Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040212

Dossier : IMM-790-03

Référence : 2004 CF 226

Toronto (Ontario), le 12 février 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

                                                              GULZAR AHMED

demandeur

                                                                             et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision négative de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 9 janvier 2003, par laquelle la Commission lui refusait le statut de réfugié au sens de la Convention et le statut de personne à protéger.


LES FAITS

[2]                M. Ahmed est un ressortissant pakistanais âgé de 38 ans. Il appartient à une famille chiite influente établie à Mirpur. M. Ahmed a une épouse et deux enfants, qui habitent encore à Gujrat, au Pakistan.

[3]                En 1992, M. Ahmed ouvrait un atelier de confection à Gujrat, sous le nom de Gulzar Tailors. En 1996, il devenait actif dans une organisation chiite appelée Anjuman Hussainia, dont l'objectif était de protéger les droits des Chiites par des moyens pacifiques. Selon M. Ahmed, la popularité grandissante du Anjuman Hussainia indisposait le Sipah-e-Sahaba Pakistan (le SSP), un groupe extrémiste de Musulmans sunnites fondamentalistes.

[4]                En avril 2001, un nouvel atelier de confection ouvrait ses portes près de l'atelier de M. Ahmed. Muhammad Munawar, le propriétaire du nouveau magasin, était un activiste notoire du SSP. Selon M. Ahmed, M. Munawar l'a accusé de mobiliser la communauté chiite contre les Sunnites et l'a menacé de représailles. M. Ahmed dit que M. Munawar a aussi exigé qu'il installe sa boutique ailleurs. M. Ahmed a refusé de partir, parce que cela aurait ruiné son entreprise.

[5]                Le 12 mai 2001, M. Ahmed a trouvé sur les murs de son atelier des graffitis hostiles aux Chiites. Il dit aussi qu'il a été injurié, puis menacé de graves conséquences s'il ne mettait pas fin à ses activités. M. Ahmed affirme avoir signalé l'incident à la police, mais la police aurait refusé de s'en mêler.


[6]                Le 10 août 2001, un client commandait 50 uniformes pour une école religieuse fondamentaliste sunnite dirigée par le SSP, en offrant à M. Ahmed un prix très faible pour son travail. M. Ahmed dit que le client l'avait menacé de représailles pour le cas où il n'exécuterait pas la commande. Le 11 août 2001, M. Ahmed a reçu un appel téléphonique anonyme où on le menaçait d'enlever son fils s'il n'exécutait pas la commande. M. Ahmed a alors accepté d'exécuter la commande. Quelques jours plus tard, deux hommes se sont présentés à l'atelier de M. Ahmed pour prendre livraison des uniformes. Lorsque M. Ahmed a demandé le règlement du compte, les hommes lui ont donné des coups de poing et des coups de pied. M. Ahmed dit qu'il a signalé cet incident au président du Anjuman Hussainia, qui lui-même a signalé l'incident à la police. Encore une fois, d'affirmer M. Ahmed, la police a refusé de dresser un constat.

[7]                M. Ahmed dit que, le 20 août 2001, il a été attaqué par quatre activistes du SSP au moment où il rentrait chez lui après avoir quitté son atelier. Ils lui ont dit qu'ils agissaient ainsi par représailles parce qu'il s'était plaint à la police. M. Ahmed s'est mis à crier, et ses agresseurs ont pris la fuite en même temps que se formait un attroupement. Il a demandé à un dispensaire local de lui administrer les premiers soins, mais, craignant d'autres représailles, il n'a pas signalé l'incident à la police.


[8]                À la demande du président du Anjuman Hussainia, M. Ahmed a participé à une campagne d'adhésion durant la première semaine de septembre en 2001. M. Ahmed dit qu'il en a résulté pour lui de nouvelles menaces de membres du SSP. Cette fois, M. Ahmed est allé voir le sous-directeur de la police pour obtenir protection, mais, là encore, sans résultat.

