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Date : 20211018


Dossier : IMM‑5941‑19

Référence : 2021 CF 1092

[traduction française]

Ottawa (Ontario), le 18 octobre 2021

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

STEVEN MALCOLM MUSIKER

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Monsieur Steven Musiker, citoyen de l’Afrique du Sud, s’est vu refuser un permis de travail le 27 septembre 2019 parce qu’un agent des visas n’était pas convaincu qu’il serait capable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail était demandé. M. Musiker a obtenu une offre d’emploi à titre de coordonnateur de la sécurité et de la conformité auprès de Combined Metal Industries Inc (CMI), poste qui supposait la conduite de vérifications de la sécurité, d’enquêtes sur la santé et la sécurité, d’inspections des risques en matière de santé et de sécurité au travail et l’exécution de programmes de formation sur la santé, sur la protection de l’environnement et sur la sécurité au travail. L’agent qui a examiné la demande de permis de travail de M. Musiker n’était pas convaincu que ses emplois précédents à des postes de sécurité spécialisés lui avaient procuré une expérience suffisante pour exercer ces fonctions, en dépit de son expérience en secourisme, en formation médicale et en évacuations médicales.

[2] M. Musiker allègue que l’agent a commis une erreur en s’appuyant trop fortement sur le groupe de la Classification nationale des professions (la CNP) qui s’appliquait, en rendant des motifs insuffisants, en omettant des faits importants et en contrevenant à son droit à l’équité procédurale.

[3] Je conclus que la décision de l’agent était raisonnable et équitable. L’agent a, comme il se devait, effectué l’appréciation voulue quant à la demande de permis de travail de M. Musiker et apprécié l’expérience de celui‑ci eu égard aux exigences du poste telles qu’elles étaient énoncées dans sa lettre d’offre d’emploi. La description du groupe de la CNP qui s’appliquait était largement reprise dans la description d’emploi de CMI, de sorte que l’agent a pris en compte ses exigences de façon raisonnable. M. Musiker prétend que ses fonctions précédentes de technicien médical dénotaient de l’expérience en santé et en sécurité et que sa participation à l’entretien des véhicules et des armes lui procurait l’expérience de la réglementation gouvernementale, mais il était raisonnablement loisible à l’agent de conclure que cette expérience n’était pas suffisamment liée aux exigences du poste, qui ont trait aux risques en matière de santé et de sécurité au travail et à la réglementation gouvernementale dans ce domaine. L’agent n’était pas non plus tenu de faire connaître ses préoccupations, lesquelles découlaient des règlements qui s’appliquent et des éléments de preuve qui ont été produits, et de donner à M. Musiker la possibilité d’y répondre au moyen d’observations supplémentaires.

[4] La demande de contrôle judiciaire de M. Musiker est donc rejetée.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[5] M. Musiker soulève les questions suivantes dans la présente demande de contrôle judiciaire, dans l’ordre dans lequel elles ont été présentées dans la plaidoirie :

  1. L’agent a‑t‑il commis une erreur dans son analyse du groupe de la Classification nationale des professions qui s’appliquait et du système de la CNP plus généralement?

  2. L’agent a‑t‑il commis une erreur en omettant de présenter des motifs suffisants et en ne tenant pas compte de faits et de documents importants inclus dans la demande?

  3. L’agent a‑t‑il manqué à l’obligation d’équité procédurale?

[6] Les deux premières de ces questions, qui ont trait au fond de la décision de l’agent, sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16 et 17, 23 à 25; Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 483 [Patel (2021)] au para 23.

