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Date : 20210922


Dossier : IMM-4093-20

Référence : 2021 CF 977

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 septembre 2021

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE:

IRFAN AHMED

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Citoyen du Pakistan, Ifran Ahmed sollicite le contrôle judiciaire du refus, par un agent des visas [l’agent], de la demande de permis d’études qu’il a présentée afin de fréquenter le Bow Valley College à Calgary en Alberta. L’agent n’a pas été convaincu que M. Ahmed quitterait le Canada une fois écoulée la durée de son séjour autorisé.

[2] Les motifs fournis par l’agent n’expliquent pas les raisons pour lesquelles il a conclu que M. Ahmed n’était pas un véritable étudiant, ni ne démontrent que l’agent s’est attaqué de façon significative aux questions clés ou aux principaux arguments soulevés par les parties. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II. Contexte

[3] M. Ahmed est un célibataire de 36 ans. Tous les membres de sa famille immédiate, c’est‑à‑dire sa mère, son frère et ses deux sœurs habitent à Calgary. Son père est décédé.

[4] M. Ahmed s’était déjà vu refuser quatre demandes de visa de résident temporaire présentées en 2011, en 2016 et en 2017, pour rendre visite à sa famille.

[5] Le 1er février 2019, M. Ahmed a été admis à un programme du Bow Valley College menant à l’obtention d’un diplôme en administration des affaires. Dans sa demande de permis d’études, il a indiqué qu’il entendait se focaliser sur le marketing numérique.

[6] La demande de permis d’études a été refusée une première fois le 17 juillet 2019. M. Ahmed a sollicité le contrôle judiciaire de ce refus devant notre Cour. Le défendeur a consenti à ce qu’un autre agent des visas statue sur la demande de permis, et M. Ahmed a abandonné sa demande de contrôle judiciaire.

[7] M. Ahmed a produit les éléments de preuve supplémentaires suivants dans le cadre du réexamen de sa demande :

  • a) La preuve de la réussite, en 2006, d’un programme de premier cycle de deux ans en commerce à l’Université du Penjab.

  • b) Un plan d’études, pour lequel M. Ahmed explique :

  • (i) qu’au Pakistan, aucun programme similaire n’offre une formation en marketing numérique ni la possibilité d’acquérir une expérience pratique par le biais d’un placement en entreprise;

  • (ii) qu’il a acquis une expérience professionnelle dans le domaine du marketing traditionnel, et qu’il souhaite élargir ses compétences afin de remplir les conditions requises pour pouvoir prétendre à des postes de direction plus importants;

  • (iii) que son frère est prêt à payer ses études, et que le fait d’être hébergé par sa famille à Calgary lui permettra de réduire au minimum les dépenses liées à l’obtention de son diplôme;

  • c) une lettre de son employeur, Shezan International, confirmant qu’il y occupe, depuis 2008, un poste de responsable du marketing et que l’entreprise serait prête à lui offrir un poste de direction plus élevé une fois son diplôme obtenu;

  • d) la preuve de la propriété d’une parcelle de terrain à Lahore, au Pakistan;

  • e) une justification de son choix de programmes d’études, à savoir que les titres de compétences canadiens qu’il souhaite obtenir jouissent d’une réputation prestigieuse au Pakistan et lui permettraient d’améliorer ses perspectives d’emploi à son retour.

[8] Dans ses observations écrites présentées à l’agent des visas, l’avocat de M. Ahmed reconnaît que son client pourrait avoir droit à un permis de travail postdiplôme de trois ans dès l’obtention de son diplôme, et qu’il pourrait alors décider de demander le statut de résident permanent du Canada au titre de la catégorie de l’expérience canadienne ou de celle des travailleurs qualifiés.

[9] L’agent a refusé la demande de permis d’études de M. Ahmed pour trois motifs : a) ses antécédents de voyage; b) ses liens familiaux au Canada et l’absence de tels liens au Pakistan; c) le but de son séjour.

III. Question en litige

[10] La seule question que soulève la présente demande de contrôle judiciaire consiste à savoir s’il était raisonnable de la part de l’agent des visas de refuser un permis d’études à M. Ahmed.

IV. Analyse

[11] La décision de l’agent est susceptible de contrôle par la Cour selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 10). La Cour n’interviendra que si elle est convaincue que la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100). Ces critères sont respectés si les motifs permettent à la Cour de comprendre le raisonnement qui a mené à la décision, et de déterminer si celle-ci appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Vavilov, aux para 85-86, citant Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).

[12] Les notes versées par l’agent dans le Système mondial de gestion des cas [SMGC] font partie de la décision contestée (Ebrahimshani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 89 au para 5). Elles fournissent les précisions suivantes quant aux motifs du refus :

[traduction]

