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Date : 20040930

Dossier : T-686-03

Référence : 2004 CF 1342

Ottawa (Ontario), le 30 septembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

ENTRE :

                                                            ROY LITTLE CHIEF

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

LE MINISTÈRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN, L'HONORABLE ROBERT D. NAULT, C.P., DÉPUTÉ, ET LE CHEF ET

LE CONSEIL DE LA NATION SIKSIKA, LE CHEF ADRIAN STIMSON SR.,

LE CHEF DE LA NATION SIKSIKA ET MORRIS RUNNING RABBIT,

GERALD SITTING EAGLE, RUTH SCALP LOCK, JANICE DOORE,

KENDALL PANTHER BONE, SCOTTY MANY GUNS, LEONARD GOOD EAGLE, JASON DOORE, ELDON WEASEL CHILD, CLIFFORD MANY GUNS,

ET DEBBIE SMITH, CONSEILLERS DE LA NATION SIKSIKA,

POUR LEUR PROPRE COMPTE ET EN QUALITÉ DE REPRÉSENTANTS DU CONSEIL DE LA NATION SIKSIKA

                                                                                                                                          défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE


[1]                Les 4 et 5 février 2003, la nation Siksika a tenu un référendum, conformément au Règlement sur les référendums des Indiens, C.R.C. ch. 957, modifié par DORS/2000-392, pour faire approuver un projet de règlement de la revendication territoriale, la cession de ces terres conformément au paragraphe 39(1) de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5 et la création d'une fiducie destinée à recueillir les fonds du règlement.

[2]                La présente instance est une demande de contrôle judiciaire, présentée conformément à l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, à l'encontre de la décision du 31 mars 2003 du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien selon laquelle les plaintes déposées par le demandeur ne contenaient pas suffisamment d'éléments pour mettre en doute la validité dudit référendum.

[3]                Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision du ministre et renvoyant la question pour nouvelle décision, conformément aux directives de la Cour.

Le contexte

[4]                Le demandeur, Roy Little Chief (le demandeur) est membre de la nation Siksika, une bande qui réside sur la réserve indienne Siksika no 146.


[5]                Au cours des années 1960, la nation Siksika a présenté une revendication contre la Couronne fédérale en soutenant, notamment, qu'en 1910, près de 12 522 acres de terres de réserve appartenant à la bande avaient été confisqués contrairement aux dispositions du Traité 7, aux dispositions de la Loi sur les Indiens en vigueur à l'époque et aux obligations fiduciaires de la Couronne. Cette revendication, que les parties appellent « la revendication sur l'écart de superficie » faisait partie d'une revendication foncière plus vaste qui touchait plus de 115 000 acres de terres de réserve Siksika.

[6]                En 1982, la nation Siksika a convenu de présenter ses revendications au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien pour qu'elles soient examinées conformément à la Politique de la Couronne sur les revendications particulières. Au début des années 1990, la Couronne a accepté d'entamer des négociations portant sur la revendication sur l'écart de superficie en se basant sur le fait qu'elle avait violé son obligation fiduciaire envers la nation Siksika. En 2000, les membres de la nation Siksika ont ratifié un règlement qui portait sur la partie de cette revendication touchant les droits miniers souterrains.

[7]                En mai 2000, la nation Siksika et la Couronne ont commencé à négocier la partie de la revendication de la bande touchant les droits de superficie. Un accord de principe a été conclu en juin 2002. Des dispositions ont été prises pour que la nation Siksika tienne un référendum en vue de faire ratifier l'accord.

[8]                Dans une lettre datée du 29 janvier 2003, le demandeur a écrit au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, ainsi qu'au chef et au conseil de la nation Siksika, en demandant que le référendum, qui devait être tenu les 4 et 5 février 2003, soit annulé ou reporté en raison des irrégularités suivantes alléguées :


1.          le référendum pose une seule question touchant deux sujets distincts, contrairement au droit parlementaire et aux principes relatifs à la clarté;

2.          les modalités réglementaires en matière d'avis n'ont pas été respectées;

3.          de l'argent a été offert aux membres de la bande pour qu'ils votent, ce qui constitue une manoeuvre corruptrice;

4.          les membres de la bande n'ont pas été informés correctement des sujets visés par le référendum; et

5.          les membres de la bande ont été menacés, intimidés ou influencés irrégulièrement parce qu'on leur a dit que, s'ils n'approuvaient pas les ententes cette fois-ci, ils devraient attendre dix ans avant de pouvoir négocier à nouveau cette question avec le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien.

[9]                Conformément aux dispositions du Règlement sur les référendums des Indiens, C.R.C. ch. 957 (le Règlement), un vote de ratification du projet d'entente, intitulé « Entente de règlement de la revendication sur l'écart de superficie (surface) » , et de l' « Entente de fiducie des Siksika » qui l'accompagnait (désignées ensemble comme les « ententes de règlement et de fiducie » ) a eu lieu les 4 et 5 février 2003.

[10]            La question qui figurait sur le bulletin de vote était la suivante :

[traduction]

VOULEZ-VOUS :


Approuver les termes de l'Entente de règlement datée pour fin de référence du 10 décembre 2002, y compris la cession à titre absolu et sans condition des terres visées par la revendication conformément au paragraphe 38(1) et aux articles 39 et 40 de la Loi sur les Indiens, et autoriser le Conseil de la nation Siksika, ainsi que les conseils qui lui succéderont, à signer tous les documents nécessaires pour donner effet à l'Entente de règlement pour le compte de la nation Siksika;

ET

Approuver les termes de l'Entente de fiducie Siksika datée pour fin de référence du 10 décembre 2002 et autoriser le conseil de la nation Siksika et tous les conseils qui lui succéderont à signer tous les documents nécessaires pour donner effet à l'Entente de fiducie Siksika pour le compte de la nation Siksika? [souligné dans l'original]

Les électeurs pouvaient voter « oui » ou « non » à cette double question. Le vote a été tenu sur la réserve ainsi qu'à l'extérieur de la réserve dans le centre communautaire de l'Alberta à Calgary.

[11]            Les résultats du référendum indiquent qu'une forte majorité des membres de la bande étaient en faveur de ratifier l'Entente de règlement et l'Entente de fiducie. D'après la présidente d'élection Mme Lisa Balsillie, 85,5 p. 100 des électeurs étaient en faveur de ratifier les ententes, tandis que 12,6 p. 100 y étaient opposés. Quatre-vingt-trois pour cent des personnes ayant droit de vote ont participé au scrutin.

[12]            Le 11 février 2003, le demandeur a écrit au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien pour demander la révision du référendum et que celui-ci soit déclaré invalide conformément aux articles 22 et 23 du Règlement en raison des manoeuvres corruptrices et des irrégularités alléguées qui avaient entaché le déroulement du référendum. Le demandeur exprimait les mêmes préoccupations que celles qui étaient mentionnées dans sa lettre du 29 janvier 2003.

[13]            Le 7 mars 2003, le demandeur a envoyé au ministre une lettre dans laquelle il alléguait une autre irrégularité entachant le déroulement du référendum, à savoir que le fait que les bulletins de vote avaient été comptés entre le premier et le second jour du vote. Selon le demandeur, le fait de compter les bulletins avant que le vote ait pris fin constituait une violation des protocoles électoraux bien établis, et avait pour effet d'annuler le résultat du vote.

[14]            Dans une lettre datée du 31 mars 2003, le ministre a refusé la demande présentée par le demandeur en vue d'obtenir la révision du référendum. La lettre énonçait ce qui suit :

[traduction]

Je vous informe que j'ai examiné votre demande de révision du référendum qui a été tenu le 5 février 2003 en vue de ratifier..., présentée conformément à l'article 22 du Règlement sur les référendums des Indiens (le Règlement). Après avoir examiné votre lettre datée du 11 février 2003 et la déclaration de Roy Little Chief datée du 11 février 2003 qui l'accompagnait, j'ai conclu que vous n'avez pas établi dans votre demande les éléments suivants :

a) il y a eu violation du règlement pouvant porter atteinte au résultat du référendum;

b) il y a eu des manoeuvres corruptrices à l'égard du référendum.

J'en ai donc conclu que, conformément à l'article 23 du Règlement sur les référendums des Indiens, il n'existe pas suffisamment d'éléments pour mettre en question la validité du référendum mentionné ci-dessus.

