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Date : 20211004


Dossier : IMM-3279-20

Référence : 2021 CF 1024

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 octobre 2021

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

TANVEER AKRAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté sa demande visant la suspension permanente de l’instance pour abus de procédure et a accueilli, en vertu du paragraphe 109(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [la LIPR], la demande du ministre de l’Immigration et de la Citoyenneté [le ministre] en vue d’annuler la décision du 31 octobre 2007 par laquelle la SPR a conféré au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention.

[2] Pour les motifs qui suivent, je rejette la présente demande.

Contexte

[3] Le demandeur est arrivé au Canada le 8 octobre 2006 en se présentant sous le nom de Tanveer Akram, un ressortissant pakistanais. À son entrée au pays, il a reconnu avoir voyagé au Canada muni d’un faux passeport. Il a demandé l’asile et, dans son formulaire de renseignements personnels [FRP], il a indiqué qu’il n’avait pas utilisé d’autres noms et qu’il n’était pas connu sous d’autres noms. Il a également fourni un récit détaillé dans lequel il a affirmé qu’il avait été un membre très actif du Parti du peuple pakistanais et qu’il avait été persécuté au Pakistan entre 1999 et 2006 en raison de ses activités politiques. Le 8 janvier 2007, Tony Osterling, un agent du renseignement et de l’immigration de l’ASFC, a préparé un rapport d’évaluation et d’examen des documents. Dans son rapport, il a conclu que la carte d’identité pakistanaise du demandeur était authentique, mais qu’elle avait été modifiée. Cette conclusion n’a pas été communiquée à la SPR avant l’audition de la demande d’asile du demandeur, qui s’est tenue le 31 octobre 2007. La SPR a accueilli la demande d’asile du demandeur le 6 novembre 2007.

[4] Le 29 novembre 2007, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada. L’ASFC a mené des enquêtes au sujet de l’identité, de la criminalité et des antécédents du demandeur aux États‑Unis. Le 13 septembre 2016, compte tenu du résultat de ces enquêtes, le défendeur a émis un avis de demande d’annulation sur le fondement du paragraphe 109(1) de la LIPR.

[5] En réponse à la demande d’annulation, le demandeur a tenté d’appeler à témoigner l’agent Osterling de l’ASFC. Le premier tribunal de la SPR saisi de la demande d’annulation a rejeté la requête du demandeur et, dans sa décision du 11 avril 2018, a accueilli la demande d’annulation. Le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire de cette décision au motif que la SPR aurait dû lui permettre d’appeler à témoigner l’agent de l’ASFC. Dans sa décision du 11 février 2019, le juge Ahmed a accueilli la demande, a annulé la décision initiale de la SPR relative à la demande d’annulation et a renvoyé l’affaire à un tribunal différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision.

[6] À la nouvelle audience, la SPR a accueilli la requête du demandeur visant à appeler l’agent de l’ASFC à témoigner, et ce dernier a été appelé à témoigner.

[7] Dans sa décision du 15 juillet 2020, la SPR a rejeté la demande du demandeur visant la suspension permanente de l’instance pour abus de procédure et a accueilli la demande du défendeur en vue d’annuler la décision de conférer l’asile au demandeur. Cette décision fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

Décision faisant l’objet du contrôle

[8] La SPR a pris acte de la thèse du demandeur selon laquelle le fait que l’ASFC a attendu neuf ans avant de présenter sa demande d’annulation, qu’elle n’a pas donné suite au rapport de 2007 selon lequel la carte d’identité nationale du demandeur était potentiellement frauduleuse et qu’elle n’a pas justifié le délai était si grave que le système de reconnaissance du statut de réfugié en serait discrédité. La SPR a indiqué que le critère permettant d’établir si un délai encouru dans le cadre d’une procédure administrative constitue un abus de procédure consiste à se demander si le délai était inacceptable au point d’être oppressif et de vicier les procédures en cause, que ce soit parce qu’il a compromis l’équité de l’audience ou parce qu’il a causé un préjudice important : Blencoe c Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44 aux para 101-122 [Blencoe].

