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Date : 19980409
Dossier : IMM-1987-97
OTTAWA (ONTARIO), LE 9 AVRIL 1998
EN PRÉSENCE DE :      MONSIEUR LE JUGE LUTFY

ENTRE :

     LAL KUMARA CHANDRAGUPTA MATARAGE,
     requérant,
     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
     intimé.


     ORDONNANCE



     IL EST ORDONNÉ QUE la présente demande de contrôle judiciaire, entendue le 3 avril 1998 à Toronto (Ontario), soit rejetée.

                             " Allan Lutfy "
                                     Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.




Date : 19980409


Dossier : IMM-1987-97



ENTRE :


     LAL KUMARA CHANDRAGUPTA MATARAGE,

     requérant,

     - et -



     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


     intimé.



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LUTFY


[1]      Le requérant est un avocat cingalais qui pratiquait à Colombo (Sri Lanka).

[2]      En juin 1993, le requérant a présenté des demandes d'habeas corpus pour le compte de deux étudiants qui avaient disparu quatre ans plus tôt quand le gouvernement a exercé des représailles contre un soulèvement marxiste à Embilipitiya, dans le Sri Lanka rural. Les demandes d'habeas corpus nommaient certains officiers militaires à titre d'intimés.

[3]      Du fait d'avoir représenté les victimes, en sa qualité d'avocat, le requérant affirme avoir reçu plusieurs coups de téléphone et une lettre anonyme le menaçant de subir le même sort que deux avocats des droits de la personne assassinés en 1988 et en 1989. Cette menace a été renouvelée quand son automobile a été interceptée et qu'il a été attaqué par plusieurs hommes en civil qui conduisaient des camionnettes sans plaque d'immatriculation. Sur les conseils d'un commissaire de police, le requérant affirme qu'il s'est alors enfui du Sri Lanka pour demander le statut de réfugié.

[4]      La Section du statut de réfugié a reconnu que le requérant était un avocat, mais n'a pas cru à ses allégations de persécution. Le requérant ne pouvait se rappeler du nom que d'un seul des deux ou trois intimés mentionnés dans les demandes d'habeas corpus. Il n'a pas pu présenter la lettre anonyme menaçant sa vie. Il n'a pas cherché à obtenir, des dossiers du tribunal à Colombo, une copie des demandes d'habeas corpus dans lesquelles figuraient, selon lui, son nom et son adresse. En raison de ces trois omissions et vu [TRADUCTION] " l'hésitation et le malaise évidents " du requérant, de même que son [TRADUCTION] " attitude gênée ", le tribunal n'a reconnu ni sa bonne foi, ni le fondement subjectif de sa crainte de persécution.

[5]      Le requérant soutient que le tribunal a commis une erreur dans l'évaluation de sa bonne foi en se fondant sur sa réponse directe selon laquelle il ne se rappelait plus du nom des parties qu'il poursuivait, sans l'interroger à ce sujet pendant l'audience.

[6]      Pour corroborer son point de vue, le requérant invoque les motifs majoritaires du juge Hugessen, juge de la Cour d'appel à l'époque, dans l'arrêt Gracielome c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1989), 9 Imm. L.R. (2d) p. 237 à 239. Dans l'arrêt Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) p. 106, décision unanime traitant de questions semblables à celles de l'arrêt Gracielome et rendue trois semaines plus tôt, le juge Hugessen souscrit aux mêmes motifs que le juge Mahoney. Il est important de remarquer que les deux affaires relevaient de la Loi de l'Immigration, 1976, S.C. 1976-77, ch. 52, dont les dispositions pertinentes ont été modifiées depuis. Conformément aux paragraphes 45(1) et 70(1) de cette précédente version de la Loi, la Commission d'appel de l'immigration avait à sa disposition, avant même sa propre audition, la transcription de l'interrogatoire sous serment du demandeur de statut de réfugié, qui avait eu lieu devant un agent d'immigration supérieur. La Commission, apparemment en application des paragraphes 71(3) et (4), aurait à l'occasion rédigé des motifs après communication de sa décision aux parties. L'établissement de la bonne foi se fondait souvent sur une comparaison entre la transcription du témoignage du demandeur devant l'agent d'immigration supérieur et celle du témoignage du demandeur devant le tribunal. Dans l'arrêt Owusu-Ansah, le juge Mahoney comparait le fait, pour la Commission, de s'appuyer sur les contradictions évidentes entre les deux transcriptions avec l'établissement de la bonne foi dans un procès de première instance habituel (pages 107-8) :

Les contradictions sur lesquelles elle s'est appuyée sont souvent passées inaperçues lors de l'audition tenue devant la Commission et ont souvent manqué d'être relevées par les avocats dans les plaidoiries qu'ils ont présentées devant elle. Dans de nombreuses affaires, au nombre desquelles figure la présente demande, la déposition du requérant a été faite par l'intermédiaire d'interprètes, qui n'étaient habituellement pas les mêmes d'une instance à l'autre. La procédure prévue est fort propice à ce que des malentendus surviennent entre personnes de bonne foi. Il doit également être noté que, sous le régime de la législation en cause, les motifs de décision sont rédigés par la Commission très longtemps après que la décision a été rendue et ne constituent pas, comme c'est habituellement le cas dans le cadre d'une instance judiciaire, un élément critique du processus décisionnel. Peu de juges, me semble-t-il, attesteraient n'avoir jamais changé d'idée en rédigeant leurs motifs. Les motifs de la Commission n'ont d'autre objet que de justifier sa décision antérieure. En l'espèce, je suis d'avis que la Commission est allée trop loin dans sa recherche de contradictions dans le témoignage du requérant. Je traiterai de ces dernières à la suite après avoir considéré un autre motif pour lequel il a été mis en doute que le requérant soit digne de foi.