[15]            Le 30 avril 2003, le demandeur a déposé la présente demande de contrôle judiciaire, dans laquelle il sollicite l'annulation de la décision du ministre. Il a nommé en qualité de défendeur à l'instance le ministre dont la décision est attaquée, ainsi que le chef et le conseil de la nation Siksika. Le chef Adrian Stimson Sr. et les conseillers de la nation Siksika ont également été désignés à titre personnel en qualité de défendeurs.

[16]            Pendant l'instruction de cette affaire, deux séries de défendeurs ont comparu devant moi pour s'opposer aux demandes du demandeur. Tout d'abord, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien était représenté par le ministère de la Justice. Deuxièmement, le chef et le conseil de la nation Siksika, ainsi que tous les conseillers nommés à titre individuel, étaient tous représentés par des avocats de la pratique privée. Dans les présents motifs, je désignerai le défendeur le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien par l'expression « le ministre » et les autres défendeurs par « la nation Siksika » .

[17]            La présente instance concerne le contrôle judiciaire de la décision du ministre du 31 mars 2003 selon laquelle il n'existe pas suffisamment d'éléments pour mettre en doute la validité du référendum sur l'Entente de règlement et l'Entente de fiducie.

Les arguments du demandeur

[18]            Le demandeur soutient que sa lettre datée du 11 février 2003, qui fait état de cinq sujets de préoccupation concernant le référendum, contenait amplement d'éléments pertinents et répondait donc à la norme législative exigeant la présentation d' « éléments suffisants » pour mettre en doute la validité du référendum et que, par conséquent, le ministre était obligé de faire rapport au gouverneur en conseil. Le demandeur qualifie la norme de preuve mentionnée à l'article 23 du Règlement de relativement peu exigeante, et soutient que par conséquent le ministre a refusé à tort de juger que la validité du référendum était compromise.


[19]            Le demandeur soutient que les allégations suivantes ont été présentées au ministre concernant les irrégularités qui ont vicié le référendum :

1.          La question référendaire : La question référendaire était irrégulière parce qu'elle reliait deux questions. Les électeurs étaient obligés d'accepter l'Entente de règlement et l'Entente de fiducie ou de rejeter ces deux ententes. Le demandeur soutient que le fait de poser deux questions est contraire au traité intitulé Robert's Rules of Order et au droit parlementaire. Il affirme qu'il était raisonnable de tenir un vote distinct sur chacune des deux ententes, étant donné que certains membres de la bande étaient peut-être prêts à en accepter une mais pas l'autre.

2.          L'avis de référendum : Le demandeur soutient que les exigences en matière d'avis énoncées au paragraphe 4.2(1) du Règlement n'ont pas été respectées. Un seul avis a été affiché avant la date limite prévue et cet avis ne respectait pas les conditions fixées par le Règlement.

3.          L'argent versé aux électeurs : Selon le demandeur, le fait de dire aux électeurs qu'ils recevraient 100 $ par personne le jour du vote et 1 500 $ en mai 2003 si l'Entente de règlement et l'Entente de fiducie étaient ratifiées constitue une manoeuvre corruptrice. Le demandeur soutient que cette offre visait à influencer les électeurs et qu'elle a donc pour effet d'annuler le résultat du référendum.


4.          Les membres de la bande n'ont pas été correctement informés : Pour que la cession de terres de réserve soit valide, il faut que les électeurs soient correctement informés. Le demandeur soutient qu'il n'était pas possible de consulter les documents d'information concernant l'Entente de règlement et l'Entente de fiducie dans les bureaux administratifs de la nation Siksika, qu'ils ont été par la suite mis à la disposition des intéressés mais pas de façon satisfaisante et que les membres de la bande n'ont reçu qu'une fiche d'information trompeuse et incomplète concernant ces ententes.

5.          L'avertissement donné constituait une manoeuvre corruptrice : Le demandeur affirme que le fait de dire aux membres de la bande qu'il n'y aurait pas de négociation pendant dix ans s'ils ne ratifiaient pas l'Entente de règlement et l'Entente de fiducie constitue une « menace, intimidation ou influence indue » qui peut être qualifiée de manoeuvre corruptrice.

[20]            Le demandeur soutient que la décision du ministre ne doit pas faire l'objet d'un niveau de retenue élevé de la part des tribunaux, étant donné qu'il ne s'agit pas d'une décision quasi judiciaire et que cette décision a été prise sans que le demandeur ait eu accès aux arguments qu'il devait réfuter.


[21]            En se basant sur les facteurs énumérés dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, tel que cités par le juge Muldoon dans Première nation de Grand Rapids c. Nasikapow (2000), 197 F.T.R. 184 (1re inst.) au paragraphe 37, le demandeur soutient que le ministre était tenu de lui accorder des garanties procédurales très strictes, ce qui n'a pas été fait dans les circonstances de l'affaire. Le demandeur mentionne les éléments suivants qui militent en faveur d'accorder en l'espèce des garanties procédurales très strictes: la décision en question revêt une grande importance pour le demandeur, il pouvait légitimement s'attendre à ce que le ministre lui donne l'occasion de se faire entendre et de réfuter les éléments défavorables avant de prendre sa décision, enfin le ministre n'a pas établi de procédure particulière pour examiner les contestations formulées aux termes de l'article 22 du Règlement. Par conséquent, le demandeur soutient qu'il y a lieu d'annuler la décision du ministre parce qu'elle a été prise en violation des règles de l'équité procédurale et de la justice naturelle.

[22]            En se fondant sur les arrêts Lavallee c. Louison, [1999] A.C.F. no 1350 (1re inst.) (QL) et Preston Sound c. Nation de Swan River (2003), 237 A.C.F. no 74, 2003 CF 850, le demandeur soutient qu'on aurait dû lui communiquer les déclarations de la présidente d'élections, ou de toute personne ayant fourni des renseignements au ministre, qui allaient à l'encontre de ses allégations et qu'il aurait dû se voir accorder la possibilité d'y répondre.

[23]            Le demandeur soutient également que le ministre n'a pas motivé sa décision, ce qui constitue une violation de l'obligation d'équité qu'il avait envers lui dans les circonstances. Le demandeur soutient que la lettre portant décision du 31 mars 2003 mentionne uniquement les documents qu'il a transmis, qui étaient à première vue suffisants pour mettre en doute la validité du référendum. Le fait que le ministre ait décidé autrement montre, selon le demandeur, que la décision a dû être prise sans qu'il ait été tenu compte des éléments présentés. À titre subsidiaire, si d'autres sources de renseignements ont été consultées, le demandeur se fonde sur ses arguments concernant l'obligation d'agir de façon équitable, étant donné qu'aucun renseignement contradictoire ne lui a été communiqué.


Les arguments du ministre

[24]            Le ministre s'appuie sur la déclaration et l'affidavit de Lisa Balsillie, une employée du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, la présidente d'élections chargée de surveiller le référendum Siksika.

[25]            Le ministre déclare que, conformément au paragraphe 22(3) du Règlement, la demande de révision du référendum présentée par le demandeur a été envoyée à Mme Balsillie. Conformément au paragraphe 22(4) du Règlement, Mme Balsillie a transmis le 21 février 2003 une déclaration en réponse aux motifs soulevés par le demandeur. Le ministre affirme également qu'il a pris sa décision après avoir consulté des documents visés par le secret professionnel de l'avocat et des documents confidentiels du Conseil privé.

[26]            Le ministre soutient que toutes les exigences procédurales ont été respectées dans cette affaire, que la décision prise était raisonnable et que, par conséquent, il y a lieu de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.


[27]            Pour ce qui est de l'équité procédurale, le ministre soutient que le contenu de l'obligation d'agir de façon équitable varie selon les circonstances et dépend du régime législatif en cause. Si l'on applique les facteurs énumérés dans l'arrêt Baker, précité, le ministre fait remarquer que sa décision n'est pas de nature judiciaire et que la procédure simple en deux étapes prévue par la loi a été suivie dans les circonstances de la présente affaire. Le ministre nie que les dispositions législatives exigeaient la tenue d'une audition ou même prévoyaient cette possibilité.

