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Date : 20210914


Dossier : T-1480-19

Référence : 2021 CF 942

Ottawa (Ontario), le 14 septembre 2021

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

ALLIANCE NATIONALE DE L’INDUSTRIE MUSICALE

demanderesse

et

CONSEIL DE LA RADIODIFFUSION ET DES TÉLÉCOMMUNICATIONS CANADIENNES

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) sollicite la radiation de trois aspects de l’Avis de demande déposé par l’Alliance nationale de l’industrie musicale (ANIM). Dans l’Avis de demande, l’ANIM allègue que le CRTC n’a pas respecté ses obligations linguistiques selon la Loi sur les langues officielles, LRC (1985), ch 31 (4e suppl) [LLO] et la Charte canadienne des droits et libertés et elle sollicite plusieurs ordonnances à titre de réparation. Dans le cadre de la présente requête, le CRTC cherche la radiation de (i) la demande de l’ANIM pour les dommages-intérêts, (ii) la demande pour une ordonnance obligeant le CRTC à imposer des conditions de licence dans le futur, et (iii) plusieurs paragraphes des motifs invoqués par l’ANIM dans son Avis de demande. La requête du CRTC soulève l’interaction entre, d’une part, les dispositions réparatrices de la LLO et la Charte, et d’autre part, l’immunité des tribunaux administratifs et la compétence de cette Cour selon la Loi sur les cours fédérales, LRC (1985), ch F-7 [LCF].

[2] Je conclus que la demande de l’ANIM pour les dommages-intérêts doit être radiée. La décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Ernst c Alberta Energy Regulator, 2017 CSC 1 établit qu’il est évident et manifeste qu’une telle réparation, que ce soit en vertu de la Charte ou de la LLO, ne peut être « convenable et juste » compte tenu l’immunité dont bénéficie le CRTC à l’égard de ses fonctions juridictionnelles.

[3] Je conclus aussi que la demande de l’ANIM pour une ordonnance obligeant le CRTC à imposer des conditions de licence doit être radiée dans la mesure où elle se fonde sur la Charte. Il est évident et manifeste qu’une telle ordonnance visant le CRTC ne peut être accordée que par la Cour d’appel fédérale selon les articles 18, 18.1 et 28 de la LCF. En conséquence, cette Cour n’est pas un « tribunal compétent » aux fins du paragraphe 24(1) de la Charte quant à cette ordonnance. Par contre, cette même demande fondée sur le prétendu manquement aux obligations selon la LLO n’est pas radiée. À la lumière des dispositions législatives et de la jurisprudence, il n’est pas évident et manifeste que les pouvoirs conférés à cette Cour par l’article 77 de la LLO sont limités ou écartés par les dispositions de la LCF.

[4] Finalement, je rejette la demande accessoire du CRTC de faire radier certains paragraphes des motifs invoqués par l’ANIM dans l’Avis de demande. Ces paragraphes contiennent des allégations de fait qui sont pertinentes aux allégations de violation de la LLO, même après que certains aspects de la demande soient radiés.

[5] La demande du CRTC est donc accordée en partie. Je défère la question des dépens à la Cour qui statuera sur la demande de l’ANIM sur le fond.

II. Questions en litige et cadre d’analyse

[6] Je vais traiter les questions soulevées dans la requête du CRTC dans l’ordre suivant :

  1. Est-ce que la demande de l’ANIM pour les dommages-intérêts en vertu du paragraphe 77(4) de la LLO et du paragraphe 24(1) de la Charte devrait être radiée de l’Avis de demande?

  2. Est-ce que la demande de l’ANIM pour une ordonnance en vertu du paragraphe 77(4) de la LLO et du paragraphe 24(1) de la Charte obligeant le CRTC à imposer des futures conditions de licence devrait être radiée de l’Avis de demande?

  3. Est-ce que les paragraphes 36 à 58 de l’Avis de demande devraient être radiés?

  4. Est-ce que les frais devraient être accordés à l’ANIM, peu importe le résultat?

[7] Il n’y a pas grande controverse entre les parties au sujet du cadre d’analyse lors d’une requête en radiation. Même si cette demande n’est pas une demande de contrôle judiciaire, les parties conviennent que les principes applicables sont ceux énoncés dans Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc, 2013 CAF 250 aux para 47–53 et David Bull Laboratories (Canada) Inc c Pharmacia Inc, [1995] 1 CF 588 (CA) aux pp 596–600. Ces principes sont, brièvement, que :

  • a) Comme proposition générale, le moyen direct et approprié par lequel un intimé devrait contester un avis de demande consiste à comparaître et à faire valoir ses prétentions à l’audition de la demande : David Bull aux pp 596–597.

  • b) Néanmoins, la Cour a le pouvoir, fondé sur sa compétence absolue de restreindre le mauvais usage ou l’abus des procédures judiciaires, de radier un avis de demande en total ou en partie : David Bull à la p 600; JP Morgan au para 48; Fono c Société canadienne d’hypothèques et de logements, 2019 CF 1190 aux para 17–18, 37, 48, conf par 2021 CAF 125.

  • c) Ce pouvoir ne doit être exercé que dans les cas exceptionnels où il est « manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli », c’est-à-dire qu’il est « évident et manifeste » que la demande ne peut réussir : David Bull à la p 600; JP Morgan au para 47; Ernst aux para 15, 68–69.

  • d) Ces cas exceptionnels peuvent inclure les demandes qui comprennent un « vice fondamental et manifeste » qui infirme à la base la compétence de la Cour d’entendre l’affaire : JP Morgan au para 47; Chrysler Canada Inc c Canada, 2008 CF 727 au para 20, conf par 2008 CF 1049.

  • e) Pour les fins de la requête en radiation, les allégations contenues dans l’Avis de demande doivent être tenues pour avérées : Chrysler au para 20; JP Morgan au para 52.

III. Analyse

A. La demande pour dommages-intérêts

(1) Contexte : la demande pour dommages-intérêts et son fondement

[8] Dans son Avis de demande, l’ANIM sollicite une ordonnance :

ORDONNANT QUE le CRTC paie des dommages-intérêts à l’ANIM, dont le quantum sera précisé avant l’audience, pour le financement des projets de ses membres qui sont admissibles à un financement au titre du développement du contenu canadien (« DCC ») en vertu du Règlement de 1986 sur la radio, DORS/86-982 (« Règlement sur la Radio »), comme réparation convenable et juste, en vertu du paragraphe 77(4) de la LLO et du paragraphe 24(1) de la Charte, pour le préjudice que les manquements du [CRTC] à la LLO et à la Charte ont causé aux membres de l’ANIM;

[9] La demande de l’ANIM a ses racines dans le renouvèlement par le CRTC en 2012 de la licence de radio par satellite par abonnement de Sirius XM Canada Inc : Décision de radiodiffusion CRTC 2012-629. Dans la licence renouvelée, le CRTC a imposé à Sirius XM comme conditions certains paiements de contributions aux projets du développement du contenu canadien (DCC). En particulier, le CRTC a requis que Sirius XM contribue au moins 4% de ses revenus bruts aux projets du DCC, répartis de sorte que (a) au moins 20% du total soit alloué à la Foundation Assisting Canadian Talent on Recordings (FACTOR); (b) au moins 10% du total soit alloué à la Fondation Musicaction (MUSICACTION); (c) au moins 5% soit alloué au Fonds canadien de la radio communautaire (FCRC); et (d) de ce qui reste (les « contributions discrétionnaires »), au moins 45% soit alloué aux projets du DCC de langue française et 45% aux projets du DCC de langue anglaise : Décision de radiodiffusion CRTC 2012-629, à l’Annexe, « Conditions de licence » aux para 13(b), (d).

