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Date : 20060228

 

Dossier : IMM-9793-04

 

Référence : 2006 CF 264

 

Ottawa (Ontario), le 28 février 2006

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE EDMOND P. BLANCHARD

 

 

ENTRE :

 

CALVIN KERIMU

 

demandeur

 

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

 

1.         Introduction

 

[1]               Il s’agit du contrôle judiciaire du rejet de la demande d’asile de M. Kerimu par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 20 octobre 2004. Il demande à la Cour d’annuler cette décision et de renvoyer l’affaire à un tribunal différemment constitué de la Commission pour réexamen.

 

2.         Contexte factuel

[2]               Le demandeur, Calvin Kerimu, est citoyen du Libéria et il appartient au groupe ethnique américo-libérien. Il est né le 25 décembre 1975.

 

[3]               Le demandeur, dont les parents étaient des gens d’affaires importants, prétend que, le 4 mai 1990, il s’est fait enlever avec d’autres enfants alors qu’ils rentraient chez eux de l’école par des membres des forces de Charles Taylor; celles-ci constituaient une faction rebelle qui combattait pour contrôler le Liberia à l’époque. Le demandeur déclare que lui et d’autres enfants ont été emmenés dans des villages pour y être entraînés et y prêter un serment de loyauté. Lorsque les forces gouvernementales ont attaqué le convoi, cela a permis à certains des enfants, dont le demandeur, d’échapper à leurs ravisseurs.

 

[4]               Le 6 juin 1993, les forces de Charles Taylor sont entrées dans Monrovia, la capitale du Liberia. Des rebelles ont surgi dans la maison du demandeur et accusé son père d’appuyer une faction ennemie, ce qu’il a nié, disant que sa famille était neutre. Les rebelles ne l’ont pas cru et ils l’ont abattu, ainsi que la mère du demandeur, en sa présence.

 

[5]               Le demandeur dit que, de 1993 à 2003, alors que la guerre civile faisait rage au Liberia, il y a vécu tant bien que mal comme tout le monde, et a survécu à différents malheurs. Il déclare que, à maintes reprises, il a été obligé de fuir son domicile.

 

[6]               Le 7 juin 2003, le Liberia United for Reconstruction and Democracy (Liberia uni pour la reconstruction et la démocratie) (LURD) et le Movement for Democracy in Liberia (Mouvement pour la démocratie au Liberia) (MODEL) – deux groupes d’insurgés – ont attaqué Monrovia. Le demandeur déclare qu’il a été capturé par les rebelles du LURD et qu’il a été emmené à Bong, à 100 kilomètres au nord-est de Monrovia. Au camp du LURD, ses ravisseurs l’ont forcé à participer à un rituel d’initiation et ils l’ont battu, insulté et menacé. Il déclare qu’il a été traité durement parce qu’il était américo-libérien.

 

[7]               Après 19 jours de captivité, on a annoncé que les États-Unis envoyaient des troupes au Liberia. Le LURD a organisé une fête et le demandeur dit que, pendant les festivités, il a pu s’échapper et parvenir à Monrovia. À la gare routière, il est tombé sur un chauffeur qui était son voisin et qui lui a dit que les forces gouvernementales et MODEL avaient l’impression que le demandeur avait adhéré au LURD et qu’ils le recherchaient.

 

[8]               Le demandeur s’est caché. Avec l’aide de son voisin, le chauffeur, il a pu s’arranger pour passer au Ghana, et c’est là qu’il a pris les dispositions pour se rendre au Canada, où il est arrivé le 1er août 2003; il a fait une demande d’asile.

 

[9]               M. Kerimu demande l’asile en invoquant le motif fondé sur l'appartenance à un groupe social particulier prévu par la Convention, c’est-à-dire les Américo-Libériens. Il prétend que toutes les factions détestent les Américo-Libériens et qu’il sera persécuté s’il est forcé de rentrer au Liberia.

 

[10]           La demande d’asile de M. Kerimu a été entendue le 24 août 2004 à Toronto. Le 20 octobre 2004, la Commission a rejeté sa demande, ayant conclu que sa prétendue crainte était sans fondement objectif.