[9] La SPR a conclu que le critère n’avait pas été respecté. Elle a conclu que le témoignage de l’agent de l’ASFC n’était pas suffisant pour établir que cette dernière avait sciemment eu l’intention de ne pas intervenir. De plus, même si le délai était important et qu’il n’a pas été pleinement justifié, le fait que l’ASFC ne soit pas intervenue à l’audience initiale devant la SPR ou qu’elle n’ait pas présenté plus tôt la demande d’annulation ne permettait pas d’établir que l’équité de la procédure avait été compromise ou que le demandeur avait subi un préjudice en raison du délai.

[10] La SPR a rejeté l’argument du demandeur selon lequel l’absence de motifs écrits, de transcription ou d’enregistrement audio relatifs à l’audition initiale de la demande d’asile tenue en 2007 lui a causé un préjudice parce que son dossier était incomplet en raison du délai. La SPR a conclu que la preuve médicale présentée par le demandeur était insuffisante pour établir que ses problèmes de santé étaient attribuables au délai, ou que le passage du temps et ses problèmes de santé apparus au fil du temps lui ont causé un grave préjudice. Bien que le demandeur ait affirmé qu’il avait des troubles de mémoire, la SPR a conclu que la preuve médicale relative à l’hypertension, au diabète, à l’anxiété et à la dépression ne traitait pas suffisamment des problèmes de perte de mémoire, en particulier à l’égard de faits essentiels comme son recours à d’autres identités aux États‑Unis et en Suisse. Par conséquent, la présente affaire se distingue de la décision Canada (Sécurité Publique et Protection Civile) c Najafi, 2019 CF 594.

[11] La SPR a reconnu que, dans certaines circonstances, on peut conclure qu’un délai constitue un abus de procédure même si l’équité de l’audience n’a pas été compromise. À cet égard, la SPR a examiné la question de savoir si le délai lui‑même avait causé un préjudice ou un stigmate psychologique suffisant pour discréditer le système de reconnaissance du statut de réfugié. La SPR a conclu que la preuve était insuffisante pour conclure que les préjudices psychologiques dont le demandeur aurait souffert étaient suffisamment graves pour satisfaire au seuil requis. En outre, le délai n’était pas suffisant pour discréditer le système de reconnaissance du statut de réfugié. La SPR a conclu que l’intérêt de préserver l’intégrité du système en révoquant la protection du demandeur, qu’il avait obtenu au moyen de fausses déclarations, l’emportait sur la question du délai. La SPR a conclu à l’absence d’abus de procédure et a refusé de prononcer la suspension définitive de l’instance.

[12] En ce qui concerne le bien‑fondé de la demande d’annulation, la SPR a retenu les allégations du défendeur – appuyées par une analyse d’empreintes digitales, une comparaison photographique et d’autres éléments de preuve documentaire – selon lesquelles le demandeur a eu recours à d’autres identités non déclarées aux États‑Unis et en Suisse; il a demandé la résidence permanente aux États‑Unis en 1997 sous une autre identité; il a été reconnu coupable de possession d’un document contrefait en 1999 et d’usurpation d’identité en 2003 aux États‑Unis sous d’autres identités; il n’a pas vécu au Pakistan de façon continue entre 1967 et 2006 et, en particulier, durant la période où il aurait été persécuté entre 1999 et 2006, contrairement à ce qui est indiqué dans sa demande d’asile au Canada; et il n’a pas révélé des faits importants au sujet de son identité ou de ses lieux de résidence à l’audience devant la SPR.

Question en litige et norme de contrôle

[13] La demande de contrôle judiciaire soulève une seule question. Il s’agit de savoir si la SPR a commis une erreur en concluant que la poursuite de la demande d’annulation ne constitue pas un abus de procédure.

[14] Le demandeur soutient que la question de l’existence d’un délai constituant un abus de procédure est une question de droit qui commande l’application de la norme de la décision correcte. Il en est ainsi puisqu’il s’agit d’une question qui revêt une importance capitale pour le système juridique ou une question d’équité procédurale et que, dans chaque cas, elle doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte (faisant référence à Abrametz v Law Society of Saskatchewan, 2020 SKCA 81 aux para 100 et 105 [Abrametz]; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 60, 62 [Vavilov]).