[7] Le caractère raisonnable tient à la fois au résultat d’une décision et aux motifs qui ont été donnés pour le justifier, et il est apprécié à la lumière des « contraintes juridiques et factuelles » qui influent sur la décision, ce qui comprend le régime législatif applicable, la preuve et les observations des parties : Vavilov, aux para 82 et 83, 105 à 107. Une décision raisonnable est une décision qui, lorsqu’elle est interprétée de façon globale et contextuelle, répond aux exigences de justification, de transparence et d’intelligibilité : Vavilov, aux para 84 à 86, 94 à 99. Elle est intrinsèquement cohérente, applique les dispositions législatives pertinentes, et montre que le décideur a pris en compte les arguments et les éléments de preuve principaux présentés par les parties : Vavilov, aux para 102 à 107, 125 à 128. En revanche, une décision déraisonnable est dénuée de logique, ne tient pas compte des arguments et des éléments de preuve principaux, donne une interprétation foncièrement erronée des faits ou du droit, ou souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle est justifiée, transparente, ou intelligible : Vavilov, aux para 99 à 101, 126 et 128.

[8] La troisième question concerne le processus décisionnel plutôt que la décision elle‑même. Pour ces questions, la Cour se demande « si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 para 54. Cette norme « d’équité » peut être considérée comme étant assimilable à la norme de la décision correcte ou à une absence de norme de contrôle : Canadien Pacifique aux paras 54 à 56; Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35.

III. Analyse

A. L’agent n’a pas commis d’erreur dans son analyse du groupe 2263 de la CNP ou du système de la CNP

(1) Les permis de travail pour travailleurs étrangers temporaires et le système de la CNP

[9] Un étranger qui cherche à se faire délivrer un permis de travail doit répondre aux exigences de l’article 200 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR]. Pour la catégorie du permis de travail au titre laquelle M. Musiker a présenté une demande, le travailleur étranger temporaire doit démontrer qu’il a reçu une offre d’emploi et qu’Emploi et Développement social Canada (EDSC) a produit une étude d’impact sur le marché du travail (EIMT) selon laquelle le recrutement de l’étranger aura des effets positifs ou neutres sur le marché du travail canadien : RIPR, art. 200(1)c)(iii), 203(1)b).

[10] EDSC utilise les classifications des emplois figurant dans le système de la CNP (Classification nationale des professions) pour produire une EIMT. Le système de la CNP est une classification des emplois élaborée par Emploi et Développement social Canada (EDSC) et Statistique Canada qui sert notamment à apprécier l’admissibilité à immigrer et à travailler au Canada : RIPR, art. 2 . EDSC produit une EIMT pour un emploi et un lieu de travail spécifiques et désigne le groupe auquel l’emploi correspond le mieux. L’EIMT se rapporte à une offre d’emploi précise, soit l’offre que l’étranger doit avoir reçue pour être admissible à un permis de travail : RIPR, art. 200(1)c)(iii), art. 203(1). Par conséquent, quoiqu’il n’y ait pas de renvoi exprès à la CNP à l’article 200 ou 203, le système de la CNP entre implicitement en jeu dans le cadre d’une demande de permis de travail étant donné le rôle qu’il joue dans l’EIMT.

[11] Comme il est mentionné dans le document sur le « tutoriel » d’EDSC produit par M. Musiker, chacun des 500 groupes a un code à quatre chiffres qui classe la profession au sein de divers domaines, sous‑domaines et niveaux de compétences. Chaque groupe de la CNP a sa description de la profession qui comprend un « énoncé principal » comportant une description générale du contenu et les limites de la profession; par exemple, les appellations d’emploi, une section sur les « fonctions principales » qui décrit les principales fonctions des emplois correspondant au groupe, et les conditions préalables généralement nécessaires pour accéder à la profession.

[12] M. Musiker ne conteste pas la façon dont EDSC utilise le système de la CNP pour établir une EIMT. CMI, employeur potentiel de M. Musiker, a demandé une EIMT en renvoyant expressément au groupe 2263 de la CNP, « Inspecteurs/inspectrices de la santé publique, de l’environnement et de l’hygiène et de la sécurité au travail » [groupe 2263 de la CNP].

