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Date : 20050504

Dossier : IMM-7067-04

Référence : 2005 CF 625

Ottawa (Ontario), le 4 mai 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN                                            

ENTRE :

Esmail Ebrahim Ali AL-KHALIQ

Rayhanah Esmail AL-KANAANI

Mohtadi Esmail AL-KHALIQ

                                              Fatemah Esmail AL-KHALIQ

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                            et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Contexte


[1]                Le demandeur principal a fui l'Iraq avec sa femme, son fils et sa fille le 18 février 2003, ou aux environs de cette date. Le demandeur est un dirigeant religieux chiite que l'ancien régime Baath de Saddam Hussein a emprisonné et torturé à plusieurs reprises à cause de ses liens avec le chef religieux chiite Abdul Majid Al-Khoei, qui a été assassiné en avril 2003, peu après que les demandeurs eurent quitté le pays. Le demandeur principal a fait déménager sa famille à Najaf, à Hilla et à Al-Hurr pour échapper aux autorités. Il croyait à ce moment-là qu'il serait assassiné comme cela avait été le cas de nombreux autres dirigeants religieux. Il voulait alors quitter l'Iraq avec sa famille, mais il n'avait pas les ressources nécessaires. En échange de l'aide que lui prodiguait l'organisation caritative Al-Khoei, il faisait du bénévolat, notamment en servant de guide à des profanes qui effectuaient le Hajj, le pèlerinage à la Mecque. En 2001, le demandeur principal s'est installé avec sa famille dans la banlieue de Karbala et de Najaf, avant de partir à Khanaqin, une ville frontalière proche du Kurdistan et de l'Iran. Les membres de la famille sont restés à Khanaqin jusqu'à ce que des passeurs de clandestins leur fournissent de faux passeports pour quitter l'Iraq, le 18 février 2003 ou aux environs de cette date. Malgré le renversement du régime de Saddam Hussein et la capture de ce dernier, le demandeur principal affirme qu'il serait en danger en Iraq parce qu'il est un dirigeant chiite bien connu et que de nombreux dirigeants chiites ont été assassinés depuis le changement de régime.

[2]                Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 12 juillet 2004 par laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté sa demande d'asile.


Décision

[3]                La Commission a conclu qu'il y avait des motifs sérieux de douter que le demandeur est un citoyen de l'Iraq et uniquement de l'Iraq et que, par conséquent, les mêmes doutes s'appliquent aux autres demandeurs. C'est pourquoi la Commission a rejeté sa demande d'asile.

Arguments du demandeur

[4]                Le demandeur conteste la décision en faisant valoir les arguments suivants :

a) il était manifestement déraisonnable de la part de la Commission de rejeter le témoignage téléphonique d'un autre dirigeant religieux;

b) la Commission s'est servie de ses connaissances spécialisées sans en aviser au préalable le demandeur;

c) la Commission a commis une erreur en rejetant les pièces d'identité du demandeur;

d) la Commission a commis une erreur en rejetant d'autres documents justificatifs.


Norme de contrôle

[5]                 Les parties conviennent que les conclusions concernant la crédibilité doivent être appréciées en fonction de la norme de la décision manifestement déraisonnable (voir Umba c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 17).

Analyse

Témoignage de l'autre dirigeant religieux

[6]                Sayed Moustafa Al-Qawini, le fondateur du Islamic Educational Centre of Orange County, en Californie, a témoigné par téléphone de la Californie. Il a déclaré qu'il a étudié avec le demandeur et que la dernière fois qu'il l'a vu, le demandeur accompagnait un groupe en provenance de l'Iraq venu à la Mecque, en Arabie saoudite, en janvier 2003. Il a également affirmé que le demandeur était un érudit bien connu en Iraq. Interrogé sur les écrits du demandeur, il a été incapable de se souvenir d'un seul texte, malgré la prétendue célébrité du demandeur.

[7]                La Commission n'a pas accordé de poids au témoignage de M. Al-Qawini pour les motifs suivants :


a) on l'a joint à un téléphone cellulaire dont le numéro ne correspondait pas à celui indiqué sur sa carte d'affaires et il a immédiatement demandé qu'on le rappelle à un autre numéro de téléphone conventionnel inexistant à San Diego;

b) il a rencontré le demandeur une seule fois depuis leur enfance;

c) il n'a fait aucune déclaration au sujet de la nationalité du demandeur;

d) bien qu'il soit un érudit lui aussi, il n'a pu se souvenir d'un seul écrit du demandeur.