[9]                Le 20 septembre 2001, des membres du SSP ont fait une incursion dans la maison de M. Ahmed alors qu'il assistait à une réunion. La maison de M. Ahmed fut endommagée, et ses parents, son épouse et sa soeur furent tous malmenés. Quatre jours plus tard, M. Ahmed convoquait une réunion des dirigeants et travailleurs du quartier en signe de protestation contre les actions terroristes du SSP. M. Ahmed dit qu'il a fermement dénoncé le SSP, ainsi que l'inaction de la police dans la protection des membres de sa communauté. M. Ahmed pressait le gouvernement d'appliquer des mesures immédiates pour mettre fin aux épreuves de la population chiite. La police a fait irruption dans la réunion et arrêté les dirigeants et activistes chiites, mais le demandeur a pu s'enfuir vers un village voisin.

[10]            Le 28 septembre 2001, M. Ahmed découvrait que la police avait fait irruption chez lui. Le SSP avait aussi menacé son épouse et lui avait dit que, si la police ne le tuait pas, le SSP le ferait.

[11]            M. Ahmed s'est enfui du Pakistan le 5 décembre 2001, pour arriver au Canada le lendemain. Il a immédiatement revendiqué le statut de réfugié. Sa revendication a été rejetée par la Commission le 9 janvier 2003.


LA DÉCISION DE LA COMMISSION

[12]            La Commission a estimé que la revendication de M. Ahmed manquait d'un minimum de fondement et elle a jugé qu'il n'était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[13]            La Commission n'a pas cru le récit de M. Ahmed. Elle a accepté l'identité de M. Ahmed, mais, comme il n'avait pas de documents de voyage, elle a estimé que cela nuisait à sa crédibilité. La Commission a trouvé aussi que le témoignage de M. Ahmed n'était pas crédible car il était parsemé de contradictions et de lacunes. M. Ahmed disait que son atelier de confection était la cause directe des ennuis qu'il avait avec le SSP, mais, pour prouver l'existence de son entreprise, il n'a pu produire que du papier à en-tête. M. Ahmed n'a pu présenter un certificat d'enregistrement ni un permis d'exploitation pour son entreprise. La Commission a estimé que cela n'était pas acceptable.

[14]            La Commission a trouvé aussi que M. Ahmed s'était contredit parce qu'il avait d'abord prétendu être l'un de cinq dirigeants du Anjuman Hussainia, pour affirmer ensuite qu'il était l'un de cinq membres subalternes, en ajoutant que ses fonctions se limitaient à prendre les dispositions d'hébergement et de restauration pour la visite de l'imam, à confectionner les vêtements de l'imam et à fabriquer des drapeaux pour les assemblées.

[15]            Selon la Commission, la lettre du président du Anjuman Hussainia produite par M. Ahmed et décrivant les ennuis que M. Ahmed avait avec le SSP et la police était un document intéressé. La Commission a donc accordé peu de poids à la lettre. Elle a relevé que la lettre ne parlait que des ennuis causés à M. Ahmed par le SSP et ne disait rien de son rôle dans le Anjuman Hussainia, si ce n'est pour dire que M. Ahmed était Chiite et qu'il était un membre actif de l'organisation.

[16]            La Commission a aussi fait observer que, bien que M. Ahmed eût dit à plusieurs reprises qu'il était repéré parce qu'il était Chiite, il avait témoigné que personne d'autre dans son organisation, pas même les membres dirigeants du groupe, n'avaient des ennuis semblables avec le SSP. La Commission a dit que, interrogé sur les sources de ses ennuis avec le SSP et les autorités, M. Ahmed les avait imputés à une réunion de protestation qu'il avait organisée et au cours de laquelle il avait prononcé un discours énergique dénonçant la police et le SSP. Interrogé sur les raisons pour lesquelles il avait prononcé un discours alors que cela n'entrait pas dans ses fonctions, M. Ahmed avait répondu que c'était à cause des attaques répétées qu'il avait dû subir. Il avait aussi déclaré que d'autres membres dirigeants avaient prononcé des discours et que 35 personnes environ avaient assisté à la protestation, mais qu'il avait été le seul dont l'habitation avait été investie et le seul contre qui des charges avaient été portées. La Commission a estimé que les explications de M. Ahmed n'avaient aucune vraisemblance.