[13] Outre les exigences prévues au paragraphe 200(1), le paragraphe 200(3) énonce un certain nombre d’exceptions quant à l’obtention d’un permis de travail. L’exception prévue à l’alinéa 200(3)a) est en cause en l’espèce :

Exceptions

Exceptions

200 (3) Le permis de travail ne peut être délivré à l’étranger dans les cas suivants :

200 (3) An officer shall not issue a work permit to a foreign national if

a) l’agent a des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé;

(a) there are reasonable grounds to believe that the foreign national is unable to perform the work sought;

[…]

[…]

[14] La Cour a confirmé un certain nombre de fois que l’agent des visas doit effectuer une évaluation indépendante de la question de savoir s’il y a des motifs raisonnables de croire que le demandeur d’un permis de travail est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis est demandé : Patel (2021), au para 31, citant la décision Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1378 au para 12.

(2) La demande de permis de travail de M. Musiker et le refus de l’agent

[15] M. Musiker a demandé un permis de travail à titre de travailleur étranger temporaire en présentant la lettre d’offre d’emploi reçue de CMI pour le poste de coordonnateur de la sécurité et de la conformité et une EIMT favorable délivrée par EDSC à CMI se rapportant à l’offre. L’offre d’emploi comportait un énoncé des fonctions et des responsabilités associées au poste. La moitié environ des fonctions et responsabilités reprenaient un certain nombre de celles qui sont énoncées dans la section des « fonctions principales » relative au groupe 2263 de la CNP. L’EIMT favorable délivrée par EDSC à CMI présentait l’emploi comme entrant dans le groupe 2263 de la CNP, comme l’avait proposé CMI.

[16] La demande de permis de travail de M. Musiker était accompagnée de renseignements sur ses antécédents de travail et sur ses études. Cela comprenait des lettres de ses trois derniers employeurs, i) Sallyport Global, où M. Musiker a travaillé pendant quatre ans et demi à titre de chef d’équipe adjoint et de technicien médical pour une équipe de protection rapprochée en Iraq; ii) coordonnateur en chef, Specialist Security Operational Services, entreprise de sécurité spécialisée appartenant à M. Musiker qu’il a dirigée pendant huit ans; iii) Patriot Force, entreprise de sécurité pour laquelle M. Musiker a travaillé pendant presque deux ans à titre de gestionnaire des opérations.

[17] La demande de permis de travail de M. Musiker a été refusée. Les motifs du refus sont énoncés dans les notes consignées par l’agent dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC). Les notes commencent par un renvoi à l’EIMT obtenue par CMI, au groupe de la CNP qui s’applique (groupe 2263), et à l’emploi offert par CMI. Elles reproduisent ensuite, en y renvoyant, l’« énoncé principal » et les « fonctions principales » qui sont énoncés quant au groupe 2263 de la CNP et dans la lettre d’offre de CMI. L’agent a apprécié l’expérience de travail de M. Musiker en ces termes :

[traduction]

Je prends note des lettres d’emploi de Patriot Forces, de Specialist Security Services et de Sallyport. Les fonctions qui sont décrites dans les lettres se rapportent à la protection, au secourisme et au travail de premier répondant, aux interventions en cas de catastrophes, à la formation médicale, aux évacuations médicales, aux préparatifs de sécurité, à l’entretien des véhicules et du matériel, à l’entretien quotidien des armes, à la prestation de services de sécurité, à la protection de dignitaires, à l’analyse des risques, à la gestion d’agents de sécurité, à la liaison avec les clients, à l’établissement de rapports sur les incidents, etc. Ce groupe de la CNP comprend les risques en matière de santé et de sécurité et les fonctions principales concernent les inspections et la réglementation gouvernementale. Peu d’éléments de preuve que le DP a l’expérience de travail ou les études pertinentes spécifiques à ce groupe de la CNP. Je ne suis pas convaincu que le DP possède l’expérience de travail correspondant à l’énoncé principal et à certaines des fonctions principales énoncées dans la description dans la CNP. D’après l’information fournie dans la présente demande de permis de travail, je ne suis pas convaincu que le DP est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé selon l’alinéa 200(3)a) du Règlement. Demande refusée.