[10] La FACTOR appuie des projets anglophones tandis que MUSICACTION appuie des projets francophones. MUSICACTION fait des contributions importantes aux projets des communautés francophones et acadiennes en situation minoritaire (CFSM). L’ANIM est un organisme porte-parole de l’industrie musicale des communautés francophones et acadiennes à l’extérieur du Québec, et les membres de l’ANIM représentent l’ensemble des artistes et des professionnels du secteur de la chanson et de la musique des CFSM.

[11] L’allocation des contributions entre la FACTOR et MUSICACTION dans la Décision de radiodiffusion CRTC 2012-629 a modifié la répartition antérieure, où la FACTOR et MUSICACTION recevaient une distribution minimum égale. L’ANIM allègue que cette modification a causé des incidences négatives majeures sur le financement des projets francophones pour le DCC, surtout puisque Sirius XM est la principale société de divertissement audio au pays. Elle prétend que le CRTC n’a pas donné un préavis adéquat aux CFSM de la possibilité de cette modification et ne les a pas tenus informés d’un processus qui les concerne. L’ANIM allègue que ceci constitue une violation des obligations du CRTC selon les articles 16 et 20 de la Charte et les parties IV (surtout les articles 21, 22, 27, 28 et 30) et VII (surtout l’article 41) de la LLO.

[12] En 2013, l’ANIM a déposé une plainte au Commissaire aux langues officielles (CLO) selon l’article 58 de la LLO. Une telle plainte est une condition préalable à un recours devant cette Cour selon les articles 76 et 77 de la LLO. Ces articles font partie de la Partie X de la LLO, intitulé « Recours judiciaire » :

Définition de tribunal

Definition of Court

76 Le tribunal visé à la présente partie est la Cour fédérale.

76 In this Part, Court means the Federal Court.

Recours

Application for Remedy

77 (1) Quiconque a saisi le commissaire d’une plainte visant une obligation ou un droit prévus aux articles 4 à 7 et 10 à 13 ou aux parties IV, V, ou VII, ou fondée sur l’article 91, peut former un recours devant le tribunal sous le régime de la présente partie.

77 (1) Any person who has made a complaint to the Commissioner in respect of a right or duty under sections 4 to 7, sections 10 to 13 or Part IV, V or VII, or in respect of section 91, may apply to the Court for a remedy under this Part.

Délai

Limitation period

(2) Sauf délai supérieur accordé par le tribunal sur demande présentée ou non avant l’expiration du délai normal, le recours est formé dans les soixante jours qui suivent la communication au plaignant des conclusions de l’enquête, des recommandations visées au paragraphe 64(2) ou de l’avis de refus d’ouverture ou de poursuite d’une enquête donné au titre du paragraphe 58(5).

(2) An application may be made under subsection (1) within sixty days after

(a) the results of an investigation of the complaint by the Commissioner are reported to the complainant under subsection 64(1),

(b) the complainant is informed of the recommendations of the Commissioner under subsection 64(2), or

(c) the complainant is informed of the Commissioner’s decision to refuse or cease to investigate the complaint under subsection 58(5),

or within such further time as the Court may, either before or after the expiration of those sixty days, fix or allow.

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

[13] Le CLO a communiqué son rapport final en juillet 2019, soit six ans après le dépôt de la plainte et un an après l’expiration de la licence octroyée par la Décision de radiodiffusion CRTC 2012-629. La Cour n’a pas le rapport du CLO dans les dossiers de requête, mais selon le récit du CRTC, le CLO a conclu que la plainte de l’ANIM n’était pas fondée. L’ANIM a déposé son Avis de demande le 9 septembre 2019, dans les soixante jours qui suivaient la communication du rapport.

[14] Parce qu’il s’agit d’une requête en radiation, la Cour doit tenir les allégations de fait tels qu’elles apparaissent dans l’Avis de demande de l’ANIM pour avérées. Donc, j’accepte pour les fins de cette requête que la modification d’allocation de contributions dans la Décision de radiodiffusion 2012-629 ait causé un préjudice financier aux CFSM. De plus, le CRTC ne conteste pas que la question de savoir s’il y avait un bris des obligations selon la LLO ou la Charte doit être résolue lors de la détermination de la demande sur le fond. Alors, j’accepte pour les fins de cette requête que l’ANIM peut établir un manquement des obligations linguistiques du CRTC. La seule question soulevée dans la présente requête est celle de la réparation.

[15] L’ANIM sollicite les dommages-intérêts comme réparation pour la prétendue violation, selon le paragraphe 24(1) de la Charte et le paragraphe 77(4) de la LLO. Elle argumente que la portée de ces deux dispositions réparatrices est assez large pour comprendre une ordonnance de dommages-intérêts contre le CRTC. Je tourne alors à ces dispositions.

(2) Le paragraphe 24(1) de la Charte et le paragraphe 77(4) de la LLO

[16] Le paragraphe 24(1) de la Charte et le paragraphe 77(4) de la LLO sont formulés de manière similaire :

Charte canadienne des droits et libertés

Canadian Charter of Rights and Freedoms

Recours en cas d’atteinte aux droits et libertés

Enforcement of guaranteed rights and freedoms

24 (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

24 (1) Anyone whose rights or freedoms, as guaranteed by this Charter, have been infringed or denied may apply to a court of competent jurisdiction to obtain such remedy as the court considers appropriate and just in the circumstances.

Loi sur les langues officielles

Official Languages Act

Ordonnance

Order of Court

77 (4) Le tribunal peut, s’il estime qu’une institution fédérale ne s’est pas conformée à la présente loi, accorder la réparation qu’il estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

77 (4) Where, in proceedings under subsection (1), the Court concludes that a federal institution has failed to comply with this Act, the Court may grant such remedy as it considers appropriate and just in the circumstances.

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

[17] Étant donné leur portée identique, « les principes d’interprétation de l’article 24(1) de la Charte peuvent être utilement suivis en ce qui concerne la portée du pouvoir de réparation de la Cour en vertu du paragraphe 77(4) de la LLO » : Thibodeau c Air Canada, 2011 CF 876 au para 36, mod sur d’autres points par 2012 FCA 246, conf par 2014 CSC 67; Agence canadienne de l'inspection des aliments c Forum des maires de la péninsule acadienne, 2004 CAF 263 au para 56. La Cour suprême a confirmé qu’« [à] l’instar du par. 24(1) de la Charte, le par. 77(4) de la LLO confère un vaste pouvoir de réparation et devrait recevoir une interprétation généreuse afin que se réalise son objet » [je souligne]: Thibodeau (CSC) au para 112. Comme l’a remarqué le juge McIntyre dans l’affaire Mills, en parlant de l’article 24(1) de la Charte, « [i]l est difficile de concevoir comment on pourrait donner au tribunal un pouvoir discrétionnaire plus large et plus absolu » : Mills c La Reine, [1986] 1 RCS 863 à la p 965; voir aussi Doucet-Boudreau c Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62 aux para 24, 50, 52.

