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Date : 20210928


Dossier : IMM‐4943‐20

Référence : 2021 CF 1011

[traduction française]

Ottawa (Ontario), le 28 septembre 2021

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

MOHAMMED GADAFI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, monsieur Mohammed Gadafi, sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, qui confirmait la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) selon laquelle il n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] M. Gadafi est un citoyen du Ghana, originaire de Kumasi. Il est né dans une famille musulmane et son frère aîné est un imam. Il craint d’être persécuté pour des motifs religieux en raison de sa conversion au christianisme. Le frère ainé de M. Gadafi a appris en juillet 2015 que ce dernier assistait à des offices religieux chrétiens et l’a menacé d’excommunication et de mort s’il ne se reconvertissait pas à l’islam. M. Gadafi a été attaqué en août 2015 par trois hommes armés qui ont prétendu que l’attaque se voulait un avertissement de la part de sa famille. La police ne lui a apporté aucune aide, en affirmant que rien ne prouvait que sa famille était derrière l’attaque. M. Gadafi allègue qu’il a tenté de se mettre en sécurité en quittant Kumasi, mais que sa famille avait continué de lui téléphoner et de le menacer de mort.

[3] La SPR a établi que M. Gadafi n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger parce qu’il avait des possibilités de refuge intérieur (PRI) à Sekondi‐Takoradi et à Cape Coast. La SAR a rejeté l’appel interjeté par M. Gadafi et a confirmé la décision de la SPR, en concluant que la SPR n’avait pas commis d’erreur dans son analyse de la PRI.

[4] M. Gadafi fait valoir que la conclusion de la SAR quant à la PRI est déraisonnable. Il affirme qu’il a soulevé une crainte de persécution pour des motifs religieux par sa famille ainsi que par des musulmans intolérants et extrémistes dans l’exposé circonstancié de son formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA), mais que la décision de la SAR portait presque exclusivement sur la persécution par sa famille. M. Gadafi soutient qu’il a soulevé la crainte de persécution par des extrémistes musulmans en appel, mais que la SAR avait abordé la question de façon superficielle, en concluant qu’il ne serait reconnu comme un ancien musulman dans les villes proposées comme PRI que s’il s’identifiait comme tel volontairement, et qu’il n’avait pas besoin de se présenter comme un ancien musulman. M. Gadafi soutient que les conclusions de la SAR correspondent à une conclusion selon laquelle il serait en sécurité dans les villes proposées comme PRI tant que sa conversion de l’islam au christianisme restait secrète, ce qui est déraisonnable parce qu’il serait facilement reconnu comme une personne convertie en raison de son nom musulman. De plus, M. Gadafi prétend que la SAR a manqué à l’équité procédurale parce que, la SPR n’ayant pas examiné la question de l’auto‐identification, elle a donc soulevé une nouvelle question au sujet du risque auquel il était exposé dans les villes proposées comme PRI sans lui donner de préavis ni de possibilité de répondre.

[5] M. Gadafi n’a pas établi que la décision de la SAR était déraisonnable en raison des erreurs précédemment mentionnées, et il n’a pas établi que la SAR avait manqué à l’équité procédurale. Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[6] Les questions en litige dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire sont les suivantes :

  • 1) La SAR a‐t‐elle commis une erreur dans son analyse du risque de persécution pour des motifs religieux par des musulmans intolérants et extrémistes?

  • 2) La SAR a‐t‐elle contrevenu à l’équité procédurale en soulevant une nouvelle question sans préavis?

[7] Selon les orientations données par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov],la norme de contrôle qui s’applique à la première question est celle de la décision raisonnable,. La norme de la décision raisonnable oblige la cour de révision à procéder à un contrôle empreint de déférence, mais rigoureux : Vavilov aux para 12 et 13, 75 et 85. La cour de révision doit établir si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité : Vavilov, au para 99. Une décision raisonnable est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov, au para 100.

[8] La deuxième question, qui soulève un enjeu d’équité procédurale, est soumise à une norme semblable à celle de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43; Mission Institution c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54 [Chemin de fer Canadien Pacifique]. L’obligation d’équité procédurale est « éminemment variable », intrinsèquement souple et tributaire du contexte : Vavilov, au para 77. La cour qui apprécie un argument relatif à l’équité procédurale doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances : Chemin de fer Canadien Pacifique, au para 54.

