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Date : 20060531

Dossier : IMM‑4541‑05

Référence : 2006 CF 665

Ottawa (Ontario), le 31 mai 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

 

ENTRE :

RIAD ABOU ALWAN

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               M. Alwan a quitté le Liban en décembre 1999 et est arrivé au Canada en mai 2000 après avoir traversé plusieurs pays européens. Sa demande d’asile a été rejetée parce qu’il était un membre de l’Armée du Liban du Sud et était exclu selon l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) et l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. On croyait qu’il avait commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité.

 

[2]               M. Alwan a épousé une Canadienne, Debra, qui a donné naissance à leur fille, Lyla, en mai 2003. Les autorités de la protection de l’enfance de l’Alberta leur ont rapidement retiré Lyla. Celle‑ci a des problèmes de santé causés par des blessures non accidentelles à la tête (syndrome du bébé secoué). M. Alwan nie avoir blessé sa fille. Lui et son épouse sont maintenant séparés et il a entrepris une procédure de divorce. Lyla vit maintenant avec lui. Aucune accusation n’a jamais été portée. L’épouse de M. Alwan, Debra, semble avoir disparu.

 

[3]               M. Alwan a présenté une demande de résidence permanente de l’intérieur du Canada. Normalement, une telle demande doit être présentée de l’extérieur du pays. Le ministre peut cependant faire une exception pour des considérations d’ordre humanitaire, conformément à l’article 25 de la LIPR. L’agente d’immigration a décidé qu’il n’y avait pas de motifs suffisants pour dispenser M. Alwan des exigences habituelles de la loi. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

[4]               M. Alwan a quelques liens avec le Canada, à part sa fille née ici. Il a deux frères à Edmonton. De nombreux membres de sa famille se trouvent cependant au Liban. Si ce n’était de Lyla, il n’aurait aucun argument à faire valoir. L’article 25 de la LIPR, qui reprend certains éléments de l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, rendu par la Cour suprême, exige cependant que « l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché » et « l’intérêt public » soient pris en compte.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[5]               M. Alwan soutient qu’il y a deux questions en litige en l’espèce. La première a trait à l’équité procédurale. L’agente d’immigration a eu accès aux dossiers des services de protection de l’enfance et d’aide à la famille de l’Alberta. M. Alwan soutient que la décision souffre d’un défaut fatal parce que l’agente s’est fondée, pour la rendre, sur des renseignements dont il ne disposait pas. Ensuite, la norme de contrôle judiciaire applicable à des cas comme le sien est la décision raisonnable simpliciter (Baker, précité). Il prétend que la décision était déraisonnable.

 

ANALYSE

[6]               L’agente d’immigration a eu accès aux dossiers des services de protection de l’enfance parce que M. Alwan avait donné son consentement écrit pour qu’il en soit ainsi. On ne peut pas la critiquer simplement parce qu’elle ne lui a pas remis une copie du dossier. L’obligation d’agir équitablement exigeait que les éléments qu’elle jugeait pertinents soient transmis à M. Alwan et que celui‑ci ait la possibilité d’y répondre. Même s’il n’y avait pas droit systématiquement, M. Alwan a rencontré l’agente de l’immigration avec son avocat. L’agente d’immigration était tenue de faire part à M. Alwan des questions suscitées par l’examen de la preuve extrinsèque (Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.), [2000] 4 C.F. 407; Mehboob Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 468 (QL); Mazumder c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 444).

 

[7]               L’agente d’immigration a posé plusieurs questions à M. Alwan. Aucune ne l’a pris par surprise et il a été en mesure de répondre. Ces questions avaient trait à la garde de Lyla. Bien qu’aucune ordonnance judiciaire ne prive M. Alwan de la garde de sa fille, il est un père célibataire qui travaille. C’est sa belle‑sœur qui garde Lyla le jour. Selon le dossier des services de protection de l’enfance et d’aide à la famille de l’Alberta, M. Alwan a dit que son frère et l’épouse de ce dernier s’occupaient de Lyla à temps plein et qu’il la voyait seulement pendant les fins de semaine. Il a dit à l’agente d’immigration qu’il avait menti aux autorités uniquement pour avoir droit à la prestation fiscale pour enfants.

 

[8]               L’agente d’immigration a accordé beaucoup d’importance à l’opinion d’un pédiatre selon laquelle Lyla ne devait pas aller au Liban à cause de son état de santé. Lyla est une citoyenne canadienne et on ne peut la forcer à aller dans ce pays. Elle est toutefois trop jeune pour prendre une décision. Si M. Alwan est renvoyé du Canada, rien ne l’empêchera d’emmener sa fille avec lui, à moins que les tribunaux de l’Alberta n’interviennent. Certaines nuances doivent être faites ici. L’agente d’immigration a‑t‑elle jugé que M. Alwan menaçait d’emmener Lyla avec lui pour qu’elle accueille sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire? Par ailleurs, l’agente semble penser qu’il serait préférable pour Lyla de vivre sans son père, ce qui amène la Cour à croire qu’il pourrait y avoir quelque chose dans le dossier qui jette un doute sur l’affirmation de ce dernier selon laquelle il n’a pas causé les blessures qui ont nécessité l’hospitalisation de sa fille.

 

[9]               L’agente a conclu sa décision de la façon suivante :

[traduction] Pour rendre cette décision, j’ai tenu compte de tous les facteurs mentionnés précédemment ainsi que de toute l’information contenue dans le dossier. Compte tenu de l’ensemble de la preuve dont je dispose, je ne suis pas convaincue que la dispense demandée est justifiée par des considérations d’ordre humanitaire.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[10]           La Cour ignore quels renseignements contenus dans le dossier l’agente d’immigration a pris en compte outre [traduction] « les facteurs mentionnés précédemment » et quel était l’ensemble de la preuve.

 

[11]           Le dossier dont la Cour dispose n’est pas conforme aux Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés. L’article 17 de ces règles exige notamment que le tribunal administratif dépose un dossier renfermant « tous les documents pertinents qui sont en [sa] possession ou sous [sa] garde ». Il ne fait aucun doute qu’une copie du dossier a été en la possession de l’agente d’immigration. Il aurait donc dû être mis à la disposition de la Cour (Sogi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 1 R.C.F. 171 (C.A.)). Toutefois, même si la Cour avait disposé du dossier, on ne saurait pas sur quels renseignements et sur quels éléments de preuve la décision de l’agente d’immigration était fondée.

 

[12]           L’arrêt R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869, est utile en l’espèce, même s’il s’agit d’une affaire criminelle. M. Alwan avait le droit de savoir pourquoi sa demande était rejetée. Il faut non seulement que justice soit rendue, mais qu’il soit manifeste qu’elle a été rendue. Une cour de révision doit savoir sur quoi repose une décision avant de pouvoir déterminer si celle‑ci était déraisonnable. [traduction] « [L]’information contenue dans le dossier » ne satisfait tout simplement pas à cette norme.

 


ORDONNANCE

1.                  La demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue par l’agente d’immigration le 12 juillet 2005 dans le dossier 4712-4173-7837, par laquelle elle a rejeté la demande d’établissement du demandeur fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est accueillie.

2.                  L’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

3.                  Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM‑4541‑05

 

 

INTITULÉ :                                                               RIAD ABOU ALWAN

                                                                                    c.

                                                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                    ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         EDMONTON (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 23 MAI 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                               LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 31 MAI 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kevin E. Moore                                                           POUR LE DEMANDEUR

 

Rick Garvin                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kevin E. Moore Law Office                                         POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

 

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