[18] Comme la Charte, la LLO a pour objet la protection des droits fondamentaux et doit être interprétée en tenant compte de cet objectif important. En particulier, la LLO vise à « assurer le respect du français et de l’anglais à titre de langues officielles du Canada, leur égalité de statut et l’égalité de droits et privilèges quant à leur usage dans les institutions fédérales » et à « appuyer le développement des minorités francophones et anglophones et, d’une façon générale, de favoriser, au sein de la société canadienne, la progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais » : LLO, art 2. Les droits linguistiques protégés par la LLO « doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada » [soulignement dans l’original] : R c Beaulac, [1999] 1 RCS 768 au para 25.

(3) Les dommages-intérêts comme réparation selon le paragraphe 24(1) de la Charte et le paragraphe 77(4) de la LLO

[19] Il n’y a aucun doute que les réparations disponibles selon le paragraphe 24(1) de la Charte et/ou le paragraphe 77(4) de la LLO comprennent une ordonnance de dommages-intérêts quand une telle ordonnance est « convenable et juste » : Vancouver (Ville) c Ward, 2010 CSC 27 aux para 4, 16–22; Thibodeau (CSC) au para 98; R Soublière, « Les « dents » de la Loi sur les langues officielles : le recours judiciaire sous la partie X » (2016) 47:1 RD Ottawa 251 aux pp 270–271. La simple compétence de la Cour d’ordonner les dommages-intérêts selon ces paragraphes n’est donc pas en jeu. La question est plutôt de savoir s’il est évident et manifeste que la réparation de dommages-intérêts contre le CRTC n’est pas « convenable et juste ».

[20] Selon Ward, un tribunal qui statue sur une demande de dommages-intérêts en vertu de la Charte adopte une analyse de quatre étapes, à savoir (i) la preuve d’une violation de la Charte; (ii) la justification fonctionnelle des dommages-intérêts afin de démontrer pourquoi les dommages-intérêts constituent une réparation convenable et juste; (iii) une opportunité pour l’état d’établir des facteurs qui font contrepoids et qui peuvent démontrer que les dommages-intérêts ne seraient ni convenables ni justes; et (iv) la détermination du montant des dommages-intérêts : Ward au para 4. La question dans la présente affaire est de savoir si le remède de dommages-intérêts est potentiellement disponible lorsqu’il s’agit d’un tribunal administratif qui aurait violé la Charte ou la LLO ou s’il n’y a « aucune chance » que la demande pour les dommages-intérêts soit accordée comme réparation « convenable et juste ».

[21] Dans l’arrêt Thibodeau, la majorité de la Cour suprême a conclu que le pouvoir que confère le paragraphe 77(4) de la LLO d’accorder une réparation convenable et juste ne doit pas être interprété comme autorisant un tribunal à déroger aux obligations internationales du Canada, notamment la Convention de Montréal, qui limite les dommages qui peuvent être réclamés d’un transporteur aérien : Thibodeau (CSC) aux para 1, 6, 59, 73, 88–90, 113–118. Le CRTC prétend que, de façon similaire, le paragraphe 77(4) ne peut être interprété comme autorisant un tribunal à déroger aux principes d’immunité des tribunaux administratifs. L’appréciation de cet argument nécessite un examen de l’état du droit en matière d’immunité des tribunaux.

(4) Immunité des tribunaux administratifs : Ernst c Alberta Energy Regulator

[22] L’argument du CRTC est qu’en tant que tribunal administratif et tribunal d’archives, il bénéficie d’une immunité absolue contre les réclamations de dommages-intérêts et cette immunité n’est pas écartée ni par la LLO ni par la Charte. L’ANIM, pour sa part, prétend que le CRTC ne bénéficie pas d’une immunité à l’égard de dommages-intérêts pour des violations de la LLO et de la Charte qui ne relèvent pas de ses fonctions quasi judiciaires.

[23] La Cour suprême s’est prononcée sur l’immunité des tribunaux administratifs dans l’affaire Ernst. La cause portait sur une réclamation par Mme Ernst contre l’Alberta Energy Regulator (AER) pour avoir violé son droit à la liberté d’expression protégé par l’alinéa 2b) de la Charte. Mme Ernst alléguait que l’AER l’a empêché pendant 16 mois de communiquer avec l’AER, afin de la punir pour avoir critiqué l’AER publiquement : Ernst aux para 6, 136–143. Elle réclamait des dommages-intérêts de 50 000$ invoquant le paragraphe 24(1) de la Charte : Ernst aux para 1, 144.

[24] L’AER a sollicité la radiation de cette demande au motif qu’il bénéficie d’une disposition d’immunité contre toute action ou instance « pour tout acte ou toute chose qui aurait été accompli en conformité avec la présente loi, toute loi appliquée par [l’AER], tout règlement d’application des lois en question ou une décision, ordonnance ou directive de [l’AER] » : Ernst aux para 1, 9; Energy Resources Conservation Act, RSA 2000, c E-10 [ERCA], art 43. Mme Ernst a contesté la constitutionnalité de cette disposition, mais elle n’a pas donné le préavis requis à cet effet aux Procureurs généraux du Canada et de l’Alberta : Ernst aux para 13, 64–65.

[25] La Cour suprême, à cinq juges contre quatre et avec trois jugements, a confirmé la radiation de la réclamation. Le juge Cromwell, pour quatre juges incluant lui-même, a conclu qu’il ne convient jamais de condamner l’AER à des dommages-intérêts en vertu de la Charte. Appliquant l’affaire Ward, il a conclu que la possibilité de recourir au contrôle judiciaire et l’importance de l’immunité pour les décideurs quasi judiciaires démontrent que les dommages-intérêts ne seront jamais une réparation convenable et juste : Ernst aux para 26–31, 50–55; Ward aux para 32–45. Le juge Cromwell a souligné qu’un examen au « cas par cas » minerait en grande partie le motif pour l’immunité : Ernst aux para 56–57. Parce que les dommages-intérêts ne seront jamais une réparation convenable et juste en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte, une clause qui fait obstacle à une telle réclamation ne peut pas être inconstitutionnelle : Ernst au para 58.

[26] La minorité de la Cour suprême représentait aussi quatre juges, dans un jugement écrit par la juge en chef McLachlin et les juges Moldaver et Brown : Ernst au para 131. La minorité a conclu que ce n’était pas évident et manifeste que les dommages-intérêts ne peuvent constituer une réparation convenable et juste, que l’AER peut bénéficier d’une immunité absolue seulement au sujet de ses fonctions juridictionnelles et qu’il n’est pas évident et manifeste que l’article 43 de l’ERCA faisait obstacle à la réclamation : Ernst aux para 171–180. En particulier, la minorité a conclu que ce n’était pas évident que les actions dites « punitives » sur lesquelles la réclamation était fondée faisaient partie de la fonction juridictionnelle de l’AER et qu’il n’y avait pas de raison d’appliquer une immunité dans tous les cas : Ernst au para 172. La minorité est arrivée à la même conclusion au sujet de l’immunité statutaire, notant qu’elle s’applique seulement aux actes qui auraient été accomplis en conformité avec la loi : Ernst au para 179. Pour ces motifs, la minorité n’a pas répondu à la question de la constitutionnalité de l’article 43 de l’ERCA : Ernst aux para 187–191.

