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                                                                                                                                           Date : 20021011

                                                                                                                                     Dossier : T-1423-00

                                                                                                        Référence neutre : 2002 CFPI 1071

OTTAWA, ONTARIO, CE 11e JOUR DU MOIS D'OCTOBRE 2002

EN PRÉSENCE DE : L'HONORABLE JUGE LUC MARTINEAU

ENTRE :

                                       LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA

                                pour et au nom de Sa Majesté la Reine du chef du Canada

                                                         (Ministre du Revenu national)

                                                                                                                                             Demanderesse

                                                                              - et -

                    CAISSE POPULAIRE DESJARDINS DE LEBEL-SUR-QUEVILLON

                                                                                                                                               Défenderesse

                                     MOTIFS D'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

CONSIDÉRANT que par action simplifiée la demanderesse réclame la somme de             18 633,44 $ à la défenderesse, et ce en raison de déductions à la source retenues mais non versées à Sa Majesté par la compagnie numérique 2972-9886 Québec Inc., entreprise faisant affaires sous la dénomination sociale Entreprises Forestières Lajoie (la "débitrice") ;


CONSIDÉRANT que cette réclamation est contestée par la défenderesse;

CONSIDÉRANT que la présente cause a été entendue avec l'action intentée par la demanderesse contre la Caisse Populaire d'Amos dans le dossier de la Cour T-1422-00;

CONSIDÉRANT les admissions, les affidavits et les pièces produits au dossier, les autorités invoquées par les parties, ainsi que les arguments contenus aux mémoires et ceux présentés à l'audience tenue à Montréal le 11 juin 2002 dans les dossiers T-1422-00 et                  T-1423-00;

                                                                         LES FAITS

CONSIDÉRANT que les faits qui suivent ne sont pas contestés;

CONSIDÉRANT que selon les prétentions de la demanderesse, la débitrice a fait défaut de remettre à Sa Majesté :

a)         la somme de 16 845,85 $ qu'elle a retenue sur la rémunération versée à ses employés en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e supp.) (la "LIR") pour la période du 1er octobre 1997 au 30 septembre 1998; et


b)         la somme de 1 787,59 $ qu'elle a retenue sur la rémunération versée à ses employés au titre des cotisations ouvrières payables par ses employés en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la "LAE") pour la période du 1er octobre 1997 au 30 septembre 1998;

CONSIDÉRANT que les déductions à la source visées plus haut représentent un montant total de 18 633,44 $;

CONSIDÉRANT que la demanderesse réclame maintenant la somme de 18 633,44 $ à la défenderesse suite à la saisie et à la vente en justice d'une ébrancheuse appartenant à la débitrice et dont la défenderesse s'est portée acquéreur dans les circonstances ci-après mentionnées;

CONSIDÉRANT que la défenderesse était créancière hypothécaire de la débitrice;

CONSIDÉRANT que le droit hypothécaire de la défenderesse était antérieur au droit de bénéficiaire de Sa Majesté;

CONSIDÉRANT que le 6 avril 1999 un jugement, au montant de 141 574,86 $ plus les intérêts et les frais, a été rendu par la Cour supérieure du Québec en faveur de la défenderesse contre la débitrice dans le dossier 605-05-000441-985;


CONSIDÉRANT qu'un bref de saisie-exécution visant les biens meubles de la débitrice a été émis par la Cour supérieure le 26 mai 1999 suite à l'obtention de ce jugement;

CONSIDÉRANT qu'en exécution de ce bref, l'ébrancheuse dont il est question plus haut a été saisie;

CONSIDÉRANT qu'un avis public de vente en justice du bien saisi est paru le 9 juin 1999 dans le journal l'Echo d'Amos;

CONSIDÉRANT que la vente en justice a eu lieu le 22 juin 1999;

CONSIDÉRANT que l'ébrancheuse a été adjugée à la défenderesse pour la somme de 18 000 $;

CONSIDÉRANT qu'un certificat de vente a été dressé par l'officier chargé de la vente conformément à l'article 611.1 du Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25 ("C.p.c.");

CONSIDÉRANT que la demanderesse n'a produit aucune réclamation auprès de l'officier;


