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Date : 20210720


Dossier : DES-2-14

Référence : 2021 CF 719

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 juillet 2021

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA PREUVE AU CANADA

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

RUSTEM TURSUNBAYEV

 

défendeur

 

 

Table des matières

I. INTRODUCTION 2

II. CONTEXTE ET FAITS 4

A. Faits 4

B. Instance sous-jacente et décisions rendues 7

III. INSTANCE INTRODUITE SOUS LE RÉGIME DE L’ARTICLE 38 ET NOMINATION D’UN AMI DE LA COUR 19

IV. DOCUMENTS CAVIARDÉS 25

V. RÉSUMÉS DES OBSERVATIONS SUR LES QUESTIONS JURIDIQUES 26

A. Observations du procureur général 26

B. Observations du défendeur 28

C. Observations de l’ami de la cour 31

VI. QUESTIONS EN LITIGE 31

VII. ARTICLE 38 31

A. Critère applicable 33

B. Relations internationales du Canada 34

C. Préjudice porté aux relations internationales 40

D. Mise en balance des raisons d’intérêt public 43

VIII. EXAMEN PUBLIC DES DOCUMENTS CAVIARDÉS 45

IX. ANALYSE 47

A. Les renseignements intéressent-ils l’instance sous-jacente? 47

B. Dans l’affirmative, la divulgation des renseignements porterait-elle préjudice aux relations internationales du Canada? 48

C. Dans l’affirmative, les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent‑elles sur celles qui justifient la non-divulgation? 50

X. CONCLUSION 54

ORDONNANCE MODIFIÉE (EN VERTU DE L’ARTICLE 397
DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES) ET MOTIFS

I. INTRODUCTION

[1] La Cour est saisie d’une demande présentée par le procureur général du Canada [le demandeur ou le procureur général] en vertu du paragraphe 38.04(1) de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C-5 [la LPC], visant à obtenir une ordonnance portant sur la divulgation de renseignements à l’égard desquels il a reçu un avis au titre de l’un des paragraphes 38.01(1) à (4) de la LPC. Le procureur général demande à ce que les renseignements caviardés dans dix (10) documents provenant d’Affaires mondiales Canada [AMC] soient confirmés à titre de renseignements qui, s’ils étaient divulgués, porteraient préjudice aux relations internationales du Canada.

[2] L’instance découle de plusieurs instances civiles engagées par M. Tursunbayev [le défendeur ou M. Tursunbayev], lesquelles seront énumérées et résumées ci-après et qui visent à obtenir la suspension des procédures en raison d’un abus de procédure qu’aurait commis le gouvernement du Canada. Les moyens invoqués à l’appui de l’abus sont notamment les suivants : 1) le recours abusif à une procédure d’expulsion plutôt qu’à une procédure d’extradition pour renvoyer le défendeur au Kazakhstan; 2) le manquement du gouvernement à son devoir de veiller à ce que les éléments de preuve reçus de fonctionnaires kazakhs, sur lesquels il se fonde, n’aient pas été obtenus par la torture; 3) la communication illégale de renseignements aux autorités kazakhes; 4) la production devant la Cour d’éléments de preuve que le gouvernement savait ou devait savoir qu’ils n’étaient pas fiables, qu’ils constituaient de faux témoignages et/ou qui avaient été obtenus par la torture, la menace de torture ou des pressions indues; 5) le recours abusif à une procédure d’expulsion pour obtenir des éléments de preuve qui seront utilisés contre le défendeur dans le cadre de poursuites judiciaires au Canada et au Kazakhstan (voir la déclaration modifiée datée du 28 janvier 2021).

[3] Les réparations demandées sont les suivantes : 1) une ordonnance portant que toutes les instances qui ont été engagées ou qui le seront contre M. Tursunbayev en vue de le renvoyer au Kazakhstan et que la conduite générale du gouvernement constituent un abus de procédure selon les principes du droit administratif et la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c 11 (R-U) [la Charte]; 2) une injonction permanente interdisant au Canada d’engager une procédure visant à le renvoyer au Kazakhstan; 3) une réparation pécuniaire de 20 millions de dollars; 4) les intérêts avant jugement en vertu de l’article 36 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 [la LCF]; 5) les dépens afférents à l’action; et 6) toute autre réparation que la Cour estimera juste.

[4] Aux fins des présents motifs, je me suis appuyé sur les dossiers du demandeur et du défendeur, les transcriptions des contre-interrogatoires des déposants, l’instance sous-jacente (T‑1911‑12), dont la déclaration modifiée et la défense modifiée, les décisions du juge responsable de la gestion de l’instance, le juge Russell, ainsi que la décision de la juge Mactavish dans le dossier IMM‑2877‑12. Dans la section qui suit, j’explique les faits entourant l’instance sous-jacente, ce qui permettra de comprendre les décisions rendues.

II. CONTEXTE ET FAITS

A. Faits

[5] Citoyen de la République du Kazakhstan (ci-après appelée « Kazakhstan ») et de Saint-Kitts-et-Nevis, M. Tursunbayev est résident permanent du Canada, où il vit avec sa femme et ses deux enfants depuis 2009. Il possède un doctorat en génie des métaux et, de 2002 à 2009, a occupé le poste de vice-président de Kazatomprom, une société d’État œuvrant dans le secteur de l’uranium au Kazakhstan.

[6] Le 26 août 2011, Interpol Astana a publié une notice rouge [la notice] indiquant que M. Tursunbayev était recherché au Kazakhstan pour expropriation ou détournement de biens fiduciaires, recyclage des produits de la criminalité, production de faux et association avec une organisation criminelle. Il aurait détourné environ 20 millions de dollars américains de Kazatomprom. Dans la notice, il était demandé aux membres d’Interpol [traduction] « de localiser et d’arrêter [le défendeur] aux fins de son extradition » et il était indiqué que le Kazakhstan [traduction] « a donné des assurances que l’extradition sera demandée lorsque la personne aura été arrêtée ».

[7] Le 14 septembre 2011, Interpol Ottawa a transmis à l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] la notice et les documents à l’appui renfermant les détails des allégations, le tout accompagné d’une lettre de présentation informant l’ASFC qu’[traduction]« en l’absence d’un traité d’extradition bilatéral entre le Canada et le Kazakhstan, Interpol Ottawa n’est pas en mesure d’intenter une poursuite contre ce fugitif ». Il demandait également à l’ASFC de l’informer des mesures prises et, le cas échéant, de lui fournir [traduction] « le nom et les coordonnées de l’agent assigné à ce dossier ».

[8] Le 13 octobre 2011, l’agent Steven Bean de l’ASFC a reçu l’information et a commencé à examiner le dossier d’immigration de M. Tursunbayev. Compte tenu des allégations de recyclage des produits de la criminalité, l’agent a envoyé l’information au Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada [le CANAFE], qui a réalisé une analyse indépendante. Le CANAFE a ensuite divulgué à deux reprises à l’ASFC des renseignements qui démontraient que plus de 47 millions de dollars avaient transité par les comptes bancaires au nom de M. Tursunbayev ou de sa femme. Le défendeur soutient que ces renseignements ont été communiqués de vive voix aux autorités kazakhes, ce qui était illégal.

[9] Le ou vers le 4 janvier 2012, le gouvernement du Kazakhstan a présenté au gouvernement du Canada une demande d’extradition officielle visant M. Tursunbayev. Cette demande a finalement été rendue publique dans le cadre de poursuites judiciaires devant la Cour, et ce, même si le Kazakhstan n’avait consenti à sa divulgation qu’aux fins de la procédure d’extradition.

[10] Le 9 janvier 2012, l’agent Bean a produit deux rapports d’interdiction de territoire en vertu de l’article 44 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], car il existait des motifs raisonnables de croire que M. Tursunbayev était interdit de territoire au Canada pour criminalité organisée au titre des alinéas 37(1)a) et b) de la LIPR. Dans le premier rapport d’interdiction de territoire, il était allégué qu’il existait des motifs raisonnables de croire que M. Tursunbayev était interdit de territoire au Canada parce qu’il était membre d’une organisation criminelle qui était responsable d’un stratagème visant à frauder systématiquement Kazatomprom et ses filiales en les frustrant d’importants actifs financiers. Dans le second rapport d’interdiction de territoire, il était allégué que M. Tursunbayev s’était servi d’une série de sociétés étrangères et de comptes bancaires pour transférer hors du Kazakhstan d’importantes sommes d’argent obtenues au moyen d’activités criminelles.

[11] Le 8 février 2012, l’agente Shari Fidlin de l’ASFC a lancé un mandat pour l’arrestation de M. Tursunbayev en vertu du paragraphe 55(1) de la LIPR. Le 10 février 2012, M. Tursunbayev a été arrêté et détenu jusqu’au 1er juin 2012, date à laquelle il a été assigné à résidence.

[12] Entre février et mars 2012, une série de contrôles des motifs de détention a été effectuée. Dans le cadre du troisième contrôle, le 2 mars 2012, les avocats du défendeur ont demandé si une demande d’extradition avait été présentée. M. Tursunbayev a également soutenu pour la première fois que les allégations contenues dans la notice étaient fondées sur des déclarations obtenues par la torture.

[13] Le 20 février 2012, compte tenu des rapports d’interdiction de territoire, l’agent Russell Gregory de l’ASFC a déféré le cas de M. Tursunbayev pour enquête.

B. Instance sous-jacente et décisions rendues

[14] Le 5 mars 2012, M. Tursunbayev a présenté quatre (4) demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire devant la Cour en vertu de la LIPR [les demandes initiales]. Dans ces demandes, les décisions suivantes rendues par certains agents de l’ASFC étaient contestées : IMM-2220-12 et IMM-2226-12 découlaient de la décision de l’agent Bean de produire deux rapports en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR contre M. Tursunbayev; IMM-2223-12 découlait de la décision de l’agent Fidlin de lancer un mandat pour l’arrestation et la détention de M. Tursunbayev en vertu du paragraphe 55(1) de la LIPR; et IMM-2224-12 découlait de la décision de l’agent Gregory de déférer son cas pour enquête en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR.

[15] Le 13 avril 2012, M. Tursunbayev a déposé une requête en suspension de l’enquête en attendant l’issue des demandes initiales [la requête en suspension]. Le 4 mai 2012, le juge Russell, le juge responsable de la gestion de l’instance, a accordé la suspension provisoire de l’enquête jusqu’à l’instruction de la requête en suspension. Dans sa décision, le juge Russell a indiqué que, selon les éléments de preuve présentés à ce jour, il y avait de sérieux motifs de craindre qu’un processus de renvoi était utilisé comme mesure de rechange à une extradition vers un pays ayant un piètre bilan en matière de droits de la personne :

[traduction]
[7] Je ne dispose pas encore d’un dossier de preuve complet sur la question de l’abus de procédure. Le dossier sera complété à cet égard avant l’audition de la requête en suspension complète, le 14 juin 2012. Je pourrai à ce moment-là me faire une idée très différente de ce que la preuve nous révèle au sujet de l’abus de procédure. Toutefois, compte tenu de ce qui m’a été présenté jusqu’à maintenant, et en l’absence d’une explication de l’agent Bean sur certaines des choses qu’il a dites dans la documentation, je pense qu’il est juste d’affirmer qu’il y a de sérieux motifs de craindre que l’agent Bean, au moment de rédiger ses rapports en vertu de l’article 44, se soit vu engagé dans un processus de renvoi censé remplacer l’extradition, et ce, vers un pays ayant un très mauvais bilan en ce qui a trait aux droits de la personne et où, selon l’un des témoins du demandeur, celui-ci allait subir de la torture. Ces éléments de preuve sont corroborés par ceux d’Amnistie internationale. Le Kazakhstan a présenté au Canada, le 4 janvier 2012, une demande d’extradition pour le demandeur. L’agent Bérubé d’Interpol Ottawa, qui a transmis la notice rouge à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), a indiqué (apparemment à tort) qu’Interpol Ottawa n’était pas en mesure d’intenter une poursuite « en l’absence d’un traité bilatéral », et l’agent Bean a mentionné, dans un courriel à l’agent Bérubé, qu’il était « autorisé à arrêter la personne visée par la notice rouge et à la renvoyer au Kazakhstan [...] ». De plus, la preuve dont j’ai été saisi révèle qu’un agent de liaison de la Gendarmerie royale du Canada a rencontré des représentants du Kazakhstan et les a informés de ce qui suit :

Le KNB (services secrets du Kazakhstan) souhaite que la personne visée par la notice rouge soit arrêtée au Canada et expulsée au Kazakhstan. Le KNB est disposé à fournir tout type de document dont l’ASFC a besoin pour compléter son processus d’expulsion.

