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                                                                                                                                            Date: 20001214

                                                                                                                                        Dossier: T-940-98

Ottawa (Ontario), le 14 décembre 2000

DEVANT : MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

JADA FISHING CO. LTD. ET EVCO FISHING LTD.

                                                                                                                                            demanderesses

et

LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS ET

LA COMMISSION D'APPEL DES PERMIS DU PACIFIQUE

- FORMATION RESPONSABLE DU POISSON DE FOND

                                                                                                                                                     défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER

Faits qui ont donné lieu au litige


[1]         Il s'agit d'une autre malencontreuse affaire de quota. Les demanderesses ont interjeté appel devant la Commission d'appel des permis du Pacifique (la CAPP) lorsque le quota qui leur avait été alloué pour le poisson de fond et la merluche avait été fixé à un niveau non rentable. L'appel a été accueilli, mais la CAPP n'a pas suffisamment ajusté le quota des demanderesses pour que l'entreprise soit viable. Il s'agit fondamentalement de savoir si la procédure d'appel vise à accorder aux demanderesses une réparation intégrale ou simplement à remédier au problème particulier qui donne naissance à leur droit d'appel.

[2]         Je suis ici saisi d'une demande, une demande portant sur deux quotas, l'un pour le poisson de fond et l'autre pour la merluche. Les faits se rapportent aux deux quotas et les questions qui se posent sont les mêmes. Ces motifs s'appliquent aux deux quotas.

[3]         La question qui est ici en litige se rapporte à l'allocation d'un quota aux demanderesses pour le poisson de fond. Les quotas sont rattachés aux permis. Le permis T-063, qui fait l'objet de la présente demande, se rattachait initialement au navire appelé Scotia Cape qui, malheureusement, a été perdu en mer en 1987. Le Scotia Cape avait pendant plusieurs années servi à des activités de pêche fort lucratives avant d'être perdu. Au moment de la perte, les titulaires du permis ont transféré celui-ci au Kimsquit, un autre navire dont elles étaient propriétaires, mais qui ne servait pas activement à la pêche. Par conséquent, aucune prise n'a été effectuée en vertu du permis T-063 entre les années 1987 et 1992.

[4]         Le permis initial des demanderesses se rattachait à leur navire, le Howe Bay, qui a été perdu en mer en 1990. Les assureurs ont refusé d'indemniser les demanderesses de leur perte; les demanderesses n'ont pas pu remplacer le bateau et leur permis n'a donc pas été utilisé aux fins de la pêche.


[5]         Au début de l'année 1992, les demanderesses ont échangé leur permis contre le permis T-063, afin de l'utiliser sur le Glen Coe, un navire qu'elles avaient acheté en Angleterre, mais qu'elles n'avaient pas les moyens d'exploiter tant que l'assureur ne réglait pas leur demande. Ce navire était beaucoup plus gros que le Howe Bay. Lorsque les assureurs des demanderesses ont finalement payé le produit de l'assurance pour la perte du Howe Bay, au mois d'août 1992, les demanderesses ont commencé à exploiter le Glen Coe. Elles ont uniquement pu pêcher pendant trois mois au cours de la saison de pêche de 1992.

[6]         À ce moment-là , on s'attendait en général, dans l'industrie, à ce qu'un système de quotas soit établi et à ce qu'une période de quota serve de base de référence. En d'autres termes, les quotas indiqueraient les activités de pêche des pêcheurs au cours d'une période désignée. Lorsque la période de quota a été annoncée en 1997, l'industrie a appris qu'elle correspondrait aux années de pêche 1987 à 1992. Or le permis T-063 n'avait été utilisé que pendant trois mois au cours de la période de quota. D'autre part, le permis que les demanderesses avaient échangé contre le permis T-063 avait activement servi à la pêche pendant trois ans au cours de la même période.