[28]            En se fondant sur les facteurs énumérés dans Cochrane c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) (1988), 93 N.R. 35 (C.A.F.), le ministre affirme qu'il a respecté l'obligation d'agir de façon équitable à l'égard du demandeur en l'espèce. Il n'existe aucune disposition législative pertinente indiquant qu'il est obligatoire de tenir une audition, la nature de la décision n'a pas un effet important sur le demandeur et une demande de révision du référendum n'est pas de nature contradictoire. Compte tenu de ces facteurs, le ministre soutient que le principe de l'équité procédurale n'a, dans les circonstances, qu'un contenu restreint et qu'il n'y a pas eu violation de ce principe.

[29]            Selon le ministre, il n'était pas obligatoire de fournir au demandeur l'occasion de présenter une réponse, ni de tenir une audition. Sa seule obligation était d'autoriser le demandeur à présenter ses observations écrites initiales dans laquelle il demandait la révision du référendum, ce qui a été fait.


[30]            Le ministre conteste l'affirmation selon laquelle sa décision devrait être annulée parce qu'elle n'est pas motivée. Le ministre cite Mensinger c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1987] 1 C.F. 59 (1re inst.) et il soutient qu'il n'existe pas de règle universelle obligeant les décideurs à motiver leurs décisions et qu'une telle obligation ne serait pas appropriée en l'espèce, compte tenu du mécanisme administratif accéléré prévu par le Règlement.

[31]            Le ministre soutient que sa décision substantielle selon laquelle il n'existait pas suffisamment d'éléments pour mettre en doute la validité du référendum doit être révisée selon la norme du caractère raisonnable ou manifestement déraisonnable de la décision, compte tenu des quatre facteurs à concilier, exposés dans Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982 et Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, 2003 CSC 19. Le Règlement ne contient aucune clause privative protégeant la décision du ministre mais le ministre soutient que les larges orientations de la Loi sur les Indiens, précitée, et le Règlement indiquent qu'une norme de révision moins exigeante est applicable. La question à trancher était une question polycentrique de nature factuelle, dépourvue d'aspect juridique et le ministre possède une expertise supérieure à celle de la Cour dans les questions de ce genre.


[32]            Le ministre affirme que les irrégularités qui auraient influencé, d'après le demandeur, le résultat du référendum sont au mieux de nature hypothétique. Le ministre soutient qu'il a correctement examiné les éléments présentés par le demandeur ainsi que les renseignements transmis en réponse par la présidente d'élection chargée de surveiller le référendum et qu'il était raisonnable de décider qu'il n'existait pas suffisamment de preuves pour mettre en doute la validité du vote. Voici ce que soutient le ministre à l'égard de chacune des allégations du demandeur :

1.          La question référendaire : Il était approprié de demander que soient adoptées ou rejetées en même temps l'Entente de règlement et l'Entente de fiducie, étant donné que ces deux ententes étaient inextricablement liées entre elles. La seconde ne pouvait exister qu'avec la première et si l'on avait décidé de séparer les questions soumises au référendum, il y aurait eu deux questions incomplètes.

2.          L'avis de référendum : Le ministre se fonde sur l'affidavit de la présidente d'élections, Mme Balsillie, qui précise la façon dont les exigences en matière d'avis de l'article 4.2 du Règlement ont été respectées, y compris l'avis de scrutin affiché le 20 décembre 2002 dans divers endroits de la réserve et à l'extérieur de la réserve. La seule indication à l'effet contraire était l'affirmation non documentée du demandeur selon laquelle les conditions applicables en matière d'avis n'avaient pas été respectées, d'après ce qu'il savait. Le ministre a par conséquent décidé qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments pour conclure à une violation du Règlement.


3.          L'argent versé aux électeurs : Le ministre affirme que le versement d'une somme d'argent aux membres de la bande n'a pas été fait dans l'intention d'influencer frauduleusement le vote, mais était autorisé par la Loi sur les Indiens, précitée, et que ce versement constitue une pratique légale et valide aux termes de l'article 64 à titre de distribution per capita. Le montant de 100 $ a été donné à tous les membres de la bande de Siksika, quelle que soit la façon dont ils ont voté, ou même qu'ils avaient voté ou non. Il n'est donc pas possible de qualifier ce versement de manoeuvre incitative. Le ministre soutient qu'il est au courant que les bandes effectuent des distributions per capita, ce qui n'a pas été qualifiée de manoeuvre corruptrice dans le passé.

4.          L'insuffisance de l'information fournie aux membres de la bande : Le ministre se fonde sur l'affidavit et sur la déclaration de Lisa Balsillie pour affirmer que l'exigence imposée par l'article 4.3 du Règlement de tenir au moins une séance d'information a été respectée.

5.          L'avertissement constitue une manoeuvre corruptrice : En se fondant sur l'affidavit de Joe Weasel Child, le gestionnaire des revendications foncières de la nation Siksika, le ministre déclare que les affirmations concernant les retards supplémentaires qui surviendraient au cas où le non l'emporterait au référendum ont été faites dans le seul but d'informer les membres de la bande des options et des risques associés aux différentes issues possibles du référendum. Le ministre nie qu'il y ait eu des menaces, de l'intimidation ou une influence indue d'exercées lors des séances d'information et affirme que les déclarations citées par le demandeur sont prises hors contexte. Le ministre énonce également qu'il était nécessaire de décrire les conséquences qu'aurait un vote négatif au référendum pour informer correctement les membres de la bande et que cela ne constitue pas une manoeuvre corruptrice susceptible de compromettre la validité du référendum.

[33]            En se fondant sur ces arguments, le ministre soutient que le demandeur n'a pas démontré qu'il y avait eu violation de l'équité procédurale et qu'il n'avait pas non plus établi de motifs permettant d'annuler la décision, étant donné que la Cour doit faire preuve d'une grande retenue à l'égard de la décision contestée en l'instance.


[34]            Le ministre demande que la présente demande soit rejetée avec dépens.

Les arguments de la nation Siksika

[35]            La nation Siksika soutient que, si l'on examine ensemble la Loi sur les Indiens, précitée, et le Règlement, on constate que le législateur a manifestement eu l'intention d'accorder au ministre le pouvoir discrétionnaire de décider, en se fondant sur les documents fournis par le plaignant, comme le demandeur en l'espèce, et par la présidente d'élections, si la validité du référendum est mise en doute. Si c'est le cas, le ministre est tenu de faire rapport au gouverneur en conseil, qui a le pouvoir discrétionnaire de refuser son consentement au projet de cession de terres.

[36]            Selon les observations de la nation Siksika, il est significatif que le Règlement n'ait pas mis sur pied un tribunal administratif indépendant, chargé d'examiner les allégations d'irrégularités dans la tenue des référendums. En fait, le processus de révision envisagé par le Règlement est très simple, et il ne prévoit pas d'audition, ni la possibilité de présenter des observations en réponse. C'est pourquoi la nation Siksika soutient que l'argument du demandeur selon lequel il y a eu violation de l'équité procédurale est mal fondé.

[37]            La nation Siksika compare les articles 22 et 23 du Règlement avec un processus de révision semblable à celui que l'on retrouve dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Inuit Tapirisat du Canada, [1980] 2 R.C.S. 735, et soutient que le pouvoir de révision de la décision du ministre qu'exerce la Cour devrait se limiter à un « rôle général de surveillance de l'exercice des compétences » de façon à déterminer simplement si la fonction déléguée par la disposition législative a effectivement été exercée. Pourvu que la question relève du ministre, la nation Siksika soutient que la décision issue de l'exercice de ce pouvoir devrait être à l'abri de tout contrôle judiciaire.

[38]            La nation Siksika soutient que le processus de révision du référendum déclenché par le demandeur n'est qu'un des aspects des mécanismes de contrôle qui s'appliquent au processus de règlement des revendications foncières. Il ne faudrait pas aller à l'encontre de la volonté des membres de la bande, lorsqu'il n'existe pas d'éléments déterminants et convaincants indiquant que des manoeuvres corruptrices ont vicié le référendum. Étant donné que le demandeur n'a pas contesté le pouvoir du ministre de prendre cette décision, la nation Siksika affirme que la décision n'est pas susceptible d'être révisée.

[39]            À titre subsidiaire, la nation Siksika soutient que la norme de contrôle à appliquer en l'espèce, compte tenu de la méthode pragmatique et fonctionnelle exposée dans Baker, précité, et des conséquences pratiques de l'annulation de cette décision, devrait être le caractère manifestement déraisonnable de la décision.


[40]            En outre, la nation Siksika affirme que les faits de l'espèce ne révèlent pas suffisamment de motifs pour que la Cour puisse accorder les redressements extraordinaires que sollicite le demandeur.

