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Date : 20040325

 

Dossier : T‑1494‑02

 

Référence : 2004 CF 447

 

Ottawa (Ontario), le 25 mars 2004

 

En présence de monsieur le juge James Russell

 

ENTRE :

 

BONNY BERGER, IAN BURCHETT, BRIAN CASEY, ROBERT CATELLIER, JENNIFER DAUBENY, ROBERT FARELL, WALTER HUGHES, FRANÇOIS LABERGE, ANDRE LeBLANC, ANNE MARTEL, PAUL ROCHE et

STUART SAVAGE

 

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

 

                    LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et LOUIS MARCOTTE

 

                                                                                                                                          défendeurs

 

 

                                MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée aux termes de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale à l’égard d’une décision (la décision) du comité d’appel de la Commission de la fonction publique (le comité d’appel) prononcée par Maurice Gohier, président du comité d’appel, dans le dossier 01‑EXT‑01417, datée du 9 juillet 2002 et communiquée à Bonny Berger, Ian Burchett, Brian Casey, Robert Catellier, Jennifer Daubeny, Robert Farell, Walter Hughes, François Laberge, Andre LeBlanc, Anne Martel, Paul Roche et Stuart Savage (collectivement appelés les « demandeurs ») le 23 août 2002.


LE CONTEXTE

 

[2]               Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (le ministère) a demandé à la division du ressourcement des cadres de la Commission de la fonction publique de doter le poste de directeur du marketing, Service des délégués commerciaux (le poste). Le poste était de niveau EX‑01.

 

[3]               Un énoncé de qualités et une description de poste ont été préparés. En outre, des questions d’entrevue et des réponses attendues ont également été préparées et il a été décidé que le Centre de psychologie du personnel (CPP) administrerait l’évaluation de niveau EX‑01 et procéderait à la vérification des références.

 

[4]               Au moment où la Commission de la fonction publique a reçu la demande de dotation du poste, le défendeur, M. Louis Marcotte, qui était un CO‑03, avait occupé le poste sur une base intérimaire d’octobre 2000 à novembre 2001 et il a été nommé dans ce poste en novembre 2001.

 

[5]               Un jury de présélection, composé de M. Roger Ferland (directeur général, programmes et services à l’étranger, MAECI) et de M. Carmin Bédard (directeur adjoint, programmes des cadres de la direction, Commission de la fonction publique) a évalué le curriculum vitae de M. Marcotte et a conclu qu’il répondait aux exigences en matière d’études et d’expérience relatives au poste.

 

[6]               Un jury de sélection, composé de MM. Ferland, Bedard et Marius Grinius (directeur général, opérations, OMD), ont fait passer une entrevue à M. Marcotte. M. Marcotte a également été examiné par le CPP. M. Marcotte a reçu la mention générale « excellent » et le jury de sélection a conclu qu’il répondait aux exigences du poste.

 

[7]               Un avis de droit d’appel annonçant la nomination de M. Marcotte à ce poste a été rendu public le 9 novembre 2001. La période fixée pour faire appel était du 10 au 23 novembre 2001. L’avis mentionnait toutes les exigences en matière d’études et d’expérience qui figuraient dans l’énoncé de qualités.

 

[8]               La Commission de la fonction publique a reçu quinze appels et les appelants ont été invités à fournir des copies de leur curriculum vitae à la Commission pour que le jury de sélection puisse examiner leurs qualifications. Dix des quinze appelants ont donné suite à cette demande. Après avoir examiné les curriculum vitae, le jury de sélection a décidé qu’un seul des dix appelants, M. André LeBlanc, répondait aux exigences du poste en matière d’études et d’expérience.

 


[9]               M. LeBlanc a ensuite passé une entrevue et subi une évaluation EX. Le CPP a vérifié deux des trois références fournies par M. LeBlanc. M. LeBlanc a finalement obtenu la mention générale de « pleinement satisfaisant » et a été jugé qualifié pour le poste à combler par le jury de sélection. Le jury de sélection a estimé que M. Marcotte ayant obtenu la mention « excellent » et M. LeBlanc la mention « pleinement satisfaisant », c’était le premier qui était le plus méritant des deux et il a confirmé la nomination.