[7]         Le système de quotas visait à assurer une façon équitable et prévisible de répartir l'exploitation viable du poisson de fond (la prise autorisée totale ou la PAT) entre les divers participants à la pêche. Il y avait deux quotas, l'un pour le poisson de fond et l'autre pour la merluche, lesquels devaient tous les deux être fixés de la même façon.


[8]         Le quota alloué à un permis était fondé sur deux facteurs : la longueur du bateau auquel se rattachait le permis et l'historique de la capture afférente au permis au cours de la période de quota. Trente pour cent du quota était alloué en fonction de la longueur du bateau, chaque permis se voyant attribuer la proportion de l'élément représenté par la longueur du bateau auquel le permis se rattachait par rapport à la longueur totale de la flotte. Les soixante-dix pour cent restants étaient fondés sur l'historique de la capture afférente au permis au cours de la période de quota. Cet élément était la portion des 70 p. 100 restants de la PAT représentée par la prise totale effectuée en vertu du permis individuel au cours de la période de quota par rapport à la prise totale de la flotte au cours de la même période. La période de cinq ans visait à atténuer les différences existant d'une année à l'autre. Cela étant, un permis qui n'était pas utilisé au cours de la période de quota se verrait allouer un quota plus petit qu'un permis qui avait continuellement été utilisé.


[9]         Ainsi, si nous supposons une prise autorisée totale de 100 000 tonnes de poisson de fond, la portion attribuable à la longueur du bateau correspond à 30 p. 100 ou à 30 000 tonnes. Si la longueur totale de tous les bateaux de la flotte servant à la pêche du poisson de fond est de 1 000 000 pieds et si le Glen Coe mesure 40 pieds de long, il obtiendrait 40/1 000 000 ou 0,004 p. 100 de 30 000 tonnes , soit 1,2 tonne. Telle serait la portion du quota attribuable à la longueur du bateau. Quant à l'historique de la capture, la quantité qui peut être distribuée est de 70 000 tonnes (70 p. 100 de la PAT, soit 100 000 tonnes). Si la prise totale afférente à tous les permis au cours de la période de quota de cinq ans est de 5 000 000 tonnes et si, selon l'historique de la capture afférente au permis T-063 au cours de la période de quota, 50 tonnes ont été pêchées, la portion des 70 000 tonnes attribuable au permis T-063 est de 50/5 000 000, ou 0,001 p. 100 de 70 000 tonnes, soit 0,7 tonne. Le quota total serait de 1,2 + 0,7, ou 1,9 tonne de poisson. [Tous ces chiffres sont choisis au hasard en vue d'illustrer le calcul; ils n'ont rien à voir avec les chiffres réels.] On peut facilement se rendre compte de l'effet de l'augmentation de la prise passée effectuée en vertu d'un permis. Le quota alloué augmentera proportionnellement.

[10]       Étant donné que la formule permettant de déterminer les quotas n'est pas facile à décrire, un résumé verbal, que j'utiliserai dans ces motifs, a été élaboré. Lorsqu'un permis a été utilisé pendant cinq ans aux fins du calcul de son quota, on dit que le quota est complet. Le quota variera, mais le permis bénéficiera de toute la période de quota. Lorsque l'historique de la capture ne vise qu'une partie de la période de quota, on dit que le permis bénéficie d'un quota partiel, défini par la durée des captures passées, qui peut être utilisée aux fins du calcul du quota. Si un permis n'a été utilisé que pendant un an par le passé aux fins du calcul du quota, on dit qu'il bénéficie d'un quota d'un an, soit 1/5 du quota complet.

[11]       Lorsque les quotas ont été annoncés, le permis T-063 s'était vu allouer un quota proportionnel en fonction de la longueur du Glen Coe, et un quota fort petit en fonction de l'historique de la capture, parce que le Glen Coe (et le permis T-063) n'avait été utilisé que pendant trois mois au cours de la période de quota. Le quota était donc fort modeste, et si je comprends bien, non rentable.


