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Date : 20050429

Dossier : IMM-3264-04

Référence : 2005 CF 594

Ottawa (Ontario), le 29 avril 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

ENTRE :

                                                              MAVIS HOWELL

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Mme Howell est une citoyenne de la Grenade qui est arrivée au Canada, munie d'un visa de visiteur, le 11 octobre 1996. Depuis l'expiration de ce visa, elle vit au pays illégalement. Sa soeur et son frère habitent au Canada; sa mère vit à la Grenade. La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent d'immigration a rejeté sa demande de dispense pour des motifs d'ordre humanitaire de l'obligation imposée par la loi de demander la résidence permanente de l'extérieur du Canada. Sa demande doit être rejetée.


[2]                Le 4 novembre 1999, Mme Howell a présenté une demande de résidence permanente sans quitter le Canada. Sa demande était parrainée par son mari, qui est citoyen canadien. À l'appui de sa demande, Mme Howell a déclaré à l'agent d'immigration qu'elle avait déménagé au 22, avenue Close, à Toronto, en octobre 2000 en compagnie de son mari. Le bail qu'elle a fourni pour étayer sa déclaration portait la signature de M. P. Tiwari. La demande a été refusée pour le motif que le mariage en était un de convenance.

[3]                Le 24 avril 2001, Mme Howell a demandé l'asile. Une mesure de renvoi conditionnelle a été prise contre celle-ci. Sa demande d'asile a été rejetée pour manque de crédibilité par ce qui était à l'époque la Section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. La demande de Mme Howell en vue d'obtenir l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire a été rejetée.

[4]                Le 11 mai 2001, Mme Howell a présenté une autre demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, qui a été refusée. Sa demande d'autorisation a été rejetée.

[5]                Le 14 juin 2002, elle a rempli sa troisième demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire. Elle a indiqué en ce qui concerne son état matrimonial qu'elle était [Traduction] « légalement séparée » . Sa demande a été envoyée par la poste au Centre de traitement des demandes de Vegreville, avec une lettre d'accompagnement, datée du 20 juin 2002, de son avocate. Cette dernière a expliqué dans la lettre qu'elle représentait à la fois Mme Howell et M. Parmashwar Tiwari, un citoyen de Trinidad, dont la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire était également jointe. L'avocate a indiqué que ces deux personnes [Traduction] « sont conjoints de fait et ont eu ensemble un fils qui est canadien » . Les seules observations concernant cet enfant sont celles de l'avocate :


[Traduction] Leur fils est né le 13 septembre 2000. Comme ils sont tous les deux originaires de pays différents, il serait catastrophique pour eux s'ils devaient être séparés car cela entraînerait la rupture de leur famille. Ils estiment aussi qu'il est dans l'intérêt supérieur de leur enfant de rester au Canada. S'ils sont obligés de quitter le Canada, ils ne seront pas en mesure de satisfaire à leurs besoins de base, comme la nourriture, le logement et l'éducation.

[6]                La lettre indiquait aussi qu'étaient joints à l'envoi les frais liés à la demande, diverses pièces d'identité, le certificat de mariage de Mme Howell, des lettres provenant d'écoles et qui concernaient M. Tiwari, des lettres de références, des lettres d'appui de la part de membres de la famille ainsi que des copies de feuillets T4 de Mme Howell.

[7]                Le 13 février 2003, le dossier a été transféré au Centre d'immigration Canada (CIC), à Etobicoke. Le 18 mars suivant, un rapport psychologique concernant M. Tiwari a été transmis au CIC. Le 28 janvier 2004, le CIC a demandé qu'on lui fournisse des demandes à jour pour Mme Howell ainsi que pour M. Tiwari. Les documents en question ont été transmis par messager à Etobicoke le 20 février 2004 et ils étaient encore une fois accompagnés d'une lettre de l'avocate. Le texte intégral de la lettre est le suivant :

[Traduction] Vous trouverez ci-joint les demandes de résidence permanente mises à jour et les formulaires de renseignements supplémentaires que vous avez demandés. Mes clients sont les parents d'un enfant canadien.

