses déclarations qui auraient été faites par le demandeur dans le cadre d’une demande de résidence permanente antérieure à la demande alors examinée. Sur ce point, la Cour a conclu que la divulgation antérieure du demandeur étayait sa prétention selon laquelle il avait mal lu la question du formulaire de demande et qu’il avait coché la mauvaise case par inadvertance. La Cour a estimé que l’agent avait commis une erreur en n’évaluant pas l’importance de la non‑divulgation.

[19] En l’espèce, contrairement à ce qui a été constaté dans Koo, la demanderesse n’a pas omis certaines informations parce qu’elle avait mal lu le formulaire de demande. Au contraire, elle avait compris et savait qu’elle était tenue de recenser toutes les demandes qu’elle s’était vu refuser. Ainsi la situation qui nous occupe ressemble davantage à celle de l’affaire Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 377 [Singh], car la fausse déclaration était manifeste, la demanderesse était consciente de l’omission et a délibérément choisi de ne pas révéler certains faits. En réalité, la demanderesse a décidé que ces informations n’avaient pas à être prises en considération dans sa demande de visa. Pour reprendre ce qui est dit dans Singh, « [s]i cela était acceptable, le système ne fonctionnerait pas parce que les demandeurs ne divulgueraient pas ce qui, selon eux, ne devrait pas être pris en considération : les pouvoirs décisionnels que le Parlement a conférés aux agents des visas seraient sérieusement entravés. C’est pourquoi l’article 40 existe et c’est pourquoi il ressort clairement de la jurisprudence qu’une présentation erronée – même si elle est faite en toute honnêteté – ne peut être excusée que dans des circonstances véritablement exceptionnelles » (para 33).

[20] Lors de sa comparution devant moi, l’avocate de la demanderesse a soutenu que celle‑ci n’avait réalisé qu’après avoir envoyé sa demande qu’elle aurait pu y ajouter une feuille supplémentaire afin d’y inclure les informations relatives au refus du visa américain. Cependant, à première vue, ce n’est pas ce qu’indique la lettre d’équité procédurale. En outre, comme l'a souligné le défendeur, la demanderesse a ajouté une feuille supplémentaire à sa demande, en l’occurrence, une lettre de présentation. Or je note que, dans cette lettre, la demanderesse a mentionné qu’elle et les membres de sa famille se sont vu délivrer plusieurs visas de visiteurs dans le passé et qu’ils ont toujours quitté le Canada lorsqu’ils étaient tenus de le faire, mais elle n’a pas mentionné le refus du visa américain.

[21] À mon avis, la demanderesse confond la question de l’importance de la fausse déclaration avec celle de savoir si la fausse déclaration importante tombe sous le coup de l’exception étroitement circonscrite à l’article 40 qui s’applique aux erreurs commises de bonne foi.

[22] Dans sa réponse à la lettre d’équité procédurale, la demanderesse a justifié son omission de mentionner le refus de visa américain en invoquant un manque d’espace dans le formulaire. Elle a souligné avoir divulgué ce refus dans sa demande présentée dans le cadre du programme des investisseurs du Québec, ce qui, avance-t-elle, étaye son argument selon lequel son omission constituait une erreur de bonne foi. Toutefois l’absence d’intention d’induire le décideur en erreur ne fait pas partie du critère applicable aux fausses déclarations.

[23] Dans Muniz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 872, la demanderesse avait répondu par la négative à la question de savoir si on lui avait déjà refusé un visa, et en réponse à la lettre d’équité procédurale, elle avait affirmé avoir mal compris la question et n’avoir aucune intention de mentir sur ses antécédents. Dans le cadre du contrôle judiciaire du refus de sa demande d’autorisation de voyage électronique et des conclusions de fausses déclarations et d’interdiction de territoire tirées à son égard, elle a notamment fait valoir que l’agent avait déraisonnablement négligé le fait qu’elle avait déjà déclaré le refus de ses demandes précédentes, qu’elle avait rapidement corrigé son erreur et que ces renseignements étaient disponibles lorsqu’il a évalué l’importance de son omission. Comme la demanderesse dans la présente affaire, elle a fait valoir que les agents ne doivent pas compartimenter leur analyse des demandes de visa, mais qu’ils devraient plutôt analyser les demandes dans leur ensemble en reconnaissant que des erreurs peuvent parfois être commises lorsque les demandeurs remplissent les formulaires de demande. En outre, elle a soutenu que les fausses déclarations sur le plan technique ne permettent pas toutes de tirer une conclusion d’interdiction de territoire.

