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Date : 20211006


Dossier : IMM-611-20

Référence : 2021 CF 1044

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 octobre 2021

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

KEVIN NICHOLAS PINGAULT

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Kevin Pingault, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 11 juillet 2018 par laquelle un agent des visas (l’agent) a rejeté sa demande de résidence permanente au motif qu’il n’avait pas présenté tous les éléments de preuve pertinents et les documents requis : art 11(1) et 16(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. M. Pingault soutient que la décision est déraisonnable et qu’elle doit être annulée parce que l’agent a écarté des éléments de preuve valides. Il fait en outre valoir que l’agent a manqué à l’équité procédurale en se fondant sur des éléments de preuve extrinsèques sans d’abord l’en aviser et sans lui donner la possibilité d’y répondre.

[2] M. Pingault a produit en retard la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire (DACJ) dans la présente affaire, plus de 18 mois après qu’il eut reçu la décision de l’agent, le 21 juillet 2018. La DACJ inclut une demande de prorogation de délai, mais l’ordonnance accordant l’autorisation en l’espèce n’en fait pas mention. Le défendeur fait valoir que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée parce que M. Pingault n’a pas établi que le délai pour présenter la DACJ doit être prorogé : alinéas 72(2)b) et c) de la LIPR.

[3] Pour les motifs exposés ci-dessous, je ne peux conclure qu’il est dans l’intérêt de la justice d’accorder une prorogation de délai. Par conséquent, les questions soulevées dans la présente demande sont sans objet et la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[4] Néanmoins, vu les circonstances qui ont mené à une audition complète sur le fond (voir les explications ci-dessous), j’ai examiné les observations formulées par M. Pingault sur l’équité procédurale et le caractère raisonnable de la décision de l’agent. Même si les questions soulevées n’étaient pas devenues théoriques, j’aurais quand même rejeté la présente demande au motif que M. Pingault n’a pas démontré qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale ou que la décision de l’agent était déraisonnable.

II. Contexte

[5] M. Pingault est un citoyen de l’Inde âgé de 20 ans. Le père de M. Pingault est entré au Canada en vertu d’un permis de travail, a rencontré une femme qui est devenue sa conjointe de fait et, par l’entremise de cette dernière, a présenté une demande de résidence permanente en 2014. M. Pingault et sa sœur cadette, Dewdrop Pingault, étaient aussi visés par la demande en tant que personnes à charge à l’étranger. À l’époque, ils étaient tous les deux mineurs et vivaient en Inde avec leur mère.

[6] Dans le cadre de l’évaluation de la demande, l’agent a convoqué M. Pingault, sa mère et sa sœur à une entrevue, car il avait des réserves quant au caractère suffisant des pièces justificatives et au consentement de la mère à ce que ses enfants immigrent au Canada et habitent de façon permanente avec leur père. La mère de M. Pingault avait produit un affidavit dans lequel elle autorisait son mari à emmener les enfants au Canada et lui en confiait la garde. À l’entrevue, l’agent lui a demandé de fournir un document émanant d’un tribunal et transférant la garde des enfants à leur père qui vivait au Canada en plus d’autoriser ce dernier à les emmener à l’extérieur de l’Inde de façon permanente. Dans sa lettre de décision, l’agent a précisé que la mère de M. Pingault avait été avisée pendant l’entrevue qu’il ne pouvait accepter d’affidavit et qu’elle devait fournir un document délivré par un tribunal.

[7] L’agent a envoyé un rappel indiquant que le document devait lui être fourni dans les 45 jours. N’ayant toutefois reçu aucun document ni aucune explication, il a rejeté les demandes des deux enfants.

[8] La décision sous‑jacente en l’espèce est celle par laquelle l’agent a rejeté la demande de résidence permanente de M. Pingault. La sœur de ce dernier, Dewdrop Pingault, n’est pas partie à la présente instance. Elle a présenté une DACJ distincte (à la même date que la DACJ de M. Pingault, le 28 janvier 2020). La demande de prorogation de délai et la demande d’autorisation de Dewdrop Pingault ont toutes deux été rejetées le 1er février 2021 (dossier IMM‑605‑20).