[41]            La nation Siksika soutient que pour pouvoir mettre en doute la validité du référendum, il faut que « la prépondérance des preuves présentées par la partie qui conteste le référendum soit suffisante et montre qu'il y a eu suffisamment d'irrégularités susceptibles d'influencer sensiblement le résultat du référendum » . Elle soutient également que le fardeau d'établir les irrégularités appartient au demandeur, qui doit également s'acquitter du fardeau d'établir toutes les irrégularités ayant directement influencé le vote.

[42]            La nation Siksika soutient que, même si toutes les irrégularités alléguées par le demandeur étaient établies, il ne serait pas démontré qu'elles ont réellement influencé les résultats du référendum.


[43]            La nation Siksika invite la Cour à ne pas appliquer trop rapidement aux faits de la présente espèce, une affaire de référendum, les principes juridiques tirés d'affaires concernant les élections, étant donné que les normes ne peuvent pas être les mêmes. La nation Siksika soutient que dans le cas d'une cession de terres, le véritable critère est celui de savoir si l'objet de la Loi sur les Indiens, précitée, a été respecté, même si sur le plan de la procédure, les conditions prévues par la loi n'ont pas été respectées. En l'espèce, les défendeurs soutiennent que l'objet de la Loi sur les Indiens, précitée, est respecté et qu'il y a lieu de donner effet au large appui accordé par la nation Siksika à la ratification de l'Entente de règlement et de l'Entente de fiducie.

[44]            Pour ce qui est des différentes allégations du demandeur, la nation Siksika soutient ce qui suit :

1.          La question référendaire : Il était approprié de soumettre au vote à la fois l'Entente de règlement et l'Entente de fiducie parce que les deux ententes étaient étroitement liées entre elles. L'article 9.1 de l'Entente de règlement énonce clairement qu'il est nécessaire d'adopter une Entente de fiducie. Il était dans l'intérêt des membres de la bande de ratifier également l'Entente de fiducie, qui prévoit l'investissement et la distribution de fonds, pour le bénéfice de tous les membres de la bande. Même si cela n'était pas approprié, il n'existe aucune raison qui permette d'annuler un référendum parce qu'il pose une double question. La jurisprudence citée par le demandeur n'est pas applicable aux faits de la présente espèce et aucun élément de preuve montrant que les électeurs ont eu du mal à comprendre la question posée n'a été présenté.

2.          L'avis de référendum : La nation Siksika affirme que l'affidavit de Lisa Balsillie réfute les allégations du demandeur concernant les lacunes de l'avis. La nation Siksika soutient qu'il y a lieu de tirer une déduction défavorable à l'égard du demandeur de son omission de contre-interroger Mme Balsillie ou de présenter une contre-preuve.


3.          L'argent versé aux électeurs : La nation Siksika soutient qu'un référendum ressemble davantage à une opération commerciale qu'à une élection et qu'il est tout à fait approprié en l'espèce de vouloir donner une contre-partie de valeur. En outre, l'alinéa 64(1)a) de la Loi sur les Indiens, précitée, autorise expressément les distributions per capita aux membres de la bande en cas de vente de terres cédées, ce qui a été fait, selon la coutume, dans le contexte du règlement des revendications foncières. Même si ces versements sont à première vue irréguliers, la nation Siksika soutient que le demandeur doit apporter des preuves convaincantes pour établir que ces versements constituent une manoeuvre corruptrice, étant donné que l'allégation peut être assimilée à une allégation de manoeuvre frauduleuse et de corruption. En particulier, étant donné que le demandeur a désigné le chef et les conseillers de la bande en leur capacité personnelle, celui-ci devrait être obligé d'établir au-delà de tout doute raisonnable ou du moins selon une preuve stricte les allégations de manoeuvres corruptrices. Selon la nation Siksika, l'argument du demandeur entraîne un résultat absurde puisque tous les membres de la bande seraient coupables de manoeuvre corruptrice, étant donné que les bénéficiaires d'un versement sont également coupables de manoeuvre corruptrice. Étant donné le lourd fardeau de la preuve dont le demandeur doit s'acquitter, les défendeurs soutiennent qu'en l'espèce, le ministre n'a pas commis d'erreur lorsqu'il a jugé qu'il n'y avait pas suffisamment de preuves relatives aux manoeuvres corruptrices.


4.          L'insuffisance de l'information communiquée aux membres de la bande : En se basant sur l'affidavit et la déclaration de Lisa Balsillie, la nation Siksika affirme que les exigences prévues par le Règlement ont été largement respectées pour ce qui est d'informer les membres de la bande au sujet des questions soulevées par le référendum. Le conseil juridique de la nation Siksika s'est déclaré disposé à rencontrer en privé toute personne qui souhaitait s'entretenir des différents aspects des ententes ou consulter les documents, et un certain nombre de séances d'information ont été organisées dans le but de fournir des renseignements aux membres de la bande et de répondre à leurs questions.

5.          L'avertissement donné constituait une manoeuvre corruptrice : Il n'est pas nié que les déclarations alléguées par le défendeur aient été faites. La nation Siksika soutient qu'il était nécessaire d'expliquer aux membres de la bande qu'un vote du rejet pourrait retarder de dix ans le processus de négociation pour qu'ils soient informés des risques que comportait un rejet de l'entente. La nation Siksika nie que ces déclarations aient constitué une menace, de l'intimidation ou une influence indue. Ni le demandeur, ni les électeurs n'ont déclaré avoir été intimidés par ces déclarations ou qu'elles avaient eu un effet direct sur l'issue du référendum.

[45]            La nation Siksika nie également que la décision du ministre ait été prise en violation de l'obligation d'équité dont bénéficiait le demandeur. Les facteurs de l'arrêt Baker, précité, indiquent que l'obligation d'équité n'exigeait en l'espèce qu'une garantie procédurale minimale, et que le fait que la décision ait été prise sans audition et sans donner au demandeur la possibilité de réfuter les preuves apportées ne constituait pas une violation de la justice naturelle. En outre, la nation Siksika soutient que la common law n'exige pas que les décisions soient motivées. Étant donné que le Règlement n'exige pas que le ministre fournisse un avis écrit de sa décision, encore moins des motifs de sa décision, la nation Siksika affirme que les arguments du défendeur selon lesquels l'omission de fournir des motifs a eu pour effet de vicier la décision sont mal fondés.


[46]            Enfin, la nation Siksika nie que la décision du ministre soit fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire.

[47]            La nation Siksika demande le rejet de la demande de contrôle judiciaire.

Les questions en litige

[48]            1.          Le ministre a-t-il violé l'obligation d'agir équitablement envers le demandeur dans les circonstances?

2.          Le demandeur a-t-il démontré l'existence d'un autre motif d'annulation de la décision du ministre, conformément à l'article 23 du Règlement sur les référendums des Indiens, précité?

Les dispositions législatives pertinentes

[49]            Les dispositions pertinentes de la Loi sur les Indiens, précitée, énoncent :

39. (1) Une cession à titre absolu ou une désignation n'est valide que si les conditions suivantes sont réunies :

39. (1) An absolute surrender or a designation is void unless

a) elle est faite à Sa Majesté;

(a) it is made to Her Majesty;

b) elle est sanctionnée par une majorité des électeurs de la bande :

. . .

(b) it is assented to by a majority of the electors of the band

. . .

(iii) soit au moyen d'un référendum comme le prévoient les règlements;

(iii) by a referendum as provided in the regulations; and

c) elle est acceptée par le gouverneur en conseil.

(c) it is accepted by the Governor in Council.

64. (1) Avec le consentement du conseil d'une bande, le ministre peut autoriser et prescrire la dépense de sommes d'argent au compte en capital de la bande :

64. (1) With the consent of the council of a band, the Minister may authorize and direct the expenditure of capital moneys of the band

a) pour distribuer per capita aux membres de la bande un montant maximal de cinquante pour cent des sommes d'argent au compte en capital de la bande, provenant de la vente de terres cédées;

. . .

(a) to distribute per capita to the members of the band an amount not exceeding fifty per cent of the capital moneys of the band derived from the sale of surrendered lands;

. . .