[8]                À la lumière de ces faits, la Commission a conclu que i) elle n'était pas certaine d'avoir parlé à M. Al-Qawini et ii) son témoignage n'était pas crédible et n'a pas confirmé l'identité du demandeur. Compte tenu de la preuve présentée, la conclusion de la Commission n'était pas manifestement déraisonnable. En particulier, l'ignorance des écrits du demandeur justifiait la décision de la Commission.

Connaissances spécialisées

[9]                Les règles de droit applicables à l'utilisation de connaissances spécialisées sont bien établies. Elles reposent, évidemment, sur l'article 18 des Règles de la Section de la protection des réfugiés :


Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228

18. Avant d'utiliser un renseignement ou une opinion qui est du ressort de sa spécialisation, la Section en avise le demandeur d'asile ou la personne protégée et le ministre - si celui-ci est présent à l'audience - et leur donne la possibilité de :

a) faire des observations sur la fiabilité et l'utilisation du renseignement ou de l'opinion;

b) fournir des éléments de preuve à l'appui de leurs observations.

[10]            De plus, dans l'arrêt Gonzalez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1981] 2 C.F. 781 (C.A.), le juge Urie a décrit à la page 782 le genre de renseignements qui constituent des connaissances spécialisées :

Il ne s'agit pas de renseignements dont on pouvait, à l'occasion de procédures devant un tribunal, prendre connaissance judiciaire. Il ne s'agit pas non plus de renseignements généraux, bien connus de la Commission et du public, du genre mentionné dans l'affaire Maslej. Si la Commission, lors d'une audience [...] doit se fonder sur le genre de renseignements dont il est question en l'espèce, renseignements auxquels un requérant pourrait, semble-t-il, très bien s'opposer, la justice naturelle exige que le requérant ait le droit de les contester de la même façon qu'il contesterait les preuves présentées lors de l'audience.

Dans la décision Kabedi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 545, le juge Noël a élaboré davantage ce principe au paragraphe 10 :


Eu égard à la jurisprudence exposée dans l'arrêt Yassine c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 949 (C.A.F.) et dans l'arrêt Mobile Oil Canada Ltd. et al. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, une erreur révisable qui constitue un manquement à la justice naturelle aura en général pour effet d'annuler l'audience et la décision qui en a résulté; cependant, une exception à cette règle stricte a été reconnue dans les cas où les autres éléments de la revendication autorisent la conclusion initiale et où le réexamen de la revendication conduirait tout probablement à la même décision.

[11]            En l'espèce, la Commission avait des connaissances spécialisées se rapportant aux procédures utilisées par l'Agence des services frontaliers du Canada pour analyser les documents iraquiens, et elle en a avisé les demandeurs.

[12]            Étant donné que la spécialiste n'était pas disponible le jour de l'audience (la date de l'audience a été retenue à la demande du demandeur, qui craignait qu'un retard mette en péril son certificat d'aide juridique), la Commission a pris trois mesures:

1) elle a présenté une transcription expurgée du témoignage fait, dans le cadre d'une autre audience, par cette même spécialiste au sujet de documents iraquiens;

2) elle a donné la possibilité au demandeur de présenter ses observations au sujet de cette transcription;

3) elle a examiné la preuve soumise après l'audience en ce qui trait à la preuve du demandeur et de la spécialiste concernant l'encre spéciale.

[13]            Le demandeur a accepté toutes ces mesures sans objection. En résumé, l'article 18 des Règles, dans la mesure où il s'applique en l'espèce, a été respecté et le raisonnement du juge Noël dans la décision Kabedi,précitée, s'applique : un réexamen conduirait tout probablement à la même décision.

Pièces d'identité iraquiennes

[14]            La Commission a rejeté la carte d'identité et le permis de conduire iraquiens du demandeur, se fiant à l'évaluation de la spécialiste qui a témoigné pour la Couronne, Mme Gosen. Comme cela est indiqué plus haut, elle avait témoigné dans le cadre d'une autre audience, présidée par le même commissaire, au sujet des techniques qu'elle utilise pour vérifier l'authenticité des documents iraquiens et une version expurgée de ce témoignage était disponible à l'audience. D'après son témoignage, elle n'a pas d'échantillons véritables de cartes d'identité ou de permis de conduire iraquiens, mais elle se fie aux manuels du service de sécurité frontalière allemand, qui a examiné plus de 400 cartes d'identité. Le demandeur fait valoir que, faute d'échantillons véritables, le témoignage de la spécialiste n'aurait pas dû être retenu.

[15]            Il est bien établi en droit que la Commission peut accorder à la preuve documentaire le poids qu'elle estime approprié. En l'espèce, la Commission :

            a) a examiné la preuve écrite provenant de la spécialiste;

b) a examiné le témoignage (bien que tiré d'une autre affaire, mais fourni par le même témoin au sujet des techniques qu'elle utilise);

c) a permis au demandeur de présenter d'autres documents relativement à l'encre et au papier utilisés pour produire les pièces d'identité iraquiennes;

d) a examiné les observations écrites soumises par la spécialiste concernant les documents dont il est question au point c) ci-dessus.

