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Date : 20211015


Dossier : IMM-899-20

Référence : 2021 CF 1080

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 octobre 2021

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

MARIO JOSUE LOVO ZAVALA

ELSY NOEMI RAMIREZ LOPEZ

MARIO JOSUE LOVO RAMIREZ

TATIANA NOHEMY LOVO RAMIREZ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS


I. Aperçu

[1] Mme Elsy Noemi Ramirez Lopez [la demanderesse principale], son mari M. Mario Josue Lovo Zavala [le demandeur], ainsi que leurs deux enfants mineurs [tous ensemble, les demandeurs] ont présenté une demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] sur le fondement de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [la LIPR], car ils craignent d’être persécutés par des membres du groupe criminel MS‑13, qui est actif au Salvador, leur pays d’origine. L’agent d’immigration principal a rejeté la demande dans sa décision du 5 décembre 2019 [la décision].

[2] Les demandeurs ont sollicité le contrôle judiciaire de la décision. Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II. Contexte

. Contexte factuel

[3] La demanderesse principale et le demandeur soutiennent qu’ils étaient entrepreneurs et exploitaient un comptoir de produits dans un marché local situé à San Miguel au Salvador. En décembre 2013, ils ont été menacés par des membres du groupe MS‑13, qui exigeaient une partie de leurs revenus d’entreprise. Ils ont payé le groupe et fermé leur commerce afin d’éviter d’autres confrontations.

[4] Au cours du même mois, le demandeur a quitté le Salvador pour rejoindre les États‑Unis en passant par le Mexique. Pendant ce temps, la demanderesse principale et les enfants se cachaient à San Miguel. Le demandeur a été expulsé vers le Salvador en janvier 2014. Les demandeurs soutiennent que les membres du groupe MS‑13 les ont confrontés à leur domicile en juin 2014 et qu’ils ont exigé un montant de 5 000 $ dans un délai de trois jours. N’ayant pas les moyens de verser ce montant, la famille a encore fui vers les États‑Unis en juin 2014. Ils ont été arrêtés et détenus à la frontière. La demanderesse principale et ses enfants ont été libérés sous caution. Puis, ils ont voyagé au Canada où ils ont demandé l’asile en octobre 2014. Entre temps, le demandeur a été expulsé vers le Salvador pour une deuxième fois. Il est arrivé au Canada environ un an plus tard, soit le 8 décembre 2015, et s’est joint à la demande de protection de la famille.

. La décision de la SPR

[5] Dans sa décision du 23 octobre 2017, la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté la demande d’asile des demandeurs. La SPR a conclu que leur demande n’avait aucun lien avec l’un des motifs de la Convention énoncés à l’article 96 de la LIPR, puisqu’ils ont uniquement été ciblés parce qu’ils étaient propriétaires d’un commerce.

[6] La SPR a conclu que, puisque la preuve figurant dans le cartable national de documentation [le CND] établissait que tous les entrepreneurs au Salvador risquaient de faire l’objet d’extorsions par des groupes criminels, le risque auquel les demandeurs étaient exposés n’était pas suffisamment propre à leur situation.

[7] La SPR a également conclu que l’allégation des demandeurs selon laquelle le groupe MS‑13 a continué de les menacer après la fermeture de leur commerce n’était pas crédible pour plusieurs motifs. La SPR a signalé que, lorsqu’il est arrivé aux États‑Unis en décembre 2013, le demandeur a indiqué aux agents d’immigration américains qu’il entrait au pays pour rejoindre son père et y travailler, et qu’il ne craignait pas de retourner au Salvador. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il a répondu ainsi aux agents d’immigration américains, le demandeur a expliqué qu’il comptait retourner au Salvador puis revenir aux États‑Unis avec sa femme et ses enfants.

[8] La SPR a conclu qu’il était peu probable, selon la prépondérance des probabilités et sur la foi du CND et de la preuve sur la situation au pays présentée par les demandeurs, que le groupe MS‑13 continue de s’intéresser à eux parce qu’ils exploitaient un petit commerce de produits qui est fermé depuis de nombreuses années. La SPR a aussi conclu que les deux enfants ne risquaient pas d’être persécutés puisqu’ils ne correspondaient pas aux profils décrits dans le CND.

[9] Puisque les demandeurs avaient présenté leur demande d’asile à un poste frontalier entre le Canada et les États‑Unis en vertu d’une exception à l’Entente sur les tiers pays sûrs, ils n’avaient pas le droit d’interjeter appel de la décision de la SPR suivant l’alinéa 110(2)d) de la LIPR.

. Observations formulées au soutien de la demande d’ERAR

[10] Les demandeurs ont déposé une demande d’ERAR le 12 juin 2019. Ils ont présenté de nouveaux éléments de preuve relatifs à la situation au pays, y compris des rapports figurant dans le CND, pour appuyer leur thèse selon laquelle les conditions au Salvador se sont détériorées depuis leur audience devant la SPR.