[50]            Les dispositions pertinentes du Règlement sur les référendums des Indiens, précité, énoncent :

4.2 (1) Au moins quatorze jours avant la séance d'information sur le référendum et au moins quarante-deux jours avant le référendum, le président d'élection ou le président du scrutin :

4.2 (1) At least 14 days before the day on which an information meeting for a referendum is to be held and at least 42 days before the day of the referendum, the electoral officer or deputy electoral officer shall

a) affiche, à au moins un endroit bien en vue situé dans la réserve, un avis de référendum et une liste des noms des électeurs;

(a) post a notice of the referendum and a list of the names of electors in at least one conspicuous place on the reserve; and

b) envoie par la poste ou remet les documents suivants à chacun des électeurs de la bande qui ne résident pas dans la réserve et dont une adresse a été fournie :

(b) mail or deliver to every elector of the band who does not reside on the reserve and for whom an address has been provided

(i) un avis de référendum,

(i) a notice of the referendum,

(ii) un bulletin de vote postal au verso duquel figurent les initiales du président d'élection,

(ii) a mail-in ballot, initialled on the back by the electoral officer,

(iii) une enveloppe extérieure, c'est-à-dire l'enveloppe de retour préaffranchie et préadressée au président d'élection,

(iii) an outer, postage-paid return envelope, pre-addressed to the electoral officer,

(iv) une enveloppe intérieure portant la mention « bulletin de vote » dans laquelle doit être inséré le bulletin de vote rempli,

(iv) a second, inner envelope marked "Ballot" for insertion of the completed ballot,

(v) une formule de déclaration de l'électeur,

(v) a voter declaration form,

(vi) les instructions relatives au vote par bulletin de vote postal,

(vi) a letter of instruction regarding voting by mail-in ballot, and

(vii) les renseignements relatifs à la proposition de cession à titre absolu ou de désignation qui fait l'objet du référendum.

(vii) an information package regarding the designation or surrender that is the subject of the referendum.

22. (1) L'électeur peut, de la manière indiquée au paragraphe (2), demander une révision du référendum par le ministre pour l'un des motifs suivants :

22. (1) An elector may, in the manner set out in subsection (2), request a review of the referendum by the Minister where the elector believes that

a) violation du règlement pouvant porter atteinte au résultat du référendum;

(a) there was a contravention of these Regulations that may affect the results of the referendum; or

b) manoeuvre corruptrice à l'égard du référendum.

(b) there was corrupt practice in connexion with the referendum.

(2) La demande de révision de référendum doit être envoyée au ministre par courrier recommandé, à l'adresse du sous-ministre adjoint, dans les sept jours suivant le référendum, et comprendre une déclaration signée en présence d'un témoin âgé d'au moins dix-huit ans et indiquant les motifs de révision et tous les renseignements pertinents.

(2) A request for a review of a referendum shall be made by forwarding the request to the Minister, by registered mail addressed to the Assistant Deputy Minister, within seven days after the day of the referendum, accompanied by a declaration, containing the grounds for requesting the review and any other relevant information, signed in the presence of a witness who is at least 18 years of age.

(3) Dans les vingt et un jours suivant la réception de la demande de révision de référendum, le ministre envoie par la poste une copie de la demande au président d'élection qui a dirigé le référendum en cause.

(3) Within 21 days after the receipt of a request for a review of a referendum, the Minister shall mail a copy of the request to the electoral officer who conducted the referendum.

(4) Dans les dix jours suivant la réception de la demande visée au paragraphe (3), le président d'élection envoie au ministre par courrier recommandé, à l'adresse du sous-ministre adjoint, une déclaration signée en présence d'un témoin âgé d'au moins dix-huit ans et répondant aux motifs énoncés dans la demande.

(4) Within 10 days after the receipt of a request under subsection (3), the electoral officer shall forward to the Minister, by registered mail addressed to the Assistant Deputy Minister, a declaration responding to the grounds stated in the request, signed in the presence of a witness who is at least 18 years of age.

23. Si les documents déposés sous le régime de l'article 22 ou les renseignements qui sont en la possession du ministre sont suffisants pour mettre en doute la validité d'un référendum, le ministre en avise le gouverneur en conseil.

23. Where the material referred to in section 22 or any other information in the possession of the Minister is sufficient to call into question the validity of the referendum, the Minister shall advise the Governor in Council accordingly.

Analyse et décision

[51]            La question en litige no 1

Le ministre a-t-il violé l'obligation d'agir équitablement envers le demandeur dans les circonstances?

L'essentiel de l'argumentation du demandeur repose sur l'allégation que l'obligation d'agir de façon équitable n'a pas été respectée. Il était inéquitable, d'après lui, sur le plan de la procédure que le ministre ne tienne pas une audience sur cette question ou ne lui fournisse pas à tout le moins un résumé de la réponse de la présidente d'élections à sa demande de révision et ne lui permette pas de présenter des observations en réponse. Le demandeur allègue également que la décision devrait être annulée parce que la lettre qui l'en informait n'indiquait pas les motifs de la décision.

[52]            Toutes les parties semblent s'entendre sur le fait que le ministre avait l'obligation d'agir de façon équitable. Les parties divergent par contre sur la portée de cette obligation. Par conséquent, la première question à trancher pour déterminer si le ministre a violé l'obligation d'agir de façon équitable qu'il avait envers le demandeur est de préciser la nature exacte de cette obligation dans les circonstances. Ce n'est qu'ensuite qu'il sera possible de décider si le ministre a assuré au demandeur une participation suffisante (tenue d'une audience, divulgation d'éléments de preuve contraires et possibilité pour le demandeur de présenter des observations en réponse) et si la décision devait être motivée.

[53]            Je m'inspire des observations de la juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Baker, précité, aux paragraphes 21 à 28, concernant les facteurs dont il y a lieu de tenir compte pour préciser le contenu de l'obligation d'équité procédurale dans une affaire donnée :

L'existence de l'obligation d'équité, toutefois, ne détermine pas quelles exigences s'appliqueront dans des circonstances données. Comme je l'écrivais dans l'arrêt Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, à la p. 682, « la notion d'équité procédurale est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas » . Il faut tenir compte de toutes les circonstances pour décider de la nature de l'obligation d'équité procédurale: Knight, aux pp. 682 et 683; Cardinal, précité, à la p. 654; Assoc. des résidents du Vieux St-Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170, le juge Sopinka.

Bien que l'obligation d'équité soit souple et variable et qu'elle repose sur une appréciation du contexte de la loi particulière et des droits visés, il est utile d'examiner les critères à appliquer pour définir les droits procéduraux requis par l'obligation d'équité dans des circonstances données. Je souligne que l'idée sous-jacente à tous ces facteurs est que les droits de participation faisant partie de l'obligation d'équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d'une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leurs points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu'ils soient considérés par le décideur.


La jurisprudence reconnaît plusieurs facteurs pertinents en ce qui a trait aux exigences de l'obligation d'équité procédurale en common law dans des circonstances données. Un facteur important est la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir. Dans l'arrêt Knight, précité, à la p. 683, on a conclu que « la mesure dans laquelle le processus administratif se rapproche du processus judiciaire est de nature à indiquer jusqu'à quel point ces principes directeurs devraient s'appliquer dans le domaine de la prise de décisions administratives » . Plus le processus prévu, la fonction du tribunal, la nature de l'organisme rendant la décision et la démarche à suivre pour parvenir à la décision ressemblent à une prise de décision judiciaire, plus il est probable que l'obligation d'agir équitablement exigera des protections procédurales proches du modèle du procès. Voir également Vieux St-Boniface, précité, à la p. 1191; Russell c. Duke of Norfolk, [1949] 1 All E.R. 109 (C.A.), à la p. 118; Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, à la p. 896, le juge Sopinka.

Le deuxième facteur est la nature du régime législatif et les « termes de la loi en vertu de laquelle agit l'organisme en question » : Vieux St-Boniface, précité, à la p. 1191. Le rôle que joue la décision particulière au sein du régime législatif, et d'autres indications qui s'y rapportent dans la loi, aident à définir la nature de l'obligation d'équité dans le cadre d'une décision administrative précise. Par exemple, des protections procédurales plus importantes seront exigées lorsque la loi ne prévoit aucune procédure d'appel, ou lorsque la décision est déterminante quant à la question en litige et qu'il n'est plus possible de présenter d'autres demandes: voir D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), aux pp. 7-66 et 7-67.