III. Conclusion déterminante : prorogation du délai

[9] À l'audience, j’ai demandé aux parties d’expliquer pourquoi la DACJ avait été déposée en retard, tout en soulignant qu’elle était assortie d’une demande de prorogation de délai, mais que l’ordonnance d’autorisation dans la présente affaire n’en faisait pas mention. Je leur ai demandé si je devais ajourner l’audience afin qu’elles puissent examiner la question et y répondre pleinement. M. Pingault a fait valoir qu’il était question de la demande de prorogation de délai dans un affidavit versé au dossier de la demande, et il a demandé au défendeur s’il consentait à ce que la Cour procède à l’instruction de la demande sur le fond. Le défendeur a répondu que la prorogation de délai avait été accordée en vertu d’une ordonnance datée du 20 août 2020 et il s’est engagé à en fournir une copie à la Cour après l’audience. J’ai accepté de procéder à l’instruction de la demande sur le fond sur la foi de l’affirmation du défendeur qu’une ordonnance autorisait la prorogation du délai prescrit pour le dépôt de la DACJ.

[10] Après l’audience, le défendeur m’a écrit pour m’aviser que la Cour n’avait pas, en fait, accordé de prorogation du délai pour déposer la DACJ au titre de l’alinéa 72(2)c) de la LIPR et que l’ordonnance du 20 août 2020 accordait plutôt une prorogation du délai pour déposer le dossier de la demande. C’est pourquoi j’ai donné une directive afin qu’après l’audience les parties présentent des observations sur le retard à déposer la DACJ.

[11] D’après M. Pingault, je dispose du pouvoir discrétionnaire, à titre de juge présidant l’audience, de conclure que l’ordonnance d’autorisation accordait implicitement la prorogation de délai demandée dans la DACJ. De plus, M. Pingault affirme qu’il satisfait au critère applicable à l’octroi d’une prorogation de délai puisque le défendeur consent à cette prorogation, qu’il est évident que la demande a un certain fondement puisque l’autorisation a été accordée, et qu’il a démontré son intention de poursuivre la demande.

[12] Selon le défendeur, il ne faut pas conclure qu’il y a prorogation de délai simplement parce que l’autorisation a été accordée; lorsqu’une ordonnance d’autorisation ne traite pas explicitement de la prorogation de délai demandée, c’est au juge saisi de la demande de contrôle judiciaire qu’il incombe de décider si elle doit être accordée : Deng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 59 aux para 14-17 [Succession Deng]; Huot c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 973 aux para 11-12 [Huot]; Ofori c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 212 au para 10. Le défendeur soutient qu’il n’existe pas de pouvoir discrétionnaire de conclure qu’une ordonnance d’autorisation accorde implicitement une prorogation de délai : Succession Deng, aux para 16‑17; Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c Eason, 2005 CF 1698 au para 20.

[13] Le défendeur soutient que la Cour doit autoriser la demande de contrôle judiciaire qui est présentée après l’expiration du délai de prescription : Succession Deng, au para 18; Huot, au para 11. En l’espèce, le défendeur plaide que la prorogation demandée ne devrait pas être accordée puisque M. Pingault n’a pas démontré qu’il satisfaisait aux quatre facteurs établis dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Hennelly, [1999] ACF No 846, 244 NR 399 (CAF) [Hennelly], et qu’il n’est pas dans l’intérêt de la justice de l’accorder : Première Nation de Whitefish Lake c Grey, 2019 CAF 275 au para 3 [Première Nation de Whitefish Lake]; Cossy c Société canadienne des postes, 2021 CF 559 aux para 17-18. Le défendeur affirme que M. Pingault n’a pas démontré : (i) une intention constante de poursuivre le contrôle judiciaire de la décision de l’agent, (ii) que la demande a un certain fondement, (iii) que le défendeur ne subit aucun préjudice en raison du retard, et (iv) qu’il existe une explication raisonnable justifiant le retard.

[14] Bien que je ne sois pas convaincue qu’un juge ne pourrait pas conclure, dans un cas qui s’y prête, qu’une prorogation de délai est implicitement accordée par une ordonnance d’autorisation (voir mes observations dans la décision Fayazi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’ Immigration), 2021 CF 1019 aux para 13-14), j’estime que le dossier en l’espèce ne permet pas de conclure qu’une prorogation de délai a été accordée implicitement. La demande de prorogation de délai se résume à une seule phrase dans la DACJ et elle n’est appuyée que par un seul motif : [TRADUCTION] « Le demandeur doit retenir les services d’un avocat pour le représenter dans la présente affaire. » Le mémoire des faits et du droit du demandeur ne comporte aucune observation à propos de la prorogation de délai et il n’y a aucune demande de prorogation dans la partie exposant le redressement demandé. Dans le même ordre d’idées, le mémoire du défendeur ne fait aucune allusion à la demande de prorogation. Dans l’affaire Succession Deng, la Cour d’appel devait se prononcer sur une décision dans laquelle le juge avait conclu que le juge saisi de la demande d’autorisation n’avait pas tranché la demande de prorogation qu’elle contenait même si les deux parties avaient présenté des arguments à ce sujet dans leur mémoire, et elle a jugé que cette conclusion était raisonnable dans les circonstances : Succession Deng, au para 15. Après avoir pris connaissance du dossier en l’espèce, d’où il ressort qu’il n’est fait aucunement mention de la demande de prorogation dans les mémoires des parties, je suis d’avis que le juge saisi de la demande d’autorisation a fait abstraction de la requête.