[12]       Selon la décision que la CAPP a rendue le 26 janvier 1998, le Glen Coe faisait face à des problèmes de fonctionnement au cours des années qui ont suivi l'année 1992, ce qui abouti à une panne désastreuse au mois d'avril 1996. Selon les estimations, les frais de réparation devaient s'élever à 900 000 $, montant dont les demanderesses ne disposaient pas. La CAPP estimait que le navire ne pouvait pas servir aux activités de pêche.

La Commission d'appel des permis du Pacifique

[13]       Dans le cadre de la mise en oeuvre du système de quotas, une procédure d'appel a été établie en vue de régler les questions relatives aux injustices, aux erreurs de fait ou aux circonstances atténuantes. Les appels devaient être interjetés devant la CAPP, qui était composée de quatre pêcheurs compétents et d'un président.

[14]       L'étendue de la procédure d'appel est décrite dans les documents d'information préparés à l'intention des membres de la Commission d'appel :

[TRADUCTION]

La formation responsable du poisson de fond de la CAPP entendra uniquement les appels interjetés par les personnes qui pêchent le poisson de fond et qui sont actuellement propriétaires du bateau titulaire d'un permis de la catégorie « T » pour le poisson de fond qui fait l'objet de l'appel. La formation entendra uniquement les appels concernant des éléments de fait ou des circonstances atténuantes. (Mandat et lignes directrices à l'intention de la formation responsable du poisson de fond de la Commission d'appel des permis du Pacifique).

[15]       Les documents d'information renferment ensuite les lignes directrices suivantes à l'intention de la Commission d'appel, lorsqu'elle fait une recommandation au sujet de l'allocation de quotas additionnels :


[TRADUCTION]

[...] Si l'appelant invoque des circonstances atténuantes au cours des années utilisées dans la formule, ces événements doivent avoir directement influé sur sa capacité de pêcher le poisson de fond ou la merluche au cours des années pertinentes (par exemple, des problèmes de santé, une panne, des difficultés personnelles, des transferts de permis). L'appelant doit néanmoins avoir démontré qu'il compte sur la pêche du poisson de fond.

[16]       La CAPP n'était pas une véritable commission d'appel; en effet, elle ne rendait pas une décision qui avait pour effet de trancher la question dont elle était saisie. Il s'agissait d'un organisme purement consultatif qui faisait des recommandations n'ayant aucun effet à moins d'être acceptées par le ministre des Pêches et des Océans (le ministre). La décision de la Commission avait un effet juridique uniquement parce que le ministre l'acceptait et non parce que la décision de la CAPP avait un effet juridique.

[17]       Monsieur le juge Rouleau a fait les remarques ci-après énoncées au sujet de cet état de choses dans la décision Harbour Holdings Ltd. c. Canada, [1989] A.C.F. no 626 :

Il n'est pas sans intérêt de remarquer que, bien que le ministre ait recommandé que les propriétaires de bateaux de pêche soumettent leurs différends à la Commission d'appel des permis du Pacifique afin que celle-ci fasse enquête, il l'a fait sans y être autorisé par un texte législatif, et je me reporte maintenant à l'affidavit de M. Richard Kent Carson, déposé au nom de la défenderesse, dont je vais citer le paragraphe 10 :

[TRADUCTION] Le processus d'appel comporte une audition devant une commission sans statut juridique, composée d'estimés représentants de l'industrie de la pêche commerciale, qui entend l'appel au nom du ministre. La Commission formule ensuite une recommandation confidentielle à l'intention du ministre, qui rend la décision définitive. La Commission n'est investie d'aucun pouvoir en vertu d'un texte de loi, elle n'est pas un organe de décision et ses recommandations ne lient aucunement le ministre ni ne portent atteinte à son pouvoir discrétionnaire absolu.

Selon la Couronne, le ministre n'a pas entravé l'exercice de son propre pouvoir discrétionnaire en créant cette soi-disant commission d'appel. Puis-je me permettre de dire néanmoins qu'il doit exercer son pouvoir discrétionnaire de bonne foi, en prenant en considération les éléments pertinents, conformément aux principes de la justice et dans l'exécution des textes de loi applicables?