 

3.         La décision contestée

[11]           La Commission a conclu que la situation avait changé au Liberia et que, même s’il y avait toujours des problèmes dans ce pays, rien ne faisait obstacle au retour du demandeur à Monrovia.

 

[12]           À l’appui de cette conclusion, la Commission a fait état des éléments suivants : à la fin de 2003, lorsque le LURD et le MODEL ont signé un accord de paix avec le gouvernement, plus de 15 000 casques bleus sont arrivés au Liberia. La Commission a cité un article de journal du 17 août 2004, dans lequel il était dit que des dizaines de milliers de réfugiés avaient spontanément commencé à rentrer au Liberia. La Commission a convenu que si les casques bleus ne pouvaient pas maintenir l’ordre dans tout le pays, rien n’indiquait que, en 2004, les personnes étaient menacées par les groupes d’insurgés ou par le gouvernement.

 

[13]           La Commission a déclaré que, après avoir soigneusement examiné les documents produits par le demandeur et ceux qui étaient inclus dans la propre trousse d'information de la Commission, elle ne pouvait pas conclure que les Américo-Libériens étaient menacés. Elle n’a pu trouver quelque élément d’information allant dans ce sens.

 

[14]           La Commission a conclu qu’il n’était pas raisonnable de croire que le gouvernement et le MODEL s’intéresseraient à un simple Américo-Libérien ayant collaboré avec le LURD. La Commission a aussi conclu qu’il était très peu probable que le MODEL ou le gouvernement croiraient que le demandeur serait bien accueilli à titre de membre du LURD, parce que ses membres sont surtout des Mandingues, et le demandeur prétend que toutes les factions détestent les Américo-Libériens.

 

[15]           La Commission a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger.

 

4.         Les questions en litige

[16]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève trois questions :

 

1)         La Commission a-t-elle violé les principes de justice naturelle et d’équité procédurale lorsqu’elle n’a pas avisé le demandeur que le changement dans la situation du Liberia était la question déterminante pour sa demande d’asile?

 

2)                  La Commission a-t-elle fait erreur lorsqu’elle a conclu que la situation au Liberia avait changé au point d’éliminer la crainte objective du demandeur?

 

3)                  La Commission a-t-elle fait erreur lorsqu’elle a conclu que le demandeur disposait d’une possibilité de refuge intérieur à Monrovia?

 

5.         La norme de contrôle

[17]           En matière de violation des principes de justice naturelle et d’équité procédurale, la norme d’examen est la décision correcte; il n’est pas nécessaire de faire preuve de retenue à l’égard des organismes administratifs : Syndicat canadien de la fonction publique c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539. Le rôle de la Cour est de vérifier si, en l’espèce, la Commission a suivi les règles de justice naturelle et d’équité procédurale. Si la Cour conclut que le déroulement de l’audition de la demande d’asile a été contraire à l’équité procédurale, elle annulera la décision de la Commission.

 

[18]           Comme je le dis clairement dans mes motifs plus bas, ma réponse à la première question est déterminante pour la présente demande. Il n’est donc pas nécessaire que je me penche sur les deux autres questions qui ont été soulevées. Il s’ensuit qu’il n’est pas nécessaire que je fasse des observations sur la norme de contrôle applicable à ces deux questions.

 

6.         Analyse

A.        La Commission a-t-elle violé les principes de justice naturelle et d’équité procédurale?

 

[19]           Le demandeur soutient que, comme la Commission ne l’a pas informé à l’audience qu’elle considérait que le changement dans la situation du Liberia était en question, il n’a pas pu faire valoir ses arguments à ce sujet et qu’il y a eu atteinte aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale. L’argument du demandeur est que la Commission, dès l’ouverture de l’audience, a déclaré que les questions soulevées par la demande d’asile avaient trait à son identité et à sa crédibilité et que les questions qui lui ont été posées à l’audience par l'agent de protection des réfugiés (APR) et la Commission ont surtout porté sur le premier élément. Il signale que, en outre, le Commissaire a suspendu l’audience au terme de celle-ci, afin de lui donner la possibilité d’obtenir des preuves supplémentaires de son identité.