[24] La juge Fuhrer a convenu que l’agent n’avait pas consulté les demandes d’immigration précédentes de Mme Muniz pour savoir si elle avait déjà répondu correctement à la question en cause, mais a toutefois conclu que les agents ne sont nullement tenus « de se reporter à de nombreuses demandes qui ont été présentées à différents moments pour établir si une fausse déclaration a été faite de bonne foi dans une demande subséquente » (para 13). Cette conclusion s’explique notamment par le fait qu’« une intention n’est pas requise; la preuve de l’existence d’une intention antérieure de fournir cette information ne l’emporte pas sur l’omission subséquente elle‑même. Elle permet plutôt de trancher la question de savoir si l’exception relative à l’erreur de bonne foi peut s’appliquer » (para 14).

[25] En l’espèce, la demanderesse fait valoir que la décision de l’agent était déraisonnable, car il n’a pas mentionné qu’elle avait déjà déclaré s’être vu refuser un visa américain. Je ne saurais en convenir. En effet, elle a reconnu qu’elle n’avait pas signalé le refus de visa américain dans sa demande, et elle ne nie pas l’importance du fait omis. Ainsi, il n’est pas contesté que la fausse déclaration était susceptible d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Certes, la demanderesse a également affirmé, dans sa réponse à la lettre d’équité procédurale, que sa fausse déclaration avait manifestement été faite de bonne foi parce qu’elle avait déjà signalé le refus dans sa demande présentée dans le cadre du programme du Québec, mais ce fait n’a aucune incidence sur la fausse déclaration importante et n’y remédie pas. Par conséquent, je ne suis pas d’accord avec elle pour dire que l’agent a commis une erreur en omettant de le mentionner dans ses motifs.

[26] En outre, les notes contenues dans le Système mondial de gestion des cas indiquent que la réponse de la demanderesse à la lettre d’équité procédurale a été examinée et font état de la raison qu’elle a invoquée pour justifier son omission, à savoir qu’elle n’a pas signalé le refus du visa américain parce que l’espace ou le nombre de caractères alloués dans la section pertinente du formulaire étaient insuffisants. Les motifs indiquent également que, compte tenu de la non‑divulgation, la demanderesse n’a pas fait preuve d’une sincérité absolue dans sa demande. Cette conclusion jette un doute sur les intentions réelles de la demanderesse, et l’omission était donc importante. Par conséquent, je ne suis pas non plus d’accord avec l’affirmation de la demanderesse selon laquelle l’agent n’a pas tenté de déterminer s’il y avait eu fausse déclaration. De plus, comme il a été mentionné plus haut, la demanderesse a elle-même confirmé qu’il y avait eu une fausse déclaration.

[27] Il est aussi manifeste que l’agent n’a pas ajouté foi à l’argument de la demanderesse selon lequel la fausse déclaration constituait une erreur commise de bonne foi. Il est vrai que l’agent ne le dit pas expressément, mais il ressort des motifs que la crédibilité de la demanderesse était en cause. Quoi qu’il en soit, l’alinéa 40(1)a) n’exige pas que la fausse déclaration soit intentionnelle, délibérée ou faite par négligence (Bellido, aux para 27‑28; Bains c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 57 au para 63). Par conséquent, même si l’on reconnaissait la véridicité de l’explication d’un demandeur concernant une fausse déclaration, il serait tout de même interdit de territoire à moins que l’exception étroitement circonscrite de l’erreur commise de bonne foi ne s’applique, puisque même une omission irrépréhensible de fournir des renseignements importants constitue une fausse déclaration. (Tofangchi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 427 aux paras 33, 40; Coube de Carvalho c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1485 aux paras 18‑21; Jiang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 942 au para 35; Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059 aux para 56‑58; Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 647 aux para 24‑25; Smith c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1020 au para 10).