[15] À l’inverse, le défendeur soutient que la norme de contrôle présumée s’appliquer à une décision administrative sur le fond est celle de la décision raisonnable (Vavilov, aux para 16, 23 et 25). Même si le demandeur estime que la question en litige est l’abus de procédure, la question concerne tout de même la décision de la SPR sur le fond, y compris ses conclusions relatives à l’abus de procédure. Il s’agit de savoir si la SPR a conclu de manière raisonnable que le statut de réfugié du demandeur devrait être annulé.

[16] Le juge Fothergill a souligné ce qui suit dans la décision Shen c Canada, 2016 CF 70 :

29 Dans le jugement B006 c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1033, aux paragraphes 35 et 36, la juge Kane a estimé que la norme de la décision correcte est celle qui s’applique au critère juridique formulé par la SPR à l’égard de l’abus de procédure, mais que sa conclusion suivant laquelle un tel abus n’avait pas eu lieu appelait la norme de la raisonnabilité. L’abus de procédure peut également être décrit comme un aspect de l’équité procédurale, question à examiner selon la norme de la décision correcte (Muhammad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 448, au paragraphe 51, citant Pavicevic c Canada (Procureur général), 2013 CF 997, au paragraphe 29, et Herrera Acevedo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 167, au paragraphe 10).

[17] En l’espèce, nul ne conteste que la SPR a énoncé le bon critère juridique pour établir s’il y a eu abus de procédure en raison du délai. Il s’agit du critère énoncé dans l’arrêt Blencoe. Par conséquent, je suis portée à croire que la Cour est tenue d’examiner si, en appliquant ce critère, la SPR a raisonnablement conclu que le délai dans la présentation de la demande d’annulation ne constituait pas un abus de procédure – un manquement à l’équité procédurale – qui justifierait la suspension de la demande. La décision de la SPR sera raisonnable si elle est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci (Vavilov, au para 99).

[18] Bien que l’abus de procédure soit un des aspects de l’équité procédurale, dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a conclu que, lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond, l’analyse a comme point de départ une présomption selon laquelle la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable dans tous les cas. Les cours de révision ne devraient déroger à cette présomption que lorsqu’une indication claire de l’intention du législateur (un appel prévu par la loi) ou la primauté du droit l’exige (Vavilov, aux para 10, 23). « Si le législateur a constitué un décideur administratif dans le but précis d’administrer un régime législatif, il faut présumer que le législateur a également voulu que ce décideur soit en mesure d’accomplir son mandat et d’interpréter la loi qui s’applique à toutes les questions qui lui sont soumises » (Vavilov, au para 24 [non souligné dans l’original], voir aussi le para 25). En outre, bien que la question de savoir s’il y a eu abus de procédure puisse englober une question de droit et des conclusions de fait, cette question de droit n’est pas une « une question de droit générale d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble », que l’arrêt Vavilov désigne comme étant l’un des trois types de questions à l’égard desquelles le respect de la primauté du droit exige que les cours de justice appliquent la norme de la décision correcte (Vavilov, aux para 53, 59). La question de savoir si le délai en l’espèce équivaut à un abus de procédure est une question mixte de fait et de droit. À mon avis, il ne s’agit pas d’une question de droit générale d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble exigeant une réponse unique et définitive (Vavilov, au para 62).

[19] De toute manière, la norme de contrôle n’est pas déterminante en l’espèce. La demande ne saurait être accueillie, peu importe la norme.