 

[20]           Le défendeur soutient qu’aucun élément objectif n’indique que la Commission ait jamais dit au demandeur de se concentrer sur les questions d’identité et de crédibilité ou que sa crainte objective ne ferait pas l’objet de débats. Le défendeur soutient en outre qu’avis a été donné au demandeur que le changement dans la situation de son pays ferait l’objet de débats. Plus précisément, le défendeur attire l’attention de la Cour sur le Formulaire d'examen initial de la Section de la protection des réfugiés en date du 9 septembre 2003, et sur l’entrevue faite dans le cadre du processus accéléré du 23 mars 2004 – à laquelle ont participé M. Kerimu et son avocat – au cours de laquelle il a été décidé de tenir une audience en bonne et due forme afin d’apprécier, notamment, les changements dans la situation du Liberia. Le défendeur soutient que l’équité ne veut pas dire qu’il faille donner un avis précis au demandeur, puisque le changement dans la situation du pays du demandeur d’asile est un élément inhérent à la définition du réfugié au sens de la Convention. De toute manière, le défendeur soutient que le demandeur a eu toute latitude pour faire valoir ses arguments sur la question du changement dans la situation du Liberia à l’audience, en produisant des témoignages ou des preuves documentaires et en faisant intervenir son avocat, mais qu’il n’en a rien fait.

 

[21]           Le défendeur soutient essentiellement que le demandeur n’a pas établi de fondement objectif à sa crainte de persécution. En outre, le demandeur ne peut pas soutenir qu’il a été traité au mépris des principes d’équité procédurale parce qu’il avait été informé des questions qui seraient débattues.

[22]           Afin de décider s’il y a eu atteinte aux principes de justice naturelle ou d’équité procédurale, il est nécessaire de se pencher sur le déroulement de l’audition de la demande d’asile. À cette fin, j’ai soigneusement examiné la transcription de l’audience.

 

[23]           Lorsque le Commissaire a préparé l’audience avant le début de l’interrogatoire, il s’est exprimé en ces termes :

[TRADUCTION] Très bien. Donc, il y a une crainte objective parce que presque tout le monde aurait une crainte fondée de persécution au Liberia mais, comme je l’ai dit, il faut me convaincre que vous y étiez récemment, que votre récit est raisonnablement fiable et je vais demander à M. Bernard [l’APR] de commencer et de vous poser quelques questions, d’accord?

 

 

[24]           Tout au long de l’audience, l’APR s’est surtout concentré sur l’identité du demandeur, il a posé des questions au sujet de documents d’identité, de sa relation avec sa conjointe de fait, et de ses connaissances concernant le Liberia. Nulle question n’a été posée au demandeur au sujet de la situation actuelle au Liberia. En outre, au cours de ses interventions orales, l’APR a circonscrit ses observations aux questions d’identité et de crédibilité.

 

[25]           Pour sa part, au cours de ses observations orales, l’avocat du demandeur a aussi bien dit comprendre que la question clef en jeu était celle de l’identité de son client.

[TRADUCTION] Alors, premièrement, il semble que la question principale a trait à la crédibilité [du demandeur] relativement à son identité ou à sa citoyenneté libérienne. Les faits relatés ne semblent pas soulever de questions mais, bien entendu, si vous n’êtes pas convaincu qu’il est originaire du Liberia, le récit de son vécu est sujet à caution. Donc, voilà.

 

[26]           L’avocat du demandeur n’a fait aucune observation sur la question de savoir si la situation au Liberia avait changé au point de réfuter sa crainte objective de persécution, et le Commissaire n’a pas instruit l’avocat du demandeur d’en faire. En fait, comme je l’ai signalé plus haut, au cours de l’audience, le Commissaire s’est concentré sur l’identité du demandeur et il a même donné au demandeur trois semaines pour produire des documents supplémentaires pour établir son identité.

 

[27]           Le droit d’être entendu – c’est-à-dire, le droit du demandeur de connaître les questions auxquelles il doit répondre – constitue un élément important des principes de justice naturelle et d’équité procédurale. La Cour fédérale a dit que priver le demandeur d’asile de ce droit constitue une atteinte aux principes de justice naturelle. Dans l’arrêt Velauthar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 425 (QL), la Cour d’appel fédérale a conclu à un grave déni de justice : la Commission avait dit que la crainte de persécution du demandeur constituait la seule question en cause et elle avait statué sur la demande d’asile en fonction de sa crédibilité. En outre, dans la décision Kaldeen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1033 (QL), le juge Paul U.C. Rouleau a statué, au paragraphe 7, que la Commission ne peut pas donner au demandeur d’asile l’impression que seules certaines questions seront débattues et ensuite statuer sur sa demande en fonction d’une autre question.