[15] J’examinerai maintenant la question de savoir si je devrais accorder rétroactivement une prorogation du délai prescrit pour le dépôt de la DACJ.

[16] Le paragraphe 6(2) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 [les Règles en matière de CIPR] énonce qu’il est statué sur toute demande visant la prorogation du délai pour déposer et signifier une demande d’autorisation en même temps que la demande d’autorisation et à la lumière des mêmes documents versés au dossier. Le dossier de la demande de M. Pingault dont disposait le juge saisi de la demande d’autorisation ne traitait pas du critère établi dans l’arrêt Hennelly et ne fournissait pas d’observations expliquant pourquoi la Cour devrait accorder la demande de prorogation. Néanmoins, je me pencherai sur chacun des facteurs énoncés dans l’arrêt Hennelly, et sur les observations présentées par M. Pingault après l’audience.

[17] Premièrement, la seule explication offerte par M. Pingault pour justifier son retard de 18 mois est une simple affirmation selon laquelle il avait besoin de retenir les services d’un avocat pour le représenter. Seul ce motif a été soulevé dans la DACJ pour appuyer la demande de prorogation de délai; le dossier ne contient aucun autre renseignement ni aucun élément de preuve tendant à expliquer le retard. Par conséquent, M. Pingault n’a pas donné d’explication raisonnable pour justifier son retard à déposer la DACJ.

[18] Deuxièmement, l’affidavit de M. Pingault qui se trouve dans le dossier de la demande contient une simple affirmation selon laquelle il [TRADUCTION] « a toujours eu l’intention de donner suite à sa demande de contrôle judiciaire ». Cette simple affirmation est insuffisante pour démontrer une intention constante de poursuivre la demande pendant la période du retard.

[19] Quant au troisième facteur de l’arrêt Hennelly, soit le préjudice subi par le défendeur, M. Pingault se fonde sur le consentement du défendeur. Je constate que rien n’indique que le défendeur a donné son consentement avant que l’autorisation ne soit accordée. Comme je le mentionne ci-dessus, le défendeur ne mentionne pas la demande de prolongation de M. Pingault dans le mémoire qu’il a déposé en réponse. À l’audience que j’ai présidée, l’avocat du défendeur a en effet affirmé que son client consentait à la prorogation du délai, mais cette affirmation reposait sur la conviction erronée que la Cour avait déjà accordé la prorogation; dans les observations qu’il a présentées après l’audience, le défendeur soutient que la prorogation causerait un préjudice.

[20] Un des objectifs des délais de prescription est de s’assurer que les éléments de preuve ne soient pas « expirés » : Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2021 CF 93 au para 17. De plus, les délais de prescription existent dans l’intérêt public afin que les décisions administratives acquièrent un caractère définitif : Lesly c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2018 CF 272 au para 18. Une partie a le droit de s’attendre à ce que ces délais ne soient pas prolongés lorsque leur non‑respect n’est pas justifié par une explication raisonnable : Collins c Canada (Procureur général), 2010 CF 949 au para 6. À mon avis, le préjudice causé au défendeur est un facteur qui milite contre l’octroi d’une prorogation de délai.

[21] Quatrièmement, s’agissant du fondement de la demande, M. Pingault a, dans ses observations postérieures à l’audience, invoqué le fait que l’autorisation a été accordée. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un élément à considérer au titre du quatrième facteur de l’arrêt Hennelly, puisqu’il doit être statué sur toute demande de prorogation « en même temps que la demande d’autorisation et à la lumière des mêmes documents versés au dossier » (art 6(2) des Règles en matière de CIPR), et que l’autorisation a été accordée après que la demande de prorogation aurait dû être examinée. Toutefois, je conviens que le fondement de la demande est un facteur favorable à l’octroi d’une prorogation de délai.