[17]            Finalement, la Commission a décidé de ne pas ajouter foi à un rapport de police et à un mandat d'arrêt produits par M. Ahmed pour confirmer son récit. La Commission a fait observer qu'il existait une preuve documentaire montrant qu'il était facile de se procurer de faux documents au Pakistan. Elle a aussi relevé que, selon la preuve documentaire, des mesures avaient été prises pour enrayer la violence au Pakistan, à l'époque où le mandat d'arrêt avait été décerné. Parmi ces mesures, il y avait la mise hors la loi du SSP.

[18]            Comme la Commission doutait de la véracité du témoignage de M. Ahmed et de l'authenticité de la preuve documentaire qu'il avait produite dans ce dossier, elle a conclu que les affirmations de M. Ahmed selon lesquelles il était victime d'une persécution religieuse de la part du SSP et de la police n'étaient pas crédibles. Elle a donc décidé que M. Ahmed n'était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

POINTS LITIGIEUX

[19]            M. Ahmed soulève, dans sa demande de contrôle judiciaire, trois points essentiels :

1.          La Commission a-t-elle négligé de donner dans ses motifs écrits des exemples clairs et précis l'autorisant à dire que le témoignage de M. Ahmed n'était pas crédible?

2.          La Commission a-t-elle agi d'une manière déraisonnable et a-t-elle ignoré la preuve dont elle disposait?


3.          La Commission a-t-elle commis une erreur de fait lorsqu'elle a dit que le gouvernement du Pakistan avait mis le SSP hors la loi en août 2001, rendant par là invraisemblable l'affirmation selon laquelle la police aurait voulu arrêter M. Ahmed parce qu'il s'était exprimé publiquement contre le SSP en septembre 2001?

NORME DE CONTRÔLE

[20]            Chacun des points relevés par M. Ahmed concerne des conclusions de fait tirées par la Commission, ou concerne la manière dont la Commission a évalué la crédibilité de M. Ahmed. La norme de contrôle devant s'appliquer aux conclusions de fait et aux conclusions en matière de crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable. La Cour d'appel a jugé que la Commission, en tant que tribunal spécialisé, a pleine compétence pour apprécier la vraisemblance d'un témoignage. Dans la mesure où les conclusions tirées par la Commission ne sont pas déraisonnables au point de justifier une intervention, elles sont à l'abri du contrôle judiciaire : Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315, aux pages 316-317.

[21]            De même, la norme de contrôle applicable aux conclusions touchant l'authenticité de documents est celle de la décision manifestement déraisonnable : Adar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1997) 132 F.T.R. 35.

ANALYSE

1.          La Commission a-t-elle négligé de donner dans ses motifs écrits des exemples clairs et précis l'autorisant à dire que le témoignage de M. Ahmed n'était pas crédible?


[22]            Selon M. Ahmed, la conclusion de la Commission selon laquelle il n'était pas crédible parce que son témoignage était « parsemé de contradictions » et selon laquelle parfois il était peu coopératif et esquivait les questions n'est pas fondée et n'a donc aucune valeur. La Commission n'a pas rempli son obligation de donner des exemples clairs et précis de cas où M. Ahmed s'était contredit ou s'était montré évasif ou peu coopératif, et donc ne méritait pas d'être cru. Ainsi, d'affirmer M. Ahmed, la Commission a commis une erreur sujette à révision.