Leur fils est âgé de 3 ans et demi. Si les membres de cette famille étaient séparés, cela aurait un effet dévastateur. Je vous demande de prendre en considération l'article 25 de la LIPR ainsi que la demande IP5 à cet égard, de même que les obligations et les engagements du Canada à titre de signataire de la Déclaration des droits de l'enfant. Je vous demande d'accorder une attention spéciale au principe 6 selon lequel « L'enfant, pour l'épanouissement harmonieux de sa personnalité, a besoin d'amour et de compréhension. Il doit, autant que possible, grandir sous la sauvegarde et sous la responsabilité de ses parents [...] » . Vous trouverez ci-joint pour examen une copie de ce principe et j'affirme qu'il est manifestement dans le meilleur intérêt de toutes les parties en cause et de l'enfant en particulier que cette famille reste unie. Je joins aussi le texte de la Convention relative aux droits de l'enfant de l'ONU.

J'espère que vous me donnerez dès que possible des nouvelles sur l'état de cette affaire et je vous remercie de votre aide.


[8]                Dans une lettre datée du 19 mars 2004, l'agent d'immigration a refusé la demande de Mme Howell. Les notes de l'agent ont été annexées en tant que motifs du rejet. L'agent d'immigration n'était pas convaincu que Mme Howell se trouvait au Canada depuis assez longtemps, s'y était suffisamment établie ou que sa situation était telle qu'elle éprouverait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si elle devait quitter le Canada pour demander un visa d'immigrant. Un certain nombre de facteurs ont été énumérés pour étayer cette conclusion. L'agent d'immigration a dit :

-          Mme Howell n'a pas fourni de preuve satisfaisante confirmant qu'elle vit en union de fait avec M. Tiwari. Lorsqu'elle a présenté sa demande de 1999, elle a déclaré être mariée à M. Thompson et avoir emménagé avec ce dernier en octobre 2000 au 22, avenue Close, une adresse qu'elle dit maintenant partager avec M. Tiwari depuis le mois d'octobre 2000;

-          lors de l'entrevue qu'elle a eue au CIC en décembre 2000, Mme Howell n'a pas fait part de l'existence de son enfant. Elle a omis [dans sa demande] de fournir une preuve satisfaisante de l'existence de cet enfant;

-          après avoir accusé réception de la Convention relative aux droits de l'enfant, l'agent d'immigration, s'appuyant sur la preuve, n'était pas convaincu que, en raison de son jeune âge et de l'absence de tout besoin spécial, l'enfant éprouverait des difficultés s'il devait accompagner l'un ou l'autre de ses parents jusqu'à son pays d'origine. En outre, vu l'appui donné à Mme Howell par sa famille élargie, l'agent n'était pas convaincu que son enfant ne bénéficierait pas lui non plus du même appui;

-          Mme Howell n'a pas démontré qu'elle avait amélioré ses compétences ou acquis des biens ou des fonds depuis son arrivée au Canada;

-          on pouvait douter de l'authenticité de la lettre censée provenir de Pharm Canada et concernant les activités bénévoles de Mme Howell aux bureaux de l'entreprise;


-          les liens familiaux au Canada et à la Grenade ont été notés. L'agent n'était pas convaincu que les liens de Mme Howell avec la Grenade (sa mère avec laquelle elle habitait auparavant) n'étaient pas suffisamment forts pour qu'elle ne bénéficie d'aucun soutien à cet endroit. Compte tenu de ses antécédents de travail à la Grenade, Mme Howell pourrait y trouver un emploi convenable.

[9]                La seule question qui se pose est de savoir si l'agent d'immigration a été réceptif, attentif et sensible à l'intérêt supérieur de l'enfant, comme l'exige la loi. Mme Howell soutient que l'agent n'a pas tenu dûment compte de la Convention et qu'il n'y a accordé qu'un intérêt de pure forme. En outre, l'agent a omis de tenir compte d'un élément de preuve pertinent, soit l'évaluation psychologique.