[28] En résumé, la demanderesse était tenue de s’assurer que sa demande était complète et exacte. L’omission de signaler le refus d’un visa américain constituait une fausse déclaration importante. Les motifs de l’agent confirment qu’il était au courant de la réponse de la demanderesse à la lettre d’équité procédurale et qu’il en a tenu compte. Comme les motifs de l’agent indiquent qu’il a jugé problématique la crédibilité de la demanderesse, il est implicite qu’il n’a accepté ni l’argument de la demanderesse selon lequel l’omission constituait une erreur commise de bonne foi, ni les raisons fournies pour justifier cette omission. Je ne suis pas non plus convaincue que la jurisprudence appuie la prétention selon laquelle, dans de telles circonstances, le fait que les renseignements non communiqués se retrouvent dans une autre demande de résidence permanente permet de remédier à la fausse déclaration ou de l’atténuer. De plus, l’agent n’a pas commis d’erreur en omettant de préciser expressément qu’il tenait compte de la divulgation antérieure comme facteur atténuant, car l’absence d’intention d’induire l’agent en erreur n’est pas un facteur permettant de déterminer s’il y a eu présentation erronée au sens de l’alinéa 40(1)a) (Turian, au para 26).

Erreur commise de bonne foi

[29] La demanderesse fait valoir que l’agent n’a pas examiné la possibilité que l’exception relative à l’erreur commise de bonne foi puisse s’appliquer dans son cas, même si une fausse déclaration était constatée. Elle soutient également que, s’il est manifeste que son argument selon lequel elle a commis une erreur de bonne foi a été rejeté par l’agent, les motifs de la décision ne lui ont pas permis de savoir pourquoi l’agent est arrivé à cette conclusion.

[30] À mon avis, ces arguments ne peuvent être retenus.

[31] Premièrement, comme il est indiqué ci-dessus, l’exception à l’article 40 fondée sur l’erreur commise de bonne foi est étroitement circonscrite, et ne s’applique qu’aux circonstances exceptionnelles où le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas de fausse déclaration au sujet d’un fait important ou qu’il lui était impossible de savoir qu’il faisait une déclaration inexacte. En d’autres termes, d’un point de vue subjectif, le demandeur ignorait qu’il dissimulait des informations. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Dans sa réponse à la lettre d’équité procédurale, la demanderesse a reconnu qu’elle n’avait pas mentionné le refus du visa américain, a justifié cette omission en invoquant un manque d’espace dans le formulaire de demande, et a reconnu qu’elle aurait pu joindre une feuille séparée énumérant toutes les demandes qu’elle s’était vu refuser. Elle a également déclaré qu’elle avait signalé le refus du visa américain dans une demande distincte.

[32] Ainsi, lorsque la demanderesse a présenté sa demande de permis d’études, non seulement elle savait qu’un visa américain lui avait été refusé, mais elle savait également qu’elle avait omis de le mentionner dans sa demande.

[33] Par conséquent, il ne s’agit pas d’une situation analogue à celle dont il est question dans Osisanwo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1126. Au contraire, les faits de l’espèce se rapprochent davantage de ceux de Tuiran. Dans cette affaire, la demanderesse avait répondu « oui » à la question : « Vous a-t-on déjà refusé un visa ou un permis, interdit l’entrée ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays? », et n’avait mentionné que les refus des deux demandes de visa canadien de résident temporaire qu’elle avait présentées en 2015, sans signaler l’annulation d’un visa américain qui lui avait été accordé. Par la suite, la demanderesse a reconnu que son visa américain avait été annulé, mais a affirmé avoir mal compris la question et cru qu’elle ne concernait que le Canada. L’agent a déclaré la demanderesse interdite de territoire en raison de fausses déclarations. Elle a sollicité le contrôle judiciaire de cette décision, et soutenu qu’il était déraisonnable que l’agent ne tienne pas compte du fait qu’elle avait commis une erreur de bonne foi. La Cour a analysé l’exception étroitement circonscrite au paragraphe 40(1) qui s’applique aux erreurs commises de bonne foi, et déclaré :

