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Date : 20211020


Dossier : IMM‑886‑20

Référence : 2021 CF 1104

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 octobre 2021

En présence de madame la juge Furlanetto

ENTRE :

CARL ANDERSON ADAMS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, monsieur Carl Anderson Adams, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 22 janvier 2020 par laquelle un agent d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] avait rejeté sa demande de résidence permanente présentée au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, au motif d’une interdiction de territoire pour criminalité en application de l’alinéa 36(2)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] La question soumise à la Cour est celle de savoir si le demandeur a été privé de son droit à l’équité procédurale. Celui‑ci allègue avoir dûment présenté une demande de prorogation du délai pour déposer une demande de réadaptation, mais que l’agent qui a pris la décision n’en a pas tenu compte.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la preuve ne permet pas de conclure qu’une demande de prorogation était pendante devant l’agent au moment de la prise de décision ni qu’un manquement à l’équité procédurale est survenu. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I. Contexte

[4] Le demandeur, citoyen de la Barbade, est arrivé au Canada en tant que visiteur le 3 mars 2016. Il n’a pas prorogé son permis de séjour temporaire, lequel est arrivé à échéance le 30 mai 2017. Il est ensuite demeuré au Canada sans autorisation. Le demandeur a épousé sa répondante le 12 février 2017 et a présenté, le 18 juillet 2017, une demande de résidence permanente depuis le Canada au titre de la catégorie des époux au Canada.

[5] Le 7 décembre 2019, le demandeur a reçu une lettre d’équité procédurale [la LEP] qui l’a informé de son interdiction de territoire potentielle en raison des déclarations de culpabilité dont il avait fait l’objet en Barbade entre 2001 et 2004. L’agent a assimilé les infractions à l’origine des déclarations de culpabilité à des actes criminels visés au Code criminel, LRC 1985, c C‑46, et a indiqué que le demandeur ne serait pas admissible à la présomption de réadaptation, mais que la réadaptation individuelle pourrait être une option. La LEP lui a octroyé un délai de 30 jours pour soumettre une demande de réadaptation. La lettre mentionnait aussi que, si le demandeur ne présentait pas une telle demande ni d’autres observations, une décision sur la conformité de sa situation avec la LIPR serait prise en fonction des renseignements versés au dossier et pourrait conduire au rejet de sa demande de résidence permanente.

[6] Le 6 janvier 2020, soit la date butoir fixée par la LEP, le demandeur a envoyé un courriel à IRCC dans lequel il appelait à l’indulgence et sollicitait le réexamen de sa demande vu sa récente situation, celle de sa famille, son comportement et le laps de temps écoulé depuis la commission des infractions.

[7] Le 22 janvier 2020, l’agent a rendu sa décision. Il a tenu compte du courriel du 6 janvier 2020, mais a conclu que, puisqu’aucune demande de réadaptation n’avait été déposée, le demandeur était interdit de territoire. Même s’il n’avait pas à trancher cette question, l’agent a aussi jugé qu’il n’existait pas de motifs suffisants pour justifier l’octroi d’une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire.

[8] Le demandeur a produit un affidavit dans le cadre de la présente instance de contrôle judiciaire dans lequel il a allégué qu’il avait joint une lettre à un courriel envoyé à IRCC le 2 janvier 2020 où il sollicitait une prorogation du délai pour obtenir les documents nécessaires à sa demande de réadaptation. Le demandeur prétend que le défaut de l’agent de prendre acte et de tenir compte de sa demande de prorogation du délai constitue un manquement à l’équité procédurale.

[9] Le défendeur dément qu’une lettre sollicitant une prorogation ait été reçue par IRCC. Il a produit l’affidavit d’un gestionnaire des opérations d’IRCC [l’affidavit de M. Thyriar] qui indique qu’une recherche de la boîte de réception générale a été effectuée, mais qu’aucun courriel n’a été reçu. L’affidavit de M. Thyriar se fonde sur des renseignements tenus pour véridiques fournis par l’agent qui a rendu la décision et par le superviseur de l’unité de l’agent.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[10] La seule question en litige soulevée par le présent contrôle judiciaire est celle de savoir si le demandeur a été privé d’équité procédurale. Pour répondre à cette question, la Cour doit déterminer si une demande de prorogation du délai aux fins d’une demande de réadaptation était pendante devant l’agent et si elle est restée sans réponse.