Analyse

[20] Le demandeur soutient qu’il a subi un préjudice en raison du délai entre la découverte initiale de la preuve qu’il s’était fondé sur un document frauduleux, c’est‑à‑dire le rapport d’évaluation et d’examen des documents de janvier 2007, et le dépôt de la demande d’annulation en septembre 2016. Il fait valoir que ce délai était préjudiciable et néfaste au point de constituer un abus de procédure. Le demandeur fonde ce raisonnement sur trois arguments. Premièrement, il soutient que l’absence de motifs écrits ou de transcriptions relatifs à l’audition de sa demande d’asile de 2007 l’a empêché d’invoquer certains moyens de défense, comme de faire valoir qu’il avait bel et bien révélé ses autres identités à la SPR, et que l’audience d’annulation était inéquitable sur le plan procédural pour cette raison. Deuxièmement, il soutient que le délai était préjudiciable. L’ASFC savait qu’il y avait peut‑être eu une fraude en 2007, et elle aurait pu agir plus rapidement à cet égard. Le fait qu’aucune action n’ait été prise était oppressif, puisque le demandeur menait son existence en croyant qu’aucune action supplémentaire ne serait prise contre lui. Finalement, le demandeur soutient que ses droits garantis par la Charte entrent en jeu et que la SPR n’a pas dûment tenu compte des valeurs consacrées par la Charte dans sa décision.

[21] Je tiens d’abord à préciser que, lorsqu’il a comparu devant moi, l’avocat du demandeur a indiqué que celui‑ci abandonnait l’argument concernant les lacunes dans le dossier. À mon avis, c’était une sage décision. Dans ses observations écrites, le demandeur faisait valoir que, au cours de l’audition de la demande d’asile, il avait peut‑être révélé toute la preuve ou une partie de la preuve qui fait maintenant partie de la documentation du défendeur relative à la demande d’annulation. Dans sa décision, la SPR a signalé que, lors de la seconde audience d’annulation, le demandeur a affirmé qu’il n’avait pas utilisé d’autres identités. Cette affirmation a été contredite par la preuve contraire abondante du défendeur. À mon avis, la SPR a raisonnablement déduit que, selon toute vraisemblance, le demandeur n’avait pas révélé ses autres identités à l’audition de la demande d’asile. La SPR a souligné qu’une note rédigée à l’audition de la demande d’asile indiquait que le demandeur avait apporté une correction mineure à son FRP relativement à son numéro d’association de circonscription politique. La SPR a conclu qu’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que, si le demandeur avait révélé ses autres identités et ainsi apporté une correction majeure à son FRP, cela aurait également été consigné. En outre, compte tenu du fait que le demandeur continue de nier qu’il a eu recours à d’autres identités, la SPR a conclu qu’il était probable qu’il n’ait pas révélé ce fait à l’audition de la demande d’asile. Je ne vois aucune erreur dans ce raisonnement. Le demandeur n’a pas établi que des lacunes dans le dossier ont donné lieu à une audience d’annulation inéquitable.

[22] De plus, si le demandeur avait révélé une partie ou la totalité des renseignements concernant son identité ainsi que ses antécédents de criminalité et de résidence durant la période où il aurait été persécuté au Pakistan, il est tout simplement inconcevable qu’il se serait vu accorder l’asile. Ces faits importants discréditent complètement le fondement de sa demande.

[23] Par ailleurs, le demandeur soutient que le délai lui a causé un préjudice et qu’il discrédite le système de reconnaissance du statut de réfugié.

[24] Lorsqu’il a comparu devant moi, le demandeur s’est fortement appuyé sur l’arrêt Abrametz. Dans la mesure où le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte de cet arrêt, je signale que la décision dans cette affaire a été rendue le 3 juillet 2020, soit après que le demandeur ait présenté ses observations à la SPR le 29 janvier 2020. Le dossier n’indique pas que le demandeur a porté cet arrêt à l’attention de la SPR et qu’il a demandé à présenter des observations quant à sa pertinence après l’audience et avant que la SPR rende sa décision du 15 juillet 2020. En outre, l’arrêt Abrametz portait sur un appel prévu au paragraphe 56(1) de la Legal Profession Act, 1990, SS 1990-91, c. L-10, interjeté à l’encontre des décisions du barreau de la Saskatchewan. Une des questions en litige était celle de savoir si le délai constituait un abus de procédure. Même si le demandeur soutient que l’arrêt Abrametz est révélateur puisqu’il porte sur le moment où le délai commence à courir, cette question a peu d’incidence sur l’affaire dont je suis saisie. En effet, l’analyse de la SPR découlait, à tort ou à raison, de la prémisse selon laquelle le délai avait commencé à courir en 2007 lorsque l’ASFC a préparé le rapport d’évaluation et d’examen des documents. Il s’agit de la plus longue période de délai possible. Je ne suis pas d’accord avec le demandeur pour dire que la SPR a commis une erreur en ne prenant pas de décision relativement au moment où le délai a commencé à courir.