[Non souligné dans l’original.]

[18] En dépit du fait que l’agent a par inadvertance inséré une double négation dans sa conclusion (« je ne suis pas convaincu que le DP est incapable d’exercer l’emploi »), on comprend facilement à partir des motifs que l’agent n’était pas convaincu que M. Musiker serait capable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail était demandé et que le permis de travail était par conséquent refusé au titre de l’alinéa 200(3)a) du RIPR. Cette conclusion est confirmée dans la lettre de refus que l’agent a envoyée à M. Musiker, selon laquelle la demande a été refusée parce que ce dernier [traduction] « n’av[ait] pas démontré qu[‘il serait] capable d’exercer convenablement l’emploi pour lequel le permis de travail avait été demandé ».

(3) La décision de l’agent est raisonnable

[19] M. Musiker soutient que l’appréciation de l’agent quant à la question de savoir s’il était capable [traduction] « d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail était demandé » insistait indûment sur la description du groupe 2263 de la CNP et, par conséquent, incorporait à tort des principes extraits de l’article 75 du RIPR dans l’analyse effectuée au titre de l’alinéa 200(3)a). Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincu que la décision de l’agent était déraisonnable.

[20] L’article 75 du RIPR définit la « catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) » comme étant une catégorie de travailleurs qui peuvent devenir résidents permanents, et établit les exigences à remplir pour appartenir à cette catégorie. Plus particulièrement, le paragraphe 75(2) prévoit qu’un étranger est un « travailleur qualifié » s’il a accumulé au moins une année d’expérience de travail à temps plein dans la profession principale visée par sa demande; s’il a accompli l’ensemble des tâches figurant dans l’énoncé principal établi pour la profession dans la CNP; s’il a exercé une partie appréciable des fonctions principales de la profession dans les descriptions des professions de cette classification; s’il a obtenu les niveaux de compétence linguistique requis et s’il a soumis ses diplômes, certificats ou attestations : RIPR, art. 75(2)a) à e); Gulati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 451 au para 2; voir aussi le paragraphe 87.2(3) en ce qui concerne la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). L’étranger qui remplit ces conditions fondamentales sera ensuite évalué suivant différents critères, dont les études et l’expérience : RIPR, art. 75(3), 76(1).

[21] M. Musiker soutient qu’en renvoyant à l’énoncé principal et aux fonctions principales dans la CNP, l’agent a à tort fusionné les conditions applicables à la catégorie des travailleurs qualifiés de l’article 75 avec l’examen propre à une demande de permis de travail selon l’article 200 et, plus particulièrement, l’appréciation de la question de savoir s’il a « des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé » au titre de l’alinéa 200(3)a).

[22] Je ne suis pas de cet avis. L’article 75 contient des renvois exprès à la CNP et exige que le travailleur qualifié ait accompli des tâches prévues dans l’énoncé principal et ait exercé des tâches figurant dans la section portant sur les fonctions principales. Cependant, le fait que l’article 75 prévoie une évaluation spécifique relativement à la CNP ne rend pas la CNP non pertinente quant à l’appréciation prévue à l’alinéa 200(3)a). De même, un renvoi au groupe de la CNP, à son énoncé principal ou à ses fonctions principales ne rend pas une évaluation inappropriée.

[23] L’évaluation prévue à l’alinéa 200(3)a) est une évaluation de la capacité de l’étranger d’exercer « l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé ». Je conviens avec M. Musiker que cette évaluation a trait principalement à l’emploi qui a été offert et, par conséquent, aux fonctions que le demandeur veut exercer. Cependant, l’exigence d’obtenir une EIMT favorable, et la place que tient la CNP dans l’EIMT, font que la CNP demeure un point de référence pertinent dans l’évaluation de la nature du poste et de ses fonctions.