C'est en fonction de cette jurisprudence qu'il faut lire l'énoncé du juge Hugessen dans l'arrêt Gracielome à la page 239 :

Il est à noter que dans aucun des trois cas n'a-t-on confronté les requérants avec leurs prétendues contradictions ni demandé qu'ils s'expliquent à ce sujet. Au contraire, il est évident que chaque exemple a été relevé par la majorité après coup et suite à un examen minutieux des transcriptions de la preuve. Dans ces circonstances, la position de la Commission pour apprécier les contradictions n'est pas plus privilégiée que la nôtre.
La demande sera accueillie; la décision attaquée sera annulée et l'affaire sera renvoyée pour une nouvelle audience.

[7]      Sous le régime des modifications législatives en vigueur depuis 1989, les décisions de la Section du statut de réfugié sont plus souvent préparées sans l'aide des transcriptions; toutefois, il est possible de constituer des comités, par exemple, pour évaluer le témoignage d'un demandeur par rapport à la version précédente de cette personne notée par un agent d'immigration. Les décisions de la Cour d'appel citées par le requérant doivent être lues en tenant compte de l'esprit de la loi de l'époque. Bien qu'il soit probable que le problème précis soulevé par ces décisions ne se pose plus, il peut toutefois y avoir encore des circonstances où une contradiction doive être portée à l'attention d'un demandeur de statut (voir, par exemple, Guo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1996] A.C.F. no 1185 (QL) (C.F. 1re inst.)).

[8]      Dans la présente affaire, le fait, pour le tribunal, de ne pas avoir interrogé le demandeur sur sa préoccupation concernant une réponse directe à une question précise n'est pas une erreur donnant ouverture à un contrôle judiciaire. Les parties savaient que la bonne foi était en jeu. En évaluant le caractère plausible des affirmations du requérant, le tribunal pouvait tenir compte de son défaut de se rappeler des noms des intimés dans les deux procédures d'habeas corpus qu'il avait prétendument engagées au Sri Lanka, sans souligner davantage la question durant l'audience. Il s'agissait des mêmes procédures judiciaires qui avaient prétendument entraîné sa persécution et sa décision de fuir le Sri Lanka. En tenant compte des faits dans la présente affaire, j'adopte l'énoncé de mon collègue le juge Gibson dans l'arrêt Ayodele c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1833 (QL) (C.F. 1re inst.) à l'alinéa 17, dans son interprétation de la portée de l'arrêt Gracielome :

... annuler la décision de la SSR en raison de son omission de signaler ses contradictions à un requérant représenté par un avocat irait bien au-delà de ce que j'estime être la position énoncée dans l'arrêt Gracielome et placerait, selon moi, un fardeau injustifié sur les épaules des membres de la SSR.

[9]      De même, le fait que le tribunal mentionne dans sa décision le [TRADUCTION] " manque d'effort " du requérant pour tenter d'obtenir la lettre de menace pour l'audience, sans signaler ses appels téléphoniques à son frère au Sri Lanka à cette fin, n'est pas une erreur donnant ouverture à un contrôle judiciaire. Cette tentative, quelque quatre ans après la prétendue réception de la lettre et seulement trois mois avant l'audience, peut témoigner d'un manque d'effort.

[10]      Le requérant a omis de présenter au tribunal des copies des deux demandes d'habeas corpus qu'il a prétendument rédigées et déposées. Lorsqu'il a été confronté à cette omission, lors de son audition pour l'obtention du statut de réfugié, le requérant n'a pas demandé au tribunal de lui accorder une prorogation de délai pour obtenir ces documents du Sri Lanka. Leur production, s'ils existent, aurait réglé deux des trois omissions signalées dans les motifs du tribunal.

[11]      Aucun des arguments du requérant ne me convainc que le tribunal a commis une erreur donnant ouverture à un contrôle judiciaire dans ses conclusions relatives à la bonne foi. De même, il était loisible au tribunal, sur la foi de l'ensemble de la preuve documentaire, de conclure qu'il n'existait pas de fondement objectif que les avocats des droits de la personne étaient, en tant que groupe, confrontés en ce moment à de sérieuses possibilités de persécution au Sri Lanka. En tirant cette conclusion, le tribunal signale des meurtres d'avocats en 1988 et en 1989, mais se fonde sur l'évolution positive rapportée au cours de la dernière décennie pour améliorer les enquêtes sur les abus de droits de la personne. D'ailleurs, le requérant lui-même a témoigné qu'à sa connaissance aucun avocat n'avait été tué au Sri Lanka depuis 1993.

[12]      Par ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Ni l'une, ni l'autre des parties n'a suggéré la certification d'une question grave.



                             " Allan Lutfy "

                                 Juge

Ottawa (Ontario)

Le 9 avril 1998





Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

    

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER



NO DU GREFFE :                          IMM-1987-97


INTITULÉ DE LA CAUSE :                  Lal Kumara Chandragupta Matarage c. MCI

                                

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)


DATE DE L'AUDIENCE :                  3 avril 1998


MOTIFS DE L'ORDONNANCE RENDUS PAR:      Le juge Lutfy


EN DATE DU :                          9 avril 1998




ONT COMPARU :

Me Michael Korman                      pour le requérant


Me Kevin Lunney                      pour l'intimé



PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :


Otis & Korman                          pour le requérant

Toronto (Ontario)

George Thomson

Sous-procureur général du Canada          pour l'intimé

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