CONSIDÉRANT que suite à l'expiration des délais prévus à l'article 614 C.p.c., l'officier a procédé à la distribution de la somme de 18 000 $;

CONSIDÉRANT que par lettre du 7 juillet 1999, la demanderesse a avisé la défenderesse que la débitrice devait à Sa Majesté des déductions à la source pour un total de           18 633,44 $ et que ce montant était par ailleurs visé par la fiducie présumée établie par les paragraphes 227(4) ou (4.1) LIR et 86(2) ou (2.1) LAE;

CONSIDÉRANT que par cette même lettre, la demanderesse a mis en demeure la défenderesse de lui faire parvenir en priorité la somme de 18 633,44 $ à même le produit de réalisation de quelque bien de la débitrice que ce soit, déduction faite des frais de réalisation;

CONSIDÉRANT que suite au défaut de la défenderesse d'obtempérer à cette mise en demeure et à celle qui a suivi le 10 novembre 1999, la demanderesse a institué le 31 juillet 2000 la présente action contre la défenderesse;

CONSIDÉRANT que la réclamation originale de 18 000 $ contre la défenderesse, contenue à la déclaration de la demanderesse produite le 31 juillet 2000, a été portée à                     18 633,44 $, tel qu'il appert de la déclaration amendée du 13 juillet 2001, qui allègue également que quelques mois après la vente en justice du 22 juin 1999, par laquelle la défenderesse s'est portée acquéreur de l'ébrancheuse, celle-ci l'a vendue à un tiers pour la somme de 30 000 $;


                                                        DISPOSITIONS FÉDÉRALES

CONSIDÉRANT que le fardeau de prouver que sa réclamation contre la défenderesse est fondée repose sur la demanderesse;

CONSIDÉRANT que la demanderesse fonde sa réclamation contre la défenderesse en vertu des paragraphes 227(4) et (4.1) LIR et 86(2) et (2.1) LAE (les "dispositions fédérales");

CONSIDÉRANT que les dispositions fédérales créent une fiducie présumée;

CONSIDÉRANT que les dispositions fédérales établissent certaines présomptions légales;

CONSIDÉRANT qu'en vertu des paragraphes 227(4) LIR et 86(2) LAE, le débiteur fiscal est réputé détenir en fiducie pour Sa Majesté tout montant déduit ou retenu en vertu de la LIR;

CONSIDÉRANT qu'en vertu des paragraphes 227(4.1) LIR et 86(2.1) LAE, Sa Majesté possède un "droit de bénéficiaire" ("beneficial ownership") sur tout bien visé par la fiducie présumée, auquel cas celui-ci est réputé ne pas faire partie du patrimoine du débiteur fiscal;


CONSIDÉRANT que les paragraphes 227(4.1) LIR et 86(2.1) LAE visent d'une part les biens du débiteur fiscal et d'autre part les biens détenus par son créancier garanti au sens du paragraphe 224(1.3) LIR qui, en l'absence d'une garantie au sens du même paragraphe, seraient ceux de cette personne;

CONSIDÉRANT que ces présomptions s'appliquent dès lors qu'un débiteur fiscal fait défaut de remettre à Sa Majesté, dans les délais prévus à la LIR, les montants visés aux paragraphes 227(4) LIR et 86(2) LAE;

CONSIDÉRANT que ces présomptions s'appliquent malgré les autres dispositions de la LIR, la LFI (sauf les articles 81.1 et 81.2 LFI), tout autre texte législatif ou provincial, ou toute règle de droit;

CONSIDÉRANT que ces présomptions ont principalement pour objet de faciliter les procédures de recouvrement intentées au nom de Sa Majesté contre un débiteur fiscal et de prévenir les contestations que l'exercice du droit de bénéficiaire de Sa Majesté peut faire naître vis-à-vis d'autres créanciers du débiteur fiscal, en particulier les créanciers garantis au sens du paragraphe 224(1.3) LIR;


CONSIDÉRANT qu'en vertu des paragraphes 227(4.1) in fine LIR et 86(2.1) in fine LAE, le produit découlant de la réalisation de ces biens est payé au receveur général par priorité;

CONSIDÉRANT que les dispositions fédérales ne prévoient ni la manière ni les modalités particulières selon lesquelles Sa Majesté peut faire valoir son droit de bénéficiaire et sa créance prioritaire;

CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 222 LIR, tous les impôts, intérêts, pénalités, frais et autres montants payables en vertu de la LIR sont des dettes envers Sa Majesté et sont recouvrables devant la Cour fédérale ou devant tout autre tribunal compétent, ou de toute autre manière prévue par la LIR;

CONSIDÉRANT que les déductions à la source prévues à l'article 153 LIR devaient exclusivement être effectuées par l'employeur, en l'occurrence la débitrice, le débiteur fiscal;

CONSIDÉRANT qu'en vertu du paragraphe 223(3) LIR, le ministre peut faire enregistrer au nom de Sa Majesté un certificat à la Cour fédérale attestant qu'un débiteur fiscal, qui n'a pas effectué certaines déductions à la source, est endetté pour le montant indiqué audit certificat;


CONSIDÉRANT que les paragraphes 223(5) et (6) LIR permettent également d'enregistrer au nom de Sa Majesté, dans la province où sont situés les biens du débiteur fiscal, en vue de grever ceux-ci d'une charge, conformément à la loi provinciale, un document délivré par la Cour fédérale et faisant preuve du contenu du certificat enregistré à la Cour fédérale en vertu du paragraphe 223(3) LIR;

CONSIDÉRANT que lorsque des procédures d'exécution sont prises au nom de Sa Majesté contre un débiteur fiscal suite à l'enregistrement en vertu de l'article 223 LIR d'un certificat à la Cour fédérale, les brefs de saisie-exécution sont, sauf disposition contraire des

Règles, exécutés autant que possible de la manière fixée par le droit de la province où sont situés les biens à saisir, et tel qu'il est prévu au paragraphe 56(3) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 (la "Loi") et la règle 448 des Règles;

CONSIDÉRANT qu'il n'a pas été allégué ni prouvé que des procédures de recouvrement en vertu de la LIR ont été prises par la demanderesse contre la débitrice;


                                                    DISPOSITIONS PROVINCIALES

CONSIDÉRANT qu'en l'absence de procédure particulière prévue dans la LIR ou la LAE pour faire valoir le droit de bénéficiaire que Sa Majesté possède, en vertu des dispositions fédérales, les règles de droit provincial s'appliquent subsidiairement et par analogie, en faisant les adaptations nécessaires;

                                                         Droit de bénéficiaire et fiducie

CONSIDÉRANT que l'expression "droit de bénéficiaire" ("beneficial ownership") que l'on retrouve aux paragraphes 227(4.1) LIR et 86(2.1) LAE n'est pas définie par le législateur fédéral;

CONSIDÉRANT que le concept de "beneficial ownership" est une notion issue de la common law;

CONSIDÉRANT que dans la province de Québec, c'est le droit civil en vigueur qui fait autorité en matière de propriété et de droit civil;

CONSIDÉRANT que le concept de "beneficial ownership" est inconnu en droit civil québécois;


CONSIDÉRANT les articles 947 et suivants et 1260 et suivants C.c.Q.;

CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 1261 C.c.Q., le patrimoine fiduciaire, formé des biens, transférés en fiducie, constitue un patrimoine d'affectation autonome et distinct de celui du constituant, du fiduciaire ou du bénéficiaire, sur lequel aucun d'entre eux n'a de droit réel;

CONSIDÉRANT par analogie l'article 1263 C.c.Q. et également l'article 1290 C.c.Q.;

                                                              Priorités et hypothèques

CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 2646 C.c.Q., les créanciers peuvent agir en justice pour faire saisir et vendre les biens de leur débiteur;

CONSIDÉRANT qu'en cas de concours entre les créanciers, la distribution du prix se fait en proportion de leur créance, à moins qu'il n'y ait entre eux des causes légitimes de préférence;

CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 2647 C.c.Q., les causes légitimes de préférence sont les priorités et les hypothèques;


CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 2650 C.c.Q., est prioritaire la créance à laquelle la loi attache, en faveur d'un créancier, le droit d'être préféré aux autres créanciers, même hypothécaires, suivant la cause de sa créance;

CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 2651, paragraphe 4, C.c.Q., les créances de l'État pour les sommes dues en vertu des lois fiscales constituent une créance prioritaire;

CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 2655 C.c.Q., les créances prioritaires sont opposables aux autres créanciers, ou à tous les tiers lorsqu'elles sont constitutives d'un droit réel, sans qu'il soit nécessaire de les publier;

CONSIDÉRANT par ailleurs qu'en vertu de l'article 2725 C.c.Q., les hypothèques légales de l'État, y compris celles pour les sommes dues en vertu des lois fiscales, peuvent grever des biens meubles et des biens immeubles;

CONSIDÉRANT que ces hypothèques ne sont acquises que par leur inscription sur le registre approprié;

CONSIDÉRANT que l'inscription, par l'État, d'une hypothèque légale mobilière pour les sommes dues en vertu des lois fiscales, ne l'empêche pas de se prévaloir plutôt de sa créance prioritaire;


CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 2732 C.c.Q., le créancier qui a inscrit son hypothèque légale conserve son droit de suite sur le bien meuble qui n'est pas aliéné dans le cours des activités d'une entreprise, de la même manière que s'il était titulaire d'une hypothèque conventionnelle;

                                                   Droits des créanciers hypothécaires

CONSIDÉRANT que dans la province de Québec, selon le C.c.Q., le créancier hypothécaire n'est pas propriétaire du bien visé par la garantie;

CONSIDÉRANT que la situation est différente dans les autres provinces où les biens grevés par des charges fixes et spécifiques de la common law confèrent un droit de propriété au créancier garanti;

CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 2748 C.c.Q., outre leur action personnelle et les mesures provisionnelles prévues au C.p.c., les créanciers hypothécaires peuvent, lorsque leur débiteur est en défaut et que leur créance est liquide et exigible, exercer l'un ou l'autre des droits hypothécaires suivants:

a)         prendre possession du bien grevé pour l'administrer;

b)         le prendre en paiement de leur créance;


c)         le faire vendre sous contrôle de justice; ou

d)         le vendre eux-mêmes.

                                              Saisie et vente en justice de biens meubles

CONSIDÉRANT que la saisie et la vente de biens meubles saisis par un créancier suite à l'obtention d'un jugement obtenu dans la province de Québec sont régies par les articles 580 et suivants et 605 et suivants C.p.c.;

CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 580 C.p.c., le bref de saisie-exécution mobilière enjoint à l'officier compétent de prélever sur les biens meubles du débiteur le montant de la dette en principal, intérêts et dépens, ceux d'exécution compris;

CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 592.3 C.p.c., lorsque l'officier saisissant constate que des droits ont été consentis par le débiteur sur des biens saisis, il doit signifier avec diligence, sous peine de tous dommages-intérêts, aux titulaires, à l'adresse inscrite au Registre des droits personnels et réels mobiliers ("RDPRM"), une copie certifiée de son procès-verbal, de saisie et de l'avis de vente;


CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 611 C.p.c., l'officier qui a procédé à la vente doit en dresser procès-verbal contenant la liste des articles mis en vente et, en regard de chacun, les noms et résidence de l'adjudicataire et le prix d'adjudication;

CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 614 C.p.c., si l'officier saisissant a constaté que des droits ont été consentis sur les biens saisis, il dresse un état de collocation dont il signifie une copie certifiée au débiteur et aux créanciers;

CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 614 C.p.c., si dans les dix jours de la signification de l'état, le débiteur ou aucun créancier ne l'a contesté, l'officier saisissant procède à la distribution des sommes d'argent;

CONSIDÉRANT que dans le cas contraire, l'officier rapporte les sommes d'argent pour qu'elles soient adjugées par le tribunal, et qu'il en est de même lorsqu'il y a déconfiture du saisi;

CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 615 C.p.c., la distribution des sommes d'argent provenant de la vente s'effectue de la façon suivante :

l.          Les frais de justice;


2.         Les réclamations des créanciers prioritaires, ou hypothécaires, s'ils ont produit un état de leur créance, appuyé d'un affidavit et des pièces justificatives nécessaires;

3.         La réclamation du créancier saisissant, s'il est chirographaire.

CONSIDÉRANT que lorsqu'une vente en justice a lieu suite à l'initiative d'un autre créancier que Sa Majesté, l'effet des paragraphes 227(4.1) in fine LIR et 86(2.1) in fine LAE est de permettre à Sa Majesté d'être colloquée en priorité sur le produit de réalisation de la vente;