[Non souligné dans l’original.]

[16] Le 4 mai 2012, la Cour a également ordonné au défendeur de communiquer les dossiers du tribunal pour chacune des demandes initiales. Dans l’ordonnance de communication, le juge Russell a conclu que les allégations d’abus de procédure, du moins la notion d’extradition déguisée, étaient vraisemblables :

[traduction]

[65] En ce qui a trait aux allégations d’abus de procédure soulevées par le demandeur dans ses demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire, je souscris à sa position selon laquelle il est illégal pour l’État d’exercer les pouvoirs prévus par la LIPR afin de renvoyer un résident permanent vers un État étranger en vue de permettre à cet État de poursuivre cette personne et je me rallie à la jurisprudence qu’il invoque à l’appui de cette proposition. Admettre une telle conduite équivaudrait à contourner la Loi sur l’extradition ainsi que les mesures de protection intégrées à celle‑ci. Ce serait également un affront au système de justice canadien et à la Charte.

[...]

[90] Malgré ces réserves, compte tenu de ce qui a été produit et communiqué jusqu’à présent, je crois qu’il est à tout le moins vraisemblable que l’agent Bean ait compris, à tort, que son rôle consistait à recourir au processus d’enquête pour réaliser ce que l’expulsion ne pouvait pas réaliser. Pour l’instant, ce n’est que vraisemblable, car le dossier de preuve n’est pas assez complet pour que la Cour ait un portrait plus global. Cependant, à ce jour, la preuve ne permet pas d’établir que l’agent Bean et les autres tribunaux s’inscrivent dans une démarche plus large menée par des fonctionnaires canadiens visant à accéder à la demande d’extradition du Kazakhstan en recourant à l’expulsion.

[Non souligné dans l’original.]

[17] Le 2 mai 2012, la juge Mactavish (maintenant à la Cour d’appel fédérale) a accueilli une demande de contrôle judiciaire présentée plus tôt par M. Tursunbayev à l’égard d’une décision par laquelle la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] avait refusé de le remettre en liberté (voir Tursunbayev c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 504). L’une des questions que devait trancher la Cour était celle de savoir si le représentant du ministre avait présenté de façon erronée des faits importants lors du contrôle des motifs de détention de M. Tursunbayev, à savoir si le gouvernement du Canada avait reçu une demande d’extradition le visant. Plus particulièrement, la Cour a conclu que la déclaration suivante était de nature à induire en erreur (au para 27) : [traduction] « Est-ce qu’il [l’avocat de M. Tursunbayev] est au courant qu’elles ont présenté ou non une demande [d’extradition]? Est-ce qu’il peut l’affirmer en toute certitude? Pas moi en tout cas. »

[18] Après le contrôle des motifs de détention, le représentant du ministre a admis qu’au moment où il avait tenu ces propos, il savait que le gouvernement du Canada avait reçu une demande d’extradition de la part du Kazakhstan. Il a affirmé que les déclarations qu’il avait faites concernant l’absence de demande d’extradition visaient uniquement à faire des commentaires sur l’état du dossier soumis à la Commission, et non à déclarer à la Commission que le Canada n’avait pas reçu de demande d’extradition.

[19] Même si la juge Mactavish n’était pas convaincue que le représentant du ministre avait induit la Commission en erreur, elle a indiqué que les personnes qui représentent Sa Majesté devant les tribunaux judiciaires et les tribunaux administratifs ont toujours l’obligation d’être honnêtes et franches dans leurs rapports avec eux (au para 42). Elle a ajouté ce qui suit :

[40] La conclusion qu’un représentant de Sa Majesté a intentionnellement induit un tribunal administratif en erreur est une chose très sérieuse. Bien que les propos relatés soient troublants, j’ai décidé en l’espèce d’accorder le bénéfice du doute au représentant du ministre. Je tiens toutefois à signaler qu’il s’agit d’un cas limite et à inviter le représentant du ministre à être plus prudent à l’avenir lorsqu’il fait des déclarations devant la Commission. [Non souligné dans l’original.]

[20] Le 22 juin 2012, M. Tursunbayev a déposé une cinquième demande d’autorisation et de contrôle judiciaire en vertu de la LIPR (IMM-6259-12) en vue d’obtenir un jugement déclaratoire portant que la conduite des deux défendeurs à cette demande, soit le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ainsi que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, constitue un abus de procédure aux termes de la Charte ainsi qu’une injonction permanente interdisant aux défendeurs de commencer ou d’effectuer une enquête le visant. Il a demandé à ce que cette demande soit jointe aux demandes initiales. La requête en réunion d’instances a été rejetée.

[21] Le 12 octobre 2012, M. Tursunbayev a déposé une sixième demande d’autorisation et de contrôle judiciaire (T-1911-12). Cette demande soulevait les mêmes questions d’abus de procédure que celles présentées dans le dossier IMM-6259-12, mais ajoutait trois défendeurs, soit le procureur général, le ministre des Affaires étrangères et le ministre des Finances [collectivement, la « Couronne »].

[22] Le 2 avril 2013, la Cour a ordonné que la requête en suspension soit en partie instruite à huis clos. Dans ses motifs, le juge Russell a noté que la Couronne n’avait présenté aucun élément de preuve contredisant la position de M. Tursunbayev à l’égard du bilan déplorable du Kazakhstan en matière de droits de la personne :

[traduction]

[20] Tout d’abord, et indépendamment de ce que M. Horton a à dire, nous disposons d’éléments de preuve objectifs provenant d’institutions fiables (Département d’État des États-Unis, Amnistie internationale et Human Rights Watch) démontrant que le Kazakhstan a un bilan déplorable en matière de droits de la personne, utilise la torture en toute impunité et fait fi de la primauté du droit. Par conséquent, toute personne s’expose à un danger inhérent lorsqu’elle fournit, dans le cadre d’une instance judiciaire, des éléments de preuve pouvant empêcher le Kazakhstan d’atteindre son objectif d’assurer le retour du demandeur afin que celui-ci réponde à des accusations criminelles. Les défendeurs se sont limités à critiquer les éléments de preuve présentés par M. Horton. Ils n’ont toutefois présenté aucun élément de preuve permettant de croire que la culture juridique et politique générale du Kazakhstan est moins déplorable que ce que nous constatons dans les rapports généraux. Nous savons que le pouvoir judiciaire au Kazakhstan n’est ni indépendant ni à l’abri d’ingérence politique. Nous savons que la magistrature et la police sont corrompues. Nous savons que la torture est souvent utilisée par la police durant les enquêtes et que son utilisation est très probable dans les affaires politiques. Nous savons également que les procès dans les affaires politiques ne respectent pas les normes internationales d’équité. Les défendeurs n’ont même pas tenté de réfuter ces conditions générales;

[...]

[23] Le 2 juillet 2013, le juge Russell a rejeté la requête de la Couronne visant à faire radier la demande au dossier T-1911-12, mais a accordé la réparation subsidiaire demandée et a converti cette demande en action en vertu de l’article 18.4 de la LCF. Également par ordonnance datée du 2 juillet 2013, la Cour a rejeté la demande de communication globale de M. Tursunbayev dans le dossier IMM-6259-12 et a converti cette demande en action, qu’il a jointe au dossier T-1911-12 : Tursunbayev v HMQ et al [l’action]. Dans ses motifs, le juge Russell a indiqué que, selon le demandeur, la Couronne a ignoré ou bafoué les droits canadiens et internationaux dont jouit une personne qui se trouve dans la même situation que M. Tursunbayev dans ses relations avec un régime étranger ayant un piètre bilan en matière de droits de la personne, ou qu’elle ne les connaissait pas. Il a ajouté ce qui suit :

[traduction]

[39] Le Canada doit évidemment pouvoir collaborer avec d’autres pays pour lutter contre la criminalité internationale. Il doit cependant le faire conformément au droit canadien et international. Lorsque des fonctionnaires chargés d’agir au nom du Canada ne semblent pas connaître les contraintes juridiques qu’ils doivent respecter – par exemple, en l’espèce, l’agent Bean semble déterminé à renvoyer le demandeur au Kazakhstan en recourant à l’expulsion lorsqu’il croit que l’extradition est impossible; l’agent Côté semble collaborer avec le KNB et fournir des renseignements aux autorités kazakhes en violation du droit canadien; ou l’agent Rustja induit sciemment le commissaire en erreur lors d’un contrôle des motifs de détention, apparemment suivant les instructions du ministère de la Justice, en niant avoir connaissance d’une demande d’extradition existante –, le Canada ne devrait pas être surpris que les personnes qui tiennent à s’assurer que le droit canadien et international est respecté portent de telles questions à l’attention de la Cour d’une manière ou d’une autre. Le demandeur n’a pas encore prouvé ses allégations de vaste abus de procédure – particulièrement en ce qui a trait aux entités autres que l’ASFC – mais les aspects facilitants qu’il souhaite faire examiner dans la présente demande ne sont pas manifestement irréguliers au point de n’avoir aucune chance d’être accueillis. Selon moi, dans la présente requête, la véritable question dont je suis saisi est celle de savoir si les plaintes d’abus général de procédure formulées par le demandeur peuvent ou doivent être traitées par voie de procédure sommaire.

[24] En juin 2013, conformément à l’ordonnance datée du 2 avril 2013, la Cour a entendu à huis clos des observations dans le cadre la requête en suspension. Le 9 juillet 2013, le juge Russell a accueilli en partie la demande d’ordonnance de confidentialité et a écrit ce qui suit :

[traduction]

[46] Lorsque la vie ou le bien-être d’un déposant et de sa famille est véritablement en péril – ce qui, à mon avis, est le cas en l’espèce – je ne crois pas qu’il soit dans l’intérêt du public de permettre à un régime qui a été sévèrement critiqué à l’échelle internationale pour son piètre bilan en matière de droits de la personne, son recours fréquent à la torture et son non-respect de la primauté du droit d’entraver et de vicier une instance au Canada en appliquant le principe de la publicité des débats judiciaires en sa faveur. D’après la preuve dont je dispose, le Kazakhstan s’intéresse de près à cette instance. La justice ne sera pas rendue au Canada si l’application de ce principe donne plein effet aux menaces jugées inacceptables à l’échelle internationale que le Kazakhstan a manifestement fait peser sur un déposant. Je suis d’avis que les effets bénéfiques d’une ordonnance de confidentialité pour ce déposant dépassent les effets préjudiciables d’une telle ordonnance, notamment en ce qui a trait à l’intérêt du public à la publicité des débats judiciaires. Ces documents devraient être scellés.

[Non souligné dans l’original.]

[25] Par ordonnance datée du 28 novembre 2013, le juge Russell a suspendu les demandes initiales en attendant la décision relative à l’action. Ce faisant, il a indiqué ce qui suit :

[traduction]

[28] Le défendeur m’a aussi demandé d’examiner la jurisprudence sur l’extradition et l’expulsion, et de conclure que les fonctionnaires canadiens impliqués en l’espèce n’ont rien fait de mal et que le demandeur ne peut en aucun cas bénéficier d’une aussi longue suspension. J’ai déjà traité de cette question en mentionnant et en appliquant les principes énoncés par le juge Stratas dans l’arrêt Mylan, précité, pour établir si, « compte tenu de l’ensemble de la situation, l’intérêt de la justice exige que la Cour ordonne la suspension ». Comme le souligne l’avocat du demandeur, la jurisprudence invoquée par le défendeur n’est pas très pertinente en l’espèce, puisque le litige dont je suis saisi porte sur une éventuelle extradition déguisée vers un pays qui viole notoirement les droits de la personne, utilise la torture et fait fi de la primauté du droit. Il s’agit en l’espèce de savoir s’il est approprié, compte tenu de la demande d’extradition claire provenant d’un régime notoire comme le Kazakhstan, de recourir à une enquête et à l’expulsion au titre de la LIPR pour que le demandeur quitte le Canada et retourne au Kazakhstan.