[27] La juge Abella, seule, n’a pas tranché la question de savoir si les dommages-intérêts pourraient être une réparation convenable et juste en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte. Elle a conclu plutôt que la disposition d’immunité de l’ERCA était claire et absolue et que Mme Ernst n’a pas soulevé de façon adéquate sa constitutionnalité : Ernst aux para 65–72. Quant à l’immunité en common law, la juge Abella a constaté son existence, mais elle a seulement indiqué qu’une analyse selon Ward « mène vraisemblablement à la conclusion que l’octroi de dommages-intérêts en vertu de la Charte ne constitue pas une réparation « convenable et juste dans les circonstances » » [je souligne] : Ernst aux para 115–123. Elle est donc arrivée à la même conclusion que le juge Cromwell, mais pour des motifs différents.

[28] Le résultat de ces jugements est que quatre juges ont décidé que l’AER bénéficie d’une immunité absolue en common law (ainsi que statutaire) qui fait en sorte que les dommages-intérêts en vertu de la Charte ne sont jamais convenables; quatre juges ont conclu que l’AER ne bénéficie pas nécessairement d’une immunité au sujet de leurs actions non juridictionnelles et que les dommages-intérêts en vertu de la Charte peuvent être convenables selon le cas; et une juge a décidé sur la base unique de la disposition statutaire d’immunité.

[29] Or, même s’ils différaient sur la portée de l’immunité, huit des juges ont conclu qu’au moins un tribunal bénéficie d’une immunité qui protège le tribunal des réclamations en dommages-intérêts, y compris les réclamations selon la Charte, fondées sur l’exercice de ses fonctions juridictionnelles : Ernst aux para 50–57, 171–176; Ali v Attorney General, 2019 ONSC 807 aux para 33–34.

[30] L’ANIM accepte que Ernst confirme qu’il y a au moins une immunité qui couvre les obligations quasi judiciaires du CRTC (c’est-à-dire, ses fonctions juridictionnelles) et que la LLO n’écarte pas cette immunité. Je suis d’accord. Si les obligations et les dispositions réparatrices de la Charte n’écartent pas l’immunité, tel qu’a conclu la majorité des juges dans Ernst, la LLO ne peut pas non plus écarter l’immunité.

[31] Sur la question de la portée de l’immunité, l’ANIM prétend que même le juge Cromwell a limité l’immunité à l’exercice des obligations quasi judiciaires, citant le paragraphe 47 d’Ernst. Par contre, le juge Cromwell dans le prochain paragraphe dit que la jurisprudence « indique également qu’il ne faut pas tenter de fractionner les fonctions d’un organisme de réglementation quasi judiciaire comme celui en l’espèce en dissociant le rôle juridictionnel du rôle de réglementation dans le but de décider si ses agissements devraient engager sa responsabilité » [je souligne]: Ernst au para 48.

[32] De toute façon, je conviens qu’on ne peut affirmer sur la base de Ernst qu’il est évident et manifeste que les tribunaux quasi judiciaires bénéficient d’une immunité pour toutes leurs actions. La décision du juge Cromwell et celle de la minorité représentent chacune quatre juges, et la juge Abella ne s’est pas prononcée sur cette question. Ceci crée une incertitude quant à la question de savoir si l’immunité va au-delà des fonctions judiciaires. Par contre, l’immunité de ces tribunaux contre les demandes de dommages-intérêts découlant de l’exercice des fonctions juridictionnelles est claire après Ernst. L’argument principal de l’ANIM est que les actions et les omissions du CRTC sur lesquelles la réclamation est fondée ne relèvent pas de ses fonctions juridictionnelles, mais plutôt de ses obligations de la LLO et en particulier ses prétendues obligations d’informer les CFSM d’audiences publiques pouvant les affecter.

[33] Comme point de clarification, l’immunité en cause dans Ernst n’est évidemment pas une immunité qui s’applique à tous les acteurs étatiques ni à tous les décideurs gouvernementaux. C’est une immunité judiciaire qui a été étendue par la common law aux organismes de réglementation et les tribunaux administratifs quasi judiciaires, tels que l’AER (et le CRTC) : Ernst aux para 40–41, 50–51. L’arrêt Ernst ne suggère pas que le simple fait que les décisions d’un décideur gouvernemental sont susceptibles au contrôle judiciaire signifie, lui-même, que l’immunité s’applique ou qu’une demande en dommages-intérêts n’est pas disponible.

(5) Application au cas en l’espèce

a) Immunité statutaire ou common law?

[34] Le CRTC s’appuie sur l’immunité accordée par la common law, comme discuté en Ernst. Elle s’appuie également sur l’article 16 de la Loi sur la radiodiffusion, LC 1991, ch 11, qui se lit comme suit :

Attributions

Powers respecting hearings

16 Le Conseil a, pour la comparution, la prestation de serment et l’interrogatoire des témoins aux audiences tenues en application de la présente partie, ainsi que pour la production et l’examen des pièces, l’exécution de ses ordonnances, la visite des lieux ou l’examen des biens et toutes autres questions concernant ces audiences, les attributions d’une cour supérieure d’archives.

16 The Commission has, in respect of any hearing under this Part, with regard to the attendance, swearing and examination of witnesses at the hearing, the production and inspection of documents, the enforcement of its orders, the entry and inspection of property and other matters necessary or proper in relation to the hearing, all such powers, rights and privileges as are vested in a superior court of record.

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

[35] Le CRTC prétend que les « attributions » d’une cour supérieure d’archives comprennent l’immunité judiciaire et que l’article 16 fonctionne comme disposition statutaire d’immunité. L’ANIM prétend que cet article ne peut pas être interprété comme étayant l’immunité en common law et que l’article est très différent de l’article 43 de l’ancienne ERCA en cause dans Ernst.

[36] D’une façon, on peut lire l’article 16 simplement comme une disposition qui donne au CRTC les pouvoirs nécessaires pour tenir les audiences : obliger les témoins d’assister, les assermenter, ordonner la production des pièces, etc. Par contre, l’article ne parle pas exclusivement des pouvoirs du CRTC, mais de ces « attributions », y compris, dans la version anglaise, ses droits et privilèges (« rights and privileges »). Tel qu’a observé le CRTC, la Cour d’appel du Québec a conclu que l’article 16 importe l’immunité en common law dans l’affaire R c Québec (Société des Alcools), 1998 CanLII 13129 (QC CA) à la p 24 :

En somme, les appelants appuient leur demande d’une réparation pécuniaire sur une attaque collatérale de la motivation et des conclusions des décisions du Conseil. À mon avis, cela est erroné car d’une part, le Conseil, à titre de tribunal administratif, est protégé par l’immunité de Common Law accordée aux tribunaux d’archives (Court of Records), ce qu’il est par l’effet de l'article 16 de la Loi sur la radiodiffusion - une immunité d’ailleurs étendue aux tribunaux inférieurs - et d’autre part, parce que l’action des appelants constitue un détournement de la procédure judiciaire de révision choisie par le législateur.