[22] M. Pingault n’a pas satisfait aux quatre facteurs de l’arrêt Hennelly. Plus important encore, M. Pingault n’a fourni aucune explication raisonnable pour justifier son long retard de 18 mois et il n’a pas non plus démontré qu’il avait l’intention constante de poursuivre sa demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent. Bien que la décision d’accorder ou de refuser une prorogation du délai prescrit pour déposer une demande de contrôle judiciaire repose habituellement sur les quatre facteurs de l’arrêt Hennelly, il n’est pas toujours nécessaire que la partie qui présente la demande de prorogation de délai soit en mesure de satisfaire aux quatre facteurs : Première Nation de Whitefish Lake, au para 3. Le facteur déterminant est de savoir s’il est dans l’intérêt de la justice d’accorder une prorogation de délai : Ibid. Même en acceptant que le troisième et le quatrième facteurs, le fondement de la demande et l’absence de préjudice subi par le défendeur, militent en faveur de l’octroi d’une prorogation de délai, je ne peux conclure qu’il est dans l’intérêt de la justice de l’accorder.

[23] Par conséquent, la prorogation de délai demandée est refusée, les questions soulevées dans la présente demande sont sans objet, et la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

IV. Autres conclusions : le caractère raisonnable et l’équité procédurale

[24] Puisque j’ai entendu les observations formulées par les parties sur le fond de la demande, je vais examiner si M. Pingault a établi que la décision de l’agent est déraisonnable ou que l’agent a manqué à l’équité procédurale.

[25] Le caractère raisonnable de la décision de l’agent s’apprécie en fonction des lignes directrices énoncées dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle rigoureuse, mais empreinte de déférence : Vavilov, aux para 12-13, 75 et 85. La cour de révision doit déterminer si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité : Vavilov, au para 99. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov, au para 100.

[26] Les questions d’équité procédurale sont assujetties à une norme qui s’apparente à la norme de la décision correcte : Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54 [Chemin de fer Canadien Pacifique]. L’obligation d’équité procédurale est « éminemment variable », intrinsèquement souple et tributaire du contexte : Vavilov, au para 77. La cour qui est saisie d’une question d’équité procédurale doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances : Chemin de fer Canadien Pacifique, au para 54.

A. La décision de l’agent est-elle déraisonnable?

[27] M. Pingault soutient qu’il n’avait pas besoin d’une ordonnance de garde délivrée par un tribunal pour pouvoir venir au Canada. La LIPR ne prévoit pas une telle exigence et il était déraisonnable pour l’agent de conclure que l’affidavit de la mère de M. Pingault n’était pas suffisant.

[28] Le défendeur soutient qu’aux termes du paragraphe 16(1) de la LIPR, l’auteur d’une demande doit présenter tous les éléments de preuve pertinents et les documents requis par l’agent des visas. L’agent est tenu de refuser la demande si le demandeur ne remplit pas les obligations prévues au paragraphe 16(1) de la LIPR : Lan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 770 au para 10 [Lan].

[29] Le défendeur fait valoir qu’est raisonnable la demande faite par un agent des visas en vue d’obtenir des documents : (i) qui sont pertinents; (ii) qu’il est possible d’obtenir : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Ndayinase, 2016 CF 694 au para 27, citant la décision Lan. L’agent a demandé une ordonnance émanant d’un tribunal et confiant la garde des enfants au père en raison des doutes qu’il avait quant au consentement éclairé de la mère. La mère de M. Pingault avait été avisée au cours de l’entrevue que son affidavit n’était pas suffisant et qu’une ordonnance délivrée par un tribunal était requise. Puisque M. Pingault n’a pas fourni le document demandé, et qu’il n’a pas démontré ou expliqué pourquoi il était impossible de l’obtenir, il était raisonnable pour l’agent de rejeter la demande.

[30] À mon avis, la décision de l’agent est raisonnable. Les notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC) indiquent que l’agent a mené une entrevue parce qu’il voulait s’assurer que la mère consentait de façon éclairée à ce que ses enfants immigrent au Canada sans elle. L’agent a noté que la mère de M. Pingault a dit ne pas bien comprendre la nature de la procédure et ses conséquences. Au départ, elle pensait qu’elle serait visée par la demande de résidence permanente ou qu’elle serait parrainée par la suite, affirmant qu’elle et son mari étaient un couple. Plus tard, elle a affirmé qu’elle savait qu’elle ne serait pas parrainée parce que son mari avait une conjointe de fait au Canada. La mère de M. Pingault a également affirmé qu’elle pourrait demander un visa de visiteur pour aller voir ses enfants, et l’agent l’a informée que rien ne garantissait qu’il serait fait droit à sa demande. En conséquence des propos échangés au cours de l’entrevue, l’agent a demandé à la mère de M. Pingault de fournir un [TRADUCTION] « document émanant d’un tribunal et transférant la garde des enfants à leur père en plus de lui donner le droit de les emmener à l’extérieur du pays de façon permanente ».

