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Date : 20060315

Dossier : IMM-3053-05

Référence : 2006 CF 336

Ottawa (Ontario), le 15 mars 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

ENTRE :

GERMAN EDUARDO RODRIGUEZ TORRES

ROCIO DEL PILAR BLANCO BERNAL

CAMILA ANDREA BLANCO BERNAL

NICOLAS RODRIGUEZ BLANCO

SANTIAGO RODRIGUEZ BLANCO

(aussi appelé SANTIAGO RODRIGUEZ)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Les demandeurs constituent une famille. Le demandeur principal, German Eduardo Rodriguez Torres, son épouse, Rocio Del Pilar Blanco Bernal, et leur fille, Camila Andrea Blanco Bernal, sont citoyens de la Colombie. Les enfants les plus jeunes, Nicolas Rodriguez Blanco et Santiago Rodriguez Blanco, sont citoyens des États-Unis. La famille a demandé l'asile au Canada, en s'appuyant sur la demande de M. Torres, qui était fondée sur sa crainte d'être persécuté par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) en raison de son engagement au sein du Parti libéral de Colombie. La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté les demandes des deux enfants les plus jeunes pour le motif que, en tant que citoyens des États-Unis, ils n'avaient pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger. Cette conclusion n'est pas contestée. En ce qui concerne M. Torres, son épouse et l'aînée, la Commission a rejeté leurs demandes d'asile. Ils demandent le contrôle judiciaire de cette décision.

[2]                M. Torres a eu affaire aux FARC pour la première fois alors qu'il passait l'après-midi avec son père, sa fiancée (maintenant son épouse) et la fille de celle-ci. Vers la même époque, il a commencé à recevoir des menaces des FARC en raison de son engagement au sein du Parti libéral de Colombie et du fait qu'il avait mis sur pied une aile jeunesse pendant qu'il était à l'université. De plus, les FARC ont tenté de le convaincre d'attribuer des maisons, dans le cadre d'un projet d'habitation sociale sur lequel l'entreprise de construction pour laquelle il travaillait exerçait un certain contrôle, à des gens approuvés par les FARC.

[3]                M. Torres affirme avoir déménagé plusieurs fois afin d'échapper aux FARC. En fin de compte, son épouse et lui ont emménagé dans une maison que possédait l'oncle de son épouse, un homme d'affaires prospère, qui était également une cible des FARC. L'oncle leur a conseillé d'avertir la police, mais ils ne l'ont pas fait, par crainte d'alerter des espions des FARC.   

[4]                Peu avant Noël, en 1997, M. Torres a reçu une lettre sur du papier à en-tête des FARC-EP lui annonçant qu'un tribunal militaire des FARC avait rendu contre lui un jugement in absentia, selon lequel il représentait un objectif militaire légitime pour le crime d'avoir appuyé une oligarchie politique ainsi que des politiciens corrompus. M. Torres et son épouse ont décidé de quitter la Colombie et, le 28 décembre, ils ont pris l'avion vers les États-Unis où ils sont entrés grâce à des visas obtenus plusieurs mois auparavant.   

[5]                M. Torres et son épouse ont travaillé aux États-Unis pendant six ans. Leur visa de travail a expiré le 15 novembre 2004 et n'a pu être renouvelé. Leur demande d'asile aux États-Unis a été rejetée en mai 2001.

[6]                M. Torres prétend que, deux ans après son départ de Colombie, son père a reçu des appels téléphoniques de menaces des FARC. L'individu qui a appelé aurait mentionné M. Torres. Ses parents ont déménagé dans une autre maison, dans une autre ville, et ils n'ont pas reçu d'autres appels.

[7]                En 2003, M. Torres s'est rendu avec son fils en Colombie parce que sa mère était en phase terminale. Ils y sont restés environ un mois. Trois jours après leur départ, la mère de M. Torres est morte; toute la famille est alors retournée en Colombie et y est restée pendant une semaine pour assister aux funérailles. La famille est ensuite revenue aux États-Unis, mais, sachant que les visas de travail expiraient bientôt et ne voulant pas demeurer illégalement aux États-Unis, elle s'est inscrite à Vive la Casa, un organisme venant en aide aux gens cherchant à être protégés. La famille est entrée au Canada le 27 octobre 2004.