 

LA DÉCISION ATTAQUÉE

 

[10]           Conformément à l’article 21 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (la LEFP), le président du comité d’appel, Maurice Gohier, a entendu les appels conjointement le 18 avril 2002. Le président Gohier a rendu sa décision le 9 juillet 2002 dans laquelle il rejetait les appels et formulait les conclusions suivantes :

a)         le paragraphe 10(1) de la LEFP ne privilégie pas le « concours » par rapport aux autres « modes de sélection du personnel »;

b)         M. Marcotte n’a pas bénéficié d’un avantage injuste;

c)         un autre candidat (M. LeBlanc) qui n’avait jamais exercé les fonctions du poste à combler répondait aux critères de sélection;

d)         le jury de sélection s’est acquitté de son obligation d’évaluer les candidats conformément à l’arrêt Canada (Procureur général) c. Greaves, [1982] 1 C.F. 806 (C.A.);

e)         le fait de communiquer avec une autre personne dont le nom avait été fourni comme répondant par M. LeBlanc n’aurait pas modifié le résultat du processus de sélection;

f)          toutes les qualifications ont été évaluées;

g)         la nomination de M. Marcotte n’était pas contraire au principe du mérite.


LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

 

[11]           Le paragraphe 10(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P‑33 énonce ce qui suit :


10. (1) Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d’une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission, et à la demande de l’administrateur général intéressé, soit par concours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé sur le mérite des candidats que la Commission estime le mieux adapté aux intérêts de la fonction publique.

 

10. (1) Appointments to or from within the Public Service shall be based on selection according to merit, as determined by the Commission, and shall be made by the Commission, at the request of the deputy head concerned, by competition or by such other process of personnel selection designed to establish the merit of candidates as the Commission considers is in the best interests of the Public Service.

 

 

 


 

[12]           L’article 21 de la LEFP se lit en partie comme suit :


21. (1) Dans le cas d’une nomination, effective ou imminente, consécutive à un concours interne, tout candidat non reçu peut, dans le délai fixé par règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire une enquête, au cours de laquelle l’appelant et l’administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l’occasion de se faire entendre.

 

21. (1) Where a person is appointed or is about to be appointed under this Act and the selection of the person for appointment was made by closed competition, every unsuccessful candidate may, within the period provided for by the regulations of the Commission, appeal against the appointment to a board established by the Commission to conduct an inquiry at which the person appealing and the deputy head concerned, or their representatives, shall be given an opportunity to be heard.

 

 

 

(1.1) Dans le cas d’une nomination, effective ou imminente, consécutive à une sélection interne effectuée autrement que par concours, toute personne qui satisfait aux critères fixés en vertu du paragraphe 13(1) peut, dans le délai fixé par règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire une enquête, au cours de laquelle l’appelant et l’administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l’occasion de se faire entendre.

 

(1.1) Where a person is appointed or about to be appointed under this Act and the selection of the person for appointment was made from within the Public Service by a process of personnel selection, other than a competition, any person who, at the time of the selection, meets the criteria established pursuant to subsection 13(1) for the process may, within the period provided for by the regulations of the Commission, appeal against the appointment to a board established by the Commission to conduct an inquiry at which the person appealing and the deputy head concerned, or their representatives, shall be given an opportunity to be heard.

 

 

 

(2) Sous réserve du paragraphe (3), la Commission, après avoir reçu avis de la décision du comité visé aux paragraphes (1) ou (1.1), doit en fonction de celle‑ci :

 

(2) Subject to subsection (3), the Commission, on being notified of the decision of a board established under subsection (1) or (1.1), shall, in accordance with the decision,

 

 

 


a) si la nomination a eu lieu, la confirmer ou la révoquer;

 

 

 

 

 

(a) if the appointment has been made, confirm or revoke the appointment; orb) si la nomination n’a pas eu lieu, y procéder ou non.

 

(b) if the appointment has not been made, make or not make the appointment.

 

 

 

(2.1) En cas de révocation de la nomination, la Commission peut nommer la personne visée à un poste qu’elle juge en rapport avec ses qualifications.

 

(2.1) Where the appointment of a person is revoked pursuant to subsection (2), the Commission may appoint that person to a position within the Public Service that in the opinion of the Commission is commensurate with the qualifications of that person.