CONSIDÉRANT que les dispositions provinciales ne sont ni contraires ni incompatibles avec les dispositions fédérales et qu'elles n'empêchent pas Sa Majesté de se prévaloir de son droit de bénéficiaire et d'invoquer sa créance prioritaire;

CONSIDÉRANT que les dispositions fédérales ne dispensent pas Sa Majesté de l'obligation de faire valoir son droit de bénéficiaire et sa créance prioritaire en temps utile, dans les délais et de la manière prévus à la loi;


                   COURONNE FÉDÉRALE LIÉE PAR LE CODE CIVIL DU QUÉBEC

                                              ET LE CODE DE PROCÉDURE CIVILE

CONSIDÉRANT l'argument invoqué par les procureurs de la demanderesse à l'effet que Sa Majesté n'est pas liée par les dispositions du C.c.Q. et du C.p.c. susceptibles de s'appliquer en l'espèce;

CONSIDÉRANT les articles 1, 42 et 61 de la Loi d'interprétation (Québec), L.R.Q., ch. I-16;

CONSIDÉRANT les articles 2, 17 et 35 de la Loi d'interprétation (Canada), L.R.C. (1985), ch. I-21;

CONSIDÉRANT les principes généraux établis par la doctrine et la jurisprudence;

CONSIDÉRANT que la Couronne peut être assujettie à une loi non seulement dans l'hypothèse d'une disposition expresse liant celle-ci, mais également lorsque le contexte d'une disposition ou son objet font voir la volonté du législateur de lier la Couronne;

CONSIDÉRANT que les paragraphes 227(4.1) LIR et 86(2.1) LAE font expressément référence à la LFI, à tout autre texte législatif fédéral ou provincial ou toute règle de droit;


CONSIDÉRANT a contrario que Sa Majesté est liée par les articles 81.1 et 81.2 LFI, et par voie d'implication nécessaire, par tout autre texte législatif fédéral ou provincial ou toute règle de droit relative à l'objet des dispositions fédérales, la fiducie, les biens, les garanties et les priorités, et qui n'est par ailleurs pas contraire ou incompatible avec l'exercice du droit de bénéficiaire et la priorité que les paragraphes 227(4.1) LIR et 86(2.1) LAE confèrent à Sa Majesté;

CONSIDÉRANT que lorsque les dispositions fédérales en cause sont interprétées dans le contexte d'autres dispositions de la LIR - comme les articles 222 et 223 LIR, et de la Loi sur la Cour fédérale, supra, p. 9, - qui renvoient à l'application des règles de droit provincial en matière de recouvrement, d'exécution des jugements, d'enregistrement et de publicité des              droits -, il en ressort une intention claire du Parlement de lier la Couronne fédérale et ce en autant que les règles provinciales applicables ne soient pas incompatibles avec les dispositions de la LIR;

CONSIDÉRANT en outre que les dispositions fédérales ainsi que les articles 222 et 223 LIR seraient privés de toute efficacité si Sa Majesté n'était pas liée par lesdites règles de droit provincial;

CONSIDÉRANT que l'assujettissement de principe de la Couronne fédérale au droit commun constitue une exigence du principe de la primauté du droit ("Rule of Law");


CONSIDÉRANT que dans la province de Québec, le C.c.Q. et le C.p.c. constituent le "droit commun" de la province, même s'il s'agit de textes législatifs;

CONSIDÉRANT qu'il faut distinguer entre la nature d'un droit et les modalités d'exercice de ce droit;

CONSIDÉRANT que les dispositions provinciales d'ordre général applicables en l'espèce s'appliquent à tous les créanciers;

CONSIDÉRANT que lesdites dispositions ne diminuent pas le droit de bénéficiaire et ne nient pas la créance prioritaire que Sa Majesté possède en vertu des dispositions fédérales;

CONSIDÉRANT en conséquence que Sa Majesté est liée par ces dispositions provinciales;

CONSIDÉRANT que dans la présente action prise contre la défenderesse, la demanderesse désire se prévaloir des dispositions du C.c.Q., puisque dans les conclusions de son action, elle demande notamment que la Cour condamne la défenderesse à lui verser, en plus du montant de la réclamation, l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q.