[11] Les demandeurs ont soutenu qu’ils couraient de nouveaux risques au Salvador en raison du nombre accru d’expulsions de membres du groupe MS‑13 des États‑Unis et du Mexique vers leur pays d’origine. Ils ont également fait valoir qu’ils seraient exposés à un risque en raison du sexe de la demanderesse principale et ont invoqué l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR.

[12] Les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve personnel à l’appui de leur demande d’ERAR.

. Décision faisant l’objet du contrôle

[13] L’agent chargé de l’ERAR a rejeté la demande des demandeurs pour deux motifs. Premièrement, les demandeurs n’ont pas établi de lien avec un motif prévu par la Convention comme l’exige le paragraphe 96 de la LIPR, puisqu’ils n’ont présenté aucune preuve selon laquelle le groupe MS‑13 les ciblait pour un motif ouvrant droit à la protection. L’agent a entériné les conclusions de la SPR selon lesquelles les demandeurs n’avaient pas établi de risque prospectif (c.‑à‑d. que l’extorsion continuerait). En appliquant la décision Rodriguez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 11 [Rodriguez], l’agent a conclu que le fait d’être propriétaire d’un commerce ne constituait pas une appartenance à un groupe social, et que tous les propriétaires d’entreprise au Salvador risquaient de faire l’objet d’extorsion. Par conséquent, l’agent a conclu que les demandeurs n’étaient pas exposés à plus qu’une simple possibilité de persécution pour l’un des motifs prévus à l’article 96.

[14] Deuxièmement, l’agent a conclu que les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve propre à leur situation pour justifier leur crainte liée aux groupes criminels au Salvador afin d’étayer leur demande fondée sur l’article 97. Plus précisément, l’agent a examiné deux rapports tirés du CND selon lesquels les activités des groupes criminels sont répandues au Salvador et que ces groupes, y compris le MS‑13, ont de plus en plus recours à l’extorsion pour maintenir leurs profits. L’agent a admis cette preuve générale, mais a souligné que les demandeurs n’ont présenté aucune preuve selon laquelle ces risques étaient propres à leur situation personnelle comme l’exige le sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR.

III. Questions en litige

[15] Les demandeurs soulèvent plusieurs questions dans leur demande. À mon avis, il est possible de regrouper ces questions en une seule question, qui est déterminante dans le cadre du contrôle judiciaire : L’agent chargé de l’ERAR a‑t‑il commis une erreur en concluant que les demandeurs étaient exposés à un [traduction] « risque généralisé » au Salvador, contrairement au sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR?

IV. Analyse

[16] Les demandeurs présentent deux arguments à l’appui de leur thèse selon laquelle l’agent a commis une erreur dans l’évaluation des risques auxquels ils seraient exposés.

Premier argument : L’agent a fait fi de la preuve selon laquelle les demandeurs étaient menacés de mort par le groupe MS‑13

[17] Les demandeurs soutiennent que l’agent a accepté le fait que la famille était peu fortunée et qu’elle a été menacée de mort par le groupe MS‑13 en décembre 2013, mais qu’il a fait abstraction de ces faits dans son évaluation de la preuve contenue dans le CND. Les demandeurs font ressortir six rapports figurant dans le CND, qui décrivent les risques auxquels sont exposées les personnes qui refusent de verser de l’argent au groupe MS‑13 au Salvador, ainsi que des lignes directrices publiées par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) enjoignant aux agents d’entreprendre des recherches indépendantes lorsqu’ils évaluent des demandes d’ERAR. Les demandeurs renvoient aux paragraphes 42 à 49 de la décision Malveda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 447 pour appuyer cet argument.

[18] Les demandeurs ont continué à faire valoir cet argument à l’audience. Ils ont affirmé que la SPR n’a jamais contesté leur récit selon lequel le groupe MS‑13 les a menacés en décembre 2013.

[19] Les demandeurs font fausse route.

[20] Le défendeur a souligné à juste titre que l’agent chargé de l’ERAR est tenu de se fonder sur les conclusions de la SPR en matière de crédibilité : Perampalam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2018 CF 909 au para 20.

[21] Les demandeurs ne comprennent pas que la question en litige n’est pas celle de savoir s’ils ont été menacés en décembre 2013. En fait, puisque les demandeurs avaient déjà versé l’argent demandé après avoir été menacés, la SPR n’a pas jugé crédible qu’ils fassent l’objet de nouvelles tentatives d’extorsion à la suite de la fermeture de leur commerce. La preuve documentaire présentée par les demandeurs et figurant dans le CND établit que les personnes qui ne sont pas en mesure de verser les sommes demandées par le groupe MS‑13 risquent d’être tuées au Salvador. Dans le cas des demandeurs, le paiement avait déjà été fait. La preuve documentaire sur laquelle se fondent les demandeurs n’aborde pas la conclusion principale de la SPR selon laquelle il n’était pas crédible que le groupe MS‑13 continue de les cibler après qu’ils aient payé le premier montant exigé en 2013. Les demandeurs n’ont présenté aucune nouvelle preuve propre à leur situation pour réfuter cette conclusion défavorable quant à la crédibilité à l’étape de l’ERAR. Ils ne peuvent blâmer l’agent de s’en être remis à la conclusion de la SPR sur ce point.

