Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040921

Dossier : T-827-03

Référence : 2004 CF 1289

Ottawa (Ontario), le 21 septembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL

ENTRE :

                                                         NORMAN A. MINTZER

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                      défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une requête en jugement sommaire présentée par la Couronne. Le 14 juin 2004, au cours de l'audience, la Couronne a modifié sa demande de réparation pour exclure la partie de la prétention de M. Mintzer énoncée à l'alinéa 69d) de la déclaration, laquelle se lit comme suit :

[traduction]

d)              Un jugement déclaratoire portant que la défenderesse est responsable des fouilles, perquisitions ou saisies illégales des dossiers fiscaux du requérant et de ses dossiers de litige effectuées le date du 9 avril 2003, le tout en violation de la Charte des droits et libertés.

[2]                La Couronne affirme que tous les autres éléments de la prétention constituent chose jugée ou hors délai.

[3]                Après avoir examiné les documents déposés par les parties et les arguments qu'elles ont présentés oralement, je suis d'avis d'accueillir en partie la requête. Certaines des questions que soulève la prétention sont des questions de fait ou de droit qui auraient pu être soulevées dans le cadre de litiges antérieurs entre les parties (T-1768-94 et T-1909-95); ces questions sont de plus chose jugée selon la définition élargie de cette expression élaborée dans la jurisprudence. Voir, par exemple, Canada c. Chevron Canada Resources Ltd., [1999] 1 C.F. 349 (C.A.), aux par. 36 et 37. En d'autres mots, M. Mintzer souhaite soulever certaines questions de fait ou de droit liées directement à l'objet de litiges antérieurs et qui auraient pu être soulevées dans des actions précédentes s'il avait fait preuve de diligence raisonnable. Le principe de la chose jugée ne se limite pas aux questions que l'on demande à la cour de trancher spécialement dans le cadre d'une instance; il englobe également les questions et les faits se rapportant clairement à l'objet d'un litige antérieur et qui auraient pu être soulevés. Aussi, il y aurait abus de procédure si la Cour permettait l'introduction d'une nouvelle instance sur ces questions ou ces faits.

[4]                Les questions que soulève en l'espèce la prétention de M. Mintzer, questions ayant trait à la mort de M. Victor R. Bernard et à l'incapacité mentale de Mme Edith Bernard, se rapportent à des sujets abordés dans le cadre des affaires T-1768-94 et T-1909-95, ou qui auraient pu l'être.

[5]                En ce qui a trait aux problèmes de santé cardiaque de M. Mintzer, on peut lire, au paragraphe 10 du dossier T-1768-94, que : [traduction] « le requérant a dû arrêter de prendre une partie de ses médicaments prescrits pour le coeur en raison de la saisie par la défenderesse de ses prestations du Régime de pensions du Canada, ce qui a eu pour conséquence de mettre sa vie en péril... » Son pontage coronarien n'a cependant été effectué qu'en septembre 2003. Il aurait donc pu soulever la question de sa santé cardiaque, et c'est d'ailleurs ce qu'il a fait dans le cadre de l'action précédente; toutefois, il souhaite maintenant tenir la Couronne responsable de son pontage coronarien.

[6]                Dans l'arrêt GmbH c. Acadia Shipbrokers Ltd. (2000), 259 N.R. 201, la Cour d'appel fédérale a décidé que, sur présentation d'une requête en jugement sommaire, les deux parties doivent présenter la preuve à laquelle elles peuvent raisonnablement avoir accès, et qui est susceptible d'aider la Cour à établir s'il existe une question sérieuse à instruire. L'intimé ne peut s'appuyer sur ses plaidoiries écrites; il doit faire valoir des faits précis démontrant l'existence d'une question sérieuse à instruire.

[7]                De nombreuses décisions ont établi que même s'il incombe au requérant de démontrer qu'il n'y a pas de question sérieuse à instruire, les deux parties doivent présenter leur cause sous son meilleur jour (voir, par exemple, F. Von Langsdorff Licensing Ltd. c. S.F. Concrete Technology Inc. (1999), 1 C.P.R. (4th) 88. Les parties ne peuvent faire reposer leur preuve uniquement sur leurs plaidoiries écrites.