III. Analyse

A. La SAR a‐t‐elle commis une erreur dans son analyse du risque de persécution pour des motifs religieux par des musulmans intolérants et extrémistes?

[9] Comme il est mentionné précédemment, M. Gadafi soutient qu’il a soulevé une crainte de persécution pour des motifs religieux par sa famille, mais aussi par des musulmans intolérants et extrémistes, dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA. Il prétend que la SPR a commis une erreur dans son analyse du risque de persécution aux mains d’extrémistes musulmans en invoquant : a) des éléments de preuve sur la situation dans le pays selon lesquels la société ghanéenne respecte généralement la liberté de religion, et b) l’absence de toute mention de violence fondée sur la religion dans les documents relatifs à la situation dans le pays. M. Gadafi soutient que ces conclusions étaient erronées parce qu’il ne craint pas la société ghanéenne en général ou le gouvernement, mais bien les extrémistes religieux, et que l’État n’est pas en mesure de le protéger contre ce risque. De plus, il affirme que la SPR a eu tort d’inférer que la violence fondée sur la religion n’existe pas du simple fait qu’elle n’est pas mentionnée dans les documents sur la situation dans le pays, particulièrement étant donné que l’extrémisme islamique est un problème à l’échelle mondiale et qu’il a produit des éléments de preuve d’extrémisme islamique au Nigéria, au Pakistan, et en Somalie.

[10] M. Gadafi affirme qu’il a contesté la conclusions tirées par la SPR dans son mémoire d’appel produit devant la SAR en soutenant que [traduction] « son nom évoque ses racines musulmanes et s’il ne proclame pas cette foi, il sera rapidement découvert » et que la SPR [traduction] « a accordé peu de poids, sinon aucun, aux circonstances personnelles du demandeur à titre de personne d’origine musulmane qui par ses actions et par choix a renoncé à la religion de sa famille ». M. Gadafi allègue que la SAR a de façon déraisonnable rejeté ses affirmations, en concluant qu’il serait en sécurité dans les villes proposées comme PRI si sa conversion de l’islam au christianisme restait secrète. Il prétend que l’apostasie est passible de mort, et que la SAR a omis de prendre en compte l’ampleur de ses allégations de persécution par des extrémistes. Il affirme que si la SAR avait apprécié le risque comme il se devait et avait conclu à une possibilité sérieuse de persécution par des extrémistes musulmans dans les villes proposées comme PRI, elle aurait alors dû examiner la question de savoir s’il pouvait obtenir la protection de l’État.

[11] Le défendeur affirme que, contrairement à ce que M. Gadafi prétend, celui‐ci n’a pas soulevé une question quant au risque de persécution par des extrémistes musulmans en appel devant la SAR, et il relève de façon inadmissible de prétendues erreurs commises par la SPR pour la première fois en contrôle judiciaire : Dahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 1102 [Dahal] aux para 35 à 37; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c R. K., 2016 CAF 272 au para 6. Le défendeur prétend que les arguments que M. Gadafi a avancés devant la SAR au sujet de son nom et de ses circonstances personnelles en tant que personne d’origine musulmane ayant renoncé à la religion de sa famille étaient vagues et ne satisfont pas aux exigences énoncées à l’alinéa 3(3)g) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‐257 [les Règles de la SAR]. Il affirme que, si le risque auquel M. Gadafi est exposé de la part de la communauté musulmane en général ou d’extrémistes musulmans à cause de sa conversion constituait un aspect important de sa demande d’asile, comme il le soutient devant la Cour, il aurait dû soulever la question clairement en appel devant la SAR. Il ne faut pas s’attendre à ce que cette dernière formule des hypothèses ou tire des inférences quant à la position d’un demandeur; le demandeur doit décrire sa position clairement, avec des observations complètes et détaillées : Adams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2018 CF 524 [Adams] aux para 28 à 30.