[10]            À mon avis, les conditions énoncées dans l'arrêt Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] 2 R.C.F. 635 (C.A.F.), sont déterminantes. Selon le juge Evans, qui a rédigé la décision unanime de la Cour, l'agent d'immigration qui examine une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire doit être réceptif, attentif et sensible à l'intérêt supérieur des enfants, sur lesquels l'expulsion du père ou de la mère peut avoir des conséquences préjudiciables, et il ne doit pas minimiser cet intérêt; toutefois, cette obligation n'existe que lorsqu'il ressort de manière suffisamment claire des documents soumis au décideur qu'une demande repose, du moins en partie, sur ce facteur. Le demandeur a le fardeau de prouver toute allégation sur laquelle il fonde sa demande pour des motifs d'ordre humanitaire. Par voie de conséquence, si un demandeur ne produit aucune preuve à l'appui de sa demande, l'agent peut conclure qu'elle n'est pas fondée.


[11]            En l'espèce, l'agent avait des motifs raisonnables de douter de l'existence de l'enfant, compte tenu des antécédents de Mme Howell en matière d'immigration et du fait qu'elle n'avait pas mentionné l'existence d'un enfant lors de son entrevue précédente sur les motifs d'ordre humanitaire, laquelle a eu lieu après la naissance de l'enfant. Je conviens toutefois avec Mme Howell qu'il n'était pas obligatoire d'inclure le nom de l'enfant à titre de personne à charge dans son formulaire de demande. Les instructions sur la manière de remplir le formulaire, qui figurent à la première page du formulaire, définissent expressément le mot « personne à charge » comme désignant le conjoint ou un enfant à charge du demandeur principal, qui n'est pas citoyen ou résident permanent du Canada.

[12]            Quoi qu'il en soit et malgré ses doutes à propos de l'existence de l'enfant, l'agent d'immigration a bel et bien examiné la question de l'intérêt supérieur de l'enfant dans le contexte des éléments qui lui avaient été soumis. Les seules références faites à l'enfant étaient les commentaires généraux, dont il a été question plus haut, que contenait la lettre de l'avocate. Il n'y avait pas la moindre preuve à l'appui de ces commentaires.


[13]            Mme Howell prétend que le rapport du psychologue confirme les allégations contenues dans la lettre de son avocate et que l'agent n'a pas examiné ce rapport. Il se peut fort bien que l'agent n'ait pas examiné le rapport en question parce qu'il n'en est pas fait mention dans les notes. Cependant, même s'il l'avait fait, cela n'aurait pu aider la cause de Mme Howell. En effet, le rapport concernait M. Tiwari; il ne concernait ni Mme Howell ni l'enfant. La seule conclusion tirée par le psychologue était que M. Tiwari [Traduction] « est véritablement désemparé à l'idée d'être séparé de sa femme et de son fils » . Tous les commentaires concernant Trinidad et la Grenade étaient ceux de M. Tiwari, et le psychologue a expressément indiqué que c'était le cas. Les commentaires ne confirment donc rien. Ils indiquent plutôt ce que M. Tiwari a déclaré au psychologue.

[14]            Mme Howell, par la lettre de son avocate, satisfait à la première des conditions énoncées dans l'arrêt Owusu car il ressort clairement de cette lettre qu'elle souhaite se fonder sur le facteur de l' « intérêt supérieur des enfants » . Toutefois, elle ne satisfait aucunement à la seconde condition, soit l'obligation de fournir une preuve justifiant ses prétentions. L'agent d'immigration ne peut, en l'absence de tout contexte, examiner de manière réceptive, attentive et sensible l'intérêt supérieur d'un enfant.

[15]            La demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Les avocats n'ont pas proposé de question à certifier et les faits dont il est question en l'espèce n'en soulèvent aucune.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE le rejet de la demande de contrôle judiciaire.



            « Carolyn Layden-Stevenson »

                                 Juge


Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                                  Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                                     IMM-3264-04

INTITULÉ :                                                    MAVIS HOWELL

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE MERCREDI 27 AVRIL 2005        

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

DATE DES MOTIFS :                                   LE 29 AVRIL 2005

COMPARUTIONS :

Robin L. Seligman                                             POUR LA DEMANDERESSE

Angela Marinos                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robin L. Seligman

Avocate

30, avenue St. Clair Ouest, 10e étage

Toronto (Ontario)

M4V 3A1                                                         POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                    POUR LE DÉFENDEUR

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