[11] L’exercice de révision applicable aux questions relatives à l’équité procédurale se reflète au mieux dans la norme de la décision correcte, même si ces questions ne sont pas assujetties, à strictement parler, à une analyse de la norme de contrôle. À la place, ces questions doivent être contrôlées en se demandant si la procédure suivie par le décideur était équitable : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54; Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35; Sangha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 95 au para 13.

III. Analyse

[12] Les parties conviennent que lorsqu’une demande de prorogation du délai raisonnable et présentée en temps opportun est pendante devant l’agent, elle devrait toujours être examinée avant qu’une décision ne soit rendue (Venkata c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 423 aux para 75‑76; Hussain c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1199 aux para 6‑11; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817).

[13] Le demandeur prétend que sa preuve par affidavit suffit à établir qu’une demande de prorogation du délai a été acheminée à IRCC. Par conséquent, il devrait être présumé que la demande a été reçue et qu’elle est pendante.

[14] Le demandeur renvoie aux décisions Karimi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1163 aux paragraphes 10‑11, et Ghaloghlyan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1252 aux paragraphes 8‑10, qui ont toutes deux traité de la question du fardeau placé sur le défendeur dans les cas où il doit établir qu’un courriel a été envoyé par un agent à un demandeur quand ce dernier allègue ne pas l’avoir reçu. Dans ces cas, une fois qu’il a été démontré que le message a été envoyé à l’adresse courriel fournie à des fins d’envoi et qu’il était « acheminé », il était présumé qu’il avait été reçu, sauf si la présomption était réfutée et que la preuve allait dans le sens contraire.

[15] Le défendeur fait valoir que le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau d’établir qu’une demande de prorogation du délai avait été présentée à l’agent.

[16] Il se fonde sur la décision Asoyan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 206 [Asoyan]. Au paragraphe 24 de cette décision, il a été reconnu qu’un courriel n’offre pas la même fiabilité en matière de réception qu’une télécopie. De ce fait, il a été suggéré d’élargir les obligations de l’expéditeur pour qu’elles englobent la mise en œuvre de tous les mécanismes raisonnables offerts par les programmes de courriels pour veiller à ce que les communications soient bien reçues (voir également la décision Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 900 au para 34).

[17] Aux paragraphes 18‑19 de la décision Asoyan, la Cour reconnaît que les communications subséquentes entre les parties en cause peuvent révéler si un courriel a bien été reçu. Lorsqu’il soupçonne que ce n’est pas le cas, l’expéditeur peut être requis de faire un suivi.

[18] La correspondance en cause a été envoyée par le demandeur au défendeur. Elle n’a pas été versée au dossier certifié du tribunal [le DCT] par le défendeur comme étant un document en possession de l’agent qui devait rendre la décision.

[19] Il est bien établi que lorsqu’un document ne figure pas au DCT, la Cour va présumer que l’agent d’immigration ne disposait pas de celui‑ci, sauf si des éléments de preuve produits par le demandeur vont dans le sens contraire. Une simple affirmation ne suffit pas. Il appartient au demandeur de démontrer que le décideur était en possession du document (Adewale c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1190 au para 11; El Dor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1406 au para 32; Togtokh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 581 au para 16).

[20] En l’espèce, le demandeur a produit un affidavit dans lequel il est déclaré qu’une lettre de demande de prorogation était jointe au courriel envoyé le 2 janvier 2020. Il y inclut comme pièce un imprimé provenant du compte Gmail de son épouse qui montre un message sans objet envoyé le 2 janvier 2020 à 8 h 42 à l’adresse courriel d’IRCC.

[21] À l’inverse des autres communications envoyées par le demandeur, rien dans le courriel n’indique l’objet du message ni qu’il concerne un dossier actif d’IRCC. En outre, le courriel est dépourvu de contenu. L’imprimé révèle simplement qu’un document sans titre particulier est joint au message. Il figure sur l’imprimé en tant que « Document (5) » seulement.