[12] Le défendeur soutient que la SAR a dûment instruit l’appel interjeté à l’égard de la décision rendue par la SPR dans le respect des Règles de la SAR, suivant les erreurs soulevées par M. Gadafi. Quoi qu’il en soit, le défendeur affirme qu’il revient à M. Gadafi de démontrer qu’il serait exposé à un risque de persécution dans les villes proposées comme PRI et qu’il ne s’est pas acquitté de son fardeau : Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993), [1994] 1 CF 589 à la p. 5, 109 DLR (4th) 682 (CAF).

[13] Je souscris à la position du défendeur. Le caractère raisonnable de la décision d’un tribunal est tributaire du contexte — la décision doit être justifiée « au regard de l’ensemble du droit et des faits pertinents » : Vavilov, au para 105. Les motifs donnés par la SAR doivent être interprétés en fonction de l’historique et du contexte de l’instance dans laquelle ils ont été rendus, y compris les observations formulées par M. Gadafi et la façon dont il a rédigé son appel : Vavilov, au para 94. Je ne suis pas convaincue que la décision de la SAR, lorsqu’elle est lue dans son contexte, est déraisonnable.

[14] L’argument selon lequel que, avec le nom qu’il portait, M. Gadafi serait [traduction] « rapidement découvert » militait contre la thèse de la SPR dans son analyse voulant que les villes proposées comme PRI constituaient des PRI viables étant donné que M. Gadafi n’était jamais allé dans celles‐ci. Dans son mémoire d’appel déposé devant la SAR, M. Gadafi a soutenu que la SPR avait commis une erreur en considérant ce fait comme un élément favorable —et non pas en omettant de prendre dûment en compte le risque de persécution par des musulmans intolérants et extrémistes dans les villes proposées comme PRI. L’analyse effectuée par la SAR à l’égard de cette prétendue erreur portait sur le risque de persécution auquel serait exposée la famille de M. Gadafi parce que la SPR avait conclu qu’il était peu probable que les membres de la famille de M. Gadafi le retrouvent à Sekondi‐Takoradi ou à Cape Coast étant donné qu’il n’était jamais allé dans ces villes et qu’il n’y connaissait personne, ce qui réduisait la possibilité qu’il soit reconnu. La SAR n’a pas relevé d’erreur dans la conclusion de la SPR.

[15] L’argument selon lequel la SPR [traduction] « a accordé peu de poids, sinon aucun » aux circonstances personnelles de M. Gadafi était formulé en termes vagues. L’argument dans son entièreté semble être que la SPR a accordé trop de poids aux éléments de preuve documentaire objectifs sur la situation dans le pays et trop peu aux circonstances personnelles de M. Gadafi en tant que personne d’origine musulmane ayant renoncé à sa religion. Dans le mémoire d’appel déposé devant la SAR, cet argument est présenté dans une section sous la rubrique générale [traduction] « Viabilité globale des PRI proposées ». Il n’y a pas de renvoi à une conclusion spécifique que la SPR aurait tirée à tort ou à un passage en particulier des motifs de décision de la SPR renfermant la prétendue erreur. Il n’y a pas d’explication quant à la façon dont la SPR aurait mal soupesé les éléments de preuve ni aucun renvoi aux parties des éléments de preuve qui auraient été mal appréciées selon M. Gadafi.

[16] La SAR a décrit l’argument avancé par M. Gadafi à ce sujet comme un « argument général selon lequel la SPR n’a pas tenu compte [de ses] circonstances personnelles [...] lorsqu’elle a établi qu’il serait en sécurité à Sekondi‐Takoradi ou à Cape Coast ». La SAR a conclu que l’argument devait être rejeté, en soulignant que la SPR avait correctement constaté que les deux villes proposées comme PRI comptaient une importante population chrétienne et que M. Gadafi y serait probablement bien accueilli. La SAR a fait remarquer que M. Gadafi est un chrétien et qu’il n’a pas besoin de se présenter comme un ancien musulman.