 

[28]           La Cour fédérale a statué qu’il faut donner avis à l’intéressé des questions en litige qui sont déterminantes quant à la demande. Dans la décision El-Bahisi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 2 (QL), le juge Pierre Denault s’est exprimé sur la question des changements dans la situation du pays du demandeur d’asile. Au paragraphe 6 de ses motifs, il s’est exprimé en ces termes :

[…] La question du changement de circonstances est soulevée dans la décision du tribunal sans qu'il en ait été fait mention ni donné avis au cours de l'audience. À mon sens, cela constitue une erreur donnant lieu au contrôle judiciaire. Dans l'arrêt Thirunavukkarasu c. M.E.I., (10 novembre 1993), no de greffe A-81-92 (C.A.F.), le juge Linden a étudié l'obligation de donner un avis lorsque le tribunal conclut à l'existence d'une possibilité de refuge dans une autre partie du même pays; ses commentaires à cet égard s'appliquent, je crois, à l'examen du changement de circonstances :

 

Le demandeur du statut de réfugié bénéficie des principes de justice naturelle devant la section du statut. L'un des éléments fondamentaux et bien établis du droit d'une partie d'être entendue est l'obligation de lui donner avis de la preuve réunie contre elle (voir, par exemple, Kane c. Le conseil d'administration de l'université de la Colombie‑Britannique, [1980] 1 R.C.S. 1105, à la page 1114). Le but d'un tel avis est de lui permettre de préparer, à son tour, une réponse adéquate à cette preuve. Le droit d'un demandeur du statut de réfugié d'être avisé de la preuve réunie contre lui est extrêmement important lorsque ce demandeur peut être requis de réfuter l'allégation du ministre en prouvant qu'il n'existe pas vraiment de possibilité de refuge dans une autre partie du même pays.

 

[29]           Le raisonnement du juge Denault a aussi été suivi par la Cour dans les décisions Islas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1901 (C.F. 1re inst.) (QL) et Rabbani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 47 (QL). Au paragraphe 2 des motifs de la décision Islas, le juge Howard I. Wetston s’est exprimé en ces termes :

Certes, je conviens que le changement de conditions doit être examiné dans le contexte de l'examen de l'existence d'une crainte fondée de persécution; mais cela ne signifie pas que les considérations d'équité soustrayaient la Commission à l'obligation de soulever clairement ce point au commencement de cette audience. Tel est particulièrement le cas lorsque la question du changement de circonstances semblait être d'une certaine importance pour la Commission. J'estime qu'il s'agit en l'espèce d'une erreur susceptible de contrôle. [Non souligné dans l’original.]

 

[30]           En l’occurrence, comme l’indique la transcription de l’audience, il est manifeste que, pour la Commission, les questions essentielles de la cause étaient l’identité et la crédibilité du demandeur et c’est sur elles qu’elle a dirigé les débats, mais elle a ensuite rejeté la demande d’asile de M. Kerimu principalement au motif qu’il n’avait pas établi sa crainte objective au regard du changement dans la situation du Liberia. Vu le consensus clair quant aux questions en jeu entre l’APR et le demandeur, à savoir l’identité et la crédibilité de celui-ci, le Commissaire ne pouvait rester muet et s’abstenir de cerner les autres questions qui ont été en fin de compte déterminantes quant à l’issue de la demande d’asile. Il ne sert à rien de soutenir que le demandeur en avait été avisé dans les documents en sa possession avant l’audience. Je signale que ces documents ont été préparés non pas par le Commissaire ni même par l’APR qui a participé à l’audition de la demande d’asile de M. Kerimu, mais par d’autres employés de la Commission. Dans les circonstances, le demandeur pouvait raisonnablement s’en tenir à ce qui s’était produit à l’audience et en conclure que le fondement objectif de sa crainte au regard du changement dans la situation du Liberia n’était plus en cause. Cela est encore plus vrai que, en l’espèce, le demandeur n’a pas eu la possibilité de faire valoir ses arguments et de témoigner lors d’un interrogatoire principal.