CONSIDÉRANT que lorsque la Couronne choisit de tirer avantage de la loi, elle en assume les obligations et les inconvénients;

CONSIDÉRANT que selon le paragraphe 39(1) de la Loi sur la Cour fédérale, sauf disposition contraire d'une autre loi, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particulier s'appliquent à toute instance devant la Cour dont le fait générateur est survenu dans cette province;

CONSIDÉRANT que puisque les dispositions fédérales ne prévoient pas de délai pour faire valoir le droit de bénéficiaire et la créance prioritaire de Sa Majesté, celle-ci devait faire valoir ceux-ci dans les délais auxquels les créanciers d'un débiteur doivent se conformer;

CONSIDÉRANT que si Sa Majesté décide de ne pas entreprendre elle-même une action personnelle contre le débiteur fiscal ou de ne pas exercer les recours que lui confère la LIR pour réaliser sa créance prioritaire, elle ne peut faire valoir son droit de bénéficiaire qu'en se conformant elle-même aux dispositions provinciales applicables en l'espèce;


                          OPPOSABILITÉ DES ACTES JURIDIQUES À SA MAJESTÉ

CONSIDÉRANT que la saisie et la vente en justice de l'ébrancheuse ont été faites conformément aux conditions prévues au C.p.c. pour l'exécution des jugements;

CONSIDÉRANT que la preuve au dossier ne permet pas de conclure que la défenderesse a obtenu le jugement du 6 avril 1999 suite à l'exercice de l'un ou l'autre des droits hypothécaires mentionnés à l'article 2748 C.c.Q.;

CONSIDÉRANT que ce sont les règles générales prévues aux articles 580 et suivants C.p.c. qui s'appliquent ici;

CONSIDÉRANT que selon l'état certifié du RDPRM, produit par la demanderesse (pièce 1 de l'affidavit de documents souscrit par Louise Vallière le 17 octobre 2000), le nom de Sa Majesté n'y apparaît pas;

CONSIDÉRANT que la demanderesse n'a adressé aucune réclamation à l'officier chargé de la saisie et de la vente de l'ébrancheuse et que les délais prévus à l'article 614 C.p.c. sont expirés;


CONSIDÉRANT qu'à l'audience, les procureurs de la demanderesse ont mentionné qu'il est fréquent que la Couronne ignore qu'elle possède une créance contre un débiteur fiscal au moment où des procédures de vente en justice des biens du débiteur fiscal ont lieu à l'initiative d'autres créanciers;

CONSIDÉRANT que dans le cas sous étude cette allégation ne repose sur aucune preuve;

CONSIDÉRANT que l'ignorance de la Couronne ne saurait en elle-même empêcher l'application des dispositions générales du C.p.c. en matière d'exécution des jugements;

CONSIDÉRANT qu'il aurait été loisible à Sa Majesté de prendre des mesures en recouvrement contre la débitrice en vertu de la LIR ou encore d'enregistrer une hypothèque légale sur les biens de débitrice;

CONSIDÉRANT que contrairement à la situation examinée par la Cour fédérale dans la décision qu'elle a rendue le 13 septembre 2002 dans l'affaire impliquant Les Entreprises Forestières P.S. Inc. et NewCourt Financial Ltd., 2002 CFPI 968, portée en appel, il n'y a eu aucune saisie par Sa Majesté des biens meubles de la débitrice;

CONSIDÉRANT l'article 612 C.p.c.;


CONSIDÉRANT qu'en l'absence d'un jugement rendu par le tribunal compétent annulant la saisie et la vente en justice de l'ébrancheuse, il y a lieu de considérer ces actes juridiques valides et pleinement opposables à la demanderesse et à Sa Majesté;

                     AUCUN DROIT RÉEL OU DE SUITE SUR LES BIENS MEUBLES

CONSIDÉRANT que les paragraphes 227(4.1) in fine LIR et 86(2.1) in fine LAE visent les cas de vente en justice ou autres cas semblables où le produit de réalisation d'un bien doit être partagé entre les créanciers.