[23]            Selon le défendeur, la Commission a exposé des motifs clairs et concis qui l'autorisaient à dire que le demandeur n'était pas crédible, et elle a donné plusieurs exemples de contradictions, dans le témoignage de M. Ahmed, qui intéressaient le point essentiel de sa revendication. Ainsi, M. Ahmed disait que les ennuis qu'il connaissait avec les autorités étaient directement liés à son entreprise de confection. Or, M. Ahmed n'a pu produire aucune preuve réelle, qu'il s'agisse d'un permis ou d'un enregistrement, montrant que son atelier de confection existait bel et bien. La Commission a relevé que M. Ahmed s'était contredit à propos du poste qu'il occupait dans l'organisation Anjuman Hussainia. M. Ahmed avait dit aussi que, s'il était persécuté, c'était parce qu'il était Chiite, mais il avait déclaré qu'aucun autre Chiite de son organisation, pas même les membres d'un niveau plus élevé que le sien, n'avait d'ennuis avec le SSP.


[24]            Les motifs que peut avoir la Commission de dire qu'un revendicateur du statut de réfugié n'est pas crédible doivent être exposés en des termes clairs et indubitables : Hilo c. M.E.I. (1991), 130 N.R. 236. En l'espèce, la Commission a estimé que le témoignage de M. Ahmed n'était pas crédible parce qu'il était « parsemé de contradictions » . La Commission ne donne pas immédiatement des exemples de telles contradictions, mais les incohérences du témoignage de M. Ahmed sont pointées tout au long des motifs de la Commission. Non seulement y avait-il des contradictions à propos du rôle de M. Ahmed au sein de l'organisation Anjuman, mais M. Ahmed s'était contredit lorsqu'il avait décrit les tâches qui, affirmait-il, lui incombaient. La Commission pouvait parfaitement trouver que ces contradictions entachaient sa crédibilité. La Commission n'explique pas ses propos lorsqu'elle dit que M. Ahmed était peu coopératif et qu'il esquivait les questions, mais je ne crois pas qu'il s'agisse là d'une erreur sujette à révision, puisque les motifs de la décision de la Commission sont par ailleurs exposés en des termes clairs et indubitables.

2.          La Commission a-t-elle agi d'une manière déraisonnable et a-t-elle ignoré la preuve dont elle disposait?

[25]            Selon M. Ahmed, la Commission a agi d'une manière déraisonnable et, à deux reprises, elle a ignoré la preuve qu'elle avait devant elle. D'abord, la conclusion de la Commission selon laquelle il n'était pas membre du Anjuman Hussainia était déraisonnable, puisqu'il avait produit une lettre du président confirmant son appartenance à l'organisation. La Commission a estimé que cette lettre était intéressée et a décidé de lui accorder peu de valeur probante parce qu'elle ne faisait pas état des réalisations de M. Ahmed, mais exposait simplement les ennuis qu'il avait avec le SSP.

[26]            Selon M. Ahmed, la lettre faisait état de ses « réalisations » ainsi que de sa participation à la protestation du 24 septembre 2001. De l'avis de M. Ahmed, il était déraisonnable pour la Commission de rejeter la lettre en affirmant qu'elle s'appesantissait à l'excès sur les ennuis que lui causait le SSP. Le simple fait que le témoignage d'une tierce partie confirme ses affirmations ne saurait justifier le rejet d'un tel témoignage. En conséquence, M. Ahmed dit que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a décidé d'assigner à la lettre du président une valeur probante restreinte.

[27]            M. Ahmed dit aussi que la Commission n'a pas tenu compte de la preuve qu'elle avait devant elle lorsqu'elle a dit que son récit n'était pas crédible parce qu'aucun autre Chiite de son organisation n'avait d'ennuis semblables avec le SSP. M. Ahmed avait témoigné que ses ennuis venaient du fait que son concurrent dans les affaires était une brute du SSP. Selon M. Ahmed, la Commission a ignoré le fond de sa revendication lorsqu'elle est arrivée à la conclusion qu'il était invraisemblable que M. Ahmed fût la cible du SSP alors qu'aucun autre Chiite dans la même situation que lui ne l'était.