[17] Je ne suis pas convaincue que les descriptions ou les analyses des arguments faites par la SAR sont déraisonnables. La décision de la SPR comportait cinq paragraphes qui examinaient expressément les allégations formulées par M. Gadafi selon lesquelles son nom musulman et sa pratique ouverte du christianisme entraîneraient des actes de violence de la part de musulmans qui le considéreraient comme un infidèle. La SPR a pris en compte les documents sur la situation dans le pays, a renvoyé à des extraits de la documentation et a conclu que le risque auquel était exposé M. Gadafi en raison de sa pratique ouverte du christianisme à titre de personne convertie portant un nom musulman [traduction] « ne dépasserait pas la simple possibilité dans les villes proposées comme PRI ». En appel devant la SAR, M. Gadafi n’a pas allégué, comme il le fait pour la première fois dans la présente demande de contrôle judiciaire, que la SPR a commis une erreur en se fondant sur des éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays portant sur la société ghanéenne en général, ou portant sur l’absence de violence pour des motifs religieux dans les documents sur la situation au Ghana.

[18] En dépit du fait que M. Gadafi a formulé des allégations selon lesquelles la SPR a commis une erreur dans son analyse du risque de persécution auquel il est exposé par des musulmans intolérants ou extrémistes, son argument se limitait à une allégation générale selon laquelle la SPR avait [traduction] « accordé peu de poids, sinon aucun » à ses circonstances personnelles. La SAR n’est pas tenue d’examiner le dossier et de trouver des éléments favorables au demandeur : Broni c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 365 au para 15. Les demandeurs qui, devant la SAR, ne précisent pas où et en quoi la SPR a commis une erreur le font à leurs risques et périls : Adams, aux para 28 à 30. J’estime que M. Gadafi conteste l’analyse effectuée par la SAR en invoquant des erreurs prétendument commises par la SPR qui n’ont pas été soulevées en appel et qui sont soulevées pour la première fois devant la Cour : Dahal, aux para 35 à 37.

[19] La conclusion de la SAR selon laquelle M. Gadafi ne serait connu en tant qu’ancien musulman dans les villes proposées comme PRI que s’il s’identifiait comme tel ne correspond pas à une conclusion selon laquelle il ne serait en sécurité dans les PRI proposées que si sa conversion de l’islam au christianisme restait secrète. Là encore, il convient de lire la conclusion de la SAR dans son contexte. M. Gadafi a avancé un argument vague selon lequel la SPR avait omis de prendre en compte ses circonstances personnelles en tant que personne convertie, ou n’en avait pas tenu suffisamment compte, pour établir qu’il serait en sécurité dans les villes proposées comme PRI. Il est difficile de comprendre, sans autre précision, en quoi cela aurait constitué une erreur puisque la SPR a tiré une conclusion précise sur cette même question —après avoir pris en compte les éléments de preuve, la SPR a conclu qu’il n’y avait rien de plus qu’une simple possibilité que, en pratiquant ouvertement le christianisme en tant que personne convertie portant un nom musulman, M. Gadafi soit exposé à un risque. Les conclusions tirées par la SAR selon lesquelles Sekondi‐Takoradi et Cape Coast comptent une importante population chrétienne, que M. Gadafi y serait probablement bien accueilli en tant que chrétien et qu’il n’avait pas besoin de se présenter en tant qu’ancien musulman ne remplacent pas l’analyse qu’a effectué la SPR sur cette question, analyse qui n’a pas été contestée expressément et qui n’a pas été jugée comme étant erronée. La SAR a simplement mis en lumière des éléments supplémentaires qui, compte tenu des circonstances personnelles de M. Gadafi en tant que chrétien et ancien musulman, militaient en faveur de la viabilité des villes proposées comme PRI. Il était loisible à la SAR de tirer de telles conclusions, et cela ne rend pas la décision de la SAR déraisonnable.

[20] De même, le mémoire d’appel de M. Gadafi ne soulève aucune question relative à la capacité de l’État de le protéger des extrémistes musulmans dans les villes de Sekondi‐Takoradi et de Cape Coast proposées comme PRI. Il est bien établi que la SAR n’est pas tenue d’examiner les erreurs potentielles qu’un demandeur n’a pas soulevées : Kanawati c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2020 CF 12 au para 23; Dhillon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 321 aux para 18 à 20; Ilias c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2018 CF 661 au para 39; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au para 103.

