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Date : 19990818


IMM-516-98


E n t r e :

     HAT HO,

     demanderesse,



     - et -




     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.





     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SHARLOW

[1]      La demanderesse Hat Ho est une femme âgée provenant de Hong Kong. En 1997, elle habitait chez son fils à Hong Kong. À l'époque, elle était âgée de quatre-vingt-un ans. Les autres membres de sa famille avaient déjà quitté Hong Kong, certains pour la France, d'autres pour le Canada. Au moment de la demande de résidence permanente au Canada, son fils et elle voulaient se retrouver.

[2]      Il a été jugé que Mme Ho ne réunissait pas les qualités requises pour pouvoir demander la résidence permanente de son propre chef ou en se faisant parrainer par son fils. Elle a donc présenté une demande de résidence permanente indépendante tout en y joignant une demande (la demande d'admission pour raisons humanitaires) en vue d'être dispensée de l'obligation de satisfaire aux critères de sélection habituels pour des motifs d'ordre humanitaire. La disposition législative permettant d'accorder une telle exception se trouve au paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration.

[3]      Mme Ho a été reçue en entrevue le 6 janvier 1998 à Hong Kong par un agent des visas qui a examiné sa demande de résidence permanente. L'agent des visas a confirmé que Mme Ho ne réunissait pas les qualités requises pour pouvoir demander la résidence permanente et qu'elle ne pouvait obtenir un visa que si sa demande d'admission pour raisons humanitaires était accordée. Il est acquis au débat que l'agent des visas n'avait pas le pouvoir de faire droit à la demande d'admission pour raisons humanitaires et que le directeur du programme de Hong Kong avait ce pouvoir.

[4]      Par lettre datée du 12 janvier 1998 et signée par l'agent des visas, Mme Ho a été informée que sa demande de visa était refusée et que sa demande d'admission pour raisons humanitaires avait été examinée par le directeur du programme, qui l'avait rejetée.

[5]      La présente demande est conçue comme une contestation de la décision de l'agent des visas et elle a par conséquent été présentée sans qu'aucune autorisation ne soit demandée ou accordée. Plusieurs moyens sont invoqués pour contester la décision. L'un de ces moyens est que l'agent des visas a outrepassé sa compétence en prétendant se prononcer sur la demande d'admission pour raisons humanitaires de Mme Ho.

[6]      Le défendeur soutient que la décision d'admission pour raisons humanitaires a été prise par le directeur du programme à Hong Kong, qui est habilité à prendre de telles décisions en tant que représentant du ministre. Suivant une certaine jurisprudence, la demande de contrôle judiciaire d'une décision prise par un représentant du ministre en vertu du paragraphe 114(2) nécessite une autorisation, même si la réparation sollicitée se rapporte aux critères de sélection qui relèvent de la compétence de l'agent des visas (Rajadurai c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (30 mars 1999), IMM-4014-98, IMM-4402-981). Cette question a depuis été portée devant la Cour d'appel fédérale sous forme de question certifiée soumise dans le cadre de l'affaire en question.

[7]      Compte tenu du désaccord factuel sur la question de savoir qui s'est prononcé sur la demande d'admission pour raisons humanitaires dans le cas qui nous occupe, l'avocat du défendeur a laissé entendre qu'au lieu de rejeter la demande pour absence d'autorisation et d'inviter l'intéressé à présenter une nouvelle demande en vue d'obtenir une prorogation de délai et l'autorisation d'introduire une demande de contrôle judiciaire, il me serait loisible d'accorder une prorogation de délai et d'accorder l'autorisation en question de sorte que la cause puisse être entendue sur le fond. Il a ajouté que le défendeur consentirait à ces mesures.

[8]      L'avocat de la demanderesse a convenu qu'une telle mesure ne causerait aucun préjudice à sa cliente parce qu'elle n'empêcherait pas la tenue d'un débat sur l'une ou l'autre des questions soulevées dans la demande. J'ai précisé que j'accorderais cette mesure si je concluais, d'après les faits, que la décision en question a effectivement été prise par le représentant du ministre.

L'auteur de la décision

[9]      La première question à trancher est celle de savoir si la décision de refuser la demande d'admission pour motifs humanitaires de Mme Ho a été prise par l'agent des visas ou par le directeur du programme. Dans le premier cas, la décision est invalide et la présente demande doit être accueillie.

[10]      La décision relative à la demande d'admission pour motifs humanitaires reposait sur des documents soumis pour le compte de Mme Ho avec sa demande et sur l'entrevue que l'agent des visas lui a fait subir le 6 janvier 1998. Bien que les parties ne soient pas tout à fait d'accord sur l'objet de l'entrevue, je conclus que l'entrevue en question visait à recueillir des éléments d'information au sujet des critères de sélection applicables à Mme Ho, et au sujet de la demande d'admission pour motifs humanitaires.