Le troisième facteur permettant de définir la nature et l'étendue de l'obligation d'équité est l'importance de la décision pour les personnes visées. Plus la décision est importante pour la vie des personnes visées et plus ses répercussions sont grandes pour ces personnes, plus les protections procédurales requises seront rigoureuses. C'est ce que dit par exemple le juge Dickson (plus tard Juge en chef) dans l'arrêt Kane c. Conseil d'administration de l'Université de la Colombie-Britannique, [1980] 1 R.C.S. 1105, à la p. 1113 :

Une justice de haute qualité est exigée lorsque le droit d'une personne d'exercer sa profession ou de garder son emploi est en jeu. [. . .] Une suspension de nature disciplinaire peut avoir des conséquences graves et permanentes sur une carrière.

Comme le juge Sedley (maintenant lord juge Sedley) le dit dans R. c. Higher Education Funding Council, ex parte Institute of Dental Surgery, [1994] 1 All E.R. 651 (Q.B.), à la p. 667 :

[TRADUCTION]    Dans le monde moderne, les décisions rendues par des organismes administratifs peuvent avoir un effet plus immédiat et plus important sur la vie des gens que les décisions des tribunaux et le droit public a depuis l'arrêt Ridge c. Baldwin [1963] 2 All E.R. 66, [1964] A.C. 40, reconnu ce fait. Bien que le caractère judiciaire d'une fonction puisse élever les exigences pratiques en matière d'équité au-delà de ce qu'elles seraient autrement, par exemple en exigeant que soit présenté et vérifié oralement un élément de preuve contesté, ce qui le rend « judiciaire » dans ce sens est principalement la nature de la question à trancher, et non le statut formel de l'organisme décisionnel.

L'importance d'une décision pour les personnes visées a donc une incidence significative sur la nature de l'obligation d'équité procédurale.


Quatrièmement, les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision peuvent également servir à déterminer quelles procédures l'obligation d'équité exige dans des circonstances données. Notre Cour a dit que, au Canada, l'attente légitime fait partie de la doctrine de l'équité ou de la justice naturelle, et qu'elle ne crée pas de droits matériels: Vieux St-Boniface, précité, à la p. 1204; Renvoi relatif au Régime d'assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525, à la p. 557. Au Canada, la reconnaissance qu'une attente légitime existe aura une incidence sur la nature de l'obligation d'équité envers les personnes visées par la décision. Si le demandeur s'attend légitimement à ce qu'une certaine procédure soit suivie, l'obligation d'équité exigera cette procédure: Qi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 33 Imm. L.R. (2d) 57 (C.F. 1re inst.); Mercier-Néron c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1995), 98 F.T.R. 36; Bendahmane c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 3 C.F. 16 (C.A.). De même, si un demandeur s'attend légitimement à un certain résultat, l'équité peut exiger des droits procéduraux plus étendus que ceux qui seraient autrement accordés: D. J. Mullan, Administrative Law (3e éd. 1996), aux pp. 214 et 215; D. Shapiro, « Legitimate Expectation and its Application to Canadian Immigration Law » (1992), 8 J.L. & Social Pol'y 282, à la p. 297; Canada (Procureur général) c. Comité du tribunal des droits de la personne (Canada) (1994), 76 F.T.R. 1. Néanmoins, la doctrine de l'attente légitime ne peut pas donner naissance à des droits matériels en dehors du domaine de la procédure. Cette doctrine, appliquée au Canada, est fondée sur le principe que les « circonstances » touchant l'équité procédurale comprennent les promesses ou pratiques habituelles des décideurs administratifs, et qu'il serait généralement injuste de leur part d'agir en contravention d'assurances données en matière de procédures, ou de revenir sur des promesses matérielles sans accorder de droits procéduraux importants.

Cinquièmement, l'analyse des procédures requises par l'obligation d'équité devrait également prendre en considération et respecter les choix de procédure que l'organisme fait lui-même, particulièrement quand la loi laisse au décideur la possibilité de choisir ses propres procédures, ou quand l'organisme a une expertise dans le choix des procédures appropriées dans les circonstances: Brown et Evans, op. cit., aux pp. 7-66 à 7-70. Bien que, de toute évidence, cela ne soit pas déterminant, il faut accorder une grande importance au choix de procédures par l'organisme lui-même et à ses contraintes institutionnelles: IWA c. Consolidated-Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282, le juge Gonthier.

Je dois mentionner que cette liste de facteurs n'est pas exhaustive. Tous ces principes aident le tribunal à déterminer si les procédures suivies respectent l'obligation d'équité. D'autres facteurs peuvent également être importants, notamment dans l'examen des aspects de l'obligation d'agir équitablement non reliés aux droits de participation. Les valeurs qui sous-tendent l'obligation d'équité procédurale relèvent du principe selon lequel les personnes visées doivent avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position, et ont droit à ce que les décisions touchant leurs droits, intérêts ou privilèges soient prises à la suite d'un processus équitable, impartial et ouvert, adapté au contexte légal, institutionnel et social de la décision.

[54]            En appliquant ces facteurs à la présente espèce, j'estime qu'il suffisait que la décision du ministre soit entourée de garanties procédurales minimales pour qu'elle ait été prise de façon équitable. Selon le premier facteur Baker, précité, la décision prise ne ressemble pas à une décision judiciaire. Les articles 22 et 23 du Règlement prévoient un recours extraordinaire pour ceux qui s'opposent à un référendum en les autorisant à faire savoir au ministre que les résultats sont invalides soit parce qu'il y a eu violation du Règlement ou manoeuvre corruptrice. Le ministre a pour rôle d'informer le gouverneur en conseil qu'il existe des preuves suffisantes indiquant que les résultats du référendum ne sont pas valides, de sorte que le gouverneur en conseil puisse alors exercer son pouvoir discrétionnaire de refuser d'accepter la cession de terres en question. Ce mécanisme ne ressemble pas à un processus judiciaire ni à un processus contradictoire, ce qui indique qu'il fait appel à des garanties procédurales peu exigeantes.


[55]            Selon le second facteur Baker, précité, la nature du mécanisme législatif indique que le ministre n'est pas tenu d'accorder des droits de participation étendus ou d'autres protections procédurales. Les dispositions du Règlement prévoient que le demandeur peut présenter une déclaration, que le président d'élection concerné réplique aux aspects soulevés et que le ministre prend alors une décision. Non seulement le Règlement ne prévoit-il pas d'audition, ni la communication des observations ou des motifs, mais il prévoit expressément que le ministre peut prendre sa décision en se fondant sur des preuves autres que celles que lui ont présenté le plaignant et le président d'élection, sans qu'il soit aucunement tenu de divulguer ces preuves pour obtenir les commentaires du plaignant ou du président d'élection concerné à leur sujet. L'article 23 énonce :

Si les documents déposés sous le régime de l'article 22 ou les renseignements qui sont la possession du ministre sont suffisants pour mettre en doute la validité d'un référendum, le ministre en avise le gouverneur en conseil.

[56]            Il est par conséquent clair que le régime législatif attribue au ministre un rôle discrétionnaire sur le plan de la recherche de preuves et que le législateur n'a pas voulu circonscrire ce pouvoir en imposant des obligations précises en matière d'équité procédurale.

[57]            Le troisième facteur de l'arrêt Baker, précité, indique également qu'il y a lieu d'assouplir l'obligation d'agir de façon équitable. La décision en cause ne fait pas courir au demandeur le risque de perdre ses moyens de subsistance ou de faire l'objet d'une sanction disciplinaire professionnelle. En fait, le référendum concernait un droit foncier autochtone communautaire, et non pas un droit individuel appartenant au demandeur. Ce facteur indique que ces éléments appellent des garanties procédurales peu exigeantes.

[58]            Le quatrième facteur énoncé dans Baker, précité, n'est pas non plus d'un grand secours pour l'appelant. Rien n'indique à la Cour que le ministre ou son ministère ait fait savoir au demandeur qu'il bénéficiait de garanties procédurales détaillées ou que le résultat du référendum serait annulé. Le demandeur soutient sur ce point qu'il avait des « attentes » en matière d'audition ou de communication de la preuve mais il n'établit pas que ces attentes étaient « légitimes » .


[59]            Le cinquième facteur porte sur la procédure choisie par le ministre. Il semble que le ministre n'ait pas adopté une procédure très détaillée, puisqu'elle ne prévoyait même pas la motivation de ses décisions. Le Règlement est muet sur la procédure à suivre, bien qu'il fixe certains délais et exige la présentation par écrit de certains éléments. Ce facteur n'est pas déterminant mais il indique en l'espèce que les garanties procédurales exigées étaient peu contraignantes.