[31] Puisqu’un visa de résident permanent autoriserait le père à quitter l’Inde avec les enfants, il était raisonnable que l’agent demande qu’on lui présente une ordonnance d’un tribunal. Malgré une lettre de rappel, M. Pingault n’a pas fourni le document. Il n’a pas non plus présenté d’élément de preuve ni d’explication quant aux raisons pour lesquelles il ne pouvait pas obtenir le document. L’agent était libre de rejeter la demande de résidence permanente au motif que M. Pingault n’avait pas respecté les obligations énoncées au paragraphe 16(1) de la LIPR : Lan, au para 10.

B. L’agent a-t-il manqué à l’équité procédurale?

[32] M. Pingault soutient que l’agent a manqué à l’équité procédurale en ne divulguant pas des éléments de preuve extrinsèques qui auraient pu avoir une incidence sur la décision de donner suite à la demande de présenter une ordonnance d’un tribunal. Il fait valoir que l’agent qui se fonde sur « des éléments de preuve extrinsèques qui ne lui sont pas fournis par le requérant » doit donner à ce dernier la possibilité d’y répondre : Ardiles c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1323 aux para 29-30, citant Dasent c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1994 CanLII 3539, [1995] 1 CF 720 (CFPI) et Shah c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1994 CanLII 3502, [1994] ACF n1299 (CAF). Les notes du SMGC indiquent que [TRADUCTION] « même s’il ne fallait pas le divulguer à la mère au cours de l’entrevue », l’agent voulait savoir si elle était au courant de l’accusation criminelle portée contre le père au Canada. M. Pingault soutient que rien ne prouve que sa mère avait connaissance de l’accusation criminelle portée contre son père, ou encore que l’agent lui a divulgué ce renseignement. Il s’ensuit que l’agent s’est fondé sur cet élément de preuve extrinsèque sans le divulguer. M. Pingault soutient que l’agent a manqué à l’équité procédurale parce que l’accusation criminelle portée contre son père était le vrai motif du rejet de sa demande et que l’agent s’est fondé sur cet élément pour conclure que l’affidavit de sa mère était insuffisant et qu’elle devait présenter une ordonnance de garde émanant d’un tribunal.

[33] Le défendeur plaide qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale. L’agent a rejeté la demande parce que M. Pingault n’a pas produit l’ordonnance de garde, en contravention de l’obligation que lui imposait le paragraphe 16(1) de la LIPR. Selon le défendeur, l’accusation criminelle portée contre le père du demandeur ne fait pas partie des motifs mentionnés par l’agent pour rejeter la demande et elle n’a pas eu d’incidence sur la décision dans la présente affaire.

[34] J’estime que l’agent n’était pas tenu de divulguer l’accusation criminelle portée contre le père et que sa décision n’était pas fondée sur ce renseignement. De plus, plusieurs des motifs mentionnés par l’agent à l’appui de sa conclusion que l’affidavit de la mère n’était pas suffisant n’avaient aucun lien avec l’accusation criminelle portée contre le père. L’agent n’a pas manqué à l’équité procédurale.

V. Conclusion

[35] La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Puisque j’ai refusé d’accorder de façon rétroactive une prorogation du délai prescrit pour déposer la DACJ, les questions soulevées dans la demande sont sans objet. De toute façon, j’aurais rejeté la demande sur le fond. À mon avis, la décision de l’agent était raisonnable et l’agent n’a pas manqué à l’équité procédurale.

[36] J’ai demandé aux parties si l’une d’elles avait une question à proposer aux fins de certification, s’agissant du fond de la présente demande ou de la prorogation de délai. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et, à mon avis, la présent affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-611-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de prorogation de délai est rejetée.

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Christine M. Pallotta »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-611-20

 

INTITULÉ :

KEVIN NICHOLAS PINGAULT c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 juin 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE PALLOTTA

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 OctobrE 2021

 

COMPARUTIONS :

Peter Lulic

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Kevin Spykerman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Peter Lulic

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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