 

 

 

(3) La Commission peut prendre toute mesure qu’elle juge indiquée pour remédier à toute irrégularité signalée par le comité relativement à la procédure de sélection.

 

(3) Where a board established under subsection (1) or (1.1) determines that there was a defect in the process for the selection of a person for appointment under this Act, the Commission may take such measures as it considers necessary to remedy the defect.

 

 

 

(4) Une nomination, effective ou imminente, consécutive à une mesure visée au paragraphe (3) ne peut faire l’objet d’un appel conformément aux paragraphes (1) ou (1.1) qu’au motif que la mesure prise est contraire au principe de la sélection au mérite.

 

(4) Where a person is appointed or is about to be appointed under this Act as a result of measures taken under subsection (3), an appeal may be taken under subsection (1) or (1.1) against that appointment only on the ground that the measures so taken did not result in a selection for appointment according to merit.

 

 

 

(5) L’article 10 et le droit d’appel prévu au présent article ne s’appliquent pas dans le cas où la nomination est faite en vertu des paragraphes 29(1.1) ou (3), 30(1) ou (2) ou 39(3) ou des règlements d’application de l’alinéa 35(2)a), ou en vertu du paragraphe 11(2.01) de la Loi sur la gestion des finances publiques.

 

(5) Section 10 and the rights of appeal provided by this section do not apply to appointments made under subsection 29(1.1) or (3), 30(1) or (2) or 39(3) of this Act or subsection 11(2.01) of the Financial Administration Act or any regulations made under paragraph 35(2)(a) of this Act.

 

 

 


 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

Les demandeurs soulèvent les questions en litige suivantes :

 

Le comité d’appel a‑t‑il commis une erreur de droit lorsqu’il a jugé que la façon dont M. Louis Marcotte avait été nommé au poste de directeur du marketing, services des délégués commerciaux, n’était pas contraire au principe du mérite?

 


Le comité d’appel a‑t‑il commis une erreur de droit parce qu’il n’a pas conclu que la façon dont le comité d’appel avait agi, après le dépôt des appels devant la Commission de la fonction publique, reflétait une partialité institutionnelle ou était autrement contraire au droit?

 

LES ARGUMENTS DES DEMANDEURS

 

Quelle est la norme de contrôle qui doit s’appliquer à la décision du comité d’appel?

 

[1]               Les demandeurs soutiennent que, pour ce qui est des décisions du comité d’appel, la décision concernant l’application du principe du mérite est une question de droit qui est susceptible d’être révisée selon la norme du bien‑fondé de la décision. La Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit dans Boucher c. Canada (Procureur général) (2000), 252 N.R. 186 (C.A.F.), à la page 188 :

7.      ... Nous ne sommes pas convaincus que nous devrions considérer que le CACFP est un tribunal qui possède une telle expertise en matière d'interprétation de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique que nous devrions faire preuve d'un haut degré de retenue à son égard quant à cette question.

 

 

 

[2]               Les demandeurs notent en outre que la LEFP ne contient pas de clause privative visant à limiter le pouvoir de la Cour fédérale de réviser la décision du comité d’appel. Par conséquent, il y a lieu de faire droit à l’appel lorsque la décision du comité d’appel n’est pas conforme à la norme du bien‑fondé de la décision, compte tenu des circonstances.

 


Le comité d’appel a‑t‑il commis une erreur de droit lorsqu’il a jugé que la façon dont M. Louis Marcotte avait été nommé au poste de directeur du marketing, services des délégués commerciaux, n’était pas contraire au principe du mérite?

 

a)         La définition du principe du mérite

 

[3]               Le principe fondamental en matière de nomination au sein de la fonction publique est le principe du mérite. Le rôle central que joue le principe du mérite dans la sélection des fonctionnaires a été examiné dans Bambrough c. Comité d’appel de la Commission de la fonction publique, [1976] 2 C.F. 109 (C.A.), au paragraphe 10 :

La sélection selon le principe du mérite constitue l'objectif principal de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique et le critère essentiel d'appréciation de l'exercice des pouvoirs conférés par la Loi. On peut considérer que la Loi exige implicitement que la sélection se fasse de manière équitable dans la mesure où cette exigence est nécessairement liée à la sélection établie au mérite, mais les nominations ne devraient pas être annulées pour de prétendues irrégularités de procédures lorsqu'il n'y a aucune raison de croire que le processus de sélection n'était pas fondé sur le mérite. Cette cour a jugé qu’un comité d’appel ne peut considérer l’inobservation d’une disposition de la loi ou d’un règlement comme un motif d’annulation d’une nomination que s’il en vient à la conclusion que le résultat aurait probablement été différent, si l’on s’y était conformé.

