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Date : 20211021


Dossier : IMM‑6256‑20

Référence : 2021 CF 1119

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 octobre 2021

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

RAWAN ALFAOURI

ATHILA ALKOTOP

demanderesses

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Survol

[1] Rawan Alfaouri et Athila Alkotop sont des citoyennes de la Jordanie et d’anciennes résidentes d’Arabie saoudite. Madame Alfaouri possède la nationalité jordanienne de naissance, tandis que sa belle‑mère, Mme Alkotop, possède la nationalité jordanienne par naturalisation. L’époux de Mme Alfaouri et Mme Alkotop sont des Palestiniens d’origine syrienne.

[2] Mesdames Alfaouri et Alkotop sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La SPR a conclu qu’elles n’avaient ni qualité de réfugiées au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[3] Les demandes d’asile présentées par Mmes Alfaouri et Alkotop ont été instruites en même temps que huit autres présentées par les membres de leur famille immédiate et élargie. Six de ces demandes ont été accueillies, tandis que les quatre autres ont été rejetées.

[4] Madame Alfouri invoque comme seul motif de persécution le fait d’être séparée des membres de sa famille. La SPR a raisonnablement conclu que bien qu’il s’agisse d’une situation difficile, la séparation de la famille n’a aucun lien avec un motif prévu dans la Convention et ne confère pas à Mme Alfouri la qualité de personne à protéger au Canada. Le seul motif de persécution invoqué par Mme Alkotop était la perte possible de sa citoyenneté jordanienne, ce que la SPR a raisonnablement jugé comme un risque non crédible.

[5] La demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée.

II. Contexte

[6] Mesdames Alfaouri et Alkotop sont arrivées au Canada en provenance des États‑Unis d’Amérique en janvier 2019 et ont demandé l’asile à leur arrivée. Leurs demandes ont été jointes à celles d’autres membres de leur famille. Les dix demandeurs d’asile ont demandé la protection à titre de réfugiés venant de la Jordanie, de la Syrie, de l’Arabie saoudite et/ou des États‑Unis.

[7] La SPR a accueilli les demandes d’asile de six membres de la famille au motif qu’ils étaient des Palestiniens de souche qui avaient auparavant résidé en Arabie saoudite et qu’ils n’avaient que des titres de voyage syriens. La SPR était convaincue que ces membres de la famille étaient exposés à une possibilité sérieuse de persécution en Syrie et/ou en Arabie saoudite. Les quatre autres demandes, y compris celles de Mmes Alfaouri et Alkotop, ont été rejetées.

III. Question en litige

[8] La seule question en litige que soulève la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision de la SPR était raisonnable.

IV. Analyse

[9] La décision de la SPR est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 10 [Vavilov]). La Cour n’interviendra que si la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100). Ces critères sont remplis si les motifs permettent à la Cour de comprendre pourquoi la décision a été prise et de savoir si la décision appartient aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Vavilov aux para 85‑86, citant Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).

[10] Madame Alfaouri est l’unique membre de sa famille immédiate à ne pas avoir obtenu l’asile au Canada. Elle a fait valoir devant la SPR que le fait pour elle d’être séparée de son conjoint et de ses enfants, qu’entraînerait le rejet de sa demande d’asile, constituait en soi une question qui relève des droits de la personne. La SPR a conclu que la séparation de la famille n’a aucun lien avec un motif prévu dans la Convention et que Mme Alfaouri n’a pas su démontrer l’existence d’aucun autre risque de persécution ou auquel elle serait personnellement exposée, qui nécessite la protection du Canada.

[11] Madame Alfaouri s’appuie sur la décision Shkabari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 177 [Shkabari], dont le contexte portait sur une vendetta en Albanie. Dans la décision Shkabari, la SPR n’a pas retenu l’argument des demandeurs selon lequel les familles qui sont mêlées à des vendettas constituent un « groupe social », et a conclu que les demandeurs ne pouvaient établir un lien avec un motif de persécution prévu dans la Convention. Le juge John O’Keefe, qui n’était pas de cet avis, a dit que les demandeurs appartenaient à la catégorie du « groupe social» décrite par la Cour suprême comme « les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable » et, dans une moindre mesure, également à la catégorie des « groupes dont les membres s’associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu’ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association » (au para 54, citant Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 au para 70).