[22] La pièce comprend une copie de la lettre de demande de prorogation sur une page distincte qui, selon le demandeur, correspond au document joint à la communication du 2 janvier 2020. Je conviens avec le défendeur que ni l’imprimé du courriel ni le document lui‑même n’indiquent que la lettre est le « Document (5) ».

[23] Le courriel du 2 janvier 2020 n’est pas accompagné d’un accusé de réception ou d’une confirmation de lecture. De plus, il n’y a aucun imprimé du contenu de la boîte de réception des courriels pour montrer l’absence d’avis de non‑délivrance du courriel. L’imprimé ne montre pas clairement s’il s’agit d’un message envoyé depuis la boîte d’envoi de courriels. L’affidavit est lacunaire quant à cet aspect.

[24] Aucun autre élément de preuve versé au dossier n’indique qu’un message a été reçu en bonne et due forme le 2 janvier 2020 et qu’un suivi à cet égard a été fait par le demandeur.

[25] En premier lieu, le demandeur reconnaît qu’il n’a reçu aucune réponse à son courriel du 2 janvier 2020. À l’inverse, il joint l’accusé de réception reçu d’IRRC cinq jours plus tard, soit le 7 janvier 2020, à son autre courriel envoyé le 6 janvier 2020.

[26] L’absence d’indices dans le courriel du 2 janvier 2020 et le fait qu’IRCC n’en a pas accusé réception, alors qu’il l’avait fait dès le lendemain à l’égard de l’autre courriel de réponse à la LEP acheminé quatre jours plus tard, jettent de sérieux doutes sur la prétention qu’IRCC a bien reçu et accusé réception d’un message antérieur.

[27] En deuxième lieu, la réponse du 6 janvier 2020 du demandeur n’est pas rédigée d’une manière qui laisserait penser qu’il continue de solliciter une prorogation. Ce même courriel répondait de manière informelle à la LEP sans faire aucune mention de la correspondance du 2 janvier 2020, soit la demande de prorogation, ou d’efforts soutenus déployés par le demandeur pour obtenir des documents de la Barbade en vue de préparer une demande de réadaptation.

[28] En troisième lieu, aucun élément de preuve ne montre que le demandeur a fait un quelconque suivi auprès d’IRCC sur l’état d’une demande de prorogation pendante, que ce soit avant ou après la décision. On aurait pu s’attendre à ce que le demandeur effectue une certaine forme de suivi dans les circonstances, surtout que la prorogation était d’une telle importance et qu’aucune réponse à la demande n’avait été reçue.

[29] Le défendeur allègue qu’il n’a pas reçu le courriel du 2 janvier 2020 de la part du demandeur. Il produit l’affidavit de M. Thyriar à l’appui de cette affirmation. De son côté, le demandeur soutient que cet affidavit devrait être écarté ou, subsidiairement, se voir accorder une faible valeur probante, parce qu’il est en grande partie fondé sur du ouï‑dire. Bien que je convienne que l’affidavit de M. Thyriar doit se voir accorder une valeur probante limitée en raison de ses contradictions et de son recours à des renseignements tenus pour véridiques, j’estime que cela importe peu. Le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau d’établir qu’une demande de prorogation était pendante devant l’agent au moment de la prise de décision. Par conséquent, rien ne permet de conclure à l’existence d’un manquement à l’équité procédurale.

[30] Comme le demandeur n’a soulevé aucun autre argument sur le caractère déraisonnable de la décision, ces constatations suffisent pour faire échouer la demande de contrôle judiciaire.

IV. Conclusion

[31] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[32] Aucune question à certifier n’a été proposée par les parties, et l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑886‑20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Angela Furlanetto »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑886‑20

 

INTITULÉ :

CARL ANDERSON ADAMS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 SeptembRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FURLANETTO

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 OCTOBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Rylee Raeburn‑Gibson

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Bernard Assan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann Sandaluk & Kingwell LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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