 

 

 

[4]               Les personnes nommées aux termes du paragraphe 10(1) de la LEFP doivent être les plus qualifiées. Pour prouver qu’une nomination a été effectuée selon le mérite, il faut comparer les qualifications des candidats. Il faut donc évaluer les candidats en fonction de leur mérite relatif. Le mérite relatif doit être apprécié de la même façon pour tous les candidats (Greaves, précité).

 

[5]               Les demandeurs soutiennent qu’en nommant M. Marcotte au poste à combler, le jury de sélection n’a pas respecté le principe du mérite et a donc violé le paragraphe 10(1) de la LEFP.

 

b)         Des irrégularités fatales ont été commises au cours du processus de nomination

 

[6]               Les demandeurs soutiennent que le comité d’appel doit appliquer la norme de la décision raisonnable lorsqu’il révise une décision d’un jury de sélection. Il n’est pas nécessaire que le caractère déraisonnable de la décision du jury de sélection apparaisse à la lecture du dossier. Si, après avoir procédé « à un examen ou à une analyse en profondeur », la Cour estime que le choix est déraisonnable, il y a lieu de faire droit à l’appel (Ewing c. Canada (Santé) (1999), 171 F.T.R. 136 (1re inst.), à la page 139).

 

[7]               Lorsque des irrégularités ont été commises au cours du processus de nomination, la capacité du jury de sélection de prendre une décision fondée sur le mérite risque d’être compromise et dans ce cas, il faut faire droit à l’appel. Lorsque le jury de sélection commet de nombreuses erreurs, il arrive qu’il ne dispose pas d’une base suffisante pour faire un choix fondé sur le mérite (Buttau c. Canada (Conseil du Trésor) (1995), 95 F.T.R. 313 (1re inst.)).

 


[8]               Les demandeurs soutiennent que, dès qu’il existe un doute sur le fait que le principe du mérite a été respecté, il incombe alors au jury de sélection de prouver que l’irrégularité commise n’a pas eu d’effet sur sa décision. La Cour d’appel fédérale a défini la norme applicable à un appel fondé sur une irrégularité dans Stout c. Canada (Commission de la fonction publique) (1983), 51 N.R. 68 (C.A.F.) :

La décision attaquée aux présentes est par conséquent annulée et l’affaire renvoyée devant le comité d’appel pour être réexaminée et tranchée en tenant pour acquis que la présence, dans un concours, d’une irrégularité... invalide les nominations découlant de ce concours à moins qu’il n’y ait réellement aucune possibilité que le résultat eut pu être différent n’eut été de cette irrégularité.

 

 

 

[9]               Les demandeurs soutiennent que le jury de sélection a commis des irrégularités fatales dans la nomination de M. Marcotte. Ils soutiennent que plusieurs irrégularités ont été commises et qu’elles ont gravement compromis la capacité du jury de sélection de faire un choix fondé sur le mérite. Les demandeurs soutiennent que le comité d’appel a commis une erreur de droit lorsqu’il n’a pas estimé que ces irrégularités constituaient une violation du principe du mérite.

 

[10]           Les demandeurs soutiennent que le jury de sélection a commis les principales erreurs suivantes :

a)         M. Marcotte a bénéficié d’un avantage injuste dans le processus de sélection et il avait déjà été choisi pour le poste à l’exclusion des autres candidats;

b)         le jury de sélection n’a pas évalué tous les candidats en utilisant le même type de renseignements concernant leurs qualifications;

c)         le jury de sélection n’a pas fourni à tous les candidats les mêmes renseignements concernant les qualifications exigées pour le poste;

d)         le jury de sélection n’a pas examiné toutes les candidatures avant de procéder à la nomination.


 

[11]           Les demandeurs affirment que ces erreurs sont tellement graves, tant prises individuellement qu’ensemble, qu’elles ont vicié le processus de sélection et qu’il est par conséquent impossible de savoir si le meilleur candidat a été choisi. Compte tenu des erreurs commises par le jury de sélection dans son examen des candidatures, il est impossible de conclure que ces irrégularités n’ont pas influencé le résultat.