[12] Toutefois, dans l’affaire Shkabari, les demandeurs risquaient la persécution du fait qu’ils appartenaient à un groupe social constitué de personnes dont le mariage est interdit en vertu du droit coutumier albanais. En l’espèce, Mme Alfaouri ne dit pas qu’elle court un danger du fait de son association à d’autres membres de sa famille, mais seulement parce qu’elle risque d’être séparée d’eux.

[13] Les circonstances de l’espèce ressemblent donc davantage à celles de l’affaire Nazari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 561 [Nazari], dans laquelle la juge Sylvie Roussel a tiré la conclusion suivante (au para 20) :

Bien que les lois canadiennes sur l’immigration peuvent viser à promouvoir l’unité familiale dans certaines circonstances, comme celles que prévoit l’article 25 de la LIPR, le droit canadien des réfugiés ne reconnaît pas le droit fondamental qu’auraient les demandeurs d’asile de vivre ensemble (Chavez Carrillo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1228, aux paragraphes 15 et 17; Jawad c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1035, au paragraphe 10; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Ali Khan, 2005 CF 398, au paragraphe 11). En outre, le concept d’unité de la famille ne retire pas à un revendicateur le fardeau de démontrer qu’il est visé par la définition de « réfugié au sens de la Convention » (Garcia Garcia c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 847, au paragraphe 15). [En italique dans l’original.]

[14] Conformément aux remarques de la juge Roussel dans la décision Nazari, la conclusion de la SPR selon laquelle la crainte de Mme Alfaouri d’être séparée de sa famille n’équivalait pas à une crainte fondée d’être persécutée ou de subir un autre préjudice est conforme à la jurisprudence de notre Cour. Elle est donc raisonnable.

[15] La SPR a rejeté la demande d’asile de Mme Alkotop parce qu’elle s’est fondée sur des éléments de preuve portant sur les conditions en Jordanie indiquant que le pays a mis fin à la pratique de révocation de la citoyenneté des Palestiniens en 2015, en particulier pour ceux qui possèdent un passeport faisant état de leur pleine citoyenneté et un numéro d’identité nationale. Madame Alkotop s’est vu délivrer ces deux documents. Elle n’a pas contesté l’analyse des rapports sur les conditions en Jordanie faite par la SPR ni la conclusion de la SPR selon laquelle elle ne risque pas de perdre sa citoyenneté jordanienne.

[16] Mesdames Alfaouri et Alkotop soutiennent néanmoins que la SPR a eu tort de ne pas tenir compte des autres dangers auxquels elles pourraient être exposées en Jordanie en tant que femmes d’origine palestinienne, même si ces dangers n’ont jamais été soulevés.

[17] Il incombe au demandeur d’asile d’établir une crainte subjective et objective de persécution (Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1130 au para 38). La preuve documentaire portant sur la discrimination à laquelle sont exposés les Palestiniens apatrides en Jordanie ne permet pas d’établir que Mmes Alfaouri et Alkotop seraient exposées à une persécution similaire en tant que citoyennes de Jordanie. La SPR a l’obligation d’examiner tous les motifs possibles de demande d’asile qui sont soulevés par la preuve, mais elle n’a pas à chercher par‑delà la preuve des motifs possibles de demande d’asile (Mancia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 949 au para 9).

V. Conclusion

[18] La SPR a conclu à raison que Mmes Alfaouri et Alkotop ne s’étaient pas acquittées de leur fardeau de prouver qu’elles avaient qualité de réfugiées au sens de la Convention ou celle de personnes à protéger au Canada. Les autres processus d’immigration permettent mieux de tenir compte de la crainte légitime de Mme Alfaouri d’être séparée des membres de sa famille.

[19] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6256‑20

 

INTITULÉ :

RAWAN ALFAOURI ET ATHILA ALKOTOP c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À MISSISSAUGA, À TORONTO ET À OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 octobre 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 21 octobre 2021

 

COMPARUTIONS :

John O. Grant

 

Pour les demanderesses

 

Madeline Macdonald

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John O. Grant

Avocat

Mississauga (Ontario)

 

Pour les demanderesses

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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