[Je souligne; citations omises.]

[37] Je note que la Cour suprême de la Colombie-Britannique semble avoir aussi conclu que l’article 17 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, LRC (1985), ch 47 (4e suppl), disposition très semblable à l’article 16 de la Loi sur la radiodiffusion sur la question des pouvoirs, donne à ce tribunal l’immunité judiciaire : Pacific Shower Doors (1995) Ltd c Osler, Hoskin & Harcourt, LLP, 2011 BCSC 1370 aux para 65, 109, 115–116; voir aussi Canada (Procureur général) c Alex Couture inc, 1991 CanLII 3120 (QC CA) au sujet de l’article 9 de la Loi sur le Tribunal de la concurrence, LRC (1985), ch 19 (2e suppl).

[38] Ceci dit, même si l’article 16 de la Loi sur la radiodiffusion confirme que les privilèges et immunités en common law s’appliquent au CRTC, j’accepte la prétention de l’ANIM qu’il n’élargit pas la portée de l’immunité. Si l’immunité en common law s’applique suite à l’analyse de l’affaire Ernst, elle a pour effet de protéger le CRTC. Si elle ne s’applique pas, la protection n’est pas une « attribution d’une cour supérieure d’archives » et l’article 16 n’a pas d’effet.

b) L’immunité au sujet des fonctions juridictionnelles s’applique pour rendre les dommages-intérêts non convenables et justes

[39] Comme je l’ai indiqué, huit juges de la Cour suprême dans l’affaire Ernst ont conclu que l’immunité couvre au moins les fonctions juridictionnelles et l’ANIM ne prétend pas que la LLO écarte cette immunité. La question devient de savoir s’il est « évident et manifeste » que cette immunité s’applique aux allégations de l’ANIM, c’est-à-dire, s’il est « évident et manifeste » que la réclamation de l’ANIM porte sur les fonctions juridictionnelles du CRTC. Si oui, selon ma compréhension de l’analyse des huit juges, l’octroi de dommages-intérêts ne peut pas être une réparation convenable et juste et la demande pour cette réparation doit être radiée. Si non, le fait que la Cour suprême était divisée également sur la disponibilité des dommages-intérêts m’indique qu’il n’est pas évident et manifeste que l’octroi de dommages-intérêts en vertu de la Charte ou la LLO ne peut constituer une réparation convenable.

[40] Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’il est évident et manifeste que l’immunité s’applique. Comme indiqué dans Ernst, l’application de l’immunité a pour effet qu’il ne peut pas être « convenable et juste » d’octroyer une réparation en dommages-intérêts.

[41] Pour commencer, je note que le juge Stratas pour la Cour d’appel dans l’arrêt JP Morgan a souligné que lors d’une requête en radiation, la Cour doit examiner l’avis de demande de façon approfondie afin de saisir la « véritable nature » ou la « nature essentielle » de la demande : JP Morgan aux para 49–50. À mon avis, un examen approfondi de l’Avis de demande de l’ANIM démontre que la réclamation en dommages-intérêts est fondée sur l’exercice des fonctions juridictionnelles du CRTC.

[42] Le noyau des allégations dans l’Avis de demande se trouve aux paragraphes 36 à 79 de l’Avis de demande. Ces paragraphes se trouvent sous deux titres, nommément « H. La Décision 2012-629 et le préjudice causé aux CFSM » (paragraphes 36 à 58) et « I. Fondements juridiques » (paragraphes 59 à 79).

[43] Sous le premier titre, l’Avis de demande décrit la Décision de radiodiffusion CRTC 2012-629, l’effet de la décision sur les contributions annuelles de Sirius XM à MUSICACTION et l’effet de cette « répartition inégale ». Il allègue que le CRTC « n’a donné aucun avis particulier aux représentants des CFSM » au sujet de la décision et ses effets, malgré les changements importants aux conditions de licence de Sirius XM. Ensuite, il présente le « [p]réjudice causé par la Décision 2012-629 aux CFSM ». Aux paragraphes 50 à 58, l’Avis de demande allègue un impact financier « à la suite de la Décision 2012-629 » et récite la différence entre les contributions reçues par MUSICACTION et celles reçues par la FACTOR pour chaque année entre 2013 et 2019.

[44] Sous le deuxième titre, l’Avis de demande présente les « fondements juridiques » de la demande. Il s’agit principalement de la reproduction des articles de la Charte et de la LLO. Mais il comprend aussi quelques paragraphes substantifs, surtout aux paragraphes 65, 67, 72 et 73. Ces paragraphes visent l’avis donné par le CRTC quant à l’audience tenue pour le renouvèlement de la licence de Sirius XM. Ils allèguent que l’avis est un service au public qui doit être de qualité égale dans les deux langues officielles, que les avis du CRTC doivent être adaptés aux besoins des communautés linguistiques en situation minoritaire pour respecter la norme de l’égalité réelle, que les représentants des CFSM doivent être tenu informés du déroulement des audiences publiques qui les concernent et que le CRTC doit aviser les représentants des CFSM lorsqu’une demande de nouvelle licence ou de renouvèlement traite de la contribution du radiodiffuseur à MUSICACTION et de les tenir informées si une telle question se soulève lors d’une audience.

[45] Au fond, la réclamation de dommages-intérêts repose sur les allégations que le CRTC n’a pas adéquatement avisé les représentants des CFSM, ni ne les a tenus au courant, des enjeux du renouvèlement de la licence de Sirius XM. L’ANIM allègue que ce défaut constitue un bris des obligations du CRTC selon la LLO et la Charte, et que ce bris a causé un préjudice financier aux CFSM à cause de la baisse des contributions de Sirius XM à MUSICACTION stipulée par le CRTC. Autrement dit, la réclamation est fondée sur (i) l’avis (ou le manque d’avis) du CRTC avant et durant l’audition; et (ii) la décision du CRTC qui en a découlé et ses effets.

[46] À mon avis, il est évident et manifeste que de telles allégations relèvent directement des fonctions juridictionnelles du CRTC. Les décisions du CRTC, ainsi que les procédures qui mènent à ces décisions, sont au cœur des obligations quasi judiciaires du tribunal et donc au cœur de l’immunité qui rend une réparation de dommages-intérêts non « convenable et juste » suivant l’analyse de Ernst.

[47] L’ANIM prétend que sa demande ne vise pas les activités quasi judiciaires du CRTC et qu’elle ne vise aucune décision du CRTC. J’accepte que l’Avis de demande ne sollicite pas l’annulation de la décision du CRTC. Mais ceci ne signifie pas qu’elle ne vise pas les activités quasi judiciaires. La question d’avis est un aspect fondamental du processus décisionnel. C’est à cause de ce lien qu’un manque d’avis adéquat peut annuler une décision et que les questions de procédure, y compris celles relatives à l’avis, peuvent être soulevées comme fondation d’un contrôle judiciaire ou d’un appel de la décision d’un tribunal administratif : Confederation Broadcasting (Ottawa) Ltd c Canadian Radio-Television Commission, [1971] RCS 906 aux pp 925–926; LCF, art 18.1(4)b). L’ANIM allègue que l’avis donné par le CRTC n’a pas été conforme à ses obligations en vertu de la LLO et de la Charte. Mais ceci n’affecte pas que la réclamation est une demande de récompense monétaire pour la façon dont le CRTC a entrepris sa décision et l’effet que la décision qui en a résulté a eu sur les CFSM.