Le demandeur est un célibataire de 34 ans. Il demande un permis d’études pour fréquenter le Bow Valley College afin de suivre un programme de deux ans en menant à un diplôme en administration des affaires. 4 refus antérieurs de visa de résident temporaire notés et déclarés. Je constate que le demandeur a obtenu son diplôme de premier cycle universitaire en commerce en 2006, après quoi il a travaillé comme responsable du marketing pour Sherzan International. Résultats à l’examen de l’IELTS versés au dossier, note globale de 5,5, et de 4,5 pour l’expression écrite. Plan d’études examiné. Le demandeur de permis affirme qu’il veut se spécialiser en marketing numérique. Compte tenu de ses antécédents scolaires et son poste actuel de direction, je ne suis pas convaincu que ce programme d’études correspond à une progression naturelle ou normale puisque le demandeur de permis a l’intention d’étudier dans un domaine de moindre importance que les études qu’il a déjà suivies. Il bénéficiera du soutien de son frère et sa sœur, qui sont des citoyens canadiens. Sa mère habite aussi au Canada; son père est décédé. Je constate que le client a des liens familiaux très étroits au Canada, mais il n’a fourni que peu de preuves de ses liens avec son pays d’origine. Je ne suis pas convaincu que ses liens avec le Pakistan sont assez solides pour le persuader d’y retourner. Les antécédents de voyage du demandeur, ou plutôt ses antécédents inexistants en la matière, ne sont pas suffisants pour constituer un facteur positif significatif dans mon évaluation. Après avoir soupesé les facteurs propres à la présente demande, je ne suis pas convaincu que le demandeur respectera les conditions qui lui seront imposées en tant que résident temporaire. Pour les motifs qui précèdent, j’ai refusé la présente demande.

[13] M. Ahmed avance que les motifs de l’agent ne satisfont pas aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Il affirme que la lettre de refus et les notes versées dans le SMGC ne contiennent aucun élément qui permette d’étayer l’affirmation de l’agent selon laquelle un programme d’études postsecondaires de deux ans au Canada représente un domaine d’études [traduction] « de moindre importance » qu’un programme d’études postsecondaires de deux ans au Pakistan.

[14] M. Ahmed souligne qu’un diplôme axé sur le marketing numérique cadre directement avec ses études antérieures en commerce, son emploi actuel en marketing, et avec son désir d’occuper un poste de haut dirigeant à l’avenir. En outre, les notes versées dans le SMGC ne précisent pas si l’agent a pris en considération la lettre de l’employeur de M. Ahmed confirmant qu’il serait envisagé de lui confier un poste de haut dirigeant une fois ses études réussies au Canada.

[15] Le plan d’études de M. Ahmed exposait clairement les motifs pour lesquels son choix s’était arrêté sur le programme d’études qu’il avait décidé de suivre au Canada : il n’existait aucun programme comparable au Pakistan; il voulait acquérir une expérience pratique grâce à la possibilité d’effectuer un stage coopératif; il possédait déjà une expérience professionnelle dans le domaine du marketing traditionnel, et souhaitait élargir ses compétences pour y ajouter le marketing numérique; les attestations d’études canadiennes étant considérées comme prestigieuses au Pakistan, sa candidature à des postes de cadre supérieur serait plus susceptible d’être retenue; il serait hébergé par sa famille à Calgary, ce qui lui permettrait de réduire ses dépenses au minimum. Aucun de ces éléments n’a été abordé dans la lettre de refus ni dans les notes versées dans le SMGC.

[16] Un étranger peut avoir la double intention d’immigrer et de respecter les règles de droit applicables en matière d’immigration au sujet du séjour temporaire (Loveridge c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 694 au para 18). Dans ses observations, M. Ahmed reconnaît qu’une fois ses études au Canada terminées, il pourrait éventuellement avoir droit à un permis ouvert postdiplôme d’une durée de trois ans, et qu’il pourrait alors choisir de demander le statut de résident permanent du Canada au titre de la catégorie de l’expérience canadienne ou au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Ce facteur a eu une incidence directe sur la préoccupation de l’agent quant à la question de savoir si M. Ahmed quitterait le Canada à la fin de son séjour autorisé, mais l’agent n’en a pas non plus traité dans ses motifs.

[17] Le contenu de l’obligation d’agir équitablement qui incombe à un agent des visas se situe à l’extrémité inférieure du spectre (Nauman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 964). Néanmoins, les motifs doivent tout de même permettre à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision. Comme l’a expliqué le juge Alan Diner dans Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 77 [Patel] au paragraphe 17:

[…] s’il est vrai que les bureaux des visas et les agents qui y travaillent sont soumis à des contraintes opérationnelles importantes et qu’ils doivent composer avec des ressources limitées à cause des quantités énormes de demandes à traiter, ils ne sauraient être dispensés de rendre des décisions adaptées à la trame factuelle qui leur est présentée. Renoncer à ce que ces décisions soient fondamentalement adaptées à la preuve enlèverait à l’examen du caractère raisonnable l’élément de rigueur exigé par l’arrêt Vavilov, aux par. 13, 67 et 72.

[18] Le fait qu’un décideur n’ait pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise (Vavilov, au para 128). Ce n’est pas le caractère succinct de la décision qui la rend déraisonnable, mais plutôt le fait que ses motifs ne soient pas adaptés aux observations formulées (Patel, au para 15).

[19] Ni la lettre de refus ni les notes versées dans le SMGC n’expliquent les motifs sur lesquels l’agent s’est fondé pour conclure que M. Ahmed n’était pas un véritable étudiant ni ne démontrent que l’agent s’est attaqué de façon significative aux arguments clés ou aux principaux arguments soulevés. La demande de contrôle judiciaire doit donc être accueillie.

V. Conclusion

[20] La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il rende une nouvelle décision conformément aux présents motifs. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire et renvoie l’affaire à un autre agent des visas pour qu’il rende une nouvelle décision.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4093-20

 

INTITULÉ :

IRFAN AHMED c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

audience TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE CALGARY (ALBERTA) et OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er septembre 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

le juge FOTHERGILL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

le 22 septembre 2021

 

COMPARUTIONS:

Michael Sherritt

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Meenu Ahluwalia

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Sherritt Greene

Avocats

Calgary (Alberta)

 

pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

pour le défendeur

 

 

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