[18]       L'affidavit de M. Carson dont le juge Rouleau fait mention n'a pas été mis à la disposition de la Cour et n'a pas été soumis en preuve dans cette instance. Toutefois, on ne m'a cité et je n'ai pu trouver aucun texte législatif se rapportant à l'existence ou à la fonction de la CAPP. Je conclus donc qu'il s'agit d'un organisme administratif mis en place par le ministre, chargé de conseiller celui-ci au sujet des questions qui lui sont renvoyées.

La décision de la Commission d'appel

[19]       Les demanderesses en ont appelé de la portion du quota alloué au permis T-063 qui se rapporte à l'historique de la capture. Les circonstances atténuantes sur lesquelles les demanderesses se sont fondées se rapportaient à la perte du Howe Bay et au refus des assureurs de payer le produit de l'assurance en temps opportun.


[20]       La CAPP a convenu qu'il s'agissait de circonstances atténuantes. Cependant, elle a fait remarquer que la décision que les demanderesses avaient prise d'échanger leur permis antérieur (qui avait activement été utilisé aux fins de la pêche pendant trois ans au cours de la période de quota) contre le permis T-063 (qui n'avait essentiellement jamais été utilisé) constituait une décision de gestion. La CAPP a fait remarquer que l'allocation des quotas était fondée sur l'historique de la capture afférente au permis plutôt que sur l'historique individuel de la capture. La Commission s'est demandé si le quota additionnel alloué à l'égard du permis T-063 devait être fondé sur l'historique de la capture effectuée en vertu du permis en dehors de la période de quota ou sur la prise moyenne effectuée à l'aide de bateaux dont la longueur était la même que celle du Glen Coe au cours des années pertinentes.

[21]       La Commission d'appel s'est alors aventurée dans un domaine qui constitue le noeud du litige. La CAPP a décidé qu'étant donné que, selon la politique du ministère des Pêches et des Océans, un permis (qui est délivré annuellement) ne serait pas délivré à l'égard d'un bateau perdu à moins d'être remplacé dans les deux ans de la perte (la règle de deux ans), elle accorderait aux demanderesses deux ans de capture en se fondant sur la capture moyenne pour des bateaux dont la longueur était la même au cours des années pertinentes. Le permis T-063 faisait donc l'objet d'un quota de deux ans, soit 2/5 d'un quota complet. Les demanderesses soutiennent qu'étant donné que cela est conforme à toutes les conditions d'admissibilité au programme, elles devraient avoir droit au quota complet. Les deux années de capture passée que la Commission d'appel a accordées n'est pas une solution viable pour les demanderesses en ce sens que cela ne suffit pas pour permettre l'exploitation rentable du permis.

Examen


[22]       La principale question qui oppose les parties se rapporte à l'étendue de la réparation que la CAPP doit accorder si elle est convaincue qu'elle peut à bon droit ajuster le quota. Les demanderesses affirment que l'ajustement devrait leur accorder une réparation intégrale, c'est-à -dire leur accorder un quota complet. Les défendeurs affirment de leur côté que la CAPP peut concevoir son rôle d'une façon plus restreinte et se limiter à remédier au problème précis attribuable aux circonstances atténuantes.

[23]       L'avocat des demanderesses soutient que la Commission d'appel doit déterminer si ses clientes satisfont aux critères justifiant son intervention et, dans l'affirmative, les mettre dans une situation leur permettant de bénéficier d'un quota complet. En d'autres termes, si un demandeur peut démontrer qu'il compte sur la pêche du poisson de fond et que des circonstances atténuantes ont influé sur sa capacité de pêcher au cours des années pertinentes, la Commission d'appel devrait recommander l'allocation d'un quota complet en définissant l'historique de la capture sur une période de cinq ans, qui est alors utilisée aux fins du calcul de la portion du quota imputé au permis qui est attribuable à l'historique de la capture effectuée en vertu du permis.