[29] Peu importe si la demanderesse a mal compris la question lorsqu’elle a rempli son formulaire de demande de visa de résident temporaire ou si elle avait ou non l’intention d’indiquer faussement le statut de son visa pour les États-Unis, il n’est tout simplement pas plausible qu’elle n’ait eu aucune idée que son visa avait été annulé. La situation de la demanderesse est semblable à celle du demandeur dans Baro, étant donné que le formulaire demandait précisément ce renseignement, dont la demanderesse était en possession, mais elle ne l’a pas fourni. La question indique clairement [traduction] « le Canada ou tout autre pays », et il incombait à la demanderesse de fournir des renseignements exacts, comme l’exige l’article 16 de la Loi.

[34] Une jurisprudence abondante et constante traite de l’erreur commise de bonne foi dans le contexte de l’article 40. La demanderesse avance que les décisions Somal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 630 [Somal] et Alves c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 716 [Alves] ont élargi le champ d’application de l’exception relative à l’erreur commise de bonne foi. Or la Cour ne mentionne nullement cette exception dans la décision Somal. Dans Alves, la Cour s’est penchée sur une situation où l’agent avait conclu que la demanderesse avait fait de fausses déclarations en ne fournissant pas suffisamment de précisions sur ses antécédents en matière d’immigration bien qu’elle ait correctement répondu à une question sur ses antécédents par l’affirmative et qu’elle ait révélé son statut d’immigration défavorable aux États-Unis. L’agent n’avait pas tenu compte des éléments de preuve pertinents fournis par la demanderesse dans sa réponse à une lettre d’équité procédurale. La Cour a estimé que la preuve ne justifiait pas la conclusion de l’agent selon laquelle la fausse déclaration était importante et la décision a été jugée déraisonnable. À mon avis, la décision Alves n’a pas pour effet d’élargir le champ d’application de l’exception relative aux erreurs commises de bonne foi. En outre, comme il a déjà été souligné, dans la présente affaire la demanderesse a admis avoir fait une fausse déclaration, dont l’importance n’est pas non plus contestée.

[35] Dans le cas qui nous occupe, les motifs de l’agent auraient certes pu être plus exhaustifs, mais l’agent n’a pas commis d’erreur en omettant de se prononcer explicitement sur la possibilité que l’exception relative à l’erreur commise de bonne foi puisse s’appliquer. Les motifs démontrent que les éléments de preuve dont disposait l’agent, notamment la réponse de la demanderesse à la lettre d’équité procédurale, permettaient d’établir que cette dernière savait qu’un visa américain lui avait été refusé et qu’elle avait sciemment omis de communiquer cette information. Ainsi, l’exception relative à l’erreur commise de bonne ne s’applique pas en l’espèce, que la fausse déclaration ait été faite dans l’intention d’induire le décideur en erreur ou non. L’agent n’a donc pas commis d’erreur en omettant d’en tenir compte.

[36] En tout état de cause, il ne fait aucun doute que l’agent n’a pas ajouté foi à l’explication de la demanderesse voulant qu’elle ait commis une erreur de bonne foi en omettant de signaler le visa américain refusé, et qu’il a plutôt conclu qu’en taisant ce refus, elle n’avait pas fait preuve d’une sincérité absolue dans sa demande. Comme il est énoncé dans Alalami c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 328 au para 16 [Alalami], si cette explication avait été acceptée, il aurait peut-être fallu que l’agent envisage la possibilité que l’exception pour les erreurs commises de bonne foi puisse s’appliquer. Toutefois « l’exception n’a aucune application potentielle en l’absence d’une conclusion selon laquelle l’erreur avait effectivement été commise de bonne foi » (Alalami, au para 16). Dans Alalami, la Cour a jugé qu’elle ne pouvait pas conclure que l’agent avait commis une erreur en omettant d’envisager expressément l’application de l’exception relative aux erreurs commises de bonne foi étant donné qu’il a conclu que le demandeur avait intentionnellement omis de divulguer le refus de visa pour les États-Unis. Il s’agit de circonstances analogues à celle de l’espèce.