 

I)         Un avantage injuste

 

[12]           Les demandeurs soutiennent que le principe du mérite est violé lorsque les qualifications sont formulées de façon à donner à un candidat un avantage injuste par rapport aux autres candidats. Les tribunaux ont toujours fait droit aux appels lorsque les candidats reçus ont profité d’un avantage injuste dans un concours (Doré c. Canada, [1987] 2 R.C.S. 503).

 


[13]           Les demandeurs soutiennent également qu’il y a lieu d’examiner la façon dont les critères de sélection ont été établis pour déterminer si le candidat reçu n’avait pas été choisi d’avance. Cela est particulièrement important lorsque la nomination s’effectue sans concours. Le demandeur soutient que Ordines c. Canada (Procureur général) (1999), 156 F.T.R. 293 (1re inst.) fait ressortir l’importance de l’élaboration de qualifications équitables lorsqu’un des candidats a déjà été affecté au poste à doter. En l’espèce, les qualifications étaient si précises que seule la personne qui avait bénéficié d’une affectation temporaire dans le poste pouvait posséder les qualifications exigées (à cause de son expérience). Il faut formuler les qualifications de façon à ce que tous les candidats aient la même possibilité de faire valoir leur candidature et pour que le candidat le plus qualifié soit retenu.

 

[14]           Les demandeurs déclarent que le comité d’appel a commis une erreur lorsqu’il a conclu que les qualifications du poste n’ont pas été préparées en vue de donner à M. Marcotte un avantage injuste par rapport aux autres candidats. Il est bon de noter que les documents utilisés pour la présélection et l’énoncé des qualifications exigeaient des candidats qu’ils aient une expérience « de l’élaboration, l’établissement et la mise en oeuvre de mesures... pour répondre aux besoins en matière de prestation de services en ligne », une formulation comparable à celle que l’on trouve dans le curriculum vitae de M. Marcotte lorsqu’il décrit les fonctions qu’il exerçait dans son poste intérimaire. Le président du comité d’appel, M. Gohier, n’a pas estimé que ces ressemblances étaient inhabituelles, étant donné que l’énoncé de qualifications était basé sur la description de poste. Les demandeurs soutiennent que le fait de formuler l’énoncé de qualités en se basant sur la description des fonctions d’un candidat bénéficiant d’une affectation intérimaire et reprenant des formulations pratiquement identiques à celles que l’on retrouve dans son curriculum vitae, démontre que le candidat a été choisi à l’avance et qu’il y a donc eu violation du principe du mérite.

 


[15]           Les demandeurs soutiennent que la phrase « l’élaboration, l’établissement et la mise en oeuvre de mesures » avait pour effet d’éliminer en pratique tous les appelants sauf un du processus de sélection. Avant que M. Marcotte soit affecté à ce poste sur une base intérimaire, il n’aurait pas non plus été en mesure de répondre au critère d’expérience utilisé à des fins de sélection. Comme cela s’est produit dans Ordines, précité, les qualifications ont été formulées en vue d’accorder à M. Marcotte un avantage sur les autres candidats. Le fait qu’un autre candidat (M. LeBlanc) ait répondu aux exigences en matière de qualifications ne réfute pas le fait que les qualités ont été formulées en violation du principe du mérite.

 

[16]           En outre, la Cour a, dans Ordines, précité, jugé que le principe du mérite est compromis, et qu’il y a lieu de faire droit à l’appel, lorsque l’affectation à un poste est combinée à un processus de sélection qui avantage le candidat qui connaît le mieux le poste en question. M. Marcotte avait été affecté au poste de directeur du marketing, services des délégués commerciaux, pendant treize mois. En outre, le critère relatif à l’expérience utilisé dans le processus de sélection était formulé de façon pratiquement identique à celle que l’on retrouvait dans la description de poste et le curriculum vitae de M. Marcotte.

 

(ii) L’omission d’évaluer tous les candidats en fonction des mêmes critères

 

[17]           Dans Buttau, précité, le jury de sélection ne disposait pas de renseignements complets et exacts au sujet des qualités des employés évalués en vue d’une nomination sans concours et la Cour a jugé en appel que le jury n’avait pu se prononcer sur le mérite relatif des candidats.