[8]                Pour ce qui est de la question de la santé cardiaque du requérant et de son pontage coronarien, rien au dossier n'indique à la Cour qu'il existe un motif sérieux de renvoyer cette affaire à procès. Mais ce n'est pas ce que prétend de la Couronne dans sa requête ou son exposé du droit. Il est vrai que, pour appuyer ses prétentions, la Couronne cite dans sa requête les articles 213 à 219 des Règles de la Cour fédérale (1998). Mais, dans son exposé des faits et du droit, la Couronne est assez explicite lorsqu'elle affirme que l'action devrait être rejetée pour cause uniquement de chose jugée et de prescription.

[9]                En ce qui concerne la demande de M. Mintzer en vue d'obtenir un « jugement déclaratoire portant que la défenderesse est responsable en tout ou en partie des problèmes cardiaques et du pontage coronarien consécutif » , je dois conclure que la question du pontage de M. Mintzer n'a pas été soulevée et ne pouvait l'être dans les actions précédentes et ce, même si M. Mintzer a assurément soulevé les questions des médicaments pour le coeur et du péril pour sa vie à cause de la saisie par la Couronne de ses prestations du Régime de pensions du Canada.

[10]            La renonciation signée par le requérant le 29 février 2000 dans le cadre de l'affaire

T-1909-95 couvre [traduction] « toutes les prétentions et demandes énoncées dans la déclaration produite dans ladite action T-1909-95 » .


[11]            Dès lors, le problème qui se pose est le suivant : l'affaire T-1909-95 repose sur une déclaration en date du 11 septembre 1995, laquelle traite au paragraphe 24 encore une fois des problèmes cardiaques du requérant, ainsi que sur une déclaration modifiée, en date du 2 janvier 1999, dans laquelle les problèmes cardiaques sont passés sous silence. La renonciation est mal rédigée.

[12]            Selon moi, la renonciation ne peut se rapporter qu'à la déclaration modifiée dans l'affaire T-1909-­95, de sorte que le fait que l'on ait mis un terme à cette action au moyen d'une renonciation ne rend pas irrecevable une action fondée sur le pontage coronarien. La renonciation a une portée très restreinte et, selon sa teneur, elle ne se rapporte qu'aux prétentions particulières énoncées dans le dossier T-1909-95.

[13]            Le jugement déclaratoire sollicité par M. Mintzer à l'alinéa 69e) de sa déclaration en ce qui a trait à sa libération de toute dette fiscale en date du 30 mai 1991, et à sa soustraction aux prélèvements ou retenues de la Couronne après cette date soulève, là encore, des questions de fait et de droit relativement aux actions antérieures T-1768 et T-1909-95; en conséquence, ces questions sont chose jugée.

[14]            Aux alinéas 69f), g) et h) de sa déclaration, M. Mintzer a demandé des dommages-intérêts généraux, spéciaux et punitifs, mais rien n'indique à quoi correspond chaque chef de dommages-intérêts. Une fois de plus, toutefois, la Couronne ne s'oppose à ces prétentions que dans la mesure où ces prétentions se rattachent à des questions qui sont chose jugée ou hors délai.

[15]            La Couronne prétend aussi que les prétentions formulées aux alinéas 69a), b), c), f), g) et h), dans la mesure où elles se rapportent à des questions qui sont chose jugée, vont au-delà de toute prescription applicable et devraient être radiées. J'endosse le point de vue de la Couronne à ce sujet, sauf que je ne considère pas l'alinéa 69b) comme hors délai en ce qui concerne le pontage coronarien.

[16]            Reste l'alinéa 69c) au sujet duquel la Couronne admet qu'il ne porte pas sur des questions soulevées dans un litige précédent, mais qui renvoie malgré tout à des questions prescrites.

[17]            S'agissant de l'alinéa 69c), M. Mintzer n'a avancé ni faits ni preuve qui permettraient à la Cour de trancher s'il existe une question sérieuse à instruire qui n'est pas largement au-delà de toute prescription applicable, et je dois convenir avec la Couronne que l'on ne devrait pas procéder à l'instruction sur cette base.

[18]            M. Mintzer peut encore s'appuyer sur ses prétentions exposées aux alinéas 69b) et c) (mais uniquement dans la mesure où ce dernier alinéa se rapporte à son pontage coronarien), aux alinéas 69f), g) et h) (dans la mesure où ces prétentions ne concernent pas une question exclue par le principe de chose jugée ou la prescription) ainsi qu'aux alinéas 69i) et k).

[19]            M. Mintzer tente de répondre à la requête de la Couronne de différentes façons, mais il a poliment concédé à l'audience que sa déclaration en l'espèce gagnerait à être mieux étoffée.