[37] Pour les mêmes raisons, je ne partage pas non plus l’avis de la demanderesse selon lequel les motifs de la décision ne lui permettaient pas de comprendre pourquoi l’agent n’avait pas accepté son argument voulant qu’elle ait commis une erreur de bonne foi.

Intelligibilité

[38] La demanderesse soutient que la décision est inintelligible parce que l’agent s’est contenté de déclarer qu’elle avait omis de divulguer un ou plusieurs refus de visa canadien ou américain de non-immigrant ou toute autre mesure d’exécution prise contre elle, sans décrire de façon précise et exacte les informations qui n’auraient pas été divulguées. Pour des motifs semblables à ceux exposés ci-dessus, j’estime que cet argument n’est pas fondé.

[39] Comme il a été mentionné précédemment, la demanderesse a elle-même signalé le refus de visa américain, qu’elle n’avait pas divulgué, dans sa réponse à la lettre d’équité procédurale. En outre, elle ne soutient pas maintenant qu’elle a omis de divulguer d’autres renseignements. En conséquence, je ne vois pas comment le fait que, dans sa décision, l’agent n’ait décrit qu’en termes généraux les informations non divulguées aurait pu susciter, chez la demanderesse, une incertitude quant au fondement de la conclusion d’inadmissibilité. Je ne souscris pas non plus à l’argument de la demanderesse selon lequel l’utilisation de termes généraux soulève la question de savoir si, en l’espèce, le décideur a correctement saisi les faits ou examiné ses arguments.

Conclusion

[40] En l’espèce, les motifs sont loin d’être parfaits et il aurait certes été préférable que l’agent déclare expressément et simplement qu’il n’acceptait pas l’argument de la demanderesse selon lequel le fait qu’elle ait divulgué le refus de visa américain dans sa demande déposée dans le cadre du programme du Québec démontrait qu’elle avait commis une erreur de bonne foi. Toutefois, il n’est pas nécessaire que les motifs soient parfaits et, comme le souligne le défendeur, ils doivent être examinés dans le contexte du cadre institutionnel dans lequel la décision été rendue (Vavilov, au para 91). Cela ne signifie pas pour autant que les agents des visas sont assujettis à une obligation moins contraignante d’examiner les observations factuelles présentées par les demandeurs et d’adapter leurs motifs en conséquence. Mais ils ne sont pas non plus tenus d’analyser explicitement chaque argument soulevé par les parties, pourvu que la justification de la décision soit claire(voir Adeleye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 640 au para 16). Dans le contexte d’une décision rendue par un agent des visas, une justification brève, claire et concise suffit souvent. En l’espèce, les motifs sont suffisants compte tenu des conséquences de la décision pour la demanderesse, soit l’interdiction de territoire pour une période de cinq ans. En effet, bien que la décision entraîne des conséquences pour la demanderesse, il ne s’agit pas d’une situation comparable à celle où un demandeur d’asile débouté affirme être exposé à une menace à sa vie, et où des motifs plus exhaustifs pourraient être requis pour démontrer que le décideur a tenu compte de la gravité des conséquences potentielles alléguées par le demandeur.

[41] Le critère pour savoir si la décision de l’agent est raisonnable consiste à déterminer si cette décision est transparente, intelligible et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, aux para‑15, 85, 99). En l’espèce, il m’est possible de comprendre le raisonnement de l’agent sur les points centraux après avoir lu les motifs en corrélation avec le dossier (Vavilov, aux para 98, 103). Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision de l’agent était raisonnable.


JUGEMENT dans le dossier IMM-571-20

LA COUR STATUE que :

  1. la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. aucuns dépens ne sont adjugés;

  3. aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-571-20

 

INTITULÉ :

ARJUMAND BANO AMBER MALIK c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

audience TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE au moyen de Zoom

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 SEPTEMBRE 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE STRICKLAND.

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

le 27 septembre 2021

 

COMPARUTIONS :

Naseem Mithoowani

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

James Todd

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman and Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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