[29] Manifestement, le demandeur souhaite éviter l’expulsion vers le Kazakhstan et se protéger contre l’expulsion ou l’extradition. Cependant, le fait qu’il a résisté à son renvoi ne permet pas de dire que ses allégations d’expulsion déguisée et d’abus de procédure sont sans fondement et qu’il devrait être contraint de faire progresser sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire avant que le contexte global dans lequel les décisions en question ont été prises soit présenté à la Cour.

[Non souligné dans l’original.]

[26] Dans le cadre de l’action, M. Tursunbayev a déposé une déclaration le 30 septembre 2013 et une déclaration modifiée le 17 février 2014. Le 19 février 2014, la Couronne a déposé une défense.

[27] Au cours de l’instance liée à la requête en suspension, les deux parties ont fait appel à un témoin expert. Le témoin de la Couronne, Mme Martha Olcott, a rédigé deux rapports qui ont été présentés sous forme d’affidavit. En juin 2016, elle a subi un long contre-interrogatoire au sujet de ses rapports. Mme Olcott n’a pas produit certains documents dont la production avait été exigée avant la tenue de son contre-interrogatoire, notamment toute sa correspondance avec les autorités kazakhes concernant ses rapports. Pendant le contre-interrogatoire, elle a produit un courriel et a indiqué ce qui suit : [traduction] « C’est la seule chose qui existe. Et j’avais oublié qu’il existait » (voir l’ordonnance du juge Russell datée du 24 novembre 2016). Elle a mis fin au contre-interrogatoire lorsqu’on lui a présenté la preuve qu’elle avait dissimulé environ seize autres chaînes de courriels.

[28] Le 24 novembre 2016, le juge Russell a ordonné à Mme Olcott de fournir tous les documents à M. Tursunbayev avant la reprise de son contre-interrogatoire et de répondre à toutes les questions auxquelles elle avait refusé de répondre. Dans ses motifs, il a écrit ce qui suit :

[traduction]

[47] [...] Ce qui est préoccupant en l’espèce est, évidemment, la mesure dans laquelle les autorités kazakhes contrôlaient l’accès aux personnes et aux renseignements sur lesquels s’appuyait la déposante pour rédiger ses rapports ainsi que la manière dont la déposante s’y prenait pour s’assurer qu’elle ne recevait pas des renseignements de personnes qui étaient sous le joug des autorités kazakhes.

[48] La déposante a produit de la documentation à partir de ses propres dossiers qui ne renferme que très peu de ce type d’information, car elle n’a pas conservé d’information sur les aspects importants de son approche pour enquêter sur les sources pertinentes ou compiler les rapports, ou les comptes rendus des communications ont été perdus ou détruits. De plus, comme je l’explique plus loin relativement aux courriels contestés, la déposante a témoigné sous serment qu’outre l’unique courriel qu’elle a produit après une recherche plus poussée dans son ordinateur, il n’y a eu aucune autre communication avec les autorités kazakhes. Comme il ressort du dossier dont je dispose, ce témoignage était faux ou inexact. De nombreuses autres communications ont eu lieu avec les autorités kazakhes, que la déposante n’a pas produites ou révélées conformément à l’assignation à comparaître et/ou en réponse aux questions posées lors du contre-interrogatoire. Dans la présente requête, les défendeurs veulent empêcher que la déposante soit confrontée à ces courriels lors du contre-interrogatoire. De plus, lorsqu’elle a su que le demandeur était au courant des autres communications qu’elle avait eues avec les autorités kazakhes (lesquelles, à ses dires, n’avaient pas eu lieu), la déposante a refusé d’identifier ces courriels et a brusquement mis fin au contre-interrogatoire sans dire pourquoi. Il est néanmoins possible de déduire de la transcription qu’elle ne voulait ni reconnaître d’autres communications ni répondre à des questions à leur sujet. La conduite de la déposante à cet égard n’est pas rassurante, et la Cour doit savoir si le défendeur peut clarifier cette situation à partir de ses propres dossiers, que ce soit sous forme de courriels, de notes sur des conversations téléphoniques ou d’autres documents semblables.

[...]

[50] Dans ce contexte, je crois qu’il faut également reconnaître que la déposante n’a pas seulement donné une opinion d’expert à l’égard d’un ensemble de faits donnés ou établis. Selon la preuve dont je dispose, il est clair qu’elle a également exercé une fonction d’enquête pour obtenir les faits dont elle avait besoin pour rédiger ses rapports. Ses interactions avec les autorités kazakhes visaient à obtenir ces faits et, en ce sens, elle est également une témoin ordinaire. Manifestement, la Cour doit savoir comment certains faits qui sous-tendent les opinions d’expert de la déposante ont été recueillis. Était-elle objectivement en mesure de les établir par elle-même ou dépendait-elle des autorités kazakhes, du moins pour ces faits? Il est donc essentiel de disposer de la meilleure preuve possible quant aux personnes avec lesquelles elle a traité et à la nature de ses communications, alors qu’elle-même est manifestement réticente à révéler toute la portée de ces communications, que sa tenue de dossiers n’a pas été rigoureuse et que des dossiers ont été détruits.

[...]

[93] Le demandeur et la Cour sont très préoccupés par la tenue de dossiers de la déposante, la perte de dossiers et le fait qu’elle n’ait pas produit la documentation pertinente. Elle peut produire un courriel qui étaye sa version de sa relation avec les autorités kazakhes, mais aucun courriel qui pourrait laisser croire à une relation différente. C’est pourquoi le demandeur et la Cour exigent le dossier le plus complet possible de manière à pouvoir faire des vérifications.

[...]

[199] Il n’y a aucune ambiguïté en l’espèce. La déposante a décidé qu’elle n’allait plus continuer, et l’avocat des défendeurs, après avoir d’abord convenu que la déposante pourrait identifier les courriels, lui a ensuite demandé de mettre fin au contre-interrogatoire. Il s’agit là d’un comportement très obstructionniste.

[Non souligné dans l’original.]

[29] Cependant, le 24 mars 2017, la Couronne a consenti à la requête en suspension. Compte tenu de son consentement, le contre-interrogatoire de Mme Olcott est devenu sans importance, et la production des documents exigés n’était plus obligatoire.

[30] Le 12 avril 2019, le juge Russell a ordonné à la Couronne de payer à M. Tursunbayev les dépens liés à la requête en suspension. En accordant les dépens et le remboursement des dépenses, la Cour a indiqué que « la témoin et l’avocat [de la Couronne] s’étaient livrés à une conduite obstructionniste à un moment stratégique clé » (au para 19); que la Couronne n’a « donné aucune raison disculpatoire pour expliquer pourquoi il était raisonnable de ne pas consentir à une suspension » ou pourquoi elle a « abandonné cette résistance après plusieurs années de litiges complexes et coûteux » (au para 31); que « [l’]effondrement et le discrédit de la preuve de la professeure Olcott semblent être la seule raison apparente d’un changement aussi soudain » (au para 45); et que le consentement de la Couronne « [n’était pas] un compromis raisonnable entre les parties », mais plutôt « une capitulation » (au para 46). Le juge Russell a conclu ce qui suit :

[49] Compte tenu de la dimension internationale de cette affaire, des difficultés et des dépenses liées à la recherche d’experts qualifiés sur le Kazakhstan (difficultés que les défendeurs ne connaissent que trop bien) et de la nécessité de voyager à l’étranger, les débours réclamés pour cette requête, soit 160 368,14 $, me semblent entièrement raisonnables. Les défendeurs les jugent excessifs, mais n’ont pas produit de montants comparatifs.

[...]

[51] Les défendeurs n’ont pas fourni grand-chose pour justifier leur besoin de résister à la requête en suspension, à la lumière de mes conclusions antérieures sur la question importante et le préjudice irréparable. De plus, ils n’ont fourni aucune explication au sujet de leur décision – après des années de litige – de cesser de s’opposer à la requête en suspension, ni sur les raisons pour lesquelles il était nécessaire de résister pendant si longtemps. La nécessité des dépens et autres dépenses que le demandeur a dû engager n’est donc pas expliquée. Un consentement donné après des années de résistance coûteuse et acharnée n’est pas la même chose qu’un consentement donné à un stade antérieur, ou qu’un compromis mutuellement acceptable.

En fin de compte, le montant total des dépens et des débours accordés par le juge Russell s’élevait à 203 082,40 $, ce qui constitue un montant exceptionnel.

[31] Le 9 décembre 2020, la juge Simpson a accordé l’autorisation de modifier encore une fois la déclaration modifiée afin d’ajouter un moyen à l’appui des allégations d’abus de procédure, à savoir que la Couronne savait ou devait savoir que la production d’éléments de preuve faux, peu fiables et obtenus par la torture, la menace de torture ou les pressions indues des autorités kazakhes – lesquels provenaient de Mme Olcott – constituait un abus de procédure. De plus, le montant des dommages‑intérêts réclamé est passé de 10 millions de dollars à 20 millions de dollars. (Voir les paragraphes 2-3 des présents motifs pour obtenir la description des autres moyens.)

[32] Par conséquent, M. Tursunbayev a déposé une déclaration modifiée le 29 janvier 2021, et la Couronne a déposé une défense modifiée le 1er février 2021.

III. INSTANCE INTRODUITE SOUS LE RÉGIME DE L’ARTICLE 38 ET NOMINATION D’UN AMI DE LA COUR

[33] Le 4 juillet 2014, le procureur général a introduit la demande fondée sur l’article 38.04 de la LPC en vue d’obtenir une ordonnance en vertu du paragraphe 38.06(3) de la LPC autorisant la non-divulgation de renseignements contenus dans dix-sept documents que le procureur général devait divulguer à M. Tursunbayev dans le cadre de l’action. Toutes les parties ont convenu que l’instance devait être suspendue, car il était devenu évident que de nouveaux renseignements devraient être divulgués à M. Tursunbayev. En raison du temps écoulé et de la divulgation publique de certains renseignements contenus dans la demande initiale fondée sur l’article 38, le 1er octobre 2019, la Cour a ordonné au procureur général de déposer une demande supplémentaire et de remplacer les documents visés par la demande initiale par les nouveaux documents visés par cette demande supplémentaire.

[34] Le 15 novembre 2019, le demandeur a déposé l’avis de demande supplémentaire. Dans l’instance sous-jacente, l’avocat du ministère de la Justice a ciblé neuf (9) documents caviardés communiqués à M. Tursunbayev qui contenaient des renseignements qui, s’ils étaient divulgués, porteraient préjudice aux relations internationales. Une version caviardée de ces documents a été communiquée à M. Tursunbayev dans le cadre de l’action. Comme nous le voyons plus loin, le procureur général a déposé une demande le 22 février 2021 pour ajouter un document.

[35] En novembre 2019, le procureur général a déposé un affidavit ex parte pour expliquer le préjudice précis qui serait porté aux relations internationales si les renseignements visés par la demande étaient divulgués.

[36] Le 18 décembre 2019, une conférence de gestion de l’instance publique réunissant tous les avocats a eu lieu pour discuter de la nomination d’un ami de la cour, de l’intention du défendeur de modifier la déclaration de l’instance sous-jacente ainsi que de la nécessité de tenir une audience publique.

[37] Par ordonnance datée du 20 décembre 2019, la Cour a nommé Me Anil Kapoor à titre d’ami de la cour pour l’aider à s’acquitter de ses obligations prévues à l’article 38 de la LPC. Avant que la Cour lui donne accès aux renseignements confidentiels soumis pour examen, l’ami de la cour a rencontré les avocats du défendeur pour discuter de sa position dans l’instance sous‑jacente et pour le guider dans l’examen des renseignements en cause dans la demande. Avant d’obtenir l’accès aux renseignements confidentiels, il a également assisté à l’audience publique tenue au début du mois de mars 2020.

[38] Le 15 janvier 2020, une conférence de gestion de l’instance publique a eu lieu avec les avocats du défendeur, ceux du procureur général et l’ami de la cour pour discuter de la participation de l’ami de la cour et des prochaines étapes avant l’audience publique dans la présente affaire.

[39] Le 29 janvier 2020, un affidavit ex parte et un affidavit public ont été déposés au nom du demandeur. Mme Alison Grant, l’auteure de l’affidavit public, a été contre-interrogée le 13 février 2020. La transcription de son contre-interrogatoire a été déposée à la Cour le 2 mars 2020. Le dossier du défendeur a été déposé le 26 février 2020, et celui du demandeur, le 2 mars 2020.