[28]            M. Ahmed affirme aussi que la Commission a mal interprété la preuve quand elle a dit qu'aucun autre membre de l'organisation Anjuman n'avait été accusé par la police à la suite de la protestation du 24 septembre 2001. M. Ahmed avait témoigné que le président de l'organisation avait lui aussi été arrêté, et qu'il ne savait pas ce qu'il était advenu des autres membres.

[29]            Selon le défendeur, la lettre produite par M. Ahmed renferme des affirmations générales et non étayées à propos des ennuis qu'il avait avec le SSP. En conséquence, la Commission pouvait fort bien dire que la lettre était intéressée. Contrairement aux arguments de M. Ahmed, la mention, contenue dans la lettre, de sa supposée participation à la protestation du 24 septembre 2001 ne suffit pas à donner à la lettre une valeur probante, et la Commission a bien expliqué les raisons pour lesquelles elle ne croyait pas que M. Ahmed avait participé à la protestation.

[30]            Les motifs de la Commission ne disent pas selon moi qu'elle doutait que M. Ahmed fût membre du Anjuman Hussainia. Ce sur quoi portaient les doutes de la Commission, c'était la nature du rôle de M. Ahmed au sein de l'organisation.

[31]            S'agissant de la lettre du président de l'organisation, je ne comprends pas la critique de la Commission lorsqu'elle dit que la lettre était intéressée, puisqu'il est probable que tout élément de preuve présenté par un revendicateur sera utile pour son cas et pourrait par conséquent être qualifié d' « intéressé » . D'ailleurs, le fait que l'auteur de la lettre s'éternise sur les ennuis que causait le SSP à M. Ahmed n'est pas nécessairement une raison de ne pas ajouter foi à la lettre.


[32]            Cela dit, malgré les failles que montrent les conclusions de la Commission sur la valeur probante de la lettre en ce qui a trait à la nature du rôle de M. Ahmed au sein du Anjuman Hussainia, ces conclusions n'étaient pas manifestement déraisonnables. La Commission a relevé que la lettre avait été écrite longtemps après les présumés incidents, et qu'elle ne faisait état d'aucune des réalisations ou des responsabilités de M. Ahmed au sein de l'organisation Anjuman. Par ailleurs, les doutes de la Commission à propos des ennuis que connaissait M. Ahmed avec le SSP ne reposaient pas uniquement sur cette lettre. La Commission mettait en doute plusieurs aspects de sa revendication, notamment l'existence même d'un atelier de confection, et le niveau de la participation de M. Ahmed à la manifestation. Il n'était donc pas manifestement déraisonnable pour la Commission de ne pas accorder beaucoup de crédit à cette lettre.

[33]            S'agissant de l'affirmation de M. Ahmed selon laquelle la Commission n'a pas tenu compte de la preuve qu'elle avait devant elle lorsqu'elle a estimé que son récit n'était pas crédible parce qu'aucun autre Chiite appartenant à son organisation ne connaissait des problèmes semblables avec le SSP, M. Ahmed avait donné des explications contradictoires sur les raisons pour lesquelles il était ciblé par le SSP. Étant donné que M. Ahmed avait prétendu avoir exercé un rôle relativement mineur au sein de l'organisation Anjuman, la Commission pouvait fort bien se demander pourquoi M. Ahmed avait beaucoup plus de difficulté que d'autres membres d'un niveau plus élevé que le sien à composer avec le SSP et avec la police. C'est là un aspect assez nébuleux, et c'est pourquoi, à mon avis, il n'était pas manifestement déraisonnable pour la Commission de douter de la sincérité de M. Ahmed sur ces points.


3.          La Commission a-t-elle commis une erreur de fait lorsqu'elle a dit que le gouvernement du Pakistan avait mis le SSP hors la loi en août 2001, rendant par là invraisemblable l'affirmation selon laquelle la police aurait voulu arrêter M. Ahmed parce qu'il s'était exprimé publiquement contre le SSP en septembre 2001?