[16]            À mon avis, tout cela constitue une appréciation raisonnable de la preuve. Il est évident que cette appréciation n'était pas manifestement déraisonnable.

Autres documents justificatifs

[17]            La Commission a également conclu que d'autres documents justificatifs produits par le demandeur n'étaient pas crédibles. En particulier, la Commission :


a) a rejeté un certificat de naissance parce qu'il s'agissait d'une photocopie, qu'il a été délivré au ministère de l'Éducation, qu'on ne pouvait expliquer comment l'expéditeur l'avait obtenu et que l'expéditeur avait un numéro de télécopieur au Royaume-Uni et non en Iraq. Le certificat de naissance original, envoyé de Bagdad après l'audience, était également une photocopie portant des annotations manuscrites et un tampon. Encore une fois, il n'y avait aucune explication quant à la manière dont l'expéditeur avait réussi à l'obtenir;

b) a rejeté un certificat de mariage parce qu'il ne portait pas le même numéro d'enregistrement que les pièces d'identité présumées du demandeur et de sa femme.

[18]          Le demandeur fait valoir que la Commission a commis une erreur en rejetant ces deux documents sans s'appuyer sur des preuves extérieures à ces documents. Il évoque les décisions Ramalingam c. Canada (MCI), [1998] A.C.F. no 10, et Ratheeskumar c. Canada (MCI) [2002] A.C.F. no 1697. Il renvoie tout particulièrement au passage suivant de la décision Ramalingam :

6. En l'espèce, la Commission a contesté la validité du certificat de naissance sans produire d'autre élément de preuve à l'appui de sa prétention et, manifestement, la question des documents étrangers n'est pas un domaine que la Commission peut prétendre connaître tout particulièrement. À mon avis, cela constitue une erreur susceptible de révision de la part de la Commission.


[19]            Les parties conviennent qu'il incombe à la Commission d'apprécier la preuve qui lui est présentée. Un des points fondamentaux à établir dans le cadre d'une audience est l'identité du demandeur. En l'espèce, la Commission avait des doutes au sujet de l'identité du demandeur parce qu'il avait des documents iraquiens falsifiés, qu'il ne pouvait présenter de témoins crédibles pour attester son identité et que les témoignages d'autres organisations islamiques n'ont pas permis d'établir sa nationalité.

[20]            La Commission a rejeté le certificat de mariage pour des raisons extérieures au document (il ne concordait pas avec les pièces d'identité présumées) et elle a rejeté le certificat de naissance parce que sa provenance était plus que douteuse. La situation est très différente de celle exposée dans la décision Ramalingan, précitée.

Conclusion


[21]            Il faut examiner la présente affaire dans son contexte. Le demandeur n'a pas de pièce d'identité iraquienne valide, il parle le persan, il a beaucoup voyagé, il prétend être un érudit islamique réputé et bien connu, et pourtant il n'a pu produire de témoins ou de documents établissant son identité iraquienne. La Commission a vu et entendu les demandeurs et les témoins en personne. L'appréciation de la crédibilité est « l'essentiel du pouvoir discrétionnaire » (voir Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1800, paragraphe 38) et il ne faudrait pas infirmer une décision connexe sans motifs valables. L'effet cumulatif des nombreuses irrégularités et incohérences signalées par la Commission appuie sa conclusion quant au manque de crédibilité. Le demandeur n'a tout simplement pas été en mesure, au moyen de son témoignage ou de sa preuve documentaire, d'établir son identité. À la lumière de l'argumentation du demandeur, je ne vois aucun motif d'infirmer la conclusion de la Commission.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande soit rejetée.

         « Konrad von Finckenstein »          

     Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                   IMM-7067-04

INTITULÉ :                                                Esmail Ebrahim Ali AL-KHALIQ

Rayhanah Esmail AL-KANAANI

Mohtadi Esmail AL-KHALIQ

Fatemah Esmail AL-KHALIQ

                                                       demandeurs

et

                                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                             défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                              VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 27 AVRIL 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE von FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 4 MAI 2005

COMPARUTIONS :

ADRIAN D. HUZEL                                   POUR LES DEMANDEURS

SANDRA WEAFER                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Adrian D. Huzel                                            POUR LES DEMANDEURS

Embarkation Law Group

Vancouver (C.-B.)

John H. Sims, c.r.                                         POUR LE DÉFENDEUR


Sous-procureur général du Canada


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