[40] Le 4 mars 2020, à la demande du défendeur, une audience publique d’un (1) jour a eu lieu en présence des avocats du demandeur, des avocats du défendeur et de l’ami de la cour. Le défendeur a donné un aperçu des questions soulevées par l’action et de l’historique des procédures dans le dossier. Il a également présenté la situation géopolitique du Kazakhstan, à l’international et en lien avec le Canada. Dans le cadre de cette audience, le défendeur a eu l’occasion de se faire entendre et de présenter à la Cour la manière dont, selon lui, les renseignements caviardés pouvaient intéresser grandement l’instance sous-jacente. À cette fin, les avocats du demandeur et ceux du défendeur ont présenté des observations orales et écrites et ont renvoyé à plusieurs documents, dont les documents caviardés indiqués dans la présente demande à la date de l’audience. J’ai bien accueilli cette information.

[41] Le 14 août 2020, un affidavit ex parte supplémentaire a été déposé au nom du demandeur pour mieux expliquer le préjudice que la divulgation des renseignements caviardés porterait aux relations internationales.

[42] Le 2 septembre 2020, une conférence de gestion de l’instance a eu lieu en présence des avocats du demandeur et de l’ami de la cour durant laquelle les parties ont confirmé qu’une audience ex parte à huis clos se tiendrait pour procéder à l’interrogatoire et au contre‑interrogatoire de la déposante du procureur général. La date de l’audience a été fixée aux 7 et 8 octobre 2020. Cependant, en raison d’un problème lié à la COVID-19, cette audience a été reportée au 10 novembre 2020.

[43] L’interrogatoire et le contre-interrogatoire ex parte de la témoin du procureur général ont eu lieu le 10 novembre 2020. Le procureur général a présenté des éléments de preuve concernant le préjudice que la divulgation des renseignements caviardés porterait aux relations internationales. Le 17 novembre 2020, un résumé public de l’audience a été communiqué au défendeur :

[traduction]

L’audience s’est tenue de 9 h 30 à 16 h. Au début, le procureur général a déposé un tableau indiquant si l’ami de la cour et le procureur général s’entendaient sur les caviardages proposés dans chaque document. Le procureur général a également déposé des documents mentionnés par le défendeur lors de l’audience publique du 4 mars 2020 qui n’avaient pas encore été ajoutés au dossier relatif à l’article 38 de la LPC.

Il a ensuite interrogé le témoin ex parte d’AMC, qui avait précédemment signé deux affidavits ex parte, un le 15 novembre 2019 et un autre le 12 août 2020. Le premier affidavit traite du préjudice porté aux relations internationales par la divulgation de renseignements obtenus à titre confidentiel d’un État étranger ainsi que par la divulgation d’évaluations faites par les fonctionnaires d’AMC pour usage interne seulement. Le deuxième affidavit fournit des éléments de preuve supplémentaires sur le préjudice porté par la divulgation de renseignements obtenus à titre confidentiel.

Immédiatement après l’interrogatoire principal du témoin d’AMC, l’ami de la cour l’a contre-interrogé.

Une fois le contre-interrogatoire terminé, la Cour a indiqué qu’une conférence de gestion de l’instance publique se tiendrait en décembre.

La Cour a reconnu que l’issue de la requête du défendeur en vue de modifier une fois de plus sa déclaration dans l’action civile sous-jacente, dont l’instruction est prévue pour le 23 novembre 2020, pourrait avoir une incidence sur l’instance introduite sous le régime de l’article 38.

La Cour a demandé à l’ami de la cour et au procureur général de discuter d’un échéancier en vue de la présentation de leurs observations écrites et orales, tout en prenant en considération le fait qu’ils devraient peut-être attendre longtemps avant que la transcription de l’audience soit mise à leur disposition.

[44] Pendant cette audience, les avocats du procureur général et la déposante d’AMC ont mentionné un autre document. Lors de la conférence de gestion de l’instance ultérieure, le procureur général a informé la Cour qu’une demande serait déposée relativement à ce dixième document, qui serait communiqué à M. Tursunbayev dans le cadre de l’action et qui serait entièrement caviardé. Compte tenu des similitudes entre les renseignements caviardés dans ce document et les autres documents, la Cour a convenu que le procureur général ferait des observations écrites ex parte relativement aux dix (10) documents. Le 22 février 2021, une demande a été déposée à cet effet.

[45] Le 18 décembre 2020, une conférence de gestion de l’instance publique réunissant tous les avocats a eu lieu pour discuter des prochaines étapes dans le cadre de la demande. Il a été décidé que les avocats du demandeur fourniraient des observations écrites d’ici le 15 janvier 2021 et que l’ami de la cour déposerait ses observations dans les sept (7) jours suivants. Cependant, dans une lettre datée du 13 janvier 2021, le demandeur a sollicité auprès de la Cour une prorogation du délai au 22 février 2021 pour présenter ses observations écrites et au 1er mars 2021 pour la réponse de l’ami de la cour. La demande a été faite en réponse au récent « décret ordonnant de rester à domicile » pris par le gouvernement provincial en raison de la COVID-19. Le jour même, la Cour a accueilli la demande. Les observations du procureur général ont été déposées le 22 février 2021. Cependant, l’ami de la cour, qui était alors à Toronto, a demandé une prorogation jusqu’au 19 mars 2021 en raison des restrictions de voyage liées à la COVID-19. La demande a été accueillie, et l’ami de la cour a déposé sa réponse le 19 mars 2021.

[46] Une audience ex parte à huis clos a eu lieu le 9 juin 2021 et a duré 4 heures et demie. Pendant cette audience, le procureur général a soutenu que la Cour devrait maintenir l’interdiction de divulgation de tous les renseignements visés par la demande. L’ami de la cour a fait valoir que certains des renseignements caviardés devraient être divulgués, ou résumés, sous réserve de certaines conditions. La Cour a demandé de l’information supplémentaire concernant la production éventuelle de résumés, ce qu’elle a reçu le 23 juin 2021. Une autre audience ex parte à huis clos d’une heure a eu lieu le 28 juin 2021. L’objectif était de discuter de la production de résumés en lien avec certains caviardages ainsi que l’ampleur et les conditions de la divulgation. La demande déposée sous le régime du paragraphe 38.04(1) de la LPC a ensuite été mise en délibéré.

IV. DOCUMENTS CAVIARDÉS

[47] Les documents caviardés que le procureur général a communiqués à M. Tursunbayev sont les suivants [les documents] :

Numéro du PGC

Description des documents

PGC 002251

Rapport annuel sur les droits de la personne de 2010 (version longue) au Kazakhstan produit par le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international

PGC 002252

Courriels échangés entre divers fonctionnaires d’AMC, notamment M. Stephen Millar de l’ambassade du Canada au Kazakhstan

PGC 002254

Ébauche de la note d’information de Mme Chrystal Waddington intitulée « Kazakhstan »

PGC 002255

Rapport annuel sur les droits de la personne de 2012 (version courte) au Kazakhstan produit par le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, pour la période allant du 1er avril 2011 au 29 mars 2012

PGC 002256

Courriel de M. Masud Husain daté du 27 septembre 2013 et réponse de Mme Jennifer May datée du 2 octobre 2013

PGC 002257

Courriels internes échangés entre des employés du Groupe d’entraide internationale du ministère de la Justice [le GEI] datés du 26 février 2014

PGC 002259

Lettre de l’ambassade de la République du Kazakhstan au ministère de la Justice du Canada, estampillée comme ayant été reçue par le GEI le 29 janvier 2014

PGC 002260

Document de 259 pages entièrement caviardées

PGC 002261

Document de 168 pages entièrement caviardées

PGC 002262

Document de 2 pages entièrement caviardées

[48] Les documents non caviardés ont été déposés auprès du greffe des instances désignées de la Cour. La Cour et l’ami de la cour ont eu l’occasion de les examiner.

V. RÉSUMÉS DES OBSERVATIONS SUR LES QUESTIONS JURIDIQUES

A. Observations du procureur général

[49] Le procureur général a déposé des observations publiques et confidentielles. Dans ses observations publiques, il soutient que la Cour devrait confirmer l’interdiction de divulgation des renseignements contenus dans les dix (10) documents indiqués par AMC au motif que la divulgation porterait préjudice aux relations internationales et que les raisons d’intérêt public qui justifient la protection des renseignements l’emportent sur les raisons d’intérêt public qui justifient leur divulgation.

[50] Le procureur général convient que les renseignements caviardés divulgués au défendeur intéressent l’instance sous-jacente, mais fait valoir, à la dernière étape du critère de l’arrêt Ribic, que les renseignements présentent peu d’intérêt pour M. Tursunbayev.

[51] Il a produit l’affidavit public de Mme Alison Grant, représentante d’AMC, dans lequel elle indique les types de renseignements à protéger contre la divulgation et les raisons de le faire. Le procureur général a également déposé des affidavits confidentiels qui expliquent plus en détail pourquoi la divulgation des renseignements porterait préjudice aux relations internationales. Dans son affidavit, Mme Grant explique que les renseignements caviardés sous le régime de l’article 38 de la LPC se rapportent à deux catégories de préjudice porté aux relations internationales.

[52] La première catégorie vise les renseignements obtenus à titre confidentiel de gouvernements étrangers ou de leurs représentants. Le procureur général soutient que les normes et pratiques internationales sont telles que, dans le cadre de leurs communications diplomatiques, le Canada et les gouvernements étrangers et leurs représentants s’attendent à ce que toute correspondance demeure confidentielle. Cette confidentialité est garante d’un échange continu et opportun de renseignements concernant notamment des questions de politique, de sécurité, d’économie et de commerce sur lesquels s’appuie le Canada pour poursuivre efficacement ses intérêts et ses objectifs à l’étranger. La divulgation de ce type de renseignements nuirait à la relation de confiance que le Canada a établie avec le gouvernement étranger en question ainsi qu’avec d’autres gouvernements, dont des alliés importants.

[53] La deuxième catégorie vise les commentaires concernant un gouvernement étranger ou ses fonctionnaires faits ou signalés par des fonctionnaires canadiens en privé. Le procureur général fait valoir que la divulgation de ce type de renseignements nuirait à la relation du Canada avec ce pays et compromettrait les canaux de communication officiels et officieux. Elle diminuerait la capacité globale du Canada à fournir de l’aide consulaire aux Canadiens à l’étranger. Mme Grant explique que les fonctionnaires canadiens doivent conserver la capacité de faire honnêtement rapport à leur ministère d’attache en ayant la certitude que leurs commentaires ne seront pas divulgués publiquement.

[54] Le procureur général soutient également qu’il faut faire preuve de déférence envers la Couronne dans la conduite des affaires étrangères : Canada (Procureur général) c Shen, 2017 CF 118 au para 13, conf. par 2018 CAF 7; Canada (Procureur général) c Turp, 2016 CF 795.

B. Observations du défendeur

[55] En ce qui concerne la pertinence, les avocats du défendeur soutiennent que les renseignements caviardés devraient être présumés pertinents, puisqu’ils ont été inclus dans les documents qui seront divulgués lors de l’interrogatoire préalable. Les avocats font également valoir que les documents caviardés sont très pertinents à l’égard des principales questions soulevées dans l’action, puisqu’ils se rapportent aux relations entre les fonctionnaires du gouvernement du Canada et ceux du gouvernement du Kazakhstan. Ces communications entre les deux gouvernements devraient permettre de comprendre les motifs justifiant le recours à une procédure d’expulsion, plutôt qu’à une procédure d’extradition, et de savoir si les éléments de preuve invoqués par le Canada ont été obtenus par la torture.

[56] De plus, le défendeur croit que les renseignements lui permettraient de comprendre la raison pour laquelle la présente instance tarde à avancer, ce qui pourrait être au cœur des allégations d’abus de procédure. Le gouvernement du Canada a reçu la demande d’extradition plus de huit ans auparavant. Or, aucun arrêté introductif d’instance n’a été délivré, et aucun mandat d’arrestation provisoire n’a été lancé.

[57] Les avocats du défendeur affirment que la divulgation des renseignements caviardés ne porterait pas préjudice aux relations internationales. Ils soutiennent que, durant le contre‑interrogatoire, Mme Grant a reconnu qu’on ne peut s’attendre à ce que les renseignements reçus d’un État étranger soient tous frappés de confidentialité. Je souligne que la déposante a également dit que les attentes en matière de confidentialité sont habituellement explicites et que, [traduction] « par défaut, tous les renseignements communiqués demeurent confidentiels ».