[24]       Le ministre soutient que si les conditions d'admissibilité, y compris les circonstances atténuantes, sont établies, la Commission d'appel doit alors recommander des mesures destinées à compenser les circonstances atténuantes. Il n'incombe pas à la CAPP de se préoccuper de la question de savoir si ses recommandations auront pour effet de rendre le permis viable sur le plan financier. En d'autres termes, la procédure d'appel est destinée à corriger des circonstances atténuantes plutôt qu'à corriger toutes les circonstances qui pourraient entraîner une diminution du quota.


Contexte législatif

[25]       La Section de première instance de la Cour fédérale est autorisée, conformément au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale, à accorder une réparation si elle est convaincue que l'office fédéral :


a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l'exercer;

b) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale ou toute autre procédure qu'il était légalement tenu de respecter;

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose.


(a) acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;

(b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;         

(c) erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;

(d) based its decision on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it.


[26]       La réparation précise qui peut être accordée par la Cour fédérale est énoncée au paragraphe 18.1(3) de la Loi sur la Cour fédérale, qui prévoit que la Section de première instance peut :


a) ordonner à l'office fédéral en cause d'accomplir tout acte qu'il a illégalement omis ou refusé d'accomplir ou dont il a retardé l'exécution de manière déraisonnable;

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu'elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l'office fédéral.

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.



[27]       La Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, prévoit que le ministre peut, à discrétion, accorder des permis comme il l'entend :


7. (1) En l'absence d'exclusivité du droit de pêche conférée par la loi, le ministre peut, à discrétion, octroyer des baux et permis de pêche ainsi que des licences d'exploitation de pêcheries -- ou en permettre l'octroi --, indépendamment du lieu de l'exploitation ou de l'activité de pêche.

7. (1) Subject to subsection (2), the Minister may, in his absolute discretion, wherever the exclusive right of fishing does not already exist by law, issue or authorize to be issued leases and licences for fisheries or fishing, wherever situated or carried on.


[28]       Toutefois, le pouvoir de réglementation prévu à l'article 43 de la Loi sur les pêches autorise le gouverneur en conseil à prendre des règlements en vue de définir les droits conférés au moyen du permis accordé par le ministre :


43. Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements d'application de la présente loi, notamment_:

[...]

g) concernant les conditions attachées aux licences, permis et baux;


43. The Governor in Council may make regulations for carrying out the purposes and provisions of this Act and in particular, but without restricting the generality of the foregoing, may make regulations:

...

(g) respecting the terms and conditions under which a licence and lease may be issued;


Raisonnement

[29]       La formation de la CAPP qui a entendu les appels relatifs aux quotas se rapportant au poisson de fond était composée de quatre pêcheurs et d'un président. Les pêcheurs devaient être choisis en fonction de leur connaissance de l'industrie. Cela étant, j'estime que cette formation est un tribunal expert (ou spécialisé).


[30]       La décision en question est une décision discrétionnaire rendue par un tribunal expert, qui est contestée pour le motif qu'elle comporte une irrégularité procédurale et plus précisément pour le motif qu'elle applique une politique non divulguée sans donner à la partie touchée la possibilité de traiter de la politique en question. Cette question s'inscrit dans le contexte d'une question plus générale portant sur la compétence réparatrice de la CAPP. Comme toutes les décisions discrétionnaires rendues par les tribunaux experts, la retenue judiciaire et la norme de contrôle sont en cause.