[21] M. Gadafi n’a pas établi que la décision de la SAR était déraisonnable en raison d’une erreur susceptible de contrôle dans son analyse du risque de persécution religieuse par des musulmans intolérants et extrémistes.

B. La SAR a‐t‐elle contrevenu à l’équité procédurale en soulevant une nouvelle question sans préavis?

[22] M. Gadafi affirme que la SAR a manqué à l’équité procédurale en soulevant une nouvelle question sans lui donner un préavis et une possibilité de répondre. Il prétend que la SAR a soulevé une nouvelle question en concluant qu’il ne serait reconnu en tant qu’ancien musulman que s’il s’identifiait comme tel. Il soutient que la SPR n’a pas examiné la question de l’auto‐identification. De plus, il affirme que la conclusion de la SAR ne repose sur aucun fondement probant et contredit les éléments de preuve qu’il a présentés selon lesquels il serait identifiable en tant qu’ancien musulman à cause de son nom, argument que la SPR a accepté d’emblée. M. Gadafi soutient que la SAR aurait dû lui offrir une possibilité de répondre avant de rejeter son appel en se fondant sur des éléments factuels différents (et erronés) de ceux sur lesquels la SPR s’était fondée.

[23] Le défendeur affirme que la SAR n’a pas soulevé une nouvelle question, parce qu’elle n’a pas invoqué un nouveau motif, différent des motifs d’appel soulevés par M. Gadafi. Le défendeur invoque l’arrêt R c Mian, 2014 CSC 54 au paragraphe 30, dans lequel la Cour suprême a statué qu’une « question [était] nouvelle » lorsqu’elle est « différente, sur les plans juridique et factuel, des moyens d’appel soulevés par les parties ». Le défendeur estime que la conclusion de la SAR selon laquelle M. Gadafi n’avait pas besoin de se présenter comme un ancien musulman répondait directement à l’observation de celui‐ci selon laquelle la SPR avait accordé peu de poids, sinon aucun à ses circonstances personnelles en tant que personne d’origine musulmane pratiquant le christianisme.

[24] Je souscris à la position du défendeur. La conclusion de la SAR répondait à l’observation formulée par M. Gadafi en appel, et ne constituait pas une nouvelle question. La SAR peut apprécier les faits, et peut tirer des conclusions supplémentaires ou même des conclusions différentes de celles qu’a tirées la SPR, mais cela ne suffit pas en soi à faire de ces conclusions une nouvelle question ni à entraîner un manquement à l’équité procédurale : Ibrahim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 380 au para 30; Bakare c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 267 aux para 18 et 19. Comme il a été souligné, la SAR n’a pas substitué ses propres conclusions à celles de la SPR quant à la question de savoir si M. Gadafi serait exposé à des risques dans les villes proposées comme PRI en raison de ses circonstances personnelles en tant que personne convertie. La SAR n’a pas soulevé une nouvelle question ressortissant à la PRI qui aurait nécessité un préavis et une possibilité de répondre.

[25] L’argument avancé par M. Gadafi selon lequel la conclusion de la SAR ne repose sur aucun fondement probant et contredit les éléments de preuve qu’il a présentés n’est pas un argument concernant l’équité procédurale, mais concernant plutôt le caractère raisonnable de la décision de la SAR. Pour les motifs qui sont énoncés précédemment, M. Gadafi n’a pas établi que la décision de la SAR est déraisonnable.

IV. Conclusion

[26] J’estime que la décision de la SAR est raisonnable, et que la SAR n’a pas manqué à l’équité procédurale. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[27] Aucune partie n’a proposé de question à certifier, et j’estime que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‐4943‐20

LA COUR DÉCLARE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée..

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Christine M. Pallotta »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‐4943‐20

 

INTITULÉ :

MOHAMMED GADAFI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

audience tenue par VIDéOCONFéRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 17 mai 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge PALLOTTA

 

DATE DES MOTIFS :

le 28 Septembre 2021

 

COMPARUTIONS :

David Matas

 

pour le demandeur

 

Sydney Pilek

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

pour le défendeur

 

 

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