Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20210901


Dossier : IMM-5829-21

Référence : 2021 CF 908

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er septembre 2021

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

demandeur

et

ANNABEL ERHIRE

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. APERÇU

[1] Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile demande à surseoir à l’exécution de l’ordonnance du 26 août 2021 par laquelle la Section de l’immigration (la SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) a ordonné la mise en liberté d’Annabel Erhire assortie de conditions. Le sursis est demandé en attendant qu’il soit statué sur la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de l’ordonnance de mise en liberté de Mme Erhire présentée par le ministre. Le 27 août 2021, le juge Roy a accordé le sursis provisoire de l’ordonnance de mise en liberté en attendant l’audition de la requête en sursis interlocutoire. Il a fixé la date de l’audience au 31 août 2021. J’ai entendu l’affaire à ce moment‑là et je l’ai mise en délibéré.

[2] Malgré les observations très éloquentes présentées par l’avocate de Mme Erhire, j’accueille la requête du ministre. Comme je l’explique dans les motifs qui suivent, je suis d’avis que le ministre a rempli les trois volets du critère applicable à l’octroi d’un sursis.

II. CONTEXTE

[3] Mme Erhire est née au Nigéria en 1998. En septembre 2016, alors qu’elle était âgée de 18 ans, elle est arrivée au Canada avec sa mère et ses quatre frères et sœurs. La famille a présenté des demandes d’asile qui ont été rejetées par la Section de la protection des réfugiés de la CISR le 20 septembre 2017. Il semble qu’un appel a été déposé auprès de la Section d’appel des réfugiés, mais qu’il n’a pas été mis en état et a de ce fait été rejeté. À la suite du rejet de sa demande d’asile, Mme Erhire a fait l’objet d’une mesure de renvoi du Canada.

[4] Le 14 mai 2018, Mme Erhire a présenté une demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire (la demande CH) sur le fondement du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Le 19 octobre 2018, la demande de report du renvoi a été accueillie. Il semble qu’un tel report a aussi été accordé aux autres membres de la famille qui avaient également présenté des demandes CH.

[5] Le 23 octobre 2018, Mme Erhire, sa mère et ses frères et sœurs ont présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (l’ERAR) au titre du paragraphe 112(1) de la LIPR. Or, le 1er avril 2019, la mère de Mme Erhire et ses frères et sœurs se sont désistés de leurs demandes d’ERAR parce qu’ils avaient décidé de retourner au Nigéria. Mme Erhire ne souhaitait pas en faire autant, alors elle a décidé de persister dans sa demande d’ERAR, laquelle a été rejetée le 25 mai 2019. Par la suite, le 29 mai 2019, sa demande CH a été rejetée.

[6] L’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a prescrit à Mme Erhire de se présenter à une entrevue préalable au renvoi le 22 août 2019. Or, elle ne l’a pas fait, ce qui a mené à la délivrance d’un mandat d’arrestation contre elle. L’ASFC a tenté de la repérer, mais en vain.

[7] Le 24 avril 2020, Mme Erhire a croisé le chemin de la police, qui a alors informé l’ASFC que cette dernière avait été retrouvée. L’ASFC a exécuté le mandat pour son arrestation. Mme Erhire a ensuite été libérée sous conditions. Puisque les renvois du Canada étaient suspendus à cause de la COVID-19, aucune mesure n’a été prise à l’époque pour exécuter la mesure de renvoi à son égard.

[8] Ce n’est que le 12 avril 2021 que Mme Erhire a reçu signification des décisions défavorables relatives à la demande CH et la demande d’ERAR. Il semble que vers ce moment‑là, le processus de renvoi avait été remis sur les rails.

[9] Le 16 juin 2021, une entrevue préalable au renvoi a eu lieu avec Mme Erhire par téléphone. On lui a intimé de se présenter à une autre entrevue préalable au renvoi le 21 juin 2021 à laquelle elle s’est dérobée. Elle a appelé l’AFSC plus tard dans la journée pour dire qu’elle était indisposée.

[10] Mme Erhire a participé à une autre entrevue le 22 juin 2021 comme on le lui a imposé. L’ASFC lui a ensuite signifié une directive de se présenter en vue du renvoi. Elle a de nouveau participé à une entrevue préalable au renvoi le 13 juillet 2021 et a consenti à ce que l’ASFC obtienne un rapport d’évaluation médicale en vue d’un renvoi afin de déterminer si elle était apte à prendre un vol. Ce rapport, fourni le 14 juillet 2021, est allé dans ce sens. L’ASFC a mené une entrevue préalable au renvoi de suivi avec Mme Erhire par téléphone.

[11] Dans le cadre du processus de renvoi, Mme Erhire devait se présenter pour subir un test de COVID-19 le 20 juillet 2021, mais ne l’a pas fait. Elle a aussi manqué une autre entrevue préalable au renvoi prévue le même jour. Plus tard ce jour-là, Mme Erhire a appelé l’ASFC après les heures de bureau pour les informer qu’elle avait encore été indisposée.