[31]       Les demanderesses reconnaissent que la décision de la CAPP est de nature discrétionnaire, mais elles affirment que la question ne se rapporte pas aux modalités d'exercice du pouvoir discrétionnaire. Les questions qui se posent se rapportent au fait que la CAPP s'est fondée sur des considérations non pertinentes et sur l'iniquité de la procédure suivie, soit des questions à l'égard desquelles la question de la retenue ne se pose pas. Les considérations non pertinentes se rapportent à l'application de la règle de deux ans. L'iniquité procédurale découle de l'omission de permettre aux demanderesses de traiter de la règle de deux ans. Contrairement à la Cour, la CAPP et le ministre n'ont pas d'expertise particulière en matière d'équité procédurale. Il incombe à la Cour de déterminer si la procédure que la CAPP a suivie satisfait au critère qui s'applique en matière d'équité procédurale. Dans la négative, la Cour a le droit d'intervenir.


[32]       Je crois que le point litigieux se rapporte à l'exercice du pouvoir discrétionnaire, et ce, malgré l'allégation d'iniquité procédurale. Il me semble que l'argument fondé sur l'iniquité procédurale découle du fait que les demanderesses n'ont pas prévu que la CAPP utiliserait la règle de deux ans comme elle l'a fait. Les demanderesses connaissaient cette règle. Elles avaient reçu des lettres des représentants du ministère à ce sujet avant l'introduction de l'appel. Les demanderesses affirment que la règle de deux ans n'est pas fondée en droit et qu'elle ne s'applique pas aux faits de la présente espèce. Le fait que cette règle n'est pas fondée en droit (en ce sens qu'elle n'est pas expressément établie par une loi ou un règlement) ne veut pas dire qu'il ne s'agit pas d'une politique légitime. Cela n'empêcherait pas non plus la CAPP d'utiliser la règle comme mesure de recouvrement. En d'autres termes, la mesure de recouvrement constitue le fond même du mandat conféré à la CAPP et il serait essentiel à cet égard que la CAPP connaisse l'industrie.


[33]       Le fait d'accorder aux demanderesses deux années de capture a pour effet de les mettre dans la situation où elles auraient été si elles n'avaient pas échangé leur permis initial contre le permis T-063. Si les demanderesses détenaient encore leur permis initial, qui avait été utilisé pendant trois ans aux fins de la pêche au cours de la période de quota, l'attribution de deux années additionnelles leur aurait donné un quota complet de cinq ans. Si les demanderesses disposent maintenant uniquement d'un quota de trois mois auquel vient s'ajouter le quota de deux ans recommandé par la CAPP, la chose est attribuable au fait qu'elles ont échangé des permis. La Cour n'est pas en mesure d'apprécier le caractère équitable de la décision du ministre. Est-il inéquitable de permettre aux pêcheurs d'améliorer leur situation en échangeant des permis? Le risque que les demanderesses ont pris en échangeant des permis est-il commun dans l'industrie? À première vue, la recommandation de la CAPP n'est pas déraisonnable en ce sens que la décision remédie au problème attribuable aux circonstances atténuantes sans modifier le risque d'entreprise que les demanderesses ont assumé en échangeant des permis.

[34]       Quant à l'omission de donner aux demanderesses la possibilité de traiter du recours à la règle de deux ans comme mesure de recouvrement, on part de la prémisse selon laquelle la tâche de la CAPP l'obligerait à examiner la question de la réparation d'une façon rationnelle. Un principe quelconque devrait être invoqué pour justifier l'octroi d'une ordonnance remédiatrice par opposition à un autre genre d'ordonnance. Dans leurs observations, les demanderesses ont proposé certaines solutions. Puisque la procédure n'était pas de nature accusatoire, il n'y avait personne qui puisse proposer des solutions de rechange. Or, la Commission ne peut pas s'en tenir aux seules propositions faites par les demanderesses. Si elle ne s'en tient pas uniquement aux propositions faites par les demanderesses, elle peut à bon droit se fonder sur sa propre expertise pour trouver un principe régissant l'exercice de sa compétence réparatrice. Cela ne l'empêche pas de donner aux demanderesses la possibilité de faire des remarques au sujet du principe qu'elle a choisi, mais il reste à savoir si pareille possibilité doit être fournie.