 

[18]           Les demandeurs soutiennent que le comité d’appel a en l’espèce omis de tenir compte du fait qu’en sélectionnant les demandeurs en se basant uniquement sur leurs curriculum vitae, alors qu’il s’était fondé sur sa connaissance personnelle de l’expérience de travail du candidat reçu, il n’a pas été en mesure d’évaluer correctement le mérite relatif de tous les candidats. Le mérite relatif des candidats doit être évalué en fonction des mêmes normes; lorsque ce n’est pas le cas, il est impossible de savoir si c’est effectivement le candidat le plus qualifié qui a été retenu (Procureur général du Canada c. Haig Bozoian, [1983] 1 C.F. 63 (C.A.)).

 

[19]           De plus, les demandeurs soutiennent que, pour ce qui est de M. LeBlanc, le seul appelant qui ait été sélectionné, le jury de sélection a omis de communiquer avec un de ses répondants. Le répondant de M. LeBlanc avec lequel le jury a communiqué avait une connaissance limitée de son travail, étant donné qu’il ne travaillait avec lui que depuis quelques mois et qu’il n’avait guère de contacts directs avec lui. Par conséquent, le comité d’appel a commis une erreur lorsqu’il a jugé que le principe du mérite avait été respecté, alors que le jury de sélection avait pris sa décision en disposant de faits incomplets au sujet des qualifications de M. LeBlanc.

 

(iii)      Le défaut de remettre aux appelants un énoncé de qualités

 


[20]           Les demandeurs soutiennent que le jury de sélection a commis une erreur parce qu’il n’a pas remis à l’appelant M. Catellier une copie de l’énoncé de qualités. Le comité d’appel a jugé que cette irrégularité n’était pas fatale, étant donné que M. Catellier avait pu prendre connaissance des qualités exigées en lisant l’avis d’appel et qu’il avait eu la possibilité de montrer au jury de sélection qu’il possédait les qualités exigées.

 

[21]           Les demandeurs soutiennent que, si une irrégularité n’est peut‑être pas suffisante, à elle seule, pour modifier le résultat d’une nomination et contrevenir au principe du mérite, une combinaison ou une série d’irrégularités commises par le jury de sélection a, en l’espèce, compromis la nomination de M. Marcotte au point où il n’est pas possible d’affirmer que le principe du mérite a été respecté.

 

Le comité d’appel a‑t‑il commis une erreur de droit parce qu’il n’a pas conclu que la façon dont le comité d’appel avait agi, après le dépôt des appels devant la Commission de la fonction publique, reflétait une partialité institutionnelle ou était autrement contraire au droit?

 

[22]           Les demandeurs soutiennent qu’après avoir nommé M. Marcotte, le jury de sélection était dessaisi de l’affaire. Dès que le jury de sélection s’est acquitté de son rôle consistant à nommer un candidat au poste vacant, il n’avait plus le pouvoir d’entendre les appels susceptibles d’être formés à l’égard de la nomination.

 


[23]           Les demandeurs soutiennent que le président du comité d’appel a commis une erreur de droit lorsqu’il a jugé qu’il n’y avait pas lieu de faire droit à l’appel pour le motif que le jury de sélection n’avait pas le pouvoir d’évaluer les candidats non reçus après l’émission de l’avis de droit d’appel. Le président du comité d’appel, M. Gohier, a jugé qu’étant donné que le redressement approprié aurait été de renvoyer l’affaire au jury de sélection « et de lui demander de procéder à la même évaluation comparative », faire droit à l’appel aurait occasionné « un délai inutile et purement administratif de plusieurs mois ».

 

[24]           Le demandeur affirme que le jury de sélection a effectué sa propre révision et effectué un quasi‑concours irrégulier à l’égard des demandeurs. Le processus a été si gravement vicié qu’il lui est impossible de déclarer que la nomination de M. Marcotte est conforme au principe du mérite.

 

[25]           Les demandeurs soutiennent qu’il existe une partialité institutionnelle lorsque le jury de sélection est amené à réviser la nomination qu’il vient d’effectuer à un poste sans concours, lorsque le comité d’appel n’a pas eu au préalable la possibilité d’examiner le caractère raisonnable de la nomination.