[11]      Les éléments de preuve présentés à l'appui de la présente demande au sujet de la façon dont a été prise la décision relative à la demande d'admission pour raisons humanitaires sont constitués des notes prises par l'agent des visas au moment de l'entrevue, de la lettre de refus en date du 12 janvier 1998 et d'un affidavit souscrit par l'agent des visas le 20 avril 1998, d'un affidavit souscrit par le directeur du programme le 23 avril 1998 et par la transcription du contre-interrogatoire portant sur les deux affidavits qui s'est terminé le 2 juillet 1998.

[12]      Voici en quels termes se terminent les notes que l'agent des visas a prises lors de l'entrevue du 6 janvier 1998 :

[TRADUCTION]
On a laissé entendre à l'intéressée que sa demande d'admission fondée sur des raisons d'ordre humanitaire ne serait pas accueillie. On lui a suggéré de se faire parrainer par son fils une fois que celui-ci aurait obtenu son droit d'établissement et se serait établi assez bien pour satisfaire aux conditions de parrainage, MOA2 se réjouit de votre examen de la décision susmentionnée de ne pas appuyer la demande d'admission pour raisons humanitaires. Veuillez nous faire connaître vos commentaires ou nous manifester votre appui.

[13]      L'avocat de la demanderesse soutient qu'il ressort de ce qui précède que, le 6 janvier 1998, l'agent des visas s'est prononcé sur la demande d'admission pour raisons humanitaires et qu'il invitait le directeur du programme à entériner sa décision machinalement.

[14]      Il ressort par ailleurs de l'affidavit souscrit par l'agent des visas que le dossier qui renfermait les notes de l'agent des visas, ainsi que la demande de Mme Ho et les documents à l'appui, ont été transmis au directeur du programme le 6 janvier 1998 et que c'est ce dernier qui a décidé, le même jour, que la demande d'admission pour raisons humanitaires ne serait pas accordée. Dans son affidavit, le directeur du programme précise que c'est lui qui a pris la décision le 6 janvier 1998 après examen du dossier, tout en affirmant que l'agent des visas a formulé une recommandation négative. Il ressort également de la lettre du 12 janvier 1998 informant la demanderesse de la teneur de la décision portant sur la demande d'admission pour raisons humanitaires que cette décision a été prise par le directeur du programme et non par l'agent des visas.

[15]      L'avocat de Mme Ho soutient que les notes de l'agent des visas contredisent son affidavit et que je devrait considérer que les notes sont davantage susceptibles d'être exactes, parce qu'elles ont été rédigées au même moment que l'entrevue ou peu de temps après. Les affidavits ont été souscrits quelque trois mois plus tard, après le dépôt de la présente demande, de sorte qu'on a pu être tenté de se servir des affidavits pour donner après coup des explications qui ne figurent pas au dossier. (Je constate toutefois que, lors du contre-interrogatoire, aucune question n'a été posée à l'agent des visas ou au directeur du programme au sujet de présumées contradictions.)

[16]      La question fondamentale qui se pose est celle de savoir si les notes de l'agent des visas permettent d'établir s'il s'est prononcé sur la question des raisons humanitaires. Dans ses notes, l'agent précise quelque part qu'il n'a pas l'intention d'" appuyer " la demande d'admission de Mme Ho pour des motifs d'ordre humanitaire. Il s'agit davantage d'une recommandation que d'une décision. Il parle également de sa " décision " dans ses notes, mais, chose étrange, il en parle comme étant une [TRADUCTION] " décision de ne pas appuyer la demande d'admission pour raisons humanitaires ". Je conclus que, bien qu'elles soient ambiguës, les notes permettent de conclure que c'est une décision de recommander un refus, et non une décision de refuser une demande qui a été prise.

[17]      Il s'ensuit que je n'ai aucune raison de douter de la véracité ou de l'exactitude des affirmations contenues dans l'affidavit de l'agent des visas et du directeur du programme suivant lesquelles la décision relative à la demande d'admission pour raisons humanitaires a été prise par le directeur du programme. Je conclus que la décision a effectivement été prise par le directeur du programme.

Le directeur du programme a-t-il mal exercé son pouvoir discrétionnaire ?

[18]      L'avocate de Mme Ho soutient que, si le directeur du programme est la personne qui a pris la décision, il a commis une erreur en se fondant sur l'entrevue menée par l'agent des visas. Elle soutient que, suivant un principe fondamental d'équité procédurale, c'est à la personne qui entend la cause qu'il appartient de décider (Braganza c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] f.C.J. No. 467 (C.F. 1re inst.)(QL)).