Deuxième argument : L’agent a confondu la situation générale au pays avec l’absence de risque propre aux demandeurs comme l’exige le sous‑alinéa 97(1)b)(ii)

[22] Les demandeurs soutiennent en outre que l’agent n’a pas procédé à un examen personnalisé des risques comme le requiert l’article 97. Ils affirment que le risque généralisé relatif aux activités criminelles au Salvador est devenu un risque propre à leur situation, puisque le groupe MS‑13 les a effectivement ciblés dans le but de les extorquer. Les demandeurs soutiennent que l’agent a amalgamé le fondement du risque au risque lui‑même, comme il est mentionné dans la décision Guerrero c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1210 aux paragraphes 25 à 30. Ils renvoient également aux décisions Portillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 678 au paragraphe 36, Balcorta Olvera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1048 aux paragraphes 40 et 41 et Correa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 252 [Correa] au paragraphe 46 pour soutenir que l’agent a eu tort de conclure que le fait qu’ils aient été ciblés personnellement constituait l’extension d’un risque généralisé. Enfin, les demandeurs affirment que l’agent a commis une erreur en se fondant sur la décision Rodriguez.

[23] La thèse des demandeurs est erronée puisqu’elle se rapporte au caractère raisonnable de la décision de la SPR et non à celui de la décision issue de l’ERAR. Les demandeurs se placent carrément entre deux courants jurisprudentiels contradictoires quant à la question de savoir dans quel cas des personnes faisant l’objet d’actes d’extorsion ou de recrutement forcé par des groupes criminels peuvent bénéficier de la protection prévue à l’alinéa 97(1)b) de la LIPR : voir l’examen de la jurisprudence réalisé par le juge Russell dans la décision Correa, aux para 41‑46. Cependant, toutes ces décisions concernent le caractère raisonnable des conclusions de la SPR sur le risque propre aux demandeurs en général. En outre, bien que les conclusions de l’agent chargé de l’ERAR et celles de la SPR se chevauchent à certains égards, la Cour doit s’assurer de ne pas procéder au contrôle de la décision de la SPR, qui ne constitue pas le fondement de la présente demande. La question faisant l’objet du contrôle consiste plutôt à savoir s’il était raisonnable pour l’agent chargé de l’ERAR de s’en remettre aux conclusions de la SPR en matière de crédibilité.

[24] En outre, l’argument des demandeurs n’est pas étayé par la preuve qu’ils ont présentée à l’agent chargé de l’ERAR. Dans leur demande d’ERAR, ils ont seulement présenté une preuve générale relative aux activités des groupes criminels au Salvador. Le défendeur renvoie à l’arrêt Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 [Raza] pour faire valoir que le rôle de l’agent chargé de l’ERAR se limite à l’évaluation des risques allégués avant le renvoi sur le fondement de nouveaux éléments de preuve. Cette preuve doit satisfaire aux exigences énoncées à l’alinéa 113a) de la LIPR et doit être d’une telle importance qu’elle aurait permis à la SPR de tirer une conclusion différente : Raza, aux para 12‑15. En outre, selon l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 au paragraphe 47, l’agent chargé de l’ERAR doit faire preuve de retenue envers la décision défavorable de la SPR et ne peut déroger à ce principe que sur la base d’une situation différente ou d’un risque nouveau. En l’absence d’une telle preuve, l’agent chargé de l’ERAR n’avait aucune raison de s’écarter de la conclusion de la SPR en matière de crédibilité.

[25] Par conséquent, j’estime qu’il était raisonnable pour l’agent chargé de l’ERAR de se fonder sur la conclusion de la SPR et de conclure que les demandeurs n’ont présenté aucune preuve démontrant que les risques auxquels ils seraient exposés sont propres à leur situation, comme l’exige le sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR.

V. Conclusion

[26] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[27] Aucune des parties n’a proposé de question grave de portée générale à certifier, et je conclus que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-899-20

LA COUR STATUE :

1. La demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée.

2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Avvy Yao-Yao Go »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-899-20

 

INTITULÉ :

MARIO JOSUE LOVO ZAVALA, ELSY NOEMI RAMIREZ LOPEZ, MARIO JOSUE LOVO RAMIREZ, TATIANA NOHEMY LOVO RAMIREZ c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 SEPTEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GO

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 15 OCTOBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Luis Antonio Monroy

 

pour les demandeurs

 

David Knapp

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Luis Antonio Monroy

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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