[24] L’analyse effectuée par l’agent comportait un examen des antécédents de travail de M. Musiker et du groupe de la CNP. L’agent a conclu qu’il y avait [traduction] « [p]eu d’éléments de preuve » que M. Musiker avait l’expérience de travail ou les études pertinentes spécifiques à ce groupe de la CNP, et en particulier il n’était pas convaincu qu’il possédait l’expérience de travail correspondant à l’énoncé principal et à certaines des fonctions principales énoncées dans la CNP. Les motifs donnés par l’agent ne montrent pas que celui‑ci a effectué par erreur l’analyse au titre du paragraphe 75(2) au lieu de celle requise au titre de l’alinéa 200(3)a). Plus particulièrement, bien qu’il renvoie à l’énoncé principal et aux fonctions principales, l’agent n’a pas apprécié la question de savoir si M. Musiker avait accumulé au moins une année d’expérience de travail à temps plein au cours de laquelle il avait accompli des tâches figurant dans l’énoncé principal et une partie appréciable des fonctions principales de la profession figurant dans la CNP.

[25] L’argument avancé par M. Musiker selon lequel l’agent a trop insisté sur la CNP et pas suffisamment sur l’offre d’emploi n’est pas convaincant puisque son offre d’emploi recouvre de façon importante les fonctions énoncées dans la CNP. Les fonctions figurant dans l’offre d’emploi de M. Musiker sont énoncées dans une liste comportant 13 éléments. Six de ces éléments sont identiques à six des huit fonctions figurant dans la section des « fonctions principales » du groupe 2263 de la CNP :

Effectuer des enquêtes et contrôler les programmes de l’environnement naturel afin d’identifier les sources de pollution;

Recueillir des échantillons des spécimens biologiques et chimiques pour fins d’analyse; mesurer les dangers physiques, biologiques et chimiques en milieu de travail et effectuer des vérifications environnementales et sécuritaires;

Enquêter sur les plaintes concernant la santé et la sécurité, les déversements de produits chimiques, les épidémies ou les empoisonnements et les accidents de travail;

Inspecter les milieux de travail afin de s’assurer que l’équipement, les matériaux et les procédés de production ne représentent aucun danger pour la sécurité ou pour la santé des employés ou du grand public;

Élaborer, mettre en œuvre et évaluer des programmes et des stratégies en matière de santé et sécurité;

Fournir des services de consultation et des programmes de formation aux employeurs, aux employés et au grand public sur les questions reliées à la santé publique, à la protection environnementale et à la sécurité en milieu de travail;

[26] L’énoncé principal relatif au groupe 2263 de la CNP présente le groupe comme étant celui des inspecteurs qui « évaluent et contrôlent les dangers pour la santé et la sécurité et élaborent des stratégies de contrôle des dangers », ce qui semble décrire judicieusement le rôle d’une personne exerçant les fonctions mentionnées précédemment.

[27] Parmi les sept autres éléments énumérés dans l’offre d’emploi de M. Musiker, certains sont d’ordre administratif ([traduction] « Établir des horaires et des procédures de travail et coordonner les activités avec d’autres services ou sections »; ([traduction] « Commander les fournitures et l’équipement »), d’autres se rapportent à la santé et la sécurité ([traduction] « Recruter des employés et les former en ce qui concerne leurs fonctions, les procédures de sécurité et les politiques de l’entreprise »; « Superviser les activités de santé et sécurité »), et un seul, le dernier, qui porte sur la sécurité ([traduction] « Assurer un soutien en matière de sécurité des aires de travail »). Il ressort clairement au vu de la formulation identique des six éléments que l’offre d’emploi a été rédigée en fonction de la CNP, probablement dans le but d’obtenir une EIMT favorable. Bien que cela ne soit pas répréhensible en soi tant que l’offre décrit clairement et fidèlement les fonctions de l’emploi, cela bat en brèche la tentative de M. Musiker d’établir une distinction entre sa capacité à exercer l’emploi offert et sa capacité à exercer les fonctions prévues dans la CNP.