[58] Les avocats du défendeur soutiennent que la relation entre le Canada et le Kazakhstan est moins importante que la relation du Canada avec ses plus proches alliés, comme les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Ils font valoir que rien ne permet de conclure que le fait de ne pas satisfaire aux attentes en matière de confidentialité dans ce contexte causerait un grave préjudice.

[59] Les avocats du défendeur soutiennent qu’on ne saurait raisonnablement prétendre que dans le contexte d’une demande d’extradition, il est entendu que les renseignements fournis demeureront confidentiels. Le Kazakhstan savait ou aurait dû savoir que les renseignements fournis, s’il devait y être donné suite, seraient divulgués au défendeur comme éléments de preuve dans le cadre de la poursuite intentée au Canada. De plus, le Canada a déjà dérogé à son entente de confidentialité avec le Kazakhstan, le cas échéant, en informant M. Tursunbayev au cours de l’instance judiciaire de l’existence de la demande d’extradition sans le consentement du Kazakhstan.

[60] Les avocats du défendeur ajoutent que la prétention du gouvernement du Canada portant qu’une demande d’extradition ne peut être divulguée qu’après la délivrance de l’arrêté introductif d’instance dans le cadre d’une procédure d’extradition ne s’applique pas dans le contexte d’une procédure d’expulsion. Le défendeur soutient que le gouvernement a expressément suggéré d’avoir recours à l’expulsion plutôt qu’à l’extradition en vue de renvoyer M. Tursunbayev au Kazakhstan, ce que les autorités kazakhes approuvaient. Ainsi, l’entente conclue entre des États portant que la demande d’extradition ne peut être divulguée ne s’appliquerait pas en l’espèce.

[61] Les avocats de M. Tursunbayev font également valoir que les renseignements sont essentiels pour établir si le gouvernement du Canada commet un abus de procédure lorsqu’il décide d’engager une procédure d’expulsion plutôt qu’une procédure d’extradition, laquelle offrait une plus grande protection procédurale au défendeur, après avoir établi que l’extradition est impossible en raison du piètre bilan en matière de droits de la personne d’un pays. Ils allèguent qu’il est dans l’intérêt de la justice de divulguer les renseignements caviardés s’ils révèlent un manque de franchise de la part des fonctionnaires du gouvernement du Canada dans leurs observations à la Cour. Les avocats soulignent également la nécessité de divulguer les renseignements liés à l’utilisation de la torture par les fonctionnaires kazakhs.

[62] M. Tursunbayev a obtenu des documents en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A-1 [la LAI]. Les avocats du défendeur indiquent que, dans certains cas, ces documents ont révélé plus d’information, puisque les documents reçus sous le régime de la LAI avaient été caviardés différemment de ceux reçus sous le régime de l’article 38 de la LPC. Cela porte à croire que le gouvernement multiplie les réclamations de confidentialité lorsqu’il caviarde ses documents.

[63] Les avocats du défendeur soutiennent que l’action met en jeu les libertés et droits constitutionnels du défendeur. Par conséquent, [traduction] « le critère à appliquer doit être très faible, et la Cour devrait assurer une divulgation complète des renseignements ou, à tout le moins, une divulgation la plus complète possible des renseignements, y compris des résumés ». Les avocats demandent à la Cour d’envisager des solutions de rechange à une divulgation complète, ce qui permettrait de réduire au minimum les risques de préjudice et l’ampleur de celui-ci. Actuellement, certains documents sont entièrement caviardés, ce qui laisse croire qu’aucun effort n’a été fait pour réduire au minimum le préjudice allégué.

C. Observations de l’ami de la cour

[64] L’ami de la cour a fait des observations orales et écrites ex parte concernant les renseignements caviardés, qui doivent rester confidentiels pour des raisons de sécurité nationale.

VI. QUESTIONS EN LITIGE

[65] En l’espèce, les questions en litige sont les suivantes :

  1. L’interdiction de divulgation des renseignements devrait-elle être confirmée aux termes du paragraphe 38.06(1) de la LPC?

  2. Dans l’affirmative, la divulgation des renseignements devrait-elle être assujettie à des conditions conformément à l’article 38.06 de la LPC?

VII. ARTICLE 38

[66] L’article 38 de la LPC prévoit une procédure par laquelle des renseignements peuvent être protégés contre la divulgation devant un tribunal, un organisme ou une personne ayant le pouvoir de contraindre leur production si leur divulgation risque de porter préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales. Dans de telles circonstances, un avis doit être donné au procureur général (article 38.01), qui peut ensuite autoriser la divulgation de tout ou partie des renseignements (article 38.03) ou demander à la Cour fédérale de rendre une ordonnance confirmant l’interdiction de divulgation (article 38.04).

[67] Le juge désigné doit ensuite décider, en appliquant le critère à respecter, s’il confirme la non-divulgation. Seuls les renseignements intéressant les questions en litige dans l’instance sous‑jacente seront susceptibles d’être divulgués. Si les renseignements sont pertinents et que leur divulgation risque de porter préjudice, le juge désigné doit mettre en balance les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation et celles qui justifient la non-divulgation. Le juge peut ensuite envisager de divulguer les renseignements sous réserve des conditions qu’il estime indiquées dans une forme qui serait adéquate (p. ex. divulgation de tout ou partie des renseignements, résumé de ceux-ci ou aveu écrit des faits qui y sont liés).

[68] Le juge désigné doit faire preuve de rigueur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, l’objectif étant de répondre aux exigences les plus élevées en matière d’intérêt public. Il doit le faire en faisant preuve de déférence envers le décideur qui a caviardé les renseignements, tout en gardant à l’esprit l’intérêt du défendeur à connaître les questions en litige dans l’instance sous-jacente et le degré de pertinence des renseignements caviardés.

A. Critère applicable

[69] Le critère à respecter est celui établi par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Ribic c Canada (Procureur général), 2003 CAF 246 [Ribic], et résumé de la manière suivante dans l’arrêt Khawaja c Canada (Procureur général), 2007 CAF 388 [Khawaja], au para 8 :

a) Les renseignements en cause intéressent-ils l’instance au cours de laquelle leur divulgation est demandée? Dans la négative, les renseignements ne doivent pas être divulgués. Dans l’affirmative, alors,

b) La divulgation des renseignements en cause sera-t-elle préjudiciable à la sécurité nationale, à la défense nationale ou aux relations internationales? Dans la négative, les renseignements doivent être divulgués. Dans l’affirmative, alors,

c) Les raisons d’intérêt public qui militent pour la divulgation des renseignements en cause l’emportent-elles sur les raisons d’intérêt public qui militent contre la divulgation des renseignements en cause? Dans l’affirmative, les renseignements doivent alors être divulgués. Dans la négative, les renseignements ne doivent pas être divulgués.

[70] C’est à la partie qui demande la divulgation qu’il appartient de prouver que les renseignements sont des éléments de preuve pertinents (Ribic, au para 17). Si les renseignements sont jugés pertinents, c’est à la partie qui s’oppose à la divulgation qu’il appartient de démontrer que la divulgation de ces renseignements porterait préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales (Ribic, au para 20). Lorsque le préjudice est établi, c’est à la partie qui demande la divulgation de montrer que les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent sur celles qui justifient la non-divulgation (Ribic, au para 21).

[71] Une demande déposée sous le régime de l’article 38.04 de la LPC ne constitue pas une demande de contrôle judiciaire. Le juge désigné est plutôt tenu « de décider par lui-même si l’interdiction législative doit être levée ou non et de rendre une ordonnance en conséquence » (Ribic, au para 15).

[72] La présente demande vise à obtenir une ordonnance confirmant la non-divulgation des renseignements qui porteraient préjudice aux relations internationales aux termes du paragraphe 38.06(1) de la LPC. Aux fins des présents motifs, il est utile de passer en revue certains concepts. Tout d’abord, je commenterai le concept de relations internationales en soi et en lien avec le préjudice exigé par la loi pour justifier le recours au caviardage. Ensuite, j’énumérerai certains des facteurs à prendre en considération pour mettre en balance les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation et celles qui justifient la non-divulgation, ce qui aidera le lectorat à comprendre la manière dont le juge exerce son pouvoir discrétionnaire pour arriver à la décision.

B. Relations internationales du Canada

[73] Il n’existe aucune définition législative de l’expression « relations internationales » ou « préjudice aux relations internationales ». La jurisprudence ne donne pas non plus une définition claire du concept, bien que la Cour ait tenté à quelques reprises de définir le concept au sens large.

[74] Dans la décision Canada (Procureur général) c Almalki, 2010 CF 1106 [Almalki], mon collègue, le juge Mosley, a décrit le concept comme étant lié aux incidences de la divulgation de tels renseignements sur les relations du Canada à l’étranger ainsi qu’à l’importance des échanges ouverts entre les diplomates. Il a indiqué ce qui suit :

[79] Le troisième intérêt national dont on doit tenir compte est le risque de préjudice aux relations internationales du Canada. Là encore, on ne peut considérer cette notion comme synonyme de celles de défense nationale ou de sécurité nationale. Le législateur fédéral a jugé nécessaire de protéger les renseignements sensibles qui porteraient préjudice aux relations étrangères du Canada s’ils étaient divulgués publiquement, conformément aux conventions admises en matière de secret diplomatique.

[80] Cette protection s’étend aux échanges libres et ouverts de renseignements et d’avis entre les diplomates canadiens et d’autres fonctionnaires et leurs homologues étrangers, sans lesquels le Canada ne pourrait participer efficacement aux affaires internationales. Une protection semblable est prévue dans la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C., 1985, ch. A-1, aux articles 13 et 15, où elle est formulée en termes d’obligation et de pouvoir discrétionnaire. À défaut de consentement, le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant des renseignements obtenus à titre confidentiel des gouvernements des États étrangers ou de leurs organismes (art. 13). Le responsable d’une institution fédérale peut par ailleurs refuser la communication de documents contenant des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de porter préjudice à la conduite des affaires internationales (art. 15).

[75] Au paragraphe 61 de la décision Canada (Procureur général) c Canada (Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens) (CF), [2008] 3 RCF 248 [Arar], j’ai défini le concept de renseignements préjudiciables aux relations internationales comme étant des « renseignements qui, s’ils étaient divulgués, seraient préjudiciables aux relations du Canada avec des nations souveraines ».

[76] Dans la décision Jose Pereira E Hijos SA c Canada (Procureur général), 2001 CFPI 1434 [Pereira], le juge Nadon a conclu que la divulgation de certains renseignements aurait indéniablement un « effet paralysant » sur les relations internationales du Canada (au para 26). Même s’il n’a pas défini le concept de relations internationales, il a cité au paragraphe 19 le passage suivant tiré d’un certificat signifié aux demandeurs par M. Brian Buckley, un agent du service diplomatique canadien, aujourd’hui à la retraite, pour expliquer les raisons de son opposition à la divulgation de certains renseignements :

[traduction]
18. Les gouvernements d’États étrangers, ou les institutions ou les organisations internationales de tels États, et les contacts et sources d’information de tels États, institutions et organisations internationales, communiquent souvent des renseignements concernant les relations internationales sous la condition expresse ou implicite que les renseignements et/ou les identités des sources et contacts ne soient pas divulgués. Les renseignements reçus des sources et contacts en question, ou fournis par eux, que ce soit au Canada ou à l’étranger, se rapportent à une grande diversité de sujets sensibles, notamment les politiques économiques et sociales.

19. La communication de tels renseignements, et/ou des noms, qualités et autres particularités des contacts permanents et des sources permanentes de renseignements, pourrait être préjudiciable aux relations internationales du Canada parce qu’elle risque de compromettre ou de réduire la confiance des gouvernements, des institutions, des organisations internationales ou des particuliers à l’origine des renseignements, et donc de mettre en péril la capacité du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, ou la capacité du gouvernement du Canada, de conserver l’avantage de telles relations et de conduire efficacement les relations diplomatiques et consulaires.