 

[31]           L’audition de la demande d’asile de M. Kerimu s’est déroulée conformément à la directive no 7 du président de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié : l’APR a interrogé le demandeur d’abord, et il a été suivi pas le Commissaire. Lorsqu’ils ont opté pour cette façon de procéder, l’APR et le Commissaire ont, à toutes fins pratiques pris le contrôle du déroulement de l’audience. Dans la décision Veres c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 124, le juge J.D. Denis Pelletier, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale du Canada, a déclaré que, lorsque l’on met en œuvre des procédures qui privent le demandeur d’asile d’un interrogatoire principal, il y a un prix à payer. Le savant juge s’est exprimé en ces termes aux paragraphes 32 à 34 de ses motifs :

[…] Une fois que le contre-interrogatoire commence, la marche à suivre est déterminée par la personne qui interroge, et non par le témoin. Le sacrifice à consentir pour la maîtrise de la marche à suivre est l'acceptation de la responsabilité en ce qui concerne les points qui ont été omis.

 

La structure qu'impose ce raisonnement est qu'une lacune ou une omission dans la preuve ne peut être retenue contre un revendicateur qui n'a pas produit de témoignage lors de l'interrogatoire principal. Si la SSR désire traiter la question, elle doit  la  soumettre au revendicateur lors du contre-interrogatoire.

 

[…] L'omission de l'avocat de s'opposer à la procédure choisie par la SSR n'influe pas sur ce résultat. Si l'avocat ne s'oppose pas, il ne peut pas par la suite invoquer l'absence d'interrogatoire principal comme constituant en soi un motif de contrôle judiciaire. Mais l'omission de s'opposer ne change rien au fait que la SSR a fixé la marche à suivre relative à la preuve et qu'elle est liée par la marche à suivre qu'elle a choisie

 

[32]           Je suis d’avis que les principes exposés dans la décision Veres sont applicables en l’occurrence. Lorsque le demandeur d’asile n’a pas la possibilité de témoigner en premier, il ne contrôle pas le déroulement de l’audition. Dans ce genre de situation, il est encore plus nécessaire que la Commission fasse en sorte que les questions déterminantes dans la demande d’asile soient soulevées à l’audience.

 

[33]           En l’espèce, l’APR et l’avocat du demandeur avaient dit que la crédibilité et l’identité de M. Kerimu constituaient les deux questions qui restaient à débattre; dans les circonstances, la Commission a fait erreur en restant muette et en ne l’informant pas directement à l’audience que sa crainte objective devait être appréciée au regard du changement dans la situation de son pays. Je conclus que le demandeur n’a pas eu la possibilité de faire valoir ses arguments sur les questions en litige. Cela constitue une atteinte aux principes de justice naturelle et au principe d’équité procédurale, au sens de la décision Velauthar, précitée.

 

[34]           La Cour suprême du Canada a statué que, lorsqu’il y a atteinte aux principes de justice naturelle ou d’équité procédurale, la décision de l’organisme administratif est invalide : voir Cardinal c. Kent Institution, [1985] 2 R.C.S. 643. Comme j’ai conclu que la Commission a porté atteinte aux règles de justice naturelle et d’équité procédurale, sa décision doit être annulée. Par conséquent, il n’est pas nécessaire que je me penche sur les autres questions en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire.

 

7.         Conclusion

[35]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. La décision de la Commission sera annulée et l’affaire renvoyée à un tribunal différemment constitué pour réexamen, conformément aux présents motifs.

 

[36]           Les parties ont eu la possibilité de soulever une question grave de portée générale en vertu de l’alinéa 74d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et elles ne l’ont pas fait. Je conclus que le présent dossier ne soulève aucune question de portée générale. Je ne propose pas de certifier une question.

 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

2.         La décision de la Commission est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour réexamen.

 

3.         Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-9793-04

 

INTITULÉ :                                       CALVIN KERIMU

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 25 OCTOBRE 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 ET ORDONNANCE :                      LE JUGE BLANCHARD

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 28 FÉVRIER 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Yerzy                                                                             POUR LE DEMANDEUR

 

Martin Anderson                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David Yerzy                                                                             POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.,                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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