[25] La SPR a correctement établi que l’arrêt Blencoe constitue le critère juridique applicable. Dans cet arrêt, la Cour suprême a conclu ce qui suit :

121 Pour qu’il y ait manquement à l’obligation d’agir équitablement, le délai doit être déraisonnable ou excessif (Brown et Evans, op. cit., à la p. 9‑68). Le délai ne constitue pas en soi un abus de procédure. La personne visée par des procédures doit établir que le délai était inacceptable au point d’être oppressif et de vicier les procédures en cause. Bien que je sois disposé à reconnaître que le stress et la stigmatisation résultant d’un délai excessif peuvent entraîner un abus de procédure, je ne suis pas convaincu que le délai écoulé en l’espèce était « excessif ».

122 La question de savoir si un délai est devenu excessif dépend de la nature de l’affaire et de sa complexité, des faits et des questions en litige, de l’objet et de la nature des procédures, de la question de savoir si la personne visée par les procédures a contribué ou renoncé au délai, et d’autres circonstances de l’affaire. Comme nous l’avons vu, la question de savoir si un délai est excessif et s’il est susceptible de heurter le sens de l’équité de la collectivité dépend non pas uniquement de la longueur de ce délai, mais de facteurs contextuels, dont la nature des différents droits en jeu dans les procédures.

[26] La SPR a conclu que le délai était important et qu’il n’a pas été pleinement justifié. Cependant, cette conclusion n’établissait pas que le fait que l’ASFC ne soit pas intervenue à l’audition de la demande d’asile ou qu’elle n’ait pas présenté la demande d’annulation plus tôt ait compromis l’équité de l’instance, ou que le demandeur a subi un préjudice important en raison du délai.

[27] Comme je l’ai déjà mentionné, la seule allégation du demandeur quant à l’équité du processus d’audience portait sur des lacunes dans le dossier. Le demandeur a depuis abandonné cette allégation. En outre, comme l’a conclu la Cour suprême dans l’arrêt Blencoe, la longueur du délai n’est pas déterminante à elle seule.

[28] En ce qui concerne le préjudice, la SPR a pris acte du témoignage du demandeur selon lequel il a de la difficulté à se souvenir des dates et qu’il prend des médicaments. La SPR s’est reportée à la preuve documentaire à ce sujet. Cette preuve comprend une lettre de la clinique médicale Temple tenant sur trois lignes et datée du 9 juillet 2019, qui indique que le demandeur a de nombreux problèmes de santé et qu’il souffre d’hypertension, de diabète sucré, de dépression et d’anxiété. La lettre indique qu’il prend de nombreux médicaments, qu’il se sent triste la plupart du temps et qu’il est incapable de se concentrer au travail. Une deuxième lettre provenant de la même source datée du 13 novembre 2019 mentionne que le demandeur souffre de nombreux problèmes de santé, y compris de dépression et d’anxiété. Ces conditions affectent sa capacité à fonctionner au jour le jour et provoquent des changements d’humeur et des difficultés de concentration. La lettre indique que le demandeur prend de nombreux médicaments, y compris des antidépresseurs.

[29] Je suis d’avis que la SPR n’a commis aucune erreur en concluant que la preuve était insuffisante pour établir que les problèmes de santé du demandeur sont attribuables au délai, ou qu’il a subi un préjudice important en donnant suite à la demande d’annulation en raison de ces derniers. La SPR a signalé que ses problèmes d’hypertension, de diabète, d’anxiété et de dépression ne sont pas suffisamment liés aux problèmes de perte de mémoire, en particulier à l’égard de faits essentiels comme le recours à d’autres identités. J’ajouterais que la SPR a affirmé que le demandeur a déclaré dans son témoignage qu’il n’avait pas utilisé d’autres identités. Cette conclusion semble contredire la suggestion selon laquelle sa mémoire est compromise au point de nuire à sa capacité de répondre à la demande d’annulation.