CONSIDÉRANT que le droit de bénéficiaire prévu aux paragraphes 227(4.1) LIR ou 86(2.1) LAE, en tant que tel, ne confère aucun droit réel ni droit de suite sur le bien;

                    AUCUNE ACTION PERSONNELLE CONTRE LA DÉFENDERESSE

CONSIDÉRANT que les dispositions fédérales ne confèrent aucun droit de recours personnel contre l'acquéreur de bonne foi d'un bien assujetti à la fiducie présumée, que celui-ci ait été ou non un créancier du débiteur fiscal;


CONSIDÉRANT qu'en l'absence de termes clairs dans la LIR, la Cour ne peut retenir l'interprétation proposée par la demanderesse de l'effet des dispositions fédérales, qui équivaut, en l'absence de fraude ou de collusion, à tenir les créanciers, garantis ou non garantis, ainsi que les tiers-acquéreurs de bonne foi, solidairement et personnellement responsables de la non-remise des déductions à la source, qui doivent être exclusivement effectuées par le débiteur fiscal en vertu de l'article 153 LIR;

CONSIDÉRANT que la Cour doit interpréter les dispositions fédérales d'une manière qui respecte, d'une part, l'atteinte de résultats prévisibles en matière commerciale et, d'autre part, le partage des pouvoirs exclusifs assignés par les articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 au Parlement et aux législatures des provinces;

CONSIDÉRANT que si la Cour accepte l'interprétation proposée par la demanderesse de l'effet des dispositions fédérales, cela risque d'engendrer une incertitude juridique qui serait préjudiciable à la sécurité des opérations commerciales et qui compromettrait également le fonctionnement et l'efficacité dans la province de Québec des dispositions provinciales;


CONSIDÉRANT que lorsque le législateur fédéral a décidé d'imputer une quelconque responsabilité de paiement à l'égard d'un tiers autre que le débiteur fiscal, il le fait d'une manière expresse en prévoyant l'envoi d'une demande de paiement à ce tiers, comme dans le cas de l'article 224 LIR où il a notamment conféré un droit de saisie-arrêt au Ministre lorsque les conditions particulières prévues à cette disposition sont remplies;

CONSIDÉRANT qu'il aurait été loisible au législateur fédéral d'intervenir clairement et de préciser la responsabilité solidaire des personnes autres que le débiteur fiscal et ce, tel que le prévoient entre autres les articles 160 ou 227.1 LIR;

CONSIDÉRANT que Sa Majesté n'a de droit d'action contre un tiers que si ce dernier était dans une position où il aurait pu être tenu conjointement et solidairement responsable dans une action personnelle prise par Sa Majesté contre le débiteur fiscal;

CONSIDÉRANT que les procédures de recouvrement, d'exécution des jugements et la vente en justice prévues dans le C.p.c. s'appliquent à tous les créanciers et visent l'atteinte de résultats prévisibles;

CONSIDÉRANT que la somme de 18 633,44 $ réclamée personnellement contre la défenderesse ne constitue pas un impôt, intérêt, pénalité, frais ou autre montant payable personnellement par la défenderesse en vertu de l'article 222 LIR;


CONSIDÉRANT que la demanderesse n'a aucune cause d'action en vertu des dispositions fédérales contre la défenderesse et que sa réclamation est non fondée;

PAR CES MOTIFS, LA COUR ORDONNE QUE :

L'action de la demanderesse soit rejetée;

Le tout avec dépens contre la demanderesse.

                                                                                                                                                                                                                                       

                                                                                                                                                  Juge


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                   NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DE LA COUR :                   T-1423-00

INTITULÉ :                                La Procureure Générale du Canada

et

Caisse Populaire Desjardins de Lebel-Sur-Quevillon

LIEU DE L'AUDIENCE :        Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :       11 JUIN 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE

L'HONORABLE JUGE MARTINEAU

EN DATE :                                11 OCTOBRE 2002

COMPARUTIONS :

Me Nadine Dupuis et Me Patrick Vézina                        POUR LE DEMANDEUR

                  

Me Jocelyn Geoffroy                                                          POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Morris Rosenberg                                  POUR LE DEMANDEUR             

Procureur général du Canada

Me Jocelyn Geoffrey                                                 POUR LA DÉFENDERESSE

Geoffrey, Matte, Kélada & Associés

Amos (Québec)

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