[28] L’agent a apprécié l’expérience et les études de M. Musiker suivant les fonctions de l’emploi pour lequel le permis de travail était demandé. J’estime qu’il s’agissait d’une approche raisonnable pour évaluer s’il était « incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail [était] demandé » au titre de l’alinéa 200(3)a). Même si l’agent a présenté la liste des fonctions qu’il évaluait comme étant extraite de la liste des fonctions relative au groupe 2263 de la CNP, au lieu de l’offre d’emploi, ce qui aurait pu être préférable, je ne crois pas que cela diminue le caractère raisonnable de l’appréciation étant donné le chevauchement important des fonctions dans l’offre d’emploi et celles associées au groupe de la CNP. Puisque CMI a incorporé la majorité des fonctions du groupe 2263 de la CNP dans l’offre d’emploi, et a demandé une EIMT favorable en renvoyant à ce groupe, il n’est pas déraisonnable que l’agent ait renvoyé à la CNP et ait pris celle‑ci en compte dans l’évaluation de la question de savoir si M. Musiker serait capable d’exercer les fonctions énumérées dans l’offre d’emploi.

[29] Pour les mêmes motifs, je ne peux pas accepter l’argument de M. Musiker, citant la décision Kapasi, selon lequel l’agent a insisté indûment sur le libellé de la CNP, qui n’a pas de valeur exécutoire : Kapasi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1070 aux para 21 à 24. Comme le libellé de la CNP était reproduit tel quel dans l’offre d’emploi, une appréciation de la question de savoir si M. Musiker était capable d’exercer l’emploi supposait raisonnablement une appréciation de celle de savoir si ses compétences et son expérience correspondaient aux fonctions qui étaient décrites dans le libellé.

[30] Les deux parties renvoient à l’analyse « du caractère véritable » décrite dans un certain nombre d’affaires comme faisant partie de l’appréciation de la question de savoir si le travail effectué par un demandeur relevait d’un groupe de la CNP : Rodrigues c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 111 au para 10; Moradi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1186 aux para 37 et 38; Millik c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 82 aux para 8 et 21; Saatchi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1037 au para 26. Ces affaires concernent toutes des demandes de résidence permanente au titre des articles 75 et 87.1 du RIPR. Étant donné que ces dispositions supposent une appréciation différente, je doute qu’une analyse « du caractère véritable » de la CNP soit un élément obligatoire d’une appréciation aux termes de l’alinéa 200(3)a). Quoi qu’il en soit, je conviens avec le ministre que l’affirmation de l’agent selon laquelle [traduction] « [c]e groupe comprend les risques en matière de santé et de sécurité et les fonctions principales concernent les inspections et la réglementation gouvernementale » correspond à une appréciation du caractère véritable du groupe de la CNP et, par extension, de l’offre d’emploi puisque les « fonctions principales » du groupe reprennent largement celles mentionnées dans l’offre.

B. L’agent n’a pas omis de fournir des motifs adéquats ou fait abstraction de faits importants

[31] En plus de soutenir que l’agent a adopté la mauvaise approche à l’égard de la CNP. M. Musiker prétend que l’agent n’a pas expliqué comme il se devait les motifs de sa décision et n’a pas tenu compte d’éléments de preuve relatifs à son expérience. Encore une fois, je ne puis souscrire à cet argument.

[32] Les motifs d’une décision administrative doivent être suffisants pour expliquer le raisonnement du décideur lorsqu’il a rendu sa décision. M. Musiker cite la description de motifs suffisants donnée par le juge de Montigny, alors juge de la Cour, dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Jeizan, 2010 CF 323 au para 17. Bien que l’affaire ait été tranchée avant l’arrêt Vavilov, la description énonce judicieusement et clairement en quoi consistent des motifs adéquats :

Une décision est suffisamment motivée lorsque les motifs sont clairs, précis et intelligibles et lorsqu’ils disent pourquoi c’est cette décision‑là qui a été rendue. Une décision bien motivée atteste une compréhension des points soulevés par la preuve, elle permet à l’intéressé de comprendre pourquoi c’est cette décision‑là qui a été rendue, et elle permet à la cour siégeant en contrôle judiciaire de dire si la décision est ou non valide.