[8]                M. Torres soutient qu'il lui est impossible de retourner en Colombie parce que les FARC le retrouveraient. Après un long séjour à l'étranger, la famille représenterait pour les FARC une cible tentante d'enlèvement et d'extorsion. En tant que [traduction] « objectif militaire » , il est peu probable que les FARC oublient M. Torres et qu'elles ne saisissent pas la première occasion de faire du mal à sa famille et à lui si leur retour était découvert.

[9]                La SPR a rejeté la demande. Elle a soulevé un certain nombre de doutes quant à la crédibilité de la preuve et elle a jugé que les demandeurs n'éprouvaient pas de crainte subjective d'être persécutés.

[10]            M. Torres soutient que la Commission a commis une erreur dans ses conclusions sur la crédibilité. Malgré les arguments solides de l'avocat, je ne suis pas convaincue que les conclusions sur la crédibilité soient manifestement déraisonnables.

[11]            Je ne conviens pas que la Commission ait commis une erreur en concluant que M. Torres n'avait pas mentionné que l'altercation en présence de son père était sa première expérience avec les FARC. Il est vrai que la Commission a posé une question directe à ce sujet, mais il est également vrai que le Formulaire de renseignements personnels (FRP) de M. Torres indiquait clairement que les deux hommes avaient été abordés à cette occasion par les FARC et que M. Torres avait eu [traduction] « très peur » .

[12]            Je ne crois pas non plus qu'il était manifestement déraisonnable pour la SPR de prendre en compte le fait que le père de M. Torres ait continué à vivre vraisemblablement en paix en Colombie. Il est exact qu'un élément de preuve montrait que le père du demandeur avait déménagé, mais le déménagement, selon cet élément de preuve, avait eu lieu en 1998 et le père du demandeur ne semble pas avoir été contacté depuis.

[13]            Également, la Commission pouvait n'accorder qu'une faible valeur probante à la lettre des FARC parce qu'elle ne pouvait être authentifiée. Elle n'a pas jugé que le document était frauduleux. La lettre ne tranchait pas la demande. Pour M. Torres, le problème est que la Commission, en se fondant sur l'ensemble de la preuve, n'a pas cru son récit.

[14]            La lettre du Parti libéral de Colombie indique, en termes très généraux, que M. Torres était membre du Parti et qu'il avait dû quitter le pays pour échapper à des menaces à son intégrité et à sa vie. Il n'y est fait aucune mention des FARC ou d'objectif militaire. Dans son témoignage, M. Torres a affirmé qu'il avait discuté de la question des FARC avec un des directeurs de l'aile jeunesse du Parti libéral (dossier du tribunal, page 386). De plus, la lettre prévoit expressément qu'il ne s'agit pas d'une déclaration du Parti.

[15]            La SPR a fait preuve de compassion envers M. Torres, qui éprouvait le besoin de visiter sa mère avant sa mort. Mais elle comprenait difficilement que toute la famille se soit rendue en Colombie pour assister aux funérailles et y soit restée une semaine, particulièrement quand la preuve documentaire indique que [traduction] « les FARC sont extrêmement bien organisées, au point où certains affirment qu'elles possèdent une technologie de l'information supérieure à celle du gouvernement colombien » . En effet, M. Torres a déclaré dans son témoignage que, une fois rendu le verdict le désignant comme un [traduction] « objectif militaire » , les FARC saisiraient probablement la première occasion de faire du mal à sa famille ou à lui. La Commission n'a pas commis d'erreur en concluant qu'il était déraisonnable que M. Torres risque tout pour assister aux funérailles quand il avait passé un mois auprès de sa mère à peine trois jours plus tôt.

[16]            La décision de la SPR doit être considérée dans son ensemble. Après avoir examiné soigneusement les dossiers et la transcription, il est évident que la SPR n'a tout simplement pas cru M. Torres. Étant donné la preuve, la Commission pouvait certainement arriver à cette conclusion et la Cour n'a pas à intervenir.

[17]            Les avocats n'ont pas proposé de question à certifier et aucune n'est soulevée.

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE QUE la demande soit rejetée.

« Carolyn Layden-Stevenson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-3053-05

INTITULÉ :                                                                GERMAN EDUARDO RODRIGUEZ TORRES ET AL.

                                                                                    c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 9 MARS 2006

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                       LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

DATE DES MOTIFS :                                               LE 15 MARS 2006

COMPARUTIONS :

Clifford Luyt

POUR LES DEMANDEURS

Sally Thomas

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Patricia Ann Ritter

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

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