 

[26]           En outre, lorsque le jury de sélection a décidé de réviser sa décision, il était tenu de suivre un mécanisme de sélection qui permettrait au candidat le plus qualifié d’être nommé au poste vacant. Les demandeurs soutiennent que le processus de sélection utilisé pour nommer M. Marcotte était entaché de plusieurs erreurs qui font qu’il est impossible de savoir si le candidat le plus qualifié a effectivement été nommé.

 


ANALYSE

 

[27]           Je suis d’accord avec les demandeurs au sujet des principes juridiques applicables à la présente demande en ce qui concerne la sélection du personnel. Je suis également d’accord avec les demandeurs lorsqu’ils affirment que la nomination d’un candidat à un poste qu’il occupe déjà depuis près de treize mois, et selon un processus autre qu’un concours, soulève des questions importantes au sujet de l’impartialité du choix et constitue un grave danger pour le respect du principe du mérite. Dans les cas de ce genre, il y a toujours le danger que les qualités du poste soient formulées sur mesure pour que le titulaire conserve son poste. En outre, il devient alors extrêmement difficile d’évaluer les autres candidats de façon équitable et uniforme. La personne qui occupe un poste pendant treize mois est beaucoup mieux placée que les autres pour répondre aux questions de l’entrevue, de sorte que c’est le candidat qui en sait le plus, et non pas le meilleur, qui risque d’être choisi. Il y a également lieu de s’inquiéter du fait que, lorsque les candidats intéressés sont invités à présenter leur candidature en réponse à un avis d’appel plutôt qu’à une annonce de concours, il risque d’y avoir des candidats de valeur que ce processus dissuade de postuler ce poste.

 

[28]           Dans des circonstances comme celle‑ci, le comité d’appel doit examiner avec beaucoup de soin la décision du jury de sélection. Cependant, après avoir examiné les motifs invoqués par les demandeurs, les preuves dont disposait le comité d’appel ainsi que la décision elle‑même, je suis convaincu que le comité d’appel a bien fait son travail et a examiné de façon approfondie chacune des questions soulevées.


 

[29]           La Cour s’est principalement penchée, dans la présente demande, sur les critères de qualifications du poste, le processus de présélection et les entrevues.

 

[30]           Les demandeurs soupçonnent, et cela est parfaitement compréhensible, que les critères de qualifications aient été formulés de façon à convenir au titulaire, M. Marcotte. Ils accordent une importance particulière au fait que le libellé de l’avis du poste qui exige une expérience « de l’élaboration, l’établissement et la mise en oeuvre de mesures et d’ordres de priorités ministérielles et interministérielles, pour répondre aux besoins en matière de prestation de services en ligne », est semblable à la formulation que l’on retrouve dans le curriculum vitae de M. Marcotte lorsqu’il décrit les fonctions qu’il a exercées dans son poste intérimaire.

 

[31]           Le comité d’appel se prononce sur cette question de la façon suivante :

En ce qui a trait à la similarité entre le libellé de l’énoncé de qualités et celui de la description du poste à doter, je constate que cela n’est pas inhabituel, puisque le premier repose sur le second. Le fait qu’un des appelants (Leblanc), qui apparemment n’a jamais accompli les fonctions du poste à combler, ait été sélectionné contredit l’argument selon lequel seules les personnes ayant accompli ces fonctions pouvaient répondre aux critères de sélection.

 

 

 

[32]           Je ne peux affirmer que cette explication m’aurait totalement convaincu mais les termes utilisés ne semblent pas, de l’avis de la Cour, constituer une exigence particulièrement unique ou personnelle et je ne peux dire que les conclusions auxquelles en est arrivé le comité d’appel d’après les preuves présentées étaient déraisonnables ou mal fondées.