[33] Quoi qu’il en soit, le caractère suffisant des motifs doit être apprécié dans le contexte administratif : Vavilov aux para 84 à 86, 91, 94, 102 à 104. La Cour a réitéré que, étant donné le grand nombre de décisions qui doivent être rendues, et les intérêts en jeu, les agents des visas ne sont pas tenus de fournir des motifs abondants, bien qu’ils doivent répondre à la trame factuelle qui leur est présentée : Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 77 aux para 15 à 17; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 115 au para 24.

[34] Comme le reconnaît M. Musiker, les motifs de l’agent sont interprétés à juste titre comme concluant qu’il y avait peu d’éléments de preuve qu’il avait de l’expérience ou des études pertinentes en ce qui concerne [traduction] « les risques en matière de santé et de sécurité » et [traduction] « les inspections et la réglementation gouvernementale ». M. Musiker soutient que la décision de l’agent est déraisonnable parce que les motifs n’abordent pas la question de son expérience dans ces catégories. Plus particulièrement, il mentionne son certificat en secourisme et sa formation médicale, et son expérience à titre de premier répondant et en évacuations médicales, comme se rapportant à la santé et à la sécurité, et son expérience en entretien des véhicules, en entretien des armes et en établissement de rapports comme se rapportant au respect de la réglementation gouvernementale et des politiques de l’entreprise.

[35] Il ressort clairement que l’agent était au fait de l’expérience de M. Musiker en secourisme et en tant que premier répondant, ainsi que sa formation médicale et son expérience des évacuations médicales puisqu’il y a renvoyé dans son résumé des lettres relatives aux emplois occupés précédemment. L’agent a comparé cette expérience à l’offre d’emploi de CMI à titre de coordonnateur de la sécurité et de la conformité qui serait chargé d’inspecter, d’évaluer et de surveiller les [traduction] « risques pour la santé et la sécurité ». Il ressort clairement du contexte de la CNP, de la description d’emploi et des motifs de l’agent que l’agent ne croyait pas que l’expérience dans la prestation de premiers soins et de soutien médical établissait une capacité d’effectuer des inspections, des appréciations et des évaluations des risques en matière de santé et de sécurité au travail.

[36] Contrairement à ce que prétend M. Musiker, nous n’en sommes pas réduits à nous demander comment l’agent a pu conclure que son certificat en secourisme ne se rapportait pas à [traduction] « la santé et la sécurité ». Notamment, énoncées de cette façon, les observations formulées par M. Musiker retirent le terme [traduction] « risques » figurant dans la description faite par l’agent des [traduction] « risques en matière de santé et de sécurité » et cherchent à l’effacer du contexte de la description d’emploi. M. Musiker a fait sa demande, et CMI a obtenu une EIMT, au titre du groupe de la CNP « Inspecteurs/inspectrices de la santé publique, de l’environnement et de l’hygiène et de la sécurité au travail ». Bien que le travail en tant que technicien médical et qu’un certificat en secourisme soient manifestement des plus valables, le simple fait qu’il s’agisse du domaine de « l’hygiène et de la sécurité » au sens large ne soulève aucune question quant à la nature de l’analyse effectuée par l’agent dans le contexte de sa décision.