[12] L’ASFC a finalement décidé que Mme Erhire devait être accompagnée durant son vol vers le Nigéria. Par conséquent, le renvoi prévu le 22 juillet 2021 a été annulé et reporté au 10 août 2021. Cette date a ensuite été modifiée au 24 août 2021 parce que Mme Erhire était hospitalisée au début du mois d’août.

[13] Mme Erhire a sollicité le report de son renvoi, qui a été refusé par l’ASFC le 20 août 2021. (Une demande similaire avait aussi été rejetée le ou vers le 21 juillet 2021). Mme Erhire a demandé le report en invoquant la menace de se suicider si elle devait quitter le Canada et en faisant valoir qu’elle devait y demeurer pour soigner sa santé mentale.

[14] Mme Erhire a participé à une autre entrevue préalable au renvoi le 22 août 2021. Elle a aussi subi un test de COVID-19 au même moment. Il était prévu qu’elle en subisse un deuxième le lendemain, mais elle ne s’y est pas présentée. Elle a texté l’agent de l’ASFC qui l’avait chaperonnée pour l’informer qu’elle allait arriver en retard, pour ensuite faire défaut de se présenter.

[15] En parallèle, Mme Erhire a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision du 20 août 2021 par laquelle l’ASFC avait refusé de reporter l’exécution de la mesure de renvoi. Elle a aussi requis de la Cour qu’elle sursoit au renvoi jusqu’à ce que la première demande soit tranchée définitivement. La requête en sursis a été rejetée par la juge McVeigh le 23 août 2021. Ce faisant, la juge a remarqué qu’elle avait accepté d’instruire la demande en dépit du fait que, en date du 23 août 2021 (la date de l’audition de la requête), Mme Erhire ne s’était pas présentée à une entrevue préalable au renvoi et à son deuxième test de COVID-19.

[16] Le 24 août 2021, l’ASFC a trouvé Mme Erhire dans la demeure de son ancien mari. Elle a été mise en état d’arrestation et détenue dans un centre de surveillance de l’immigration.

III. LA DÉCISION SUR LA MISE EN LIBERTÉ

[17] Le contrôle des 48 heures de Mme Erhire a eu lieu le 26 août 2021. Mme Erhire a témoigné tout comme sa caution proposée, Prisca Ese Bazarin. L’avocat du ministre s’est opposé à la mise en liberté au motif que Mme Erhire présentait un risque de fuite et qu’aucune autre option réaliste que la détention n’était envisageable. L’avocate de Mme Erhire a fait plutôt valoir qu’elle devrait être libérée sous conditions sous la surveillance de sa tante, Mme Bazarin.

[18] Pendant que l’audience se déroulait, l’ASFC a confirmé que le 7 septembre 2021 serait la nouvelle date prévue pour l’exécution de la mesure de renvoi de Mme Erhire. La SI en a été informée après la fin des observations, mais avant de rendre sa décision.

[19] Pour des motifs prononcés oralement le 26 août 2021, la SI a conclu qu’il était peu probable que Mme Erhire se présente pour son renvoi. De fait, celle-ci présentait un risque de fuite allant de [traduction] « modéré à élevé ». Toutefois, la SI a aussi jugé qu’une solution de rechange à la détention permettrait de dissiper cette préoccupation. La SI a conclu que la mise en liberté de Mme Erhire sous la surveillance de Mme Bazarin comme caution constituait une solution de rechange appropriée. La SI a intimé à la tante de fournir un dépôt en argent comptant de 2 500 $ et un cautionnement de 10 000 $. De plus, entre autres conditions, Mme Erhire était tenue d’habiter avec Mme Bazarin, de coopérer avec l’ASFC, de se présenter en vue de son renvoi et de rendre compte à chaque semaine à l’ASFC.

[20] Comme je l’ai précédemment relevé, le ministre a sollicité une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision. Il demande le sursis de l’ordonnance de mise en liberté de Mme Erhire jusqu’à ce que la demande sous‑jacente soit tranchée.

IV. ANALYSE

A. Le critère applicable à l’octroi d’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi

[21] Le critère applicable à l’octroi d’un sursis interlocutoire est bien connu. Le demandeur doit démontrer trois choses : (1) que la demande de contrôle judiciaire sous-jacente soulève une question sérieuse à juger; (2) qu’il subira un préjudice irréparable si le sursis est refusé; (3) que la prépondérance des inconvénients (c.-à-d. l’évaluation visant à établir quelle partie subirait le plus grand préjudice si l’injonction était accordée ou refusée en attendant qu’une décision soit rendue sur le fond de la demande en contrôle judiciaire) favorise l’octroi du sursis : voir R c Société Radio-Canada, 2018 CSC 5 au para 12; Manitoba (Procureur général) c Metropolitan Stores Ltd, [1987] 1 RCS 110; et RJR‑Macdonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 à la p 334.