[48] L’ANIM prétend qu’elle ne cherche pas simplement à récupérer les sommes qu’elle aurait autrement obtenues si la Décision de radiodiffusion CRTC 2012-629 comprenait une répartition égale des revenus entre MUSICACTION et la FACTOR. Par contre, le préjudice identifié par l’ANIM elle-même dans l’Avis de demande est l’impact financier à la suite de la décision.

[49] À cet égard, je ne peux pas accepter l’argument de l’ANIM qu’elle « ne vise aucunement la justesse ni la pertinence de la décision rendue par le CRTC » mais seulement « le fait que le CRTC n’a pas adéquatement informé les CFSM de la tenue d’une audience publique ». L’Avis de demande conteste clairement la justesse de la décision, même si elle ne cherche pas à l’infirmer. La « répartition inégale » qui se trouve dans la décision est le fond même de l’impact financier qui justifie la demande de dommages-intérêts. C’est l’ANIM qui fait le lien entre le manque d’avis et la réclamation de dommages-intérêts, demandant que le CRTC paie des dommages-intérêts à l’ANIM « pour le préjudice que les manquements du CRTC à la LLO et à la Charte ont causé aux membres de l’ANIM » [je souligne]. Le « préjudice » en question ressort clairement des paragraphes 50 à 58, à savoir l’argent qui n’a pas été payé à MUSICACTION à cause de la répartition. L’ANIM ne peut pas dire au même moment que la décision a causé un préjudice important pour lequel elle doit être indemnisée et en même temps affirmer qu’elle ne conteste pas la justesse de la décision. De toute façon, qu’elle conteste ou non la justesse de la décision, l’ANIM conteste clairement les procédures qui ont mené à cette décision, lesquelles sont au centre des fonctions juridictionnelles du CRTC.

[50] La substance des allégations dans cette affaire est donc différente à celle en cause dans Ernst. Les allégations dans Ernst portaient sur une action dite « punitive » qui prétendait empêcher Mme Ernst d’écrire au tribunal jusqu’à ce qu’elle cesse de le critiquer publiquement. Ces allégations n’impliquaient pas une décision de l’AER dans une affaire dont le tribunal était saisi ni le processus menant à une telle décision. C’est cette différence qui a conduit la minorité à conclure qu’il n’était pas évident et manifeste que l’AER agissait dans sa capacité juridictionnelle, attirant ainsi l’immunité : Ernst aux para 144, 172. Dans le cas en l’espèce, il n’y a aucune allégation que les actions du CRTC étaient motivées par la mauvaise foi, par un abus de pouvoir ou par le préjudice, même si on présume que de telles allégations peuvent contourner l’immunité : Ernst aux para 57, 173.

[51] L’ANIM note aussi que dans l’arrêt Ernst, la disponibilité d’autres recours, notamment le contrôle judiciaire, était un facteur faisant contrepoids à l’octroi de dommages-intérêts : Ernst aux para 33–35. Elle prétend que dans le cas actuel, ni un appel en vertu de l’article 31 de la Loi sur la radiodiffusion ni une demande de contrôle judiciaire n’offriraient des dommages-intérêts et la revendication de leurs droits linguistiques. De toute façon, l’ANIM prétend qu’elle ne cherche pas à contester la Décision de radiodiffusion CRTC 2012-629.

[52] Cet argument ne peut pas réussir parce qu’il était spécifiquement rejeté par la majorité de la Cour suprême en Ernst. Mme Ernst ne cherchait pas non plus à faire casser son exclusion, à laquelle l’AER a déjà mis fin, et les dommages-intérêts n’étaient pas disponibles dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Le juge Cromwell a conclu que ceci n’affecte pas l’analyse d’autres recours :

[...] lorsqu’il existe un autre recours permettant de remédier efficacement à une violation de la Charte, les dommages‑intérêts peuvent être exclus en raison de ce facteur faisant contrepoids. À mon avis, la possibilité de recourir au contrôle judiciaire pour remédier aux violations de la Charte qu’on reproche à l’Office est un important facteur faisant contrepoids.

Je n’ai aucun doute, comme le signale ma collègue la juge Abella, qu’il est possible d’avoir recours au contrôle judiciaire pour remédier aux violations de la Charte reprochées à l’Office. [...]

[...]

Le contrôle judiciaire des décisions et directives de l’Office permet donc de défendre rapidement des droits protégés par la Charte, d’obtenir un redressement concret en ce qui concerne les agissements futurs de l’Office, de réduire l’ampleur de tout préjudice découlant de la violation et de clarifier le droit pour aider à prévenir toute nouvelle violation semblable. Bien que les dommages‑intérêts fondés sur la Charte ne fassent pas partie des réparations auxquelles donne ouverture le contrôle judiciaire, Ward nous enjoint de prendre en considération l’existence d’autres recours, et non de recours identiques.

[Je souligne; citations omises; Ernst aux para 32, 33, 37.]

[53] Comme l’indique le juge Cromwell dans ce passage, la juge Abella était du même avis : Ernst aux para 127–129. Donc la majorité de la Cour suprême a rejeté l’argument que la non-disponibilité de dommages-intérêts lors d’un contrôle judiciaire affecte l’immunité ou la disponibilité de cette réparation contre un tribunal en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte : Ernst aux para 166–167. La décision de la majorité de la Cour suprême lie la Cour et, à mon avis, il est évident et manifeste que la même analyse doit s’appliquer aux dispositions réparatrices de la LLO.

[54] Contrairement aux arguments de l’ANIM, le fait qu’elle ne cherche pas à infirmer la décision du CRTC ne signifie pas que le contrôle judiciaire n’est pas disponible. L’annulation, équivalent à un bref de certiorari, n’est pas la seule réparation disponible dans un contrôle judiciaire : LCF, arts 18(1), 18.1(3). En effet, un contrôle judiciaire n’est pas nécessairement lié à une décision du tout : May c CBC/Radio Canada, 2011 CAF 130 au para 10. Comme discuté de façon plus détaillée ci-dessous, les allégations d’un bris des obligations selon la LLO ou la Charte peuvent être soulevées lors d’un contrôle judiciaire ou un appel en vertu de l’article 31 de la Loi sur la radiodiffusion. Ceci ne s’agit pas alors d’un point de distinction entre cette affaire et celle de Ernst. De toute façon, selon ma lecture de Ernst, le facteur important était la disponibilité d’autres formes de réparation au lieu des dommages-intérêts, et non la procédure suivie pour les obtenir : Ernst aux para 32–37.