[37] De même, l’expression utilisée par l’agent ([traduction] « inspections et la réglementation gouvernementale ») s’insérait dans le contexte du groupe de la CNP et de l’offre d’emploi, et chaque élément se rapporte aux risques environnementaux et à la santé et la sécurité au travail. Comme l’a souligné l’agent, la CNP mentionne la fonction « d’assurer le respect des normes gouvernementales relatives aux systèmes sanitaires, au contrôle de la pollution, à la manipulation et à l’entreposage de substances dangereuses et à la sécurité en milieu de travail », et la CNP comme l’offre d’emploi renvoient à des « vérifications environnementales et sécuritaires » et à l’élaboration de « programmes et [de] stratégies en matière de santé et sécurité ». C’est seulement en retirant l’expression [traduction] « inspections et la réglementation gouvernementale » du contexte que M. Musiker peut prétendre invoquer son expérience de l’entretien d’armes et de véhicules et de l’établissement de rapports sur les incidents. Je suis convaincu que l’agent a raisonnablement conclu que l’expérience que possède M. Musiker ne démontrait pas une capacité à exercer cet aspect du travail pour lequel le permis était demandé et que les éléments de preuve quant à l’expérience de la réglementation à laquelle il renvoie ne minent ni l’essentiel ni le caractère suffisant des motifs de l’agent.

C. Il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale

[38] M. Musiker soutient qu’il n’a pas été informé des préoccupations de l’agent avant de recevoir la décision et qu’il n’a pas eu de possibilité d’y répondre. M. Musiker accepte le principe selon lequel il n’y a généralement aucune obligation d’informer le demandeur des préoccupations concernant le caractère suffisant des éléments de preuve ou les exigences du RIPR ou de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 : Patel (2021) au para 42; Sun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1548 aux para 23 à 25. Cependant, il affirme que les préoccupations de l’agent ne découlaient pas des exigences de l’alinéa 200(3)a), mais de son interprétation trop stricte de la description du groupe de la CNP, qui n’a pas de valeur exécutoire, et qu’il aurait par conséquent dû avoir la possibilité d`y répondre : Lee c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 484 aux para 32 à 37.

[39] Je conviens avec le ministre que l’agent n’était pas tenu d’informer M. Musiker de ses préoccupations et de lui donner la possibilité d’y répondre. Pour les motifs énoncés précédemment, j’estime que les préoccupations de l’agent découlaient directement de la liste des fonctions figurant dans la CNP et dans l’offre d’emploi, avec l’information fournie par M. Musiker. L’agent a conclu que les éléments de preuve présentés par M. Musiker quant à son expérience de travail ne le convainquaient pas que celui‑ci serait capable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail était demandé, ce qui constitue l’analyse prévue à l’alinéa 200(3)a). Même si l’agent a renvoyé à la liste de fonctions figurant dans la CNP plutôt qu’à celle figurant dans l’offre d’emploi, l’analyse s’inscrit dans la portée de la disposition, étant donné les liens entre la CNP, l’EIMT et le poste offert.

[40] Il convient de noter à cet égard que dans une lettre accompagnant la demande de permis de travail de M. Musiker, l’avocat de ce dernier a énoncé les fonctions (comme elles étaient énoncées dans l’offre d’emploi) et a mis en lumière les aspects de son expérience de travail censés démontrer sa capacité à exercer l’emploi. Cela comprenait sa prétendue expérience en matière de santé et sécurité, d’intervention en cas d’urgences médicales et de secourisme. M. Musiker savait clairement qu’il devait faire état de sa capacité à exercer l’emploi pour lequel le permis de travail était demandé avant que l’agent ne soulève la moindre préoccupation à ce sujet. Le fait que l’agent soit arrivé à la conclusion contraire selon les éléments de preuve ne soulève pas une question d’équité. La procédure suivie par l’agent était équitable dans les circonstances.

IV. Conclusion

[41] La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Aucune partie n’a proposé de question à certifier, et je conviens qu’aucune question n’est soulevée en l’espèce.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5941‑19

LA COUR DÉCLARE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Nicholas McHaffie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5941‑19

 

INTITULÉ :

STEVEN MALCOLM MUSIKER c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

 

audience tenue par VIDéOCONFéRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 22 juin 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

le 18 octobre 2021

 

COMPARUTIONS :

Stephen W. Green

Michael J. Hughes

 

pour le demandeur

 

Nicole Rahaman

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Green and Spiegel LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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