[22] Une ordonnance interlocutoire de cette nature constitue une forme de réparation extraordinaire reconnue en equity. Elle vise à préserver l’objet du litige, afin qu’une réparation efficace soit possible si le demandeur obtient gain de cause dans sa demande de contrôle judiciaire : voir Google Inc c Equustek Solutions Inc, 2017 CSC 34 au para 24. La décision d’accorder ou de refuser une ordonnance interlocutoire relève d’un pouvoir discrétionnaire qui doit être exercé d’une manière qui tient compte de l’ensemble des circonstances pertinentes : voir Société Radio-Canada, au para 27. Comme il est précisé au paragraphe 25 de l’arrêt Google Inc, « [i]l s’agit essentiellement de savoir si l’octroi d’une injonction est juste et équitable eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire. La réponse à cette question dépendra nécessairement du contexte. »

[23] Bien que chacun des volets du critère soit important et que tous trois doivent être remplis, ils ne constituent pas des compartiments distincts et étanches. Chacun d’eux met l’accent sur des facteurs qui influent sur l’exercice global du pouvoir discrétionnaire de la Cour dans une affaire en particulier : Wasylynuk c Canada (Gendarmerie royale), 2020 CF 962 au para 135. Le critère devrait être appliqué d’une manière holistique, les forces attribuables à l’un de ses volets pouvant compenser les faiblesses attribuables à un autre : RJR-MacDonald, à la p 339; Wasylynuk, au para 135; Spencer c Canada (Procureur général), 2021 CF 361 au para 51; Colombie-Britannique (Procureur général) c Alberta (Procureur général), 2019 CF 1195 au para 97 (inf pour d’autres motifs par 2021 CAF 84); Gill c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 1075 au para 20. Voir aussi Robert J Sharpe, « Interim Remedies and Constitutional Rights » (2019) 69 UTLJ (supp 1) à la p 14.

[24] Ensemble, les trois volets du critère aident la Cour à évaluer et à répartir ce que l’on a appelé le risque d’injustice corrective (voir Sharpe, précité). Ils aident la Cour à répondre à la question suivante : est-il plus juste et équitable pour la partie requérante ou pour la partie intimée de supporter le risque que l’issue du litige sous-jacent ne coïncide pas avec l’issue de la requête interlocutoire?

B. L’application du critère

(1) La question sérieuse

[25] Le ministre fait valoir que le seuil à respecter pour établir une question sérieuse à juger est peu élevé et qu’il n’a qu’à démontrer que sa demande de contrôle judiciaire n’est pas frivole ni vexatoire : voir Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Smith, 2019 CF 1454 aux para 41-52; RJR-MacDonald, aux pp 335 et 337; Gateway City Church c Canada (Revenu national), 2013 CAF 126 au para 11; et Glooscap Heritage Society c Canada (Revenu national), 2012 CAF 255 au para 25. Cependant, le ministre reconnaît aussi que dans des décisions de notre Cour (dont trois des miennes), il a été statué que le seuil est plus élevé dans les cas où le ministre sollicite le sursis d’une ordonnance de mise en liberté. Selon cette tendance jurisprudentielle, pour remplir le premier volet du critère, le ministre doit démontrer à première vue que la demande de contrôle judiciaire sous-jacente va probablement être accueillie : voir Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Allen, 2018 CF 1194 au para 15; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Mohammed, 2019 CF 451 aux para 15-17; et Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Kalombo, 2020 CF 793 au para 31. Compte tenu de ce qui précède, le ministre fait valoir à titre subsidiaire que les moyens invoqués au soutien de la demande de contrôle judiciaire respectent aussi ce seuil plus élevé.

[26] Comme je l’ai fait remarquer lors de l’audition de la requête, le facteur supplémentaire qui joue en faveur de l’application d’un seuil plus élevé en l’espèce est que la requête constitue le seul contrôle efficace de la décision de la SI. Il en est ainsi parce que, compte tenu du contrôle des sept jours en suspens et de l’imminence de la date choisie en vue de son renvoi, la demande du ministre deviendra théorique sous peu.

[27] Je suis convaincu que l’un des moyens invoqués par le ministre au soutien de la demande de contrôle judiciaire respecte ce seuil plus élevé. Plus précisément, je suis convaincu que le ministre a démontré qu’il réussira vraisemblablement à convaincre la cour de révision que la SI a déraisonnablement évalué l’efficacité de Mme Bazarin comme caution.

[28] Il n’est pas contesté que la décision de la SI est susceptible de contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable s’intéresse à « la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 83). Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Les motifs du décideur devraient être interprétés à la lumière du dossier et en tenant dûment compte du contexte administratif dans lequel ils sont fournis (Vavilov, au para 91-95). Lorsqu’elle évalue si une décision est raisonnable, la cour de révision « doit donc se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au para 99).