[55] À titre d’observation finale, je note que je rejette l’argument de l’ANIM que les prétendues obligations du CRTC selon la LLO d’informer les CFSM d’audiences publiques pouvant les affecter sont analogues à l’obligation qu’a la Couronne de consulter les Premières nations. L’obligation de consulter revêt à la fois une dimension constitutionnelle qui découle du principe de l’honneur de la Couronne et une dimension légale qui reconnaît et confirme les droits existants ancestraux et issus de traités : Clyde River (Hamlet) c Petroleum Geo-Services Inc, 2017 CSC 40 au para 19; Loi constitutionnelle de 1982, art 35(1). Étant donné les différences de source, de portée et d’effet, je ne trouve pas que la tentative de comparaison avec l’obligation de consulter est utile pour l’analyse des questions devant cette Cour.

[56] Je conclus qu’il est évident et manifeste que la demande de l’ANIM pour une réparation en dommages-intérêts contre le CRTC ne peut pas réussir. Une telle réparation ne peut jamais être « convenable et juste » étant donné l’immunité dont bénéficie le CRTC quant à ses fonctions juridictionnelles et la nature des allégations de l’ANIM qui relèvent de ces fonctions. Dans l’affaire Ernst, la Cour suprême a tiré la même conclusion dans le contexte d’une demande en radiation et je conclus que cette conclusion détermine effectivement la question en l’espèce.

B. La demande pour une ordonnance que le CRTC impose les conditions de licence

(1) Contexte : la demande et son fondement

[57] Le CRTC cherche aussi à radier la demande de l’ANIM dans l’Avis de demande pour une ordonnance :

ORDONNANT QUE le CRTC, dans le cadre de ses décisions de radiodiffusion, durant une période de temps qui sera précisée avant l’audience, impose les conditions de licence nécessaires pour augmenter les contributions annuelles des titulaires de licences à MUSICACTION, à concurrence d’un quantum qui sera précisé avant l’audience, pour le financement de projets des CFSM qui sont admissibles à un financement au titre du DCC en vertu du Règlement sur la Radio, comme réparation convenable et juste, en vertu du paragraphe 77(4) de la LLO et du paragraphe 24(1) de la Charte, pour le préjudice causé aux CFSM par les manquements du [CRTC] à la LLO et à la Charte.

[58] Cette ordonnance est fondée sur les mêmes allégations résumées ci-dessus. Le « préjudice causé aux CFSM par les manquements du CRTC à la LLO et à la Charte » est le même préjudice, à savoir l’insuffisance des contributions à MUSICACTION suite à la répartition prévue dans la Décision de radiodiffusion CRTC 2012-629.

[59] Le CRTC prétend que la compétence d’imposer des conditions de licence est accordée exclusivement au CRTC par la Loi sur la radiodiffusion, que cette Cour n’a aucune de compétence à cet égard et que selon l’alinéa 28(1)c) de la LCF seule la Cour d’appel fédérale peut réviser les licences approuvées par le CRTC dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Il prétend, en effet, que l’ANIM cherche une ordonnance de la nature d’un bref de mandamus qui peut être seulement émis par la Cour d’appel selon les articles 18, 18.1 et 28 de la LCF et que l’ANIM ne peut pas faire indirectement ce qu’elle ne peut pas faire directement « sous couvert » de la LLO ou la Charte.

[60] L’ANIM argumente, au contraire, que le paragraphe 77(4) de la LLO et le paragraphe 24(1) de la Charte confèrent à cette Cour des pouvoirs de redressement vastes et que, comme dispositions constitutionnelles et quasi constitutionnelles, ils ont primauté sur toutes autres dispositions législatives. Elle note que les ordonnances d’injonction et de la supervision ont été émises dans le passé comme réparations pour les droits linguistiques selon ces dispositions : voir Doucet-Boudreau aux para 70, 72, 83, 87–88. Elle prétend que l’ANIM ne demande pas à cette Cour de fixer elle-même des conditions de licence, mais seulement d’enjoindre le CRTC d’en imposer, ce qui constitue effectivement une sorte d’injonction qui peut être ordonnée selon le paragraphe 77(4) de la LLO et/ou le paragraphe 24(1) de la Charte.

(2) La nature de l’ordonnance sollicitée

[61] Le CRTC prétend que l’ordonnance sollicitée est une ordonnance qui peut être seulement obtenue dans le contexte d’un contrôle judiciaire. Les recours qui sont disponibles lors d’un contrôle judiciaire sont décrites dans les paragraphes 18(1) et 18.1(3) de la LCF :

Recours extraordinaires : offices fédéraux

Extraordinary remedies, federal tribunals

18 (1) Sous réserve de l’article 28, la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour :

18 (1) Subject to section 28, the Federal Court has exclusive original jurisdiction

a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;

(a) to issue an injunction, writ of certiorari, writ of prohibition, writ of mandamus or writ of quo warranto, or grant declaratory relief, against any federal board, commission or other tribunal; and

b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l’alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d’obtenir réparation de la part d’un office fédéral.

(b) to hear and determine any application or other proceeding for relief in the nature of relief contemplated by paragraph (a), including any proceeding brought against the Attorney General of Canada, to obtain relief against a federal board, commission or other tribunal.

[...]

[...]

Exercice des recours

Remedies to be obtained on application

(3) Les recours prévus aux paragraphes (1) ou (2) sont exercés par présentation d’une demande de contrôle judiciaire.

(3) The remedies provided for in subsections (1) and (2) may be obtained only on an application for judicial review made under section 18.1.

Pouvoirs de la Cour fédérale

Powers of Federal Court

18.1 (3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

18.1 (3) On an application for judicial review, the Federal Court may

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

[62] Par souci de commodité, je désignerai un recours ou ordonnance visé par les paragraphes 18(1) et 18.1(3) de la LCF comme un « recours extraordinaire ».

[63] Au fond, l’ordonnance sollicitée par l’ANIM est une ordonnance qui obligerait le CRTC de faire quelque chose de spécifique dans le cadre de ses fonctions juridictionnelles, nommément d’imposer certaines conditions de licence. Dans le langage de l’alinéa 18.1(3)a) de la LCF, elle ordonnerait au CRTC « d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis [...] d’accomplir ». Qu’on l’appelle un bref de mandamus, une injonction ou un autre nom n’a pas d’importance. Il est, en effet, une ordonnance de la nature visée dans les paragraphes 18(1) et 18.1(3) de la LCF, soit un recours extraordinaire.

[64] Le paragraphe 18(3) dit que les recours extraordinaires sont exercés par la présentation d’une demande de contrôle judiciaire, et les paragraphes 28(1) et (3) stipulent que la Cour d’appel, et non cette Cour, est compétente pour connaître cette demande au sujet du CRTC :

Contrôle judiciaire

Judicial review

28 (1) La Cour d’appel fédérale a compétence pour connaître des demandes de contrôle judiciaire visant les offices fédéraux suivants :

28 (1) The Federal Court of Appeal has jurisdiction to hear and determine applications for judicial review made in respect of any of the following federal boards, commissions or other tribunals:

[...]

[...]

c) le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes constitué par la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes;

(c) the Canadian Radio-television and Telecommunications Commission established by the Canadian Radio-television and Telecommunications Commission Act;

[...]

[...]

Incompétence de la Cour fédérale

Federal Court deprived of jurisdiction

(3) La Cour fédérale ne peut être saisie des questions qui relèvent de la Cour d’appel fédérale.