[30] Au sujet de l’observation du demandeur voulant qu’il se soit retrouvé [traduction] « dans une situation incertaine » et séparé de sa famille en raison du délai, rien dans le dossier ne démontre qu’il s’est enquis de son statut après 2007, date de sa demande de résidence permanente, et avant 2016, date d’émission de l’avis de demande d’annulation. Il semble donc que le délai ne le préoccupait pas suffisamment pour qu’il fasse le suivi de sa demande de résidence permanente. De plus, le demandeur savait que sa demande d’asile avait été accueillie sur le fondement de son récit mensonger. Ainsi, et compte tenu de l’absence de réponse à sa demande de résidence permanente, il n’aurait pas pu [traduction] « mener son existence en croyant raisonnablement qu’aucune action supplémentaire ne serait prise contre lui », comme il le soutient. Les circonstances en l’espèce ne ressemblent pas à celles de la décision Fabbiano c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1219, sur laquelle s’est fondé le demandeur. Dans cette affaire, le demandeur avait déposé des observations en 2007 quant à la possibilité qu’il soit interdit de territoire et n’avait pas eu de réponse avant 2013. Ainsi, la Cour a conclu qu’il était raisonnable pour le demandeur de croire que ses observations s’étaient révélées convaincantes et qu’il ne risquait plus d’être renvoyé. En outre, il s’était vu refuser l’occasion de déposer d’autres observations à jour.

[31] En outre, rien dans le dossier dont je dispose ne démontre de quelle façon l’état d’incertitude dans lequel se trouvait le demandeur lui a causé un préjudice important – ou un préjudice tout court – ou qu’il avait tenté de visiter sa famille ou qu’on a empêché cette dernière de le visiter.

[32] La SPR a aussi examiné la question de savoir si le délai était suffisamment important pour jeter le discrédit sur le système de reconnaissance du statut de réfugié. La SPR a souscrit à la conclusion suivante tirée par le précédent tribunal de la SPR :

Il est dans l’intérêt public que les affaires relatives à l’immigration et à la protection des réfugiés fassent l’objet d’une enquête et d’une décision en temps opportun, et les intimés ne devraient généralement pas être soumis à des délais excessifs. Cependant, ce facteur ne l’emporte pas sur la nécessité de préserver l’intégrité du système en révoquant la protection accordée aux personnes qui l’ont obtenue au moyen de fausses déclarations. À mon avis, le fait de continuer à protéger les personnes qui ont acquis le statut de réfugié par des moyens illégitimes entacherait la réputation du système, en particulier lorsqu’il n’y a aucun élément de preuve démontrant que le délai a causé un préjudice important.

[33] Compte tenu des circonstances de l’espèce, je ne vois aucune erreur dans la manière dont la SPR a soupesé les intérêts du public et ceux du demandeur.

[34] En résumé, la SPR a correctement énoncé le critère applicable, soit celui de l’arrêt Blencoe, qu’elle a appliqué de manière correcte et raisonnable. De plus, la SPR a correctement et raisonnablement conclu à l’absence d’abus de procédure qui justifierait la suspension permanente de la demande d’annulation.

[35] Finalement, le demandeur soutient que la SPR n’a pas tenu compte des valeurs consacrées par la Charte. Comme le souligne le défendeur, le demandeur a invoqué divers arguments fondés sur la Charte dans le cadre de la première audience devant la SPR. Cependant, cette décision a été annulée par la Cour. Dans les observations qu’il a déposées devant le tribunal de la SPR chargé de rendre une nouvelle décision, le demandeur n’a soulevé aucune question liée à la Charte. Je conviens avec le défendeur qu’on ne peut reprocher à la SPR de ne pas avoir examiné une question dont elle n’était pas saisie.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3279-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés;

  3. Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3279-20

 

INTITULÉ :

TANVEER AKRAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR vidÉoconfÉrence SUR Zoom

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 SEPTEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 4 OCTOBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Raj Sharma

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Galina Bining

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Ministère de la Justice du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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