[60]            J'estime que le cadre d'analyse exposé dans l'arrêt Baker, précité, m'amène à conclure que l'obligation d'équité n'accordait au demandeur en l'espèce que des garanties procédurales minimales. Le Règlement obligeait le ministre à obtenir les commentaires du président d'élection dans un certain délai et à décider ensuite si les preuves étaient suffisantes pour mettre en doute la validité du référendum mais non pas à ordonner la tenue d'une audition ou à assurer la communication des documents aux différentes parties intéressées.


[61]            J'estime également que le ministre n'était pas tenu de fournir au demandeur les motifs de sa décision. Je reconnais que la common law a évolué à un point où les décideurs sont parfois tenus de motiver leurs décisions, même lorsque la loi ne les y oblige pas (voir Baker, précité, au paragraphe 43), mais ce n'est pas le cas dans les circonstances. Les facteurs déjà examinés montrent que le ministre n'avait à respecter que des garanties procédurales minimales. La décision prise n'avait pas un effet très grave sur les intérêts essentiels et personnels du demandeur. En fait, le Règlement accorde une dernière possibilité de soulever auprès du ministre des aspects préoccupants touchant un référendum, et celui-ci est obligé d'examiner la question et d'en aviser le gouverneur en conseil si les inquiétudes sont justifiées. Le demandeur a certainement un intérêt dans la question de la validité du référendum mais le règlement a un objet plus large qui est de protéger le référendum lui-même puisqu'il représente l'expression formelle de la volonté des électeurs. Il est possible d'établir une distinction entre les éléments essentiels de ce mécanisme et les décisions citées par le demandeur dans lesquelles les tribunaux ont exigé la motivation des décisions et accordé des garanties procédurales plus strictes.

[62]            J'estime par conséquent que le ministre a respecté l'obligation d'équité applicable dans les circonstances.

[63]            La question en litige no 2

Le demandeur a-t-il établi un autre motif d'annulation de la décision du ministre aux termes de l'article 23 du Règlement sur les référendums des Indiens, précité?


Le demandeur a également présenté d'autres arguments dans le but de faire annuler la décision du ministre. La décision du ministre est de nature hautement discrétionnaire. La première décision à prendre est de préciser la norme de révision applicable à l'examen des autres points soulevés par le demandeur. Dans Baker, précité, la juge L'Heureux-Dubé a décrit aux pages 57 à 61 les facteurs à prendre en considération dans la mise en oeuvre de la méthode pragmatique et fonctionnelle qui permet de choisir la norme de révision applicable. Ces facteurs sont : 1) la présence ou l'absence d'une clause privative, 2) l'expertise du décideur, 3) l'objet de la disposition particulière, et 4) la nature du problème en question, en particulier la question de savoir s'il s'agit d'une question de droit ou de fait. Je vais maintenant appliquer chacun de ces facteurs à la présente affaire.

[64]            La présence ou l'absence d'une clause privative

Il n'y a pas de clause privative en l'espèce. L'absence de clause privative indique qu'il n'est pas nécessaire d'appliquer une norme d'examen très stricte, lorsque les autres facteurs favorisent plutôt une norme peu exigeante. Les dispositions législatives sont muettes pour ce qui est de la révision. Le silence a un effet neutre (voir Dr Q, précité).

[65]            L'expertise du décideur

Le décideur est ici le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. Il faut présumer qu'en qualité de ministre responsable de l'application des dispositions en question, le ministre a l'expertise nécessaire pour appliquer les dispositions relatives aux référendums. Ce facteur milite en faveur d'une grande retenue de la part des tribunaux.

[66]            L'objet de la disposition en particulier et de la Loi en général


Le Règlement sur les référendums des Indiens, précité, pris dans son ensemble, définit en détail les conditions de validité des référendums. L'article 23 du Règlement autorise le ministre à fonder sa décision sur les documents mentionnés dans l'article 22 du Règlement et sur tout autre document en sa possession. Le large pouvoir discrétionnaire accordé au ministre indique qu'il y a lieu de faire preuve d'une grande retenue à l'égard de cette décision.

[67]            La nature du problème en question, en particulier la question de savoir s'il soulève une question de droit ou de fait

Les irrégularités soulevées par le défendeur concernant le référendum sont soit des questions de fait, soit des questions mixtes de droit et de fait. Cela milite en faveur d'une grande retenue à l'égard de la décision attaquée.

[68]            Après avoir examiné tous ces facteurs, j'estime que la norme de révision appropriée est celle de la décision raisonnable simpliciter.

[69]            La question référendaire


Le demandeur soutient que la question référendaire était irrégulière parce qu'elle comprenait deux questions. Les électeurs devaient approuver l'Entente de règlement et l'Entente de fiducie ou rejeter ces deux ententes. Le demandeur soutient qu'il aurait fallu prévoir un vote distinct sur chacune de ces deux ententes. J'ai examiné la question figurant sur le bulletin de vote et même s'il s'agit d'une question double, il n'y a rien dans la Loi sur les Indiens, précitée, ou le Règlement qui interdit de poser une double question. En outre, l'Entente de fiducie est reliée à l'Entente de règlement. L'article 9.1 de l'Entente de règlement énonce qu'avant que le Canada signe l'entente, la nation Siksika doit préparer une Entente de fiducie qui soit acceptable pour le Canada. Les membres de la bande doivent également approuver l'Entente de fiducie. Il est important de noter que le demandeur n'a pas mentionné avant le vote que la question était mal posée (affidavit de Joe Weasel Child au paragraphe 15). J'estime que la question soumise au référendum n'était pas irrégulière.

[70]            L'avis de référendum

Le demandeur soutient qu'un seul avis a été affiché avant la date limite pertinente et que par conséquent, les exigences du Règlement n'ont pas été respectées. J'ai examiné la déclaration de Roy Little Chief et en particulier le paragraphe 7 dans lequel il déclare notamment que [traduction] « au mieux de mes connaissances, le seul avis qui a été affiché avant le 24 décembre 2002 est celui qui est joint à la présente et marqué pièce « A » jointe à la présente déclaration » . Cependant, l'examen de la déclaration de Lisa Balsillie semble contenir une réfutation complète de cette objection. Il convient de noter que l'affirmation de Roy Little Chief était assortie de la réserve suivante « d'après ce que je sais » . Les déclarations fournies par Lisa Balsillie sur ce point ne contenaient aucune réserve de ce genre.

[71]            L'argent versé aux électeurs

Le demandeur déclare ce qui suit aux paragraphes 24 à 26 de son mémoire des faits et du droit :

[traduction]

On a dit aux membres de la bande qu'ils recevraient 100 $ par personne le jour du référendum et 1 500 $ au mois de mai provenant d'un autre fonds (autre que le règlement) si le règlement et la fiducie étaient ratifiés (le versement).


M. Little Chief dépose au paragraphe 9 de sa déclaration :

« J'ai assisté à la première séance le 9 janvier 2003 au Coast Plaza Hotel de Calgary. À cette réunion, Eldon Weasel Child, un membre du conseil de la nation Siksika également membre de l'équipe de négociation de la revendication sur l'écart de superficie, a déclaré au cours de cette réunion aux membres de la bande qui y assistaient que chacun des membres de la bande recevrait 100 $ le jour du référendum et 1 500 $ au mois de mai, en provenant d'un autre fonds, et non pas du règlement, dans le cas où le règlement et la fiducie seraient approuvés. J'ai interprété cette mesure comme une tentative manifeste d'Eldon Weasel Child d'influencer le résultat du référendum. »

Il existe un principe de droit bien établi selon lequel le fait de donner de l'argent ou une autre contrepartie aux électeurs pour les inciter à voter d'une certaine façon ou pour les récompenser de l'avoir fait constitue une « manoeuvre corruptrice » qui peut entraîner l'annulation d'une élection (ou du vote sur une question) (Campbell c. Grieve (1892), 20 R.C.S. 331 (C.S.C.); Gallery c. Darlington (1906), 37 R.C.S. 563 (C.S.C.); Sideleau c. Davidson, [1942] 3 D.L.R. 609 (C.S.C.); Loi électorale du Canada; Alberta Elections Act; Alberta Local Authorities Act).