(3) If the Federal Court of Appeal has jurisdiction to hear and determine a matter, the Federal Court has no jurisdiction to entertain any proceeding in respect of that matter

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

[65] La question devant la Cour est donc de savoir s’il est évident et manifeste qu’un recours extraordinaire, fondé sur un prétendu bris des obligations selon la LLO et/ou la Charte, ne peut être accordé par cette Cour lors de cette demande, qui n’est pas une demande de contrôle judiciaire : Forum des maires aux para 15, 18; Marchessault c Société canadienne des postes, 2003 CAF 436 au para 10. Pour les motifs suivants, je conclus qu’il est évident et manifeste que cette Cour ne peut pas accorder une telle ordonnance sur le fondement de la Charte, mais il n’est pas évident et manifeste qu’elle ne peut pas l’accorder sur le fondement de la LLO.

[66] Avant de continuer, je note qu’une décision du CRTC peut être portée en appel à la Cour d’appel fédérale si la Cour accorde l’autorisation d’en appeler : Loi sur la radiodiffusion, art 31(2). Quand un appel est disponible, une demande de contrôle judiciaire ne l’est pas : LCF, art 18.5. Les questions de procédure telle qu’un manque d’avis peuvent être soulevées lors d’un appel du CRTC : Arthur c Canada (Procureur Général), 1999 CanLII 9243 (CAF) aux para 20, 28. Par contre, un appel est généralement disponible seulement aux parties devant le CRTC : Syndicat des travailleurs en télécommunications c Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications), [1993] 1 CF 231 aux pp 234–235; Arthur aux para 25–26. Que la procédure alternative soit faite en appel ou en demande de contrôle judiciaire n’affecte ni l’analyse ni le résultat parce que les deux relèvent de la compétence de la Cour d’appel. Étant donné que l’ANIM n’était pas une partie devant le CRTC, je vais faire référence aux demandes de contrôle judiciaire.

(3) Le paragraphe 24(1) de la Charte

[67] À mon avis, la détermination de la question concernant la Charte est assez simple. La demande de l’ANIM fondée sur la Charte est une demande de réparation en vertu du paragraphe 24(1) pour justifier une violation ou une négation des droits garantis par la Charte. Pour faire une ordonnance selon le paragraphe 24(1) de la Charte, cette Cour doit être un « tribunal compétent ». Le paragraphe 24(1) ne crée pas de tribunaux compétents, mais a simplement investi des pouvoirs aux tribunaux qui ont déjà compétence indépendamment de la Charte : Mills à la p 960, citant R v Morgentaler, Smoling and Scott, 1984 CanLII 55 (ON CA), le juge Brooke. Un tribunal est compétent s’il est compétent à l’égard des parties, de l’objet du litige et de la réparation demandée : R c Conway, 2010 CSC 22 au para 24, citant Mills.

[68] Dans le cas en l’espèce, comme je l’ai indiqué, la réparation demandée est effectivement un recours extraordinaire identifié dans les paragraphes 18(1) et 18.1(3) de la LCF. La LCF est claire que les recours extraordinaires sont exercés par présentation d’une demande de contrôle judiciaire s’ils ne sont pas disponibles en appel : LCF, arts 18(3), 18.5. L’alinéa 28(1)c) de la LCF confère à la Cour d’appel fédérale la compétence d’octroyer ces recours à l’égard du CRTC. Une violation de la Charte peut être invoquée comme motif de contrôle judiciaire et une réparation selon l’article 24(1) peut être accordée : Ernst aux para 33, 41, 49; Canada (Premier ministre) c Khadr, 2010 CSC 3 aux para 27–32, 48; LCF, arts 18.1(4)c), f). La Cour d’appel a donc compétence d’entendre les allégations de l’ANIM au sujet d’une violation de la Charte et d’octroyer l’ordonnance recherchée, soit ordonner le CRTC d’imposer des conditions de licence.

[69] Quand la Cour d’appel a compétence, cette Cour n’en a pas : LCF, art 28(3). Sans compétence sur la réparation, cette Cour n’est pas un « tribunal compétent » pour accorder une réparation selon le paragraphe 24(1) de la Charte.

[70] Cette conclusion ne change pas parce que la Cour a une compétence selon le paragraphe 77(4) de la LLO. Contrairement à la compétence conférée aux Cours fédérales par la LCF, qui peut être exercée quand un office a agi « contraire à la loi », y compris la Charte, la compétence réparatrice conférée par la LLO ne peut être exercée que si la Cour estime qu’une institution fédérale ne s’est pas conformée à la LLO. La compétence conférée par le paragraphe 77(4) ne donne pas à cette Cour une compétence sur la réparation demandée par l’ANIM pour les fins du paragraphe 24(1) de la Charte.

[71] Ce résultat est encore plus évident si l’on imagine la situation dans laquelle l’ANIM ne fondait sa demande que sur une prétendue violation de la Charte. Une telle demande aurait évidemment dû être déposée devant la Cour d’appel et non devant cette Cour. Le fait que dans le cas actuel l’ANIM a aussi demandé des réparations selon la LLO ne confère pas de compétence à cette Cour selon la Charte.

[72] Je conclus donc qu’il est évident et manifeste que cette Cour n’a pas compétence d’entendre la demande de l’ANIM pour une ordonnance qui ordonne le CRTC d’imposer des conditions de licence comme réparation selon le paragraphe 24(1) de la Charte.

(4) Le paragraphe 77(4) de la LLO

[73] La situation est différente quant au paragraphe 77(4) de la LLO. Les réparations en vertu de ce paragraphe ne sont pas disponibles auprès d’un « tribunal compétent », mais auprès de cette Cour en particulier : LLO, art 76. Contrairement à la Charte, qui indique qu’un recours peut être sollicité d’un tribunal qui a déjà compétence, la LLO confère la compétence expressément à cette Cour.

[74] L’argument du CRTC est, en effet, que même si cette Cour a compétence selon le paragraphe 77(4) d’accorder la réparation qu’elle « estime convenable et juste eu égard aux circonstances », elle ne peut pas accorder un recours extraordinaire parce qu’un tel recours est disponible que pour la Cour d’appel en contrôle judiciaire : LCF, arts 28(1)c), (3). Le CRTC note que la Cour suprême a confirmé que le pouvoir discrétionnaire général de réparation prévu au paragraphe 77(4) est borné par les limitations spécifiques et expresses d’autres lois : Thibodeau (CSC) aux para 109–118.

[75] L’argument du CRTC présume qu’une ordonnance telle que sollicitée par l’ANIM, fondée sur une violation des parties IV ou VII de la LLO, peut être accordée par la Cour d’appel dans le contexte d’un contrôle judiciaire, présomption que conteste l’ANIM. Pour les motifs suivants, j’accepte qu’une telle violation puisse être considérée et puisse être le fondement d’un recours en contrôle judiciaire, mais je conclus qu’il n’est pas évident et manifeste que cette Cour ne peut pas aussi accorder un tel recours.

[76] Dans l’affaire Devinat, la Cour d’appel a confirmé qu’une violation de l’article 20 de la LLO peut être soulevée comme fondement pour une demande de contrôle judiciaire : Devinat c Canada (Commission de l’immigration et du statut de réfugié), [2000] 2 CF 212 aux para 22–38. Si une telle