[20]            Il affirme que la Couronne ne peut présenter la présente requête étant donné que, dans une ordonnace en date du 14 juillet 2003, la protonotaire Tabid s'est prononcée sur sa demande antérieure de radiation.

[21]            Rien dans l'ordonnance de la protonotaire Tabib ou dans la jurisprudence en matière de chose jugée n'empêche la présente requête en jugement sommaire. M. Mintzer soutient essentiellement que la Couronne aurait pu soulever les questions de chose jugée et d'expiration des délais dans sa demande de radiation, mais qu'elle ne l'a pas fait. Aussi, la Couronne ne devrait pas être autorisée à se présenter de nouveau en cour pour faire radier des prétentions au moyen d'une ordonnance en jugement sommaire. Les fins différentes que visent une requête en radiation et une requête en jugement sommaire me donnent à croire que M. Mintzer ne peut utiliser le principe de la chose jugée de cette façon.

[22]            M. Mintzer affirme aussi que le principe de la chose jugée ne peut être invoqué que s'il y a eu jugement au fond par un tribunal, et que ce principe ne s'applique pas à des questions réglées par suite d'entente, désistement, examen de l'état de l'instance ou défaut de poursuivre. Il déclare que l'affaire T-1768-94 n'a pas été tranchée judiciairement au fond, mais rejetée sur examen de l'état de l'instance du fait que le tribunal n'a donné une autorisation de désistement avec dépens. Le dossier T-1768-94 a été remplacé par le dossier T-1909-95 qui, à son tour, a fait l'objet d'une entente entre les parties.

[23]            Je n'interprète pas le principe de la chose jugée de façon aussi étroite.

[24]            M. Mintzer a soulevé d'autres objections que j'ai considérées, mais que je ne crois pas pertinentes et qui n'empêchent pas la Couronne de chercher à obtenir la réparation à laquelle j'estime qu'elle a droit.

[25]            Quant à la question des dépens, la Couronne n'ayant que partiellement gain de cause, je n'estime pas devoir rendre une ordonnance à cette fin.

[26]            Dans son exposé des faits et du droit et dans son argumentation orale, M. Mintzer affirme que son action est [traduction] « entre autres, une action en dommages-intérêts pour non-respect d'une entente de règlement » .

[27]            Cette prétention n'a aucune incidence sur la présente décision, mais je crois qu'il convient peut-être de mentionner au passage que la déclaration de M. Mintzer est entachée d'un vice grave si tant est que le non-respect d'une entente de règlement constitue un volet de son action.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          que la requête en jugement sommaire de la Couronne soit accueillie en partie;

2.          que seules les questions suivantes soient instruites selon la procédure habituelle :

a)          la question de savoir si, suivant l'alinéa 69b) de la déclaration, M. Mintzer a droit à un jugement déclaratoire reconnaissant que la Couronne est responsable en tout ou en partie du pontage coronarien qu'il a subi;

b)          la question de savoir si, suivant l'alinéa 69d), M. Mintzer a droit à un jugement déclaratoire reconnaissant que la Couronne est responsable des fouilles, perquisitions ou saisies illégales de ses dossiers fiscaux et dossiers de litige effectuées le 9 avril 2003, le tout en violation avec la Charte canadienne des droits et libertés;


c)          les questions concernant les dommages-intérêts soulevées aux alinéas 69f), g) et h), mais non en ce qui a trait aux questions à propos desquelles un jugement sommaire a été prononcé en faveur de la Couronne, conformément à la présente ordonnance et aux présents motifs d'ordonnance;

d)          les questions soulevées aux alinéas 69i) et k) de la déclaration;

3.          qu'aucuns dépens ne soient adjugés.

________________________

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Évelyne Côté, LL.B., D.E.S.S. trad.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                           T-827-03

INTITULÉ :                          NORMAN A. MINTZER c. SA MAJESTÉ LA REINE

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :    TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :    le 14 juin 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : le juge Russell

DATE DES MOTIFS :           le 21 septembre 2004

COMPARUTIONS :

Norman Mintzer                      POUR LE DEMANDEUR

Tamara Sugunasiri                   POUR LA DÉFENDERESSE

Joel Oliphant                           POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS AU DOSSIER :

Norman A. Mintzer

2, Brownstone Lane

Toronto (Ontario) M8X 2Z6    

POUR LE DEMANDEUR

Ministère de la Justice

Exchange Tower

130, rue King Ouest

Toronto, (Ontario) M5X 1K6                POUR LA DÉFENDERESSE


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.