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Date : 20210929


Dossier : IMM-80-21

Référence : 2021 CF 1016

Ottawa (Ontario), le 29 septembre 2021

En présence de l’honorable madame la juge Roussel

ENTRE :

ERIKA RUA ARANGO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] rendue le 14 décembre 2020. Dans sa décision, la SAR rejette l’appel de la demanderesse et confirme la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR], selon laquelle la demanderesse n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger.

[2] La demanderesse est citoyenne de la Colombie. Sa demande d’asile est fondée sur sa crainte d’être persécutée en raison de son orientation sexuelle.

[3] Le 19 décembre 2019, la SPR rejette la demande d’asile de la demanderesse. Bien qu’elle estime la demanderesse crédible quant à son orientation sexuelle, elle conclut que la demanderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau de démontrer qu’elle ne pouvait se prévaloir de la protection des autorités dans son pays.

[4] En appel, la SAR estime que la question déterminante est celle de la protection de l’État. D’une part, elle reconnait que la demanderesse a été la cible d’actes discriminatoires, mais conclut toutefois qu’il ne s’agit pas de persécution. D’autre part, elle reconnait qu’il existe encore des lacunes en ce qui concerne la qualité de la protection de l’État en Colombie, mais conclut que la demanderesse n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’aucune protection adéquate n’est assurée. Elle confirme donc la décision de la SPR.

[5] La demanderesse soutient que la SAR a commis une erreur dans sa conclusion de l’existence d’une protection adéquate de l’État.

II. Analyse

[6] La norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable.

[7] Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, la Cour doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Elle doit se demander si la décision possède les « caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 99 [Vavilov]). De plus, il « incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov au para 100).

[8] La demanderesse reproche notamment à la SAR de ne pas avoir évalué la preuve documentaire objective sur la protection étatique en fonction de son profil. La demanderesse est en couple avec une citoyenne canadienne et elles sont les mères d’un enfant canadien. Alors qu’elle a passé la majeure partie de sa vie à cacher son orientation sexuelle, la demanderesse veut vivre sa situation familiale ouvertement comme elle peut le faire au Canada. Elle soutient également que la SAR a commis une erreur en comparant sa situation à celles d’autres groupes LGBT.

[9] La Cour ne peut souscrire aux arguments de la demanderesse.

[10] La Cour est d’avis que la SAR a raisonnablement considéré le profil de la demanderesse dans son évaluation de la preuve documentaire objective. Dans son analyse de la situation juridique, la SAR souligne que la preuve documentaire démontre que, depuis 1981, la Colombie a dépénalisé les relations sexuelles entre personnes du même sexe et que le Code pénal a été modifié en 2011 pour inclure la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Elle souligne également que la Cour constitutionnelle a reconnu la capacité des couples de même sexe à s’engager dans des unions maritales de fait au même titre que les couples hétérosexuels et que, depuis 2016, le mariage entre deux (2) personnes du même sexe est légal en Colombie. Elle ajoute qu’en 2015, la Cour constitutionnelle a accordé à un partenaire le droit d’adopter l’enfant biologique de son partenaire permanent. Dans une autre décision, elle a étendu le droit à l’adoption aux partenaires de même sexe. En faisant référence à la capacité des couples de même sexe à s’engager dans une relation maritale et à leur droit d’adoption, la SAR tient compte des circonstances particulières de la demanderesse.

[11] La SAR estime toutefois, après avoir considéré la preuve documentaire objective et s’être penchée sur les améliorations législatives, leur degré de mise en œuvre concrète, leur efficacité et leur durabilité, que la demanderesse n’a pas démontré ne pas pouvoir bénéficier de la protection étatique, n’ayant contacté qu’une seule fois la police et ayant quitté son pays sans suivi. La SAR souligne, avec raison, qu’il est de jurisprudence constante que pour démontrer l’absence de protection étatique lorsque l’État en cause est un état démocratique, un demandeur doit prouver davantage que simplement s’être adressé en vain à la police (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Kadenko, [1996] ACF no 1376 (CAF)).

[12] Par ailleurs, la Cour ne partage pas l’avis de la demanderesse selon lequel la SAR a fait une comparaison entre les différents groupes LGBT. Il faut lire les références aux autres groupes dans leur contexte. En effet, lorsque la SAR fait mention des différents groupes, elle le fait alors qu’elle résume la preuve documentaire objective.

[13] Après examen du dossier, la Cour est d’avis que la SAR a raisonnablement pris en considération les circonstances personnelles de la demanderesse dans son évaluation des conditions en Colombie et dans l’existence d’une protection de l’État.

[14] La Cour rappelle enfin qu’en l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, il y a lieu de présumer que la protection de l’État est offerte dans le pays d’origine d’un demandeur d’asile. Pour réfuter cette présomption, celui-ci doit démontrer, au moyen d’une preuve claire et convaincante, que l’État dont il est le ressortissant n’a ni la capacité ni la volonté de lui fournir une protection, laquelle, par ailleurs, n’a pas à être parfaite (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 aux pp 722-725; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Flores Carillo, 2008 CAF 94 au para 30; Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Villafranca, [1992] ACF no 1189 (CAF) (QL) au para 7). Le demandeur d’asile doit démontrer, soit qu’il a épuisé tous les moyens objectivement raisonnables pour obtenir la protection de l’État, soit qu’il était objectivement déraisonnable pour lui de le faire (Hinzman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171 aux para 46, 57).

[15] En l’espèce, la SAR est d’avis que la demanderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau. Il n’incombe pas à cette Cour de réévaluer la preuve pour tirer ses propres conclusions. Son rôle est de déterminer si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable (Vavilov aux para 97, 99, 125; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59). La Cour estime que c’est le cas.

[16] La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-80-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée; et

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-80-21

INTITULÉ :

ERIKA RUA ARANGO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 SEPTEMBRE 2021

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 29 SEPTEMBRE 2021

COMPARUTIONS :

Stéphanie Valois

Pour LA demandeRESSE

Lisa Maziade

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Stéphanie Valois

Montréal (Québec)

Pour LA demandeRESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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