 

[33]           Pour ce qui est de la présélection, la Cour a examiné en particulier le fait que les membres du jury de sélection connaissaient personnellement M. Marcotte, alors qu’ils ne connaissaient les autres candidats qu’à travers les renseignements contenus dans leur curriculum vitae, ce qui a facilité pour M. Marcotte la tâche de répondre à certains critères plus subjectifs qui sont pris en compte au cours du processus de sélection. Là encore, le comité d’appel a été sensible à cet aspect et après avoir examiné les preuves, il a conclu que « le ministère a expliqué aux appelants quelle était l’information requise, et la raison pour laquelle elle serait utilisée ». En outre, les qualifications « faisaient partie intégrante de l’avis de droit d’appel », de sorte que le fait qu’un des candidats n’ait pas reçu de copie de l’énoncé de qualités ne faisait pas problème, les demandeurs ayant eu « l’occasion de prouver leurs qualifications ». Aucun élément n’indiquait que le processus de présélection avait effectivement favorisé M. Marcotte et, encore une fois, le fait que M. LeBlanc a été lui aussi présélectionné indique que le jury de sélection a rendu une décision en se fondant sur le mérite des autres candidats. Malgré une perception négative, je ne peux dire que les conclusions auxquelles en est arrivé le comité d’appel sur ce point étaient déraisonnables ou mal fondées.

 

[34]           Pour ce qui est de l’étape de l’entrevue, la question qui se posait en l’espèce était de savoir si le problème identifié dans les décisions Canada (Procureur général) c. Pearce, [1989] 3 C.F. 272 (C.A.) et McAuliffe c. Canada (Procureur général), [1997] A.C.F. n° 161 (1re inst.), n’a pas vicié le processus de sélection. Dans Pearce, précité, la Cour d’appel fédérale a conclu ainsi :


16. Le comité d’appel n’a pas commis d’erreur de droit lorsqu’il a conclu qu’une affectation, jointe à un processus de sélection qui a donné un avantage injuste au bénéficiaire de l’affectation, pouvait nuire à l’application du principe de la sélection au mérite. La conclusion que l’affectation en cause, combinée avec les questions préétablies posées par le jury de sélection, a eu cette conséquence en l’espèce est une conclusion de fait qui ne peut être considérée erronée au sens accordé à ce mot par l’article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.

 

 

 

[35]           La question qu’avait donc à trancher le comité d’appel dans cette affaire était de savoir si l’expérience qu’avait acquise M. Marcotte en qualité de titulaire du poste, combinée au processus de sélection, lui avait donné un avantage injuste qui a eu pour effet de compromettre le principe du mérite. Le comité d’appel a répondu à cette question de façon appropriée en examinant le processus d’entrevue et les questions qui ont été posées aux candidats présélectionnés. Il a conclu de la façon suivante :

Les questions posées par le jury de sélection à l’entrevue n’étaient pas à tel point précises que seul le titulaire du poste aurait pu y répondre. Elles semblent plutôt avoir été conçues de façon à permettre aux candidats de parler d’eux‑mêmes, de leur intérêt pour le poste ainsi que de leur connaissance générale du service des délégués commerciaux, de ses clients et des défis à relever. Pour cette raison, je considère que la condition décrite dans Pearce n’a pas été satisfaite, puisque le processus de sélection n’a pas accordé un avantage inéquitable au titulaire intérimaire du poste.

 

 

 

[36]           Il ressort de l’examen des preuves auxquelles j’ai procédé que ces conclusions ne sont pas déraisonnables ni mal fondées.

 

[37]           Les demandeurs soulèvent d’autres aspects mais ils reconnaissent que c’est plutôt l’effet cumulatif des irrégularités, que chacune d’entre elles prises isolément, qui importe. Je suis convaincu que pour ce qui est des principaux sujets en litige et des conclusions générales, la décision du comité d’appel était appropriée et qu’elle ne doit pas être modifiée.

 


                                        ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens au défendeur.

 

 

                                                                                 _ James Russell _            

                                                                                                     Juge                       

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

 

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

N° DU GREFFE :                                    T‑1494‑02

 

 

INTITULÉ :                                             Bonny Berger et al. c. Le procureur général du Canada et Louis Marcotte

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       OTTAWA (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     LE 9 DÉCEMBRE 2003

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                             LE JUGE RUSSELL

 

 

DATE DES MOTIFS :                            LE 25 MARS 2004

 

 

COMPARUTIONS :

 

James L. Shields                                                                       pour le demandeur

 

Lynn Marchildon                                                                      pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Barristers & Solicitors                                                               pour le demandeur

68, avenue Chamberlain

Ottawa (Ontario)

K1S 1V9

 

Ministère de la Justice                                                               pour le défendeur

234, rue Wellington

Tour Est

Ottawa (Ontario)

K1A 0H8

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