[35]       Lorsqu'on parle d'un tribunal expert, il est important de définir l'expertise en cause. Ainsi, une formation peut connaître une industrie parce que ses membres y participent. Cela veut dire que même si les connaissances des membres ne sont pas supérieures à celles des autres personnes participant à l'industrie, les membres s'y connaissent plus que des personnes qui n'ont rien à voir avec l'industrie; par rapport à ces dernières, le tribunal est un tribunal expert. Cependant, un tribunal pourrait également être un tribunal expert en ce sens qu'il a au sujet d'une industrie des connaissances que les personnes y participant n'auraient pas, ces connaissances découlant de l'étude de l'industrie plutôt que de la participation à cette industrie. Ainsi, une personne pourrait être expert en matière économique à l'égard de l'industrie de la pêche sans avoir jamais mis les pieds à bord d'un bateau de pêche. Pareille personne, ou un groupe composé de pareilles personnes siégeant à titre de formation, aurait une expertise par rapport aux autres personnes, et ce, qu'elles participent ou non à l'industrie. En l'espèce, nous avons affaire à un tribunal expert du premier genre, c'est-à -dire à un tribunal expert par rapport à la Cour, plutôt que par rapport aux autres pêcheurs.


[36]       L'avantage que comporte le recours à un tribunal expert doit découler de la capacité de celui-ci de faire appel à ses connaissances spéciales. Étant donné qu'il s'agit d'un tribunal expert en ce qui concerne l'industrie, cette connaissance est partagée par les demandeurs et par les autres personnes qui participent à l'industrie. Dans ces conditions, il ne semble pas déraisonnable de soutenir que les demandeurs avaient la même possibilité que la formation d'indiquer la façon dont il était possible d'examiner la question de la réparation. Lorsque la formation se sert d'une connaissance qui est commune dans l'industrie pour arriver à une conclusion, le critère qui s'applique à l'intervention ne devrait pas être de savoir si les demandeurs ont eu la possibilité de faire des remarques, mais celle de savoir si les renseignements sont pertinents. En l'espèce, on sait que les demanderesses ont reçu un avis les informant de la règle de deux ans à l'égard du Howe Bay. Étant donné l'approche qu'elles ont adoptée à l'égard de la fonction réparatrice de la CAPP, les demanderesses n'ont pas songé à la possibilité que la règle de deux soit utilisée comme mesure de l'ajustement du quota. Ce choix n'est pas contestable du simple fait que les demanderesses n'y ont pas songé, même si elles connaissaient la règle de deux ans aussi bien que la CAPP. S'il est contestable, ce doit être parce qu'il s'agit d'une utilisation non pertinente ou déraisonnable de ces renseignements. Or, rien ne me permet de croire que ces renseignements aient ainsi été utilisés.

[37]       La Cour suprême du Canada a examiné la question de la retenue dont il faut faire preuve à l'égard des tribunaux experts, même en l'absence d'une clause privative et lorsqu'un droit d'appel est prévu. Voir Pezim c. British Columbia Securities Commission, [1994] 2 R.C.S. 557 :

[...] même lorsqu'il n'existe pas de clause privative et que la loi prévoit un droit d'appel, le concept de la spécialisation des fonctions exige des cours de justice qu'elles fassent preuve de retenue envers l'opinion du tribunal spécialisé sur des questions qui relèvent directement de son champ d'expertise. [p. 591]

[38]       Cette cour a suivi cette approche. Voir ISN Pharmaceuticals Inc. c. Canada (Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés), 1996 A.C.F. no 206 (juge Cullen) :

Je n'ai aucune difficulté à conclure que le Conseil est un tribunal spécialisé. Le législateur a mis en place un mécanisme de nomination pour veiller à ce que le Conseil soit composé de membres qui sont bien informés au sujet de l'industrie pharmaceutique. L'article 92 de la Loi sur les brevets prévoit que le ministre peut constituer un comité consultatif formé de représentants des ministres provinciaux responsables de la santé, de représentants de l'industrie pharmaceutique et de représentants des groupes de consommateurs. Le ministre doit en outre consulter ce comité avant de nommer un membre au Conseil. Le caractère spécialisé du Conseil donne à entendre que les tribunaux doivent faire preuve de retenue envers l'opinion de cet organisme.