[34]            Cette question comporte deux aspects. Le premier point est celui de savoir si la Commission a conclu que le SSP avait été proscrit par le gouvernement avant la manifestation, ce qui rendrait invraisemblable l'idée que les autorités aient pu décerner un mandat d'arrêt contre M. Ahmed pour sa participation à une manifestation organisée contre le SSP. Le deuxième point concerne la manière dont la Commission a traité une lettre de l'avocat de M. Ahmed au Pakistan qui confirmait l'existence d'un rapport de police (ou FIR) et d'un mandat ordonnant l'arrestation de M. Ahmed, à la suite de son rôle dans la manifestation.

[35]            Sur le premier point, bien que les motifs de la Commission ne soient pas tout à fait clairs, il semble que sa conclusion selon laquelle il était impossible qu'un mandat ait été décerné pour l'arrestation de M. Ahmed en septembre 2001 en raison de sa participation à la manifestation organisée contre le SSP ne reposait pas sur une bonne idée générale de l'évolution du climat politique, ainsi que l'a laissé entendre l'avocate du défendeur. La Commission ne dit pas précisément à quel moment, d'après elle, l'interdiction prononcée contre le SSP avait pris effet, mais ses motifs indiquent expressément que, si elle a trouvé invraisemblable qu'un mandat eût été décerné, c'était parce que le SSP avait été mis hors la loi par le gouvernement. Il apparaît donc que la Commission a mal interprété la preuve, puisque, selon la preuve documentaire dont disposait la Commission, l'interdiction prononcée par le gouvernement contre le SSP n'a pris effet qu'en janvier 2002.


[36]            En conséquence, il n'était pas nécessairement invraisemblable que M. Ahmed ait été arrêté pour avoir protesté contre un groupe légitime, puisque le SSP n'était pas un groupe banni lors du présumé incident. Cette erreur, à elle seule, pourrait ne pas justifier l'annulation de la décision de la Commission. Cependant, elle est aggravée par la manière dont la Commission a considéré la lettre de l'avocat de M. Ahmed au Pakistan.

[37]            La Commission ne dit rien de cette lettre dans sa décision. Si elle est authentique, la lettre confirmait d'une manière indépendante plusieurs aspects essentiels du récit de M. Ahmed. Invoquant l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Woolaston c. Canada (Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration), [1973] R.C.S. 102, le défendeur dit que la Commission n'est nullement tenue de faire état de chacun des documents produits comme preuve et que, si la Commission ne fait pas état d'un document particulier, cela ne veut pas dire qu'elle n'en a pas tenu compte : Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), 1992, 147 N.R. 317.

[38]            La Commission pouvait certainement rejeter cette preuve, mais, puisque la preuve en question était essentielle pour la revendication de M. Ahmed, la Commission n'avait pas le loisir de l'ignorer sans exposer des motifs en ce sens : Cepeda-Gutierrez c. Canada (MCI) (1998), 157 F.T.R. 35, aux paragraphes 14 - 17, Musharraf c. Canada (MCI) [2003] A.C.F. n ° 852 (Q.L.).

[39]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire est renvoyée à la Commission pour nouvelle instruction.

QUESTION À CERTIFIER

[40]            Aucune des parties n'a proposé qu'une question soit certifiée, et aucune ne sera donc certifiée.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          Pour les motifs susmentionnés, cette demande est accueillie, et la revendication du statut de réfugié présentée par M. Ahmed est renvoyée à la Commission pour nouvel examen.

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

         « A. Mactavish »         

                                                                                                                                                     Juge                   

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                          IMM-790-03

INTITULÉ :                                         GULZAR AHMED

                                                                                                                                           demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                   TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE 10 FÉVRIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :     LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                        LE 12 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

Michael Korman                                                                        POUR LE DEMANDEUR

Ann-Margaret Oberst                                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Otis & Korman

Toronto (Ontario)                                                                      POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                            POUR LE DÉFENDEUR


COUR FÉDÉRALE

                                 Date : 20040212

                      Dossier : IMM-790-03

ENTRE :

GULZAR AHMED

                                                                  demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                   défendeur

                                                               

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.