[29] En l’espèce, le ministre ne m’a pas convaincu que la cour de révision est susceptible de s’immiscer dans les conclusions tirées par la SI, à savoir que Mme Bazarin était crédible, qu’elle était prête à déposer une somme d’argent importante, qu’elle prenait au sérieux ses obligations à titre de caution et qu’elle aurait fait tout son possible pour s’assurer que Mme Erhire respecte ses obligations légales. Compte tenu de l’ensemble de ces conclusions, j’estime que la cour de révision sera encline à montrer une grande déférence envers la SI. Cependant, le ministre m’a convaincu que la cour de révision pourrait juger que la conclusion de la SI selon laquelle Mme Bazarin est apte à surveiller adéquatement Mme Erhire est dénuée des caractéristiques d’une décision raisonnable.

[30] La SI a admis que la question déterminante est de savoir si le comportement antérieur de Mme Erhire est préoccupant au point où la caution proposée ne sera pas en mesure de neutraliser la crainte qu’elle se dérobe sciemment à son renvoi. En répondant à la question, la SI a tiré [traduction] « un grand réconfort » du fait que Mme Erhire [traduction] « allait habiter avec un membre de sa famille digne de confiance et sensible à ses inquiétudes, dont la peur de retourner au Nigéria ». À mon avis, il est probable que la cour de révision estime que cette conclusion est déraisonnable pour au moins trois raisons. Premièrement, la SI n’a pas vraiment tenu compte des éléments de preuve sur les importants antécédents médicaux récents de Mme Erhire, à savoir ses idées suicidaires et ses crises de santé mentale aiguës, surtout lorsque le renvoi est imminent. Dans la mesure où la SI a pris en compte ces antécédents, elle en a diminué le poids d’une manière qui ne peut être soutenue par le dossier dans son ensemble. (Je vais revenir ensuite plus abondamment sur les antécédents en lien avec le préjudice irréparable). Deuxièmement, la SI n’a pas véritablement examiné si Mme Bazarin était en mesure de composer avec cette situation d’une façon qui donnerait les assurances nécessaires que Mme Erhire se présenterait en vue de son renvoi. Bien que la cour de révision aura tendance à admettre qu’une caution n’a pas besoin d’être parfaite (voir Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Thavagnanathiruchelvam, 2021 CF 592 au para 37), pour être raisonnable, la décision d’approuver une caution comme une solution de rechange acceptable à la détention doit démontrer au moins une certaine appréciation de toute lacune, surtout lorsqu’elle touche la question fondamentale de la capacité de la caution de garantir le respect des conditions. Troisièmement, vu l’ensemble du dossier, la SI a tiré la conclusion déraisonnable que les bonnes intentions de Mme Bazarin étaient suffisantes pour garantir son efficacité comme caution, et ce, en dépit du fait qu’elle a jugé que Mme Erhire présentait un risque de fuite allant de modéré à élevé. Compte tenu de tout ce qui précède, l’une des conclusions déterminantes de la SI à l’appui de la mise en liberté de Mme Erhire est dénuée de transparence, d’intelligibilité et de justification. Selon moi, la cour de révision est probablement à même de conclure que cette erreur sur une question centrale justifie l’annulation de l’ordonnance de mise en liberté.

[31] Pour ce motif, même après avoir appliqué un seuil élevé, je considère que le ministre a rempli le premier volet du critère applicable à l’octroi d’un sursis.

(2) Le préjudice irréparable

[32] Dans le cadre de ce volet du critère, « la seule question est de savoir si le refus du redressement pourrait être si défavorable à l’intérêt du requérant que le préjudice ne pourrait pas faire l’objet d’une réparation, en cas de divergence entre la décision sur le fond et l’issue de la demande interlocutoire » (RJR-MacDonald, à la p 341). C’est ce qu’on veut dire en qualifiant d’« irréparable » le préjudice qui doit être établi. Il a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu’à son étendue (ibid). Bien entendu, lorsque le ministre est la partie demanderesse, la question ne concerne pas l’atteinte à ses intérêts privés, mais plutôt le préjudice infligé à l’intérêt du public dans la bonne administration de la LIPR.

[33] Le ministre soutient que [traduction] « le fardeau de démontrer un préjudice irréparable à l’intérêt public est moins élevé que pour un particulier » (Observations écrites du demandeur sur la requête en sursis de la mise en liberté, para 62). Je ne suis pas d’accord.

[34] À l’appui de ses observations, le ministre renvoie à l’extrait suivant de l’arrêt RJR-Macdonald :

Dans le cas d’un organisme public, le fardeau d’établir le préjudice irréparable à l’intérêt public est moins exigeant que pour un particulier en raison, en partie, de la nature même de l’organisme public et, en partie, de l’action qu’on veut faire interdire. On pourra presque toujours satisfaire au critère en établissant simplement que l’organisme a le devoir de favoriser ou de protéger l’intérêt public et en indiquant que c’est dans cette sphère de responsabilité que se situent le texte législatif, le règlement ou l’activité contestés. Si l’on a satisfait à ces exigences minimales, le tribunal devrait, dans la plupart des cas, supposer que l’interdiction de l’action causera un préjudice irréparable à l’intérêt public.

(RJR-Macdonald, à la p 346)

[35] À mon avis, le ministre invoque cet extrait à tort pour au moins deux raisons. Premièrement, bien que la question du préjudice irréparable y soit mentionnée, c’est fait dans le contexte d’une discussion sur la prépondérance des inconvénients, le troisième volet du critère applicable à l’octroi d’un sursis. Ce fait devient patent lorsqu’on examine la phrase qui précède immédiatement l’extrait mentionné ci-dessus (et que le ministre a omise) : « À notre avis, le concept d’inconvénient doit recevoir une interprétation large dans les cas relevant de la Charte. » Deuxièmement, la question dans l’arrêt RJR-Macdonald était de savoir si la partie demanderesse (une compagnie de tabac) pouvait cesser de se conformer aux obligations qui découlent d’une loi en vigueur en attendant l’issue d’un pourvoi à la Cour suprême du Canada concernant la constitutionnalité de cette même loi. Il s’agit du contexte dans lequel la Cour était prête à présumer que, dans la plupart des cas, le préjudice irréparable à l’intérêt public découlerait d’une omission d’agir en faveur d’un particulier. Il s’agit d’un cas entièrement différent de ce qui m’occupe en l’espèce.

[36] Contrairement aux observations du ministre, je juge que le même critère doit être appliqué pour établir le préjudice irréparable, et ce, tant pour lui que pour un particulier. Le ministre doit démontrer qu’il existe « un préjudice réel, certain et inévitable — et non pas hypothétique et conjectural » (Janssen Inc c Abbvie Corporation, 2014 CAF 112 au para 24). Il doit produire des éléments de preuve clairs et concrets démontrant qu’un préjudice irréparable surviendra si le sursis est refusé. Il ne suffira pas d’affirmer sans fondement qu’un préjudice a été causé. En fait, « il faut produire des éléments de preuve suffisamment probants, dont il ressort une forte probabilité que, faute de sursis, un préjudice irréparable sera inévitablement causé » : Glooscap Heritage Society, au para 31; voir aussi Canada (Procureur général) c Canada (Commissaire à l’information), 2001 CAF 25 au para 12; International Longshore and Warehouse Union c Canada (Procureur général), 2008 CAF 3 au para 25; et United States Steel Corporation c Canada (Procureur général), 2010 CAF 200 au para 7.

[37] L’analyse du seuil que le ministre doit respecter afin de s’acquitter de son fardeau pour ce volet du critère doit tenir compte du fait que l’injonction a pour objet un préjudice qui n’est pas encore survenu, mais qui est seulement anticipé et qui devrait se produire dans un avenir indéterminé si Mme Erhire est mise en liberté. Comme le juge Gascon l’a fait remarquer dans la décision Letnes c Canada (Procureur général), 2020 CF 636, « [l]e fait que le préjudice que l’on tente d’éviter se situe dans l’avenir ne le rend pas hypothétique pour autant. Tout dépend des faits et des éléments de preuve » (au para 57). Voir aussi Delgado c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1227 aux para 14-19; Wasylynuk, au para 136. En outre, comme je l’ai déjà dit, la « probabilité réelle de préjudice », surtout en ce qui a trait aux préjudices futurs appréhendés, est fondamentalement déterminée à la suite d’une évaluation qualitative, et non quantitative : voir Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 846 au para 29. Le préjudice invoqué ne peut pas être simplement hypothétique ou conjectural, mais en même temps, il est irréaliste d’exiger des éléments de preuve établissant un niveau précis de risque lorsque le préjudice faisant l’objet de la réparation existera uniquement dans l’avenir, le cas échéant.

[38] En l’espèce, le ministre allègue que l’intérêt public subira un préjudice irréparable si Mme Erhire ne se présente pas en vue de son renvoi. C’est incontestable. Selon l’alinéa 3(1)f.1) de la LIPR, un des objectifs de la loi en rapport avec l’immigration est de « préserver l’intégrité du système d’immigration canadien grâce à la mise en place d’une procédure équitable et efficace ». L’intégrité du système repose en partie sur des pouvoirs d’exécution efficaces. Si un individu sommé de quitter le Canada ne se présente pas pour son renvoi, le système d’immigration sera inévitablement discrédité : voir Canada (Sécurité publique et Protection civile) c JW, 2018 CF 1076 au para 61; et Smith, au para 101.

[39] Lorsqu’on évalue le préjudice irréparable à l’intérêt public dans le cadre du deuxième volet du critère, il est important de ne pas amalgamer le préjudice allégué et le risque qu’il se matérialise. Il s’agit de deux questions séparées. À mon avis, il s’agit en l’espèce de déterminer non pas si le défaut de Mme Erhire de se présenter en vue de son renvoi constituerait un préjudice irréparable — comme je l’ai déjà expliqué, ce serait sans conteste le cas — mais plutôt si le ministre a établi qu’il existe une probabilité réelle que Mme Erhire ne se présente pas en vue de son renvoi si elle est libérée aux conditions prescrites par la SI. Je suis convaincu que le ministre a établi l’existence d’une telle probabilité.

[40] Je tire cette conclusion à partir des éléments suivants :

  • Quelques semaines après avoir appris que ses demandes CH et d’ERAR avaient été rejetées, Mme Erhire s’est filmée nue, postée sur le balcon d’un immeuble de grande hauteur et menaçant de se suicider. Elle a publié la vidéo sur les médias sociaux. Des amis qui l’ont vue l’ont signalée aux autorités. Mme Erhire s’est fait appréhender et a été internée de force à l’hôpital du 5 au 26 mai 2021 en vertu de la Loi sur la santé mentale.

  • Mme Erhire a obtenu son congé après avoir reçu un diagnostic de trouble bipolaire ou de psychose cannabique (son psychiatre a été incapable de déterminer le bon diagnostic). Elle s’est fait prescrire des médicaments.

  • Le 18 juin 2021 — deux jours après une entrevue préalable au renvoi avec l’ASFC — Mme Erhire s’est fait évaluer par le Dr Gerald M. Devins, un psychologue clinicien et consultant. Le Dr Devins a rapporté que, lorsqu’il lui a demandé ce qu’elle ferait si on lui refusait le droit de rester au Canada, Mme Erhire a répondu qu’elle pourrait tenter de nouveau de se faire du mal. Lorsqu’il lui a demandé si elle pensait attenter à ses jours, elle a affirmé qu’elle n’en savait rien, mais à un autre moment de l’entrevue, elle a déclaré qu’elle le pourrait si elle ne pouvait pas rester au Canada. Dans son rapport du 18 juin 2021, le psychologue était d’avis que la tentative de suicide de Mme Erhire au début mai était directement reliée au fait d’avoir été informée par l’ASFC qu’une mesure de renvoi était prise à son égard.

  • Dans un rapport de suivi du 15 juillet 2021, le Dr Devins a rédigé ce qui suit :

[traduction]

J’ai encore parlé à Mme Erhire ce soir pour évaluer son état d’esprit actuel. Elle m’a dit sans ambages qu’elle avait l’intention d’attenter à ses jours si des mesures étaient prises pour la forcer à quitter le Canada. Lorsque je lui ai demandé quels seraient ses plans si elle était contrainte à partir, Mme Erhire a rétorqué directement et sans hésitation : « Me tuer... J’ai fait des recherches sur les moyens d’ouvrir les portes d’un avion et tout puis, eh bien, il y a les couteaux. » Lorsque je lui ai demandé si elle voulait vraiment attenter à ses jours si ses recours étaient rejetés, elle a répliqué sans hésiter : « C’est exactement ce que je ferai. »

  • Le 5 août 2021, soit environ trois semaines après que sa première demande de report du renvoi ait été rejetée, Mme Erhire a été admise de nouveau à l’hôpital avec des symptômes de psychose liés à l’utilisation du cannabis. La durée de son séjour à l’hôpital reste nébuleuse. Selon une note rédigée par son psychiatre le 10 août 2021, Mme Erhire était hospitalisée à ce moment-là et sa date de congé restait inconnue. Son hospitalisation a mené à l’annulation de son renvoi. Évidemment, elle a obtenu son congé de l’hôpital plus tard au mois d’août.

  • L’absence de Mme Erhire à l’entrevue préalable au renvoi du 23 août 2021 ainsi qu’au test de COVID-19 a conduit à l’annulation de son renvoi prévu pour le lendemain.

  • Mme Bazarin, la caution proposée, a démontré qu’elle connaissait peu les antécédents médicaux récents de Mme Erhire ou les défis que son état mental actuel poserait pour assurer le respect de l’ordonnance de mise en liberté. Elle avait compris que Mme Erhire avait reçu un diagnostic de [traduction] « psychose ». Lorsqu’on lui a demandé si elle savait autre chose, elle a déclaré que Mme Erhire avait une épaule blessée. Elle a aussi mentionné qu’elle souffrait d’attaques de panique. Elle semblait n’avoir qu’une connaissance restreinte, ou même tout ignorer, des menaces de suicide ou de l’inflexibilité de Mme Erhire quant à sa volonté de rester au Canada. Lorsqu’on lui a demandé si la santé mentale de Mme Erhire remettait en cause sa fiabilité, Mme Bazarin a répondu qu’elle [traduction] « y travaillerait » avec Mme Erhire. Si Mme Erhire était sous sa garde, elle [traduction] « serait bien ». Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle croyait que Mme Erhire obtempérerait à ses directives en tant que caution, Mme Bazarin a affirmé que c’était parce qu’elle croyait que Mme Erhire était intelligente.

  • Mme Erhire a des antécédents de manquements aux obligations que lui imposent les lois canadiennes en immigration. Ces antécédents remontent à août 2019, lorsqu’elle s’est dispensée pour la première fois de se présenter en vue de son renvoi. Lorsqu’elle a été appréhendée en avril 2020, Mme Erhire respectait de façon sporadique ses obligations, mais elle s’y conformait de moins en moins à mesure que les dates de son renvoi se rapprochaient. L’avocate de Mme Erhire fait valoir que ces manquements sont dus aux écueils posés par la santé mentale de Mme Erhire, mais la preuve liant ces deux facteurs est ténue. Et même si tous les deux sont connectés, aucune des interventions médicales faites à ce jour ne justifie le défaut de Mme Erhire de se présenter le 23 août 2021, absence qui a mené à son arrestation le lendemain et à son incarcération. Il est aussi important de souligner que le défaut de se présenter s’est produit alors que plusieurs personnes, dont son ancien avocat et Mme Bazarin, faisaient des pieds et des mains pour l’appuyer.

[41] Après avoir soupesé ces éléments de preuve, je juge que l’ordonnance de mise en liberté est foncièrement inadéquate et ne peut garantir que Mme Erhire respecte ses obligations légales, y compris celle de se présenter en vue de son renvoi. En particulier, cette ordonnance ne comprend aucune condition exigeant que Mme Erhire continue de suivre un traitement médical. J’admets que Mme Bazarin fait preuve de bonne volonté et qu’elle ferait de son mieux pour que Mme Erhire respecte les conditions de sa mise en liberté. Cependant, je ne pense pas qu’elle serait une surveillante efficace. Je ne crois pas qu’elle saisisse vraiment les exigences de cette fonction ou qu’elle ait les ressources nécessaires pour s’occuper de Mme Erhire. J’ai soigneusement noté que cette ordonnance de mise en liberté serait la première occasion où Mme Erhire aurait à rendre des comptes à une caution. J’ai aussi accordé tout le poids nécessaire au fait que Mme Erhire devrait désormais comprendre les conséquences qui découlent de son refus de se conformer aux obligations que lui imposent les lois canadiennes en immigration. Or, des éléments de preuve montrent sans équivoque qu’elle refuse de retourner au Nigéria et qu’elle ferait tout en son pouvoir pour éviter un tel dénouement. Ces éléments de preuve émanent de Mme Erhire elle‑même. Je suis convaincu qu’elle préférerait subir les conséquences d’une annulation de son ordonnance de mise en liberté, quel qu’en soit la nature, plutôt que de retourner au Nigéria.

[42] Compte tenu de l’ensemble de ces considérations, je suis convaincu que le ministre a établi qu’il existe une probabilité réelle que Mme Erhire ne se présente pas en vue de son renvoi si elle est libérée sous les conditions énoncées par la SI. Par conséquent, je suis persuadé que le ministre a répondu au volet du critère concernant le préjudice irréparable.

(3) La prépondérance des inconvénients

[43] Comme je l’ai mentionné ci-dessus, le troisième volet du critère consiste à évaluer quelle partie subirait le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse le sursis de l’ordonnance de mise en liberté en attendant une décision sur le fond de la demande de contrôle judiciaire. Le préjudice établi dans le cadre du deuxième volet du critère est examiné de nouveau durant le troisième volet, sauf qu’il est désormais pondéré avec d’autres intérêts qui seront aussi touchés par la décision de la Cour. Le ministre a droit à l’octroi du sursis seulement si le préjudice subi en raison du refus prévaut contre celui qui serait causé par son octroi.

[44] Comme je l’ai expliqué ailleurs, il n’est pas évident de trancher la demande du ministre lorsqu’il sollicite le sursis d’une ordonnance de mise en liberté d’un détenu : voir Kalombo, aux para 57-62. De larges pans de cette explication se transposent en l’espèce. Pour les fins de la présente demande, j’accorde une importance particulière au fait que bien que les intérêts privés de Mme Erhire seront certainement touchés si sa détention se poursuit, il existe aussi un intérêt public marqué à s’assurer que toute privation de liberté est justifiée. Je réitère l’observation selon laquelle l’intérêt public n’est pas monolithique; il peut se répandre dans différentes directions. Ainsi, il est d’intérêt public que Mme Erhire reçoive les soins médicaux et la surveillance dont elle a besoin. Le dossier de la requête laisse croire que, pour le moment, cet objectif est mieux à même d’être rempli au centre de surveillance de l’immigration. De même, l’exécution de l’ordonnance de mise en liberté va dans le sens de l’intérêt public, car il s’agit d’une ordonnance rendue par un tribunal à qui le parlement a confié la mission de statuer sur la détention et la mise en liberté sous le régime de la LIPR. En revanche, l’exécution de la mesure de renvoi correspond aussi à l’intérêt public. Il n’est pas dans l’intérêt public de chercher à remplir un objectif au détriment de l’autre. Bref, l’évaluation de la prépondérance des inconvénients ne se résume pas à soupeser les intérêts privés de Mme Erhire contre l’intérêt public prôné par le ministre.

[45] Le ministre fait observer que le contrôle des sept jours de Mme Erhire est prévu le jeudi 2 septembre 2021. Ainsi, le ministre soutient qu’il ne demande le maintien du statu quo que jusqu’à cette date. Par conséquent, l’octroi d’un sursis n’aura qu’un impact négligeable sur le droit à la liberté de Mme Erhire. Je ne peux pas spéculer sur l’issue du prochain contrôle des motifs de la détention. Or, peu importe ce qu’il adviendra, il semble bien certain que Mme Erhire sera renvoyée du Canada le 7 septembre 2021, à moins que l’ASFC ne modifie ses plans. Donc, si le sursis est accordé, elle ne sera détenue que pour sept jours de plus. Néanmoins, même si les répercussions immédiates sur sa liberté de la décision d’octroyer le sursis de l’ordonnance de mise en liberté sont limitées dans le temps, la perte de liberté, ne serait-ce que d’un jour, demeure un facteur décisif : voir R c Hall, 2002 CSC 64 au para 47; et R c Penunsi, 2019 CSC 39 au para 68.

[46] J’ai soigneusement analysé les conséquences néfastes qu’aurait pour Mme Erhire l’octroi du sursis de son ordonnance de mise en liberté. Je suis convaincu qu’elles sont importantes. Cependant, je suis persuadé qu’elles sont supplantées par le préjudice qui découlerait probablement de sa mise en liberté aux conditions déterminées dans l’ordonnance de mise en liberté. Comme je l’ai déjà dit, le défaut de Mme Erhire de se présenter en vue de son renvoi nuirait à l’intérêt public. Je n’ai pas besoin de décider si cette considération suffit à elle seule à faire pencher la prépondérance des inconvénients en faveur du ministre en l’espèce, car je conclus qu’une autre facette de l’intérêt public favorise le maintien en détention. Il s’agit des éléments de preuve accablants qui donnent à penser que Mme Erhire s’infligerait des blessures si elle était libérée. Son avocate plaide vigoureusement que nul ne devrait être détenu sous le régime de la LIPR simplement parce qu’il souffre de troubles mentaux. J’en conviens. L’intérêt public n’exige pas le maintien en détention de Mme Erhire seulement parce qu’elle souffre de troubles mentaux, mais parce que l’ordonnance de mise en liberté ne lui fournit aucun mécanisme approprié pour affronter ces difficultés dans la communauté. La nécessité d’un soutien sûr pour Mme Erhire est particulièrement pressante vu le caractère imminent de son renvoi.

[47] Au vu du dossier, le risque que Mme Erhire ne se présente pas en vue de son renvoi, et ce, malgré tous les efforts de Mme Bazarin, est tout simplement trop grand. De surcroît, comme je l’ai expliqué précédemment, une conclusion déterminante de la SI liée directement à cette question fondamentale est déraisonnable. Cette lacune dans la décision justifierait probablement l’annulation de l’ordonnance de mise en liberté. Par conséquent, en pondérant toutes les considérations pertinentes, et tout en reconnaissant à quel point le maintien en détention sera difficile pour Mme Erhire, je suis convaincu que l’issue est équitable. Ainsi, je prononcerai le sursis de l’ordonnance de mise en liberté.

[48] Il va sans dire que cette conclusion est tirée au vu du dossier dont je dispose dans le cadre de la requête. Bien que j’aie souligné les pans de la décision de la SI et les éléments de preuve qui sont saillants pour l’analyse du critère applicable à l’octroi d’un sursis, rien de ce que j’ai dit ne doit empêcher une nouvelle évaluation complète pour déterminer si la détention de Mme Erhire est toujours justifiée au prochain contrôle des motifs de la détention.

V. CONCLUSION

[49] Pour ces motifs, j’accueille la demande du ministre en vue d’obtenir le sursis de l’ordonnance de mise en liberté du 26 août 2021.

[50] Je remercie les avocats pour leurs observations pertinentes, préparées dans des délais serrés.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER IMM-5829-21

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête en sursis de l’ordonnance de mise en liberté de la défenderesse du 26 août 2021 en attendant l’issue de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision ordonnant sa mise en liberté est accueillie.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5829-21

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c ANNABEL ERHIRE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 AOÛT 2021

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1er SEPTEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Prathima Prashad

Zofia Rogowska

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Meagan Johnston

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Refugee Law Office

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.