[19]      Dans l'affaire Braganza, un agent des visas avait communiqué sa décision par lettre en se fondant sur l'entrevue réalisée par un autre agent des visas qui avait été muté et sur les notes que ce dernier avait rédigées. La procédure suivie dans cette affaire était en grande partie la même que celle qui avait été suivie et approuvée dans le jugement Burgin c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] F.C.J. No. 34 (C.F. 1re inst.), dans lequel le juge Noël déclare :

Comme principal motif de contrôle, la requérante fait valoir que la décision de rejeter sa demande n'a pas été prise par l'agente qui a procédé à l'entrevue, mais par son supérieur. Elle prétend que, selon un principe fondamental de la common law, celui qui entend doit décider, et que ce principe a été violé en l'espèce.
Il est bien établi que tandis qu'un demandeur a le droit de faire une demande fondée sur le paragraphe 114(2) de la Loi, et de faire examiner et trancher cette demande sur le fond, le ministre n'est nullement tenu de procéder à une audition. En l'espèce, l'agente chargée de prendre la décision disposait de tous les faits qui se rapportaient à la revendication de la requérante, et elle a particulièrement noté qu'elle avait procédé à un examen détaillé de ces faits. Il s'ensuit qu'on ne saurait dire que la revendication n'a pas été examinée sur le fond, ni que la requérante n'a pas eu le droit de faire valoir sa cause.

[20]      L'avocate de Mme Ho affirme également que le directeur du programme n'aurait pas dû se fonder sur les notes de l'agent des visas parce qu'à leur face même, elles sont entachées d'irrégularités fondamentales. L'avocate de Mme Ho affirme que l'agent des visas ne songeait à aucune ligne directrice particulière lorsqu'elle a mené l'entrevue et qu'elle n'a en conséquence pas réussi à obtenir des éléments d'information acceptables au sujet de son impartialité. Il s'ensuit que le dossier est muet en ce qui concerne le faible revenu de Mme Ho, les difficultés qu'elle aura à vivre seule à Hong Kong après le départ de son fils pour le Canada et son degré de dépendance envers son fils. L'avocate soutient également que l'agent des visas aurait dû permettre au fils de Mme Ho d'être présent à l'entrevue pour venir à aide à sa mère.

[21]      C'est dans un premier temps à Mme Ho qu'il incombait de porter tous les éléments d'information pertinents à la connaissance du directeur du programme. Les éléments de preuve relatifs à son revenu et à sa situation familiale se trouvaient dans les documents qu'elle a soumis. Nul ne prétend que Mme Ho a été empêchée de soumettre quelque preuve documentaire qu'elle pouvait désirer présenter.

[22]      On laisse toutefois entendre qu'elle a été empêchée de soumettre certains éléments d'information lors de l'entrevue. Je ne suis pas de cet avis. Il est vrai que l'agent des visas aurait pu traiter un plus large éventail de questions lors de l'entrevue, mais il n'était pas tenu de pousser plus loin ses démarches pour recueillir des éléments d'information en vue de compléter le dossier.

[23]      Suivant la preuve, le fils de Mme Ho a conduit celle-ci à l'entrevue et a demandé à la réceptionniste s'il pouvait participer à l'entrevue. La réceptionniste lui a répondu par la négative. L'agent des visas a témoigné qu'en pratique, les requérants sont reçus en entrevue seuls à moins qu'il y ait lieu de croire qu'ils sont incapables de répondre aux questions. En l'espèce, nul ne prétend que l'agent des visas avait des motifs de croire que Mme Ho n'était pas capable de subir l'entrevue seule, hormis le fait qu'elle était âgée de quatre-vingt-un ans. Je ne suis pas d'accord pour dire que l'agent des visas doit présumer qu'une personne d'un âge avancé est, pour cette seule raison, incapable de répondre aux questions qui lui sont posées.

[24]      Après examen de l'ensemble du dossier, je conclus qu'il était raisonnablement loisible au directeur du programme de prendre la décision en question. Bien que j'en serais peut-être arrivé à une conclusion différente, c'était à lui qu'il appartenait d'exercer ce pouvoir discrétionnaire et j'estime qu'il n'a commis aucune erreur donnant ouverture à un contrôle judiciaire.

Dispositif

[25]      La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

     " Karen R. Sharlow "

     Juge

Toronto (Ontario

Le 18 août 1999



Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA


     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              IMM-516-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      HAT HO
                     et
                     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :          LE MARDI 17 AOÛT 1999

LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Sharlow en date du mercredi 18 août 1999


ONT COMPARU :

                     M e Ian Hicks

                             pour la demanderesse

                     M e Mary Lam

                             pour le défendeur

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :      Me Cecil L. Rotenberg, c.r.
                             Avocat et procureur
                             255, chemin Duncan Mill, bureau 808
                             Don Mills (Ontario) M3B 3H9
                                     pour la demanderesse
                             M e Morris Rosenberg
                             Sous-procureur général du Canada

                                     pour le défendeur

__________________

1Voir également l'arrêt Sajjan c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) , (1997), 216 N.R. 150 (C.A.F.) Chen c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (25 octobre 1998), IMM-4313-98.

2Il s'agit des initiales du directeur du programme.

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