[72]            J'ai examiné les circonstances ayant entouré ces versements et je ne suis pas convaincu que les sommes versées constituent une tentative d'influencer le vote ou une manoeuvre corruptrice. On a dit aux membres de la bande que s'ils votaient en faveur de l'Entente de règlement et de l'Entente de fiducie, tous les membres de la bande recevraient une certaine somme d'argent. Les membres de la bande n'étaient pas tenus de voter pour avoir droit à ces sommes. Si l'Entente de règlement et l'Entente de fiducie étaient ratifiées, tous les membres de la bande, qu'ils aient voté ou non, recevraient ces versements. Je note que les versements constituaient une façon d'utiliser des fonds qui appartenaient à tous les membres de la bande. Dans les affaires électorales concernant les « manoeuvres corruptrices » , la situation est différente parce que le candidat donne à l'électeur de l'argent qui n'appartient pas à l'électeur, dans le but d'inciter celui-ci à voter ou à voter d'une certaine façon.

[73]            L'insuffisance des renseignements communiqués aux membres de la bande

Au sujet de cette allégation, le paragraphe 15 de l'affidavit de Joe Weasel Child énonce :

[traduction]

Au paragraphe 13 de la déclaration de M. Little Chief, il déclare avoir tenté d'examiner des copies des études d'évaluation et de perte d'utilisation dans le bureau d'administration tribale de la nation Siksika mais qu'il n'a pu le faire parce qu'elles ne s'y trouvaient pas et il a dû par conséquent s'en remettre à une brochure « incomplète » . Les faits suivants montrent que cette affirmation n'est pas vraie :

a)             comme cela est mentionné dans la lettre du chef Stimson, les études se trouvaient dans le bureau des revendications foncières Siksika après le 17 janvier 2003 et M. Little Chief n'a jamais communiqué avec moi ou un membre de mon personnel pour examiner ces études;

b)             M. Ron Maurice, le conseiller juridique de la nation Siksika, a déclaré à plusieurs séances d'information communautaires que les études pouvaient être consultées dans ses bureaux de Calgary et qu'il rencontrerait les membres qui souhaitaient les examiner. C'est ainsi que j'ai pris des dispositions, également à la demande de certains membres de la bande après les premières séances d'information du 9 janvier 2003, pour tenir une réunion spéciale des membres de façon à rencontrer M. Maurice dans ses bureaux le 17 janvier 2003 en vue d'examiner les études et documents pertinents et pour parler des questions concernant les projets d'entente de règlement et d'entente de fiducie mais pas un seul membre de la bande ne s'est présenté à cette réunion;

c)             j'ai été informé par M. Maurice du fait qu'il avait parlé directement avec M. Little Chief après la séance d'information du 21 janvier 2003 tenue à Calgary et que M. Maurice avait proposé à M. Little Chief de venir dans ses bureaux quand il le voudrait pour examiner et inspecter les diverses études d'indemnisation. J'ai également été informé par M. Maurice du fait qu'il avait parlé avec l'épouse de M. Little Chief, Mme Linda Little Chief, par téléphone le 14 janvier 2003 et qu'il lui avait offert de consulter ses études dans ses bureaux en prenant un rendez-vous et que M. Maurice avait laissé un message au même effet dans la boîte vocale de M. Little Chief pendant la matinée du 21 janvier 2003. M. Maurice m'informe que M. et Mme Little Chief n'ont pas donné suite à ses offres et ont refusé la possibilité d'examiner les études et de prendre connaissance d'éléments concernant la cession et les termes des ententes proposées.


[74]            Les preuves indiquent qu'au cours du mois qui a précédé le référendum, il y a eu quatre séances d'information, dont deux ont été tenues sur la réserve de Siksika, et deux à Calgary. Ces preuves ne m'indiquent pas que les membres de la bande n'ont pas été correctement informés.

[75]            L'avertissement constituait une manoeuvre corruptrice

Le demandeur déclare au paragraphe 38 de son mémoire des faits et du droit :

[traduction]

Au paragraphe 14 de sa déclaration, M. Little Chief affirme qu'on a menacé les membres de la bande et qu'on leur a dit que s'ils n'acceptaient pas l'entente il leur faudrait attendre au moins 10 ans pour avoir une autre possibilité de le faire (avertissement), dans les termes suivants :

À la séance d'information tenue le 9 janvier 2003 dans le Coast Plaza Hotel de Calgary, au mieux de mes souvenirs, le chef Adrian Stimson Sr. a également déclaré que si les ententes n'étaient pas ratifiées, il y avait plus de 640 autres revendications foncières présentées par des Premières nations qui devaient être réglées au Canada et que si nous n'acceptions pas un règlement conformément à ces ententes, le gouvernement fédéral refuserait de reprendre les négociations au sujet de notre revendication et qu'il faudrait tout recommencer depuis le début, ce qui nous ramènerait dix ans en arrière pour ce qui est du processus des négociations. J'ai interprété cette explication comme une menace, il fallait accepter le règlement ou en subir les conséquences. À la réunion, Troy Chalifoux, gestionnaire et négociateur principal, Revendications, Affaires indiennes et Nord canadien, région de l'Alberta a fait une déclaration semblable.

[76]            J'ai examiné ces allégations et j'estime que ces déclarations ne constituent pas des manoeuvres corruptrices. J'estime que par ces déclarations, on tentait d'informer les membres de la bande de ce qui se passerait si l'Entente de règlement et l'Entente de fiducie n'étaient pas ratifiées. Le paragraphe 6h) de l'affidavit de Joe Weasel Child confirme ce point de vue et il énonce :


[traduction] Le chef Stimson a reconnu, en réponse à des questions posées lors des réunions dans la collectivité au sujet de ce qui se passerait si le règlement et la fiducie étaient rejetés, que les membres avaient été informés que la nation Siksika aurait soit à reprendre les négociations avec le Canada soit à intenter des poursuites. Le personnel et les avocats de la nation Siksika ont exprimé leurs inquiétudes au sujet de la possibilité que le Canada ne souhaite pas reprendre les négociations et ils ont mentionné certains risques découlant du rejet de la revendication, notamment la possibilité que les membres ne reçoivent « aucun avantage financier, économique ou social... pendant 10 à 15 ans, au mieux » . Le chef Stimson a noté que ces avocats l'avaient informé que si la nation Siksika rejetait la présente entente, il était peu probable que le Canada demande à reprendre les négociations et que si la nation Siksika s'adressait aux tribunaux pour essayer d'obtenir un résultat plus favorable, une telle poursuite comportait des risques importants, dont le moindre était l'application des périodes de prescription. Le chef Stimson a déclaré qu'il ne considérait pas que ces affirmations étaient des menaces ou des avertissements mais plutôt des renseignements concernant les différentes façons de procéder possibles et décrivant les conséquences des choix entre ces différentes solutions, ce qui était nécessaire pour aider les membres à prendre une décision éclairée au sujet de l'approbation de l'Entente de règlement et de l'Entente de fiducie. Il a été en outre clairement indiqué aux membres lors des réunions communautaires que cette décision était entre leurs mains et que personne n'essayait de leur dire comment voter.

[77]            En conclusion, j'estime que le demandeur n'a pas démontré l'existence d'autres motifs d'annulation de la décision du ministre, conformément à l'article 23 du Règlement sur les référendums des Indiens, précité. La demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée, et les dépens adjugés aux défendeurs.

                                        ORDONNANCE

[78]            IL EST ORDONNÉ que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée, et les dépens adjugés aux défendeurs.

                                                                            _ John A. O'Keefe _               

                                                                                                     Juge                            

Ottawa (Ontario)

le 30 septembre 2004

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-686-03

INTITULÉ :               ROY LITTLE CHIEF

c.

LE MINISTÈRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :                         CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                       LE 18 MAI 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                               LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                              LE 30 SEPTEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Peter Lawless                                               POUR LE DEMANDEUR

Glen D. Jermyn                                             POUR LE MINISTRE DÉFENDEUR

Ron S. Maurice                                            POUR TOUS LES AUTRES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Johns, Southward, Glazier, Walton & Margetts POUR LE DEMANDEUR

Victoria (Colombie-Britannique)

Sous-procureur général du Canada                    POUR LE MINISTRE DÉFENDEUR

Edmonton (Alberta)

MacPherson Leslie & Tyerman LLP             POUR TOUS LES AUTRES

Siksika (Alberta)                                           DÉFENDEURS


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