[39]       L'exigence selon laquelle il faut faire preuve de retenue ne règle pas la question de la norme de contrôle, étant donné qu'un tribunal à l'égard duquel il faut faire preuve de retenue peut néanmoins être tenu de respecter la norme de la décision correcte à certains égards :


Certaines dispositions d'une même loi peuvent exiger plus de retenue que d'autres, selon les facteurs qui seront exposés plus en détail plus loin. Voilà pourquoi il convient toujours, et il est utile, de parler des « questions de compétence » que le tribunal doit trancher correctement pour ne pas outrepasser sa compétence. Mais il faut bien comprendre qu'une question qui « touche la compétence » s'entend simplement d'une disposition à l'égard de laquelle la norme de contrôle appropriée est celle de la décision correcte, en fonction du résultat de l'analyse pragmatique et fonctionnelle.

Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982 au par. 28.

[40]       En l'espèce, une analyse pragmatique et fonctionnelle laisserait entendre que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable. Il s'agit d'une décision rendue par un tribunal qui connaît l'industrie, laquelle a été rendue dans le cadre d'une instance de nature non accusatoire et prend la forme d'une recommandation faite au ministre. La décision a énormément d'importance pour les demanderesses. Aucun droit d'appel n'est prévu, mais le contrôle judiciaire est possible. La décision à rendre touchera des tiers et comporte des questions de traitement équitable des diverses personnes concernées. L'effet de la décision sur les demanderesses laisserait entendre qu'il convient d'appliquer une norme plus stricte, mais tous les autres éléments donnent à entendre que l'on voulait que la décision soit sensée aux yeux de l'industrie. À mon avis, la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable.

[41]       Si je considère la décision rendue par la CAPP dans son contexte, je conclus que la décision est raisonnable, même si elle déçoit les demanderesses. L'utilisation de la règle de deux ans aux fins de l'examen de la circonstance atténuante qu'est l'incapacité de pêcher à cause d'un assureur récalcitrant est rationnellement liée aux circonstances atténuantes et donne un résultat qui peut être rationnellement défendu. On aurait pu choisir d'autres mesures, mais tel n'est pas le critère. Je conclus que la décision de la CAPP est raisonnable. Aucune intervention n'est justifiée.


[42]       Les demanderesses ont également soulevé des questions liées au rôle du personnel du ministère dans les débats de la CAPP et de différences possibles entre la décision de la CAPP et la décision du ministre. Cette dernière décision n'est pas étayée par quelque élément de preuve admissible. En outre, étant donné que la CAPP a uniquement un rôle consultatif, le ministre aurait le droit de ne pas suivre sa recommandation. Quant au rôle du personnel du ministère, aucun élément de preuve ne permettrait de conclure qu'il a fait plus que de simplement fournir des renseignements factuels à la CAPP.

[43]       Je conclus donc que rien ne permet de modifier la décision ici en cause et, par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

ORDONNANCE

À ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est par les présentes rejetée.

             « J.D. Denis Pelletier »             

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                 T-940-98

INTITULÉDE LA CAUSE :           Jada Fishing Co. Ltd. et autres c. le ministre des Pêches et des Océans et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :              le 13 décembre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE du juge Pelletier en date du 14 décembre 2000

ONT COMPARU :

Murray Smith                                                     POUR LES DEMANDERESSES

Robert McDonell                                                POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Campney & Murphy                                            POUR LES DEMANDERESSES

Vancouver (C.-B.)

Farris, Vaughan, Wills et Murphy                      POUR LES DÉFENDEURS

Vancouver (C.-B.)

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