20. En outre, il est essentiel, pour la conduite efficace des relations diplomatiques et consulaires et des négociations internationales, que les représentants canadiens qui obtiennent des renseignements de contacts et de sources puissent en toute sincérité rendre compte, au gouvernement du Canada ou à l’intérieur du gouvernement du Canada, des renseignements en question, ainsi que de leurs opinions, de leurs vues et de leurs recommandations concernant les renseignements et les contacts et sources avec qui ils traitent. La communication de l’identité des fonctionnaires canadiens et de leurs sources ou contacts, ainsi que des opinions, vues ou recommandations des fonctionnaires, pourrait dans certains cas compromettre ou réduire la confiance des sources et contacts permanents à leur égard, et donc mettre en péril la capacité du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international du gouvernement du Canada de conserver l’avantage de telles relations et de conduire efficacement les relations diplomatiques et consulaires.

[...]

23. Par ailleurs, la conduite des négociations internationales, et plus généralement la gestion des relations bilatérales et multilatérales, requiert un minimum de franchise de la part des représentants canadiens et étrangers à propos des positions relatives, des objectifs et des personnalités concernés par telles négociations et relations, et notamment en ce qui a trait aux critiques formulées par les représentants de l’État sur la position de leur propre gouvernement ou d’autres gouvernements, ou sur la position d’organisations internationales. La communication de renseignements de cette nature risquerait vraisemblablement d’avoir un effet paralysant sur la mesure dans laquelle les représentants du Canada et d’États étrangers ou d’organisations internationales peuvent être francs et directs dans leurs négociations et leurs relations, et risquerait donc de nuire à l’efficacité et dans certains cas à la poursuite de telles négociations et relations.

[77] Le certificat présenté par M. Buckley et invoqué par la Cour dans la décision Pereira permet de comprendre ce qui constitue des relations internationales dans le contexte de la divulgation de renseignements sous le régime de la LPC. Comme je l’expose ultérieurement, le raisonnement de M. Buckley est semblable aux observations du procureur général dans la présente demande.

[78] Ainsi, les relations internationales englobent l’échange de renseignements entre des nations souveraines et la capacité d’effectuer de tels échanges dans un climat de confiance de sorte que les renseignements soient aussi complets et exacts possible. La communication de tels renseignements risquerait de compromettre ou de réduire la confiance non seulement de la nation à laquelle ils se rapportent, mais également d’autres nations souveraines. Le Canada profite énormément de ces échanges, et il doit conserver la confiance de toutes les nations souveraines pour continuer à en profiter. De plus, pour que des négociations internationales soient efficaces, les fonctionnaires doivent pouvoir rendre compte en toute sincérité de ces renseignements et de leur opinion au sein du gouvernement du Canada sans craindre qu’ils soient rendus publics.

[79] Il serait difficile de définir le concept de relations internationales de façon définitive. Un tel exercice pourrait entraîner d’importantes pertes de sens. Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Kamel, 2009 CAF 21, la Cour d’appel fédérale a expliqué qu’il fallait appliquer une approche large et souple aux concepts tels que ceux de « relations internationales » et de « sécurité nationale » afin de préserver l’efficacité de la loi :

[20] Des enseignements de la Cour suprême du Canada relativement à l’invalidité constitutionnelle de dispositions législatives ou réglementaires pour cause d’imprécision, je retiens les principes suivants :

[...]

5) certains domaines, tels les relations internationales et la sécurité, se prêtent difficilement à une codification précise, dans la mesure où les situations visées sont variables et imprévisibles. En ce sens, un niveau de généralité et de flexibilité est nécessaire afin de préserver l’efficacité de la loi pour le futur (Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 R.C.S. 1031, par. 48; Nova Scotia Pharmaceutical, supra, pages 641-642; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3, par. 85);

[80] Ce raisonnement repose en partie sur l’arrêt Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) de la Cour suprême du Canada, qui mentionne ce qui suit sur le concept de « danger pour la sécurité du Canada » :

85 Ces réserves exprimées, nous convenons que, dans le contexte des dispositions régissant l’expulsion, il faut interpréter l’expression « danger pour la sécurité du Canada » d’une manière large et équitable, et en conformité avec les normes internationales. Nous reconnaissons que l’expression « danger pour la sécurité du Canada » est difficile à définir. Nous convenons aussi que la conclusion qu’il existe ou non un « danger pour la sécurité du Canada » repose en grande partie sur les faits et ressortit à la politique, au sens large. Tous ces éléments militent en faveur de l’application d’une approche large et souple en matière de sécurité nationale et, comme nous l’avons déjà expliqué, d’une norme de contrôle judiciaire caractérisée par la retenue. Si la ministre peut produire une preuve étayant raisonnablement la conclusion que l’intéressé constitue un danger pour la sécurité du Canada, les tribunaux ne doivent pas intervenir et modifier sa décision.

[81] Cela dit, seuls les renseignements qui, s’ils étaient divulgués, porteraient préjudice aux relations internationales du Canada peuvent être caviardés. Les juges désignés sont conscients de la propension du gouvernement à multiplier les réclamations de confidentialité dans les affaires de sécurité nationale. Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Harkat, 2014 CSC 37, la Cour suprême du Canada a indiqué ce qui suit :

[63] Le juge doit être vigilant et sceptique quant aux allégations du ministre relatives à la confidentialité. Les tribunaux ont formulé des commentaires quant à la propension du gouvernement à exagérer les réclamations de confidentialité fondées sur la sécurité nationale : Canada (Procureur général) c. Almalki, 2010 CF 1106, [2012] 2 R.C.F. 508, par. 108; Khadr c. Canada (Procureur général), 2008 CF 549 (CanLII), par. 73-77 et 98; voir plus généralement C. Forcese, « Canada’s National Security “Complex” : Assessing the Secrecy Rules » (2009), 15:5 IRPP Choices 3. Comme l’a affirmé le juge O’Connor dans son rapport sur la Commission Arar,

la multiplication des réclamations aggrave les problèmes de transparence et d’équité procédurale accompagnant inévitablement toute enquête qui ne peut être totalement publique en raison des préoccupations [de confidentialité liées à la sécurité nationale]. En conséquence, le grand public n’en est que plus soupçonneux et cynique à l’égard des réclamations de confidentialité légitimes du gouvernement liées à la sécurité nationale.

(Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar, Rapport sur les événements concernant Maher Arar : Analyse et recommandations (2006), p. 326-327)

[64] Le juge est le gardien qui doit nous prémunir contre la multiplication des réclamations qui menace le fragile équilibre qu’atteint le régime établi par la LIPR. La multiplication systématique des réclamations porterait atteinte au droit de la personne visée à un processus équitable ou minerait l’intégrité du système judiciaire, exigeant ainsi l’octroi d’une réparation en application du par. 24(1) de la Charte.

[82] Le juge doit donc vérifier les caviardages, avec l’aide de l’ami de la cour, pour s’assurer qu’ils sont justifiés, c.-à-d. que la divulgation des renseignements porterait préjudice.

C. Préjudice porté aux relations internationales

[83] Les paragraphes 38.06(1) et (2) de la LPC exigent la protection des renseignements dont la divulgation porterait préjudice aux relations internationales. Cette précision est importante. Concrètement, cela signifie que la preuve d’un préjudice doit montrer une probabilité de préjudice porté aux relations internationales. Le préjudice ne peut pas être hypothétique. Dans la décision Arar, j’ai traité ainsi de la question en faisant référence à l’arrêt Pereira E Hijos SA c Canada (Procureur général), 2002 CAF 470 :

49 L’article 38 de la LPC donne la définition suivante de l’expression « renseignements potentiellement préjudiciables » :

38 [...]

« renseignements potentiellement préjudiciables » Les renseignements qui, s’ils sont divulgués, sont susceptibles de porter préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales. [Je souligne]

Fait intéressant à noter, cette définition emploie l’expression « sont susceptibles de porter préjudice », tandis que l’article 38.06 de la LPC dispose que le juge doit dire si la divulgation des renseignements « porterait préjudice » aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale. Dans l’arrêt Jose Pereira E. Hijos, S.A. c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 470, au paragraphe 14, la Cour d’appel fédérale s’est exprimée sur le sens de ces deux mots dans le contexte de la LPC :

L’avocat des appelants a également soutenu que même s’il est possible de dire que les parties D et E de l’attestation de M. Buckley ont effectivement été adoptées par l’intimé, l’attestation est en soi défectueuse parce qu’il n’y est nulle part dit, conformément au paragraphe 38(1), que la divulgation des renseignements « porterait » préjudice aux relations internationales du Canada. Ce libellé laisse entendre qu’afin de se prévaloir des articles 37 et 38, une partie doit démontrer qu’il existe une probabilité qu’un préjudice redouté résulte de la divulgation. Or, le dossier ne renferme rien qui montre que la divulgation des renseignements demandés dans la série de questions relatives à l’« achat de votes » « porterait préjudice aux relations internationales ». Il est noté que, dans les parties D et E de l’attestation, M. Buckley emploie les mots [traduction] « pourrait » et [traduction] « risquerait » plutôt que le mot [traduction] « porterait ». La loi semblerait exiger que l’on démontre la probabilité d’un préjudice plutôt qu’une simple possibilité. [Non souligné dans l’original]

Je souscris aux propos de la Cour d’appel fédérale. L’emploi de l’expression « porterait préjudice » par le législateur signale que, selon l’article 38.06 de la LPC, le gouvernement doit convaincre le juge chargé du contrôle que le préjudice allégué est une probabilité, et non simplement une possibilité ou une conjecture.

[84] Le verbe « porterait » exige une preuve plus concluante. Le procureur général doit convaincre le juge que le préjudice allégué est une probabilité, et non simplement une possibilité.

[85] De plus, pour être considérées comme une probabilité de préjudice, les relations internationales du Canada doivent avoir subi un dommage, une perte ou une conséquence négative. Dans la décision Arar, la Cour a examiné le sens ordinaire du mot « préjudice » et a fait remarquer ce qui suit :

[51] Le Oxford English Dictionary [2e éd. Oxford : Clarendon Press, 1989] définit ainsi le mot « injury » (« préjudice ») :

[traduction]

1. Acte ou événement nuisible aux intérêts de quelqu’un; atteinte aux droits d’autrui; dommage volontairement et injustement causé. Acte dommageable infligé ou subi. 2. Paroles intentionnellement blessantes ou offensantes; injure, insulte, calomnie; raillerie, affront. Vieilli. [Cf. en français, une injure est une parole offensante, outrageuse.] 3. a. Dommage ou perte causé à une personne ou chose, ou subi par elle; tort, détriment, endommagement. b. Concret. Blessure ou douleur corporelle. Vieilli, rare. 4. Attribut et compos. Préjudiciable attentatoire simulateur de blessure n. verb et adj. particip.; se dit du temps de prolongation accordé à la fin d’un match de soccer ou autre pour compenser les arrêts de jeu entraînés par les blessures.

S’agissant de l’article 38 de la LPC, c’est évidemment la définition numéro 3 qui convient le mieux. Cette définition dit, tout comme les autres dans une certaine mesure, que, pour qu’il y ait « préjudice », il doit y avoir un détriment, un dommage ou une perte. Pour sa part, le Black’s Law Dictionary, 7e éd. St. Paul, Minn. : West Group, 1999, définit ainsi le mot « injury » [« préjudice »] [...] :

[traduction] 1. L’atteinte aux droits d’autrui, à l’égard de laquelle la loi prévoit un recours; tort, injustice. Voir tort. 2. Lésion ou dommage.– préjudicier à, vb. – préjudiciable, adj.

 

Là encore, la notion de tort et de dommage transparaît dans cette définition.

[86] Le procureur général doit démontrer à la Cour que le préjudice ou le tort allégué repose sur des faits établis (Ribic, au para 18). Bien qu’il appartienne au procureur général d’effectuer un tel examen, la Cour doit faire preuve d’une certaine retenue à l’égard de son évaluation du préjudice en raison de son rôle protecteur envers la sécurité du public et de son accès à des sources particulières d’information et d’expertise (Ribic, au para 19). Cependant, la Cour doit s’assurer que la non-divulgation des renseignements est justifiée (c.-à-d. que leur divulgation porterait préjudice aux relations internationales). Si les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent, le juge peut autoriser la divulgation des renseignements.

D. Mise en balance des raisons d’intérêt public

[87] À la troisième étape du critère de l’arrêt Ribic, le juge désigné doit dire si les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent sur celles qui justifient la non‑divulgation. Si le juge conclut que les raisons d’intérêt public militent en faveur de la divulgation, il peut, en vertu du paragraphe 38.06(2) de la LPC, autoriser la divulgation, compte tenu de la forme et des conditions de divulgation les plus susceptibles de limiter le préjudice porté aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales. Comme l’a indiqué la Cour suprême du Canada au paragraphe 44 de l’arrêt R c Ahmad, [2011] 1 RCS 110, l’article 38 institue un régime empreint de souplesse :

L’article 38 institue un régime que le législateur a voulu empreint de souplesse. Diverses dispositions autorisent une divulgation conditionnelle, partielle ou encore limitée. Le paragraphe 38.06(1) impose expressément au juge de la Cour fédérale l’obligation de tenir compte des raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation, ainsi que des conditions de divulgation « les plus susceptibles de limiter le préjudice porté aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales » (par. 38.06(2)). Lorsqu’il rend sa décision, le juge de la Cour fédérale peut autoriser la divulgation partielle, ou assortie de certaines conditions, des renseignements au juge du procès, lui en fournir un résumé ou l’aviser que certains faits que l’accusé veut établir peuvent être tenus pour avérés pour les besoins du procès. [...]

[88] Le juge ne doit pas accomplir cet exercice de mise en balance en l’absence de tout contexte. Il doit évaluer les facteurs tirés du contexte du dossier. Certains de ces facteurs, énoncés au paragraphe 26 de la décision Khan c Canada, [1996] 2 CF 316, et confirmés aux paragraphes 74 et 93 de l’arrêt Khawaja et au paragraphe 24 de la décision Canada (Procureur général) c Ader, 2017 CF 838, sont les suivants :

A. La nature de l’intérêt public que l’on tente de protéger par le secret;

B. La question de savoir si un fait crucial pour la cause sera probablement ainsi établi. Autrement dit, la pertinence des renseignements demandés revêt une importance considérable pour la cause à défendre;

C. La gravité de l’accusation ou des questions concernées;

D. L’admissibilité des documents et leur utilité;

E. La question de savoir si la partie qui demande la divulgation a établi qu’il n’existe pas d’autres moyens raisonnables d’obtenir les renseignements;

F. La question de savoir si les demandes de divulgation de renseignements visent la communication de certains documents ou constituent des interrogatoires à l’aveuglette.

[89] Dans la décision Arar, j’ai établi une liste de facteurs assez semblable, mais comportant quelques nuances :

A. L’étendue du préjudice;

B. La pertinence des renseignements expurgés pour la procédure dans laquelle ils seraient utilisés, ou les objectifs de l’organisme qui recherche la divulgation des renseignements;

C. Le point de savoir si les renseignements expurgés sont déjà connus du public et, dans l’affirmative, la manière dont les renseignements sont tombés dans le domaine public;

D. L’importance du principe de la publicité des débats judiciaires;

E. L’importance des renseignements expurgés dans le contexte de la procédure d’origine;

F. Le point de savoir s’il y a des intérêts supérieurs en jeu, par exemple les droits de la personne, le droit de présenter une défense pleine et entière dans le contexte criminel, etc.

[90] Ces facteurs à prendre en considération varient d’une affaire à l’autre. Ils doivent être ancrés dans les questions que soulève l’instance sous-jacente.

VIII. EXAMEN PUBLIC DES DOCUMENTS CAVIARDÉS

[91] Comme je l’ai mentionné précédemment, dix (10) documents sont en cause. Sept (7) d’entre eux sont partiellement caviardés, alors que les trois (3) autres sont entièrement caviardés, y compris le titre. Par souci de commodité, ces documents sont énumérés au paragraphe 47, ayant été déposés publiquement et numérotés par le procureur général.

[92] Lors de l’audience à huis clos, tous les documents non caviardés ont été commentés et examinés par la témoin, les avocats du procureur général, l’ami de la cour et la Cour. Le procureur général et l’ami de la cour ont déposé des observations concernant les motifs justifiant chaque caviardage, sur lesquels ils étaient très rarement d’accord.

[93] Selon le dossier public, un survol des documents montre que deux (2) documents (PGC 002251 et PGC 002255) sont les rapports annuels sur les droits de la personne au Kazakhstan d’AMC : le rapport de 2010 (version longue) et le rapport du 1er avril 2011 au 29 mars 2012 (version courte). Comme on peut le remarquer, ces deux documents sont légèrement caviardés.

[94] Trois (3) documents sont des échanges de courriels. Le premier document (PGC 00252) est une correspondance interne entre divers fonctionnaires d’AMC et l’ambassadeur du Canada au Kazakhstan. Il est légèrement caviardé. Le deuxième document (PGC 002256) est un courriel de M. Masud Husain (fonctionnaire d’AMC) daté du 27 septembre 2013 et une réponse de Mme Jennifer May (fonctionnaire d’AMC) datée du 2 octobre 2013. L’objet du courriel est « MSFA bilateral with Kazakhstan » [Ministre d’État – Bilatérale avec le Kazakhstan], et le contenu est presque entièrement caviardé. Le troisième document (PGC 002257) est une correspondance interne entre des employés du GEI, au sein du ministère de la Justice, et est légèrement caviardé.

[95] Un autre document légèrement caviardé (PGC 002254) est une ébauche de la note d’information intitulée « Kazakhstan » rédigée par une fonctionnaire d’AMC.

[96] Un autre document (PGC 002259) est une lettre de l’ambassade de la République du Kazakhstan au ministère de la Justice datée du 29 janvier 2014. Ce document est partiellement caviardé.

[97] Les deux autres documents (PGC 002260 et PGC 002261) n’ont pas de titre, sont entièrement caviardés et comptent respectivement 259 pages et 168 pages. Le dixième document (PGC 002262), qui a été divulgué par le procureur général pendant l’audience ex parte à huis clos, est aussi entièrement caviardé et n’a pas de titre.

IX. ANALYSE

A. Les renseignements intéressent-ils l’instance sous-jacente?

[98] À l’étape de la pertinence, le critère est peu exigeant (Ribic, au para 17). L’existence d’un certain lien entre les renseignements caviardés et les questions de l’instance sous-jacente est suffisante pour satisfaire à ce critère. Dans la présente demande, je conclus que les renseignements non divulgués intéressent les questions soulevées dans l’action. Cette évaluation de la pertinence revient à la troisième étape du critère de Ribic lors de la mise en balance des raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation des renseignements et de celles qui justifient leur non‑divulgation.

B. Dans l’affirmative, la divulgation des renseignements porterait-elle préjudice aux relations internationales du Canada?

[99] La réponse courte est oui, la divulgation des renseignements caviardés porterait préjudice aux relations internationales du Canada. L’étendue d’un tel préjudice varie selon chaque caviardage. S’ils étaient divulgués, certains renseignements porteraient un préjudice moins grave, alors que d’autres porteraient un préjudice plus grave.

[100] Le degré d’importance des relations du Canada avec le Kazakhstan doit être pris en considération. Dans la décision Almalki, 2010 CF 1106, le juge Mosley a résumé ainsi l’importance de la relation du Canada avec des pays et des organismes étrangers sur le plan du partage des renseignements :

[150] Je tiens par ailleurs à signaler que les pays et les organismes n’ont pas tous la même importance pour le Canada sur le plan du partage des renseignements. Il est évident que les conséquences d’un manquement à un accord conclu par le Canada avec ses principaux alliés tels que les États‑Unis et le Royaume‑Uni seraient beaucoup plus graves que celles que pourrait entraîner la divulgation de renseignements obtenus d’un pays ou d’un organisme moins étroitement lié à nos intérêts nationaux. Ainsi que le juge Noël l’explique dans la décision Arar, précitée, aux paragraphes 80 et 81 :

Lorsqu’on se demande si la divulgation de renseignements causera un préjudice, il importe également de considérer la nature de la relation du Canada avec l’agence de renseignement ou l’agence d’application de la loi d’où proviennent les renseignements. Il est admis que certaines agences présentent une importance plus grande pour le Canada et donc qu’il faut faire davantage pour protéger nos relations avec elles. Par conséquent, il faut agir avec circonspection lorsqu’on envisage la possibilité de transgresser la règle des tiers à l’égard de renseignements obtenus de nos alliés les plus importants.

Cela dit, la gravité du préjudice pouvant résulter d’un manquement à la règle des tiers pourra être mesurée à la faveur du troisième volet du critère de l’article 38.06, lorsque le juge chargé du contrôle mettra en balance les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation et les raisons d’intérêt public qui justifient la non‑divulgation. [Non souligné dans l’original.]

[101] Le Canada est l’un des dix principaux investisseurs étrangers au Kazakhstan. Les entreprises canadiennes font des investissements directs totalisant 2,6 milliards de dollars, surtout dans l’industrie extractive (principalement dans l’industrie minière). L’extraction de l’uranium permet aux entreprises canadiennes de transférer la technologie minière. Prometteuses, les années 2007 à 2010 étaient considérées par AMC comme étant celles qui renforceraient la collaboration des entreprises canadiennes avec les partenaires kazakhs dans le domaine de l’énergie nucléaire utilisée à des fins civiles. (Voir le rapport annuel sur les droits de la personne de 2009-2010 au Kazakhstan, au paragraphe 41.) Les éléments de preuve confidentiels présentés par le procureur général lors de l’audience ex parte à huis clos étayent également l’importance à donner à la relation du Canada avec le Kazakhstan.

[102] Je souscris à la position du procureur général selon laquelle il est question, en l’espèce, de deux catégories de préjudice porté aux relations internationales. Premièrement, il y a les renseignements obtenus à titre confidentiel de gouvernements étrangers ou de leurs représentants. Le Canada a beaucoup à gagner en montrant que les renseignements qu’il reçoit de nations souveraines sont traités avec précaution et restent confidentiels afin d’entretenir de bonnes relations internationales avec toutes les nations. Sans ce climat de respect mutuel, le Canada affaiblirait sa position sur la scène diplomatique.

[103] Deuxièmement, il y a les renseignements liés aux commentaires concernant des gouvernements étrangers ou leurs fonctionnaires faits ou signalés par des fonctionnaires canadiens en privé. Les fonctionnaires et les employés gouvernementaux doivent pouvoir communiquer en toute franchise et sincérité sans craindre que leurs opinions soient rendues publiques. Il ne s’agit pas de garder des renseignements secrets, mais plutôt de veiller à ce que les employés peuvent travailler efficacement et sans contraintes. Un climat de confiance doit exister afin de garantir des échanges directs.

C. Dans l’affirmative, les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent‑elles sur celles qui justifient la non-divulgation?

[104] L’exercice de mise en balance n’est pas une tâche facile. Elle exige de bien comprendre les instances sous-jacentes, les intérêts opposés ainsi que les relations internationales en cause.

[105] Au fil de mon examen, j’ai acquis une bonne connaissance des instances sous-jacentes. Les questions et certains des faits soulevés dans l’action sont graves. Il m’apparaît également évident que le procureur général a un intérêt dans le litige sous-jacent. Dans de telles circonstances, le juge désigné doit faire preuve de vigilance et s’assurer que les réclamations de confidentialité n’empêchent pas la divulgation de renseignements importants. Le processus doit être juste et ne peut favoriser un plaideur au détriment de l’autre.

[106] Bien que les relations internationales du Canada soient importantes, comme il est indiqué précédemment, elles ne peuvent être protégées au détriment des raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation. Pour réaliser une mise en balance adéquate, le juge désigné doit trouver une manière de garantir l’équité de l’instance sous-jacente et la protection des relations internationales du Canada. Je dois me demander quels renseignements intéressent le litige en cours ou revêtent une importance pour celui-ci et s’il est possible de divulguer ces renseignements d’une manière qui serait la plus susceptible de limiter le préjudice ou qui pourrait le neutraliser.

[107] Le paragraphe 38.06(2) de la LPC donne des indications en ce sens. Si le juge envisage d’autoriser la divulgation des renseignements qui porteraient préjudice aux relations internationales, après avoir conclu que la balance penche en faveur d’une certaine forme de divulgation, il doit tenir compte de la forme et des conditions de divulgation les plus susceptibles de limiter ou de possiblement neutraliser le préjudice. Le juge a compétence pour autoriser la divulgation des renseignements sous réserve des conditions qu’il estime indiquées.

[108] En l’espèce, après avoir soigneusement mis en balance les raisons d’intérêt public, je conclus que pour la plupart des caviardages, les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent, à des degrés divers, sur celles qui justifient la non-divulgation. Cela étant dit, la divulgation complète au défendeur porterait préjudice aux relations internationales du Canada, et je ne crois pas qu’elle soit nécessaire pour garantir l’équité de l’instance. Pour les besoins du litige, des résumés des renseignements importants ciblés fourniront suffisamment de renseignements au défendeur et garantiront l’équité de l’instance.

[109] À la présente étape, afin de limiter le préjudice, les résumés ne seront divulgués qu’aux avocats du défendeur et à ceux de la Couronne dans l’action, sous réserve d’un engagement de leur part de ne pas divulguer les renseignements de quelque façon que ce soit à quiconque, à moins d’obtenir la permission auprès d’un juge de la Cour (voir l’engagement proposé à l’annexe A). La Cour fait remarquer que les avocats du défendeur avaient évoqué cette possibilité pendant le contre-interrogatoire de Mme Alison Grant (voir la transcription, aux pages 100-101). Des dispositions devront être prises pour veiller à ce que les renseignements contenus dans les résumés restent confidentiels tout au long de l’instance. Le juge chargé d’instruire l’action aura également accès aux résumés confidentiels et, si nécessaire, certains renseignements peuvent être publiés dans les motifs rendus à titre confidentiel.

[110] Une fois que les avocats du défendeur auront eu accès aux résumés, s’ils estiment que le défendeur devrait y avoir accès, ils peuvent présenter une requête à la Cour en vue d’obtenir un tel accès, sous réserve de conditions, notamment un engagement de la part du défendeur de ne divulguer aucun des renseignements.

[111] De plus, afin d’atténuer tout préjudice qu’une telle divulgation pourrait causer, avant la divulgation des résumés, le demandeur disposera de cinq (5) jours pour informer les fonctionnaires kazakhs à Ottawa de la présente ordonnance et des présents motifs. Ensuite, le demandeur avisera par écrit les avocats du défendeur, l’ami de la cour et la Cour qu’il l’a fait. Les témoignages entendus lors de l’audience ex parte à huis clos démontrent que cette mesure aiderait à atténuer tout préjudice éventuel.

[112] Sous réserve des conditions mentionnées précédemment, les résumés seront divulgués relativement aux documents suivants :

  1. Le premier résumé porte sur les rapports annuels sur les droits de la personne de 2010 et 2012 produits par le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (comme on l’appelait à l’époque) (PGC 002251 et PGC 002255). Certains renseignements caviardés sont confirmés par la Cour et ne peuvent être résumés (PGC 002254 et PGC 002255). Cependant, ils ne revêtent pas une importance pour l’instance sous-jacente.

  2. Le deuxième résumé est lié au document PGC 002256. Il porte sur deux (2) sujets dont les parties ont discuté et qui intéressent l’instance sous-jacente. Les autres sujets de discussion ne sont pas liés à l’instance sous-jacente.

  3. Le troisième résumé est lié aux documents PGC 000257, PGC 002259, PGC 002260, PGC 002261 et PGC 002262. Il divulgue des faits inconnus du défendeur qui intéressent l’instance sous-jacente.

[113] Les résumés font partie de la présente ordonnance et sont conservés dans une enveloppe portant la mention « confidentiel » à titre d’annexe B qui ne sera divulguée qu’aux avocats des parties une fois toutes les conditions remplies. Quelques copies seront faites, et chacune d’entre elles sera remise aux personnes autorisées en conformité avec la présente ordonnance.

[114] J’ai énuméré les caviardages demandés par le demandeur ainsi que les motifs de ma décision dans un tableau confidentiel figurant à l’annexe C, lequel fait partie de mon ordonnance.

X. CONCLUSION

[115] Par conséquent, les renseignements que le procureur général propose de caviarder le resteront. L’accès aux trois (3) résumés est limité au juge chargé d’instruire l’action et aux avocats au dossier, qui doivent s’engager à ne pas divulguer les renseignements à moins d’obtenir l’autorisation d’un juge de la Cour. De plus, avant la divulgation des résumés, le demandeur disposera de cinq (5) jours pour informer les fonctionnaires kazakhs à Ottawa de la présente ordonnance et des présents motifs.

[116] Les résumés contiennent l’essentiel des renseignements caviardés. Après avoir mis en balance les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation qui s’opposent à celles qui justifient la non‑divulgation, j’ai conclu que certains renseignements doivent être divulgués pour garantir l’équité du litige, sous réserve des conditions énoncées précédemment dans le but de protéger les relations internationales.

[117] Comme dernière observation, je souhaite remercier les avocats du procureur général et l’ami de la cour, Me Kapoor, pour leurs observations utiles et leur collaboration étroite dans le cadre de la présente affaire. Ces types d’instances sont difficiles, et elles le sont encore plus en temps de pandémie. Je reconnais les efforts déployés par toutes les parties concernées.


 

ORDONNANCE MODIFIÉE (EN VERTU DE L’ARTICLE 397 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES ET EN PARTIE EN RÉPONSE À UNE LETTRE DATÉE DU 13 JUILLET 2021)

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande est accueillie en partie. Les caviardages sont confirmés sous réserve de la divulgation limitée des résumés;
  2. La divulgation des résumés est limitée aux avocats des parties et au(x) juge(s) prenant part à l’action, à moins d’obtenir l’autorisation d’un juge désigné__________ de la Cour;
  3. La divulgation des résumés aux avocats est assujettie à l’engagement proposé (annexe A), qui doit être signé et déposé auprès du greffe de la Cour;
  4. Les avocats des parties à la présente instance et à l’action auront accès aux résumés à condition que l’engagement (annexe A) soit signé et déposé auprès du greffe de la Cour;
  5. Les résumés doivent être conservés dans une enveloppe portant la mention « confidentiel » (annexe B) par le greffe de la Cour, et des copies ne seront remises qu’aux personnes autorisées en conformité avec la présente ordonnance;
  6. Si, pour les besoins de l’action, un avocat a l’intention d’utiliser les renseignements confidentiels, il peut le faire pourvu que les renseignements soient traités comme étant de nature confidentielle;
  7. Toutes les personnes qui prennent part à l’instance sous-jacente doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger la confidentialité des renseignements contenus dans les résumés;
  8. Si l’une des personnes autorisées souhaite utiliser les résumés confidentiels dans le cadre d’une instance en immigration à laquelle est partie le défendeur, une requête doit être présentée à un juge désigné__________ de la Cour;
  9. Si les avocats du défendeur estiment que ce dernier devrait avoir accès aux résumés, une requête à cet effet doit m’être présentée et doit, entre autres exigences, respecter les conditions relatives à l’accès aux renseignements confidentiels et comprendre l’engagement proposé signé par le défendeur;
  10. La présente ordonnance renferme un tableau confidentiel (annexe C) énonçant les motifs de la décision pour chaque caviardage demandé par le procureur général. L’accès au tableau est limité aux avocats du procureur général et à l’ami de la cour, sauf autorisation contraire d’un juge désigné__________ de la Cour;
  11. Le demandeur dispose de cinq (5) jours pour informer les fonctionnaires kazakhs à Ottawa de la présente ordonnance et des présents motifs avant la divulgation des résumés. Ensuite, l’avocat du procureur général en avisera immédiatement les avocats du défendeur, l’ami de la cour et la Cour;
  12. Conformément aux paragraphes 38.09(2) et 38.06(3.01) de la LPC, le procureur général a dix (10) jours pour informer la Cour de ses préoccupations quant à la présente ordonnance et aux présents motifs. Au-delà de ce délai, la version publique de l’ordonnance et des motifs sera publiée.
  1. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Simon Noël »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sophie Reid-Triantafyllos


ANNEXE A

Le 4 juillet 2014, le procureur général a déposé un avis de demande en vertu de l’article 38.04 de la Loi sur la preuve au Canada (la LPC) relativement à des renseignements pour lesquels le procureur général avait reçu un avis en vertu de l’article 38.01 de la LPC.

L’instance introduite en 2014 sous le régime de l’article 38 a été suspendue jusqu’à l’automne 2019, et le procureur général a déposé un avis de demande supplémentaire en vertu de l’article 38.04 de la LPC le 15 novembre 2019. Au total, neuf documents étaient visés dans l’avis de demande de 2019, et un dixième document a ensuite été ciblé et est dorénavant visé par le même avis de demande.

Des affidavits publics et ex parte expliquant le préjudice que porterait aux relations internationales la divulgation des renseignements contenus dans les documents visés par l’avis de demande de 2019 ont été déposés respectivement le 29 janvier 2020, le 18 novembre 2019 et le 14 août 2020.

Les auteurs des affidavits publics et ex parte d’AMC ont été interrogés respectivement le 13 février 2020 et le 10 novembre 2020.

Des observations publiques et ex parte ont été entendues respectivement le 4 mars 2020 et le 9 juin 2021.

Le 20 juillet 2021, la Cour a ordonné la production de résumés en vertu du paragraphe 38.06(2) de la LPC aux avocats des parties inscrits au dossier et la Cour dans le cadre de l’action sous-jacente (numéro de dossier de la cour T-1911-12) sous réserve de conditions, dont la signature de l’engagement suivant par les avocats inscrits au dossier.

ENGAGEMENT

Je, _______________________, de la Ville de ___________________, dans [la province/l’état] de _________________, m’engage et consens par la présente à préserver la confidentialité des renseignements contenus dans les résumés produits par la Cour fédérale dans le cadre de la demande DES-2-14 [ci-après appelés « résumés »] et, plus particulièrement :

  1. Je comprends que la Cour a rendu une ordonnance dans le cadre de la présente demande qui prévoit la production des résumés en vertu de l’article 38.06(2) de la Loi sur la preuve au Canada et j’ai lu et compris les conditions de l’ordonnance. Je reconnais que tout manquement de ma part au présent engagement sera considéré comme une violation de l’ordonnance.
  2. Je n’utiliserai les résumés qu’aux seules fins de la demande dans le dossier T-1911-12 et de tout appel connexe ou toute discussion de conciliation, et à aucune autre fin. De plus, et surtout, je confirme ce qui suit :
    1. Je ne reproduirai, ni ne publierai, ni ne rendrai autrement publics les résumés ou leur contenu;
    2. Je détruirai les résumés dès qu’une décision définitive sera rendue à l’égard de la demande dans le dossier T-1911-12 ou qu’un règlement sera conclu;
  3. Je prendrai toutes les mesures nécessaires pour préserver la confidentialité des résumés s’ils sont invoqués dans le cadre de la demande dans le dossier T-1911-12 ou de discussions de conciliation;
  4. Je reconnais et conviens que la fin de l’instance relativement à la demande dans le dossier T-1911-12 et des instances connexes ne me dégage pas de l’obligation de préserver la confidentialité des résumés conformément aux dispositions du présent engagement, sous réserve de toute autre ordonnance de la Cour;
  5. Je conserverai à mon bureau les résumés dans une enveloppe scellée portant la mention « confidentiel » et je prendrai toutes les mesures nécessaires pour en restreindre l’accès aux personnes ayant signé un engagement. Je transmettrai à la Cour le nom des personnes ayant signé l’engagement;
  1. Je ne discuterai pas du contenu des résumés avec le demandeur, M. Tursunbayev, à moins d’avoir demandé et obtenu l’autorisation de la Cour.

________________________________ (signature)

SIGNÉ, SCELLÉ ET DÉLIVRÉ devant témoin le ________________.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

DES-2-14

INTITULÉ :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c RUSTEM TURSUNBAYEV

LIEU DE L’AUDIENCE PUBLIQUE :

OTTAWA (ONTARIO)

LIEU DE L’AUDIENCE À HUIS CLOS :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE PUBLIQUE :

LE 4 MARS 2020

DATES DE L’AUDIENCE À HUIS CLOS :

LE 10 NOVEMBRE 2020 ET LE 9 JUIN 2021

ORDONNANCE MODIFIÉE ET MOTIFS :

LE JUGE S. NOËL

DATE DES MOTIFS :

LE 20 JUILLET 2021

COMPARUTIONS :

Nathalie Benoit

Christophe Laurence

Barney Brucker

Kareena Wilding

Andrea Bourke

POUR LE DEMANDEUR

Lorne Waldman

Tara McElroy

Brian Heller

POUR LE DÉFENDEUR

Anil Kapoor

AMI DE LA COUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Waldman and Associates

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

Heller, Rubel Barristers

Toronto (Ontario)

VIDE

VIDE

Kapoor Barristers

Toronto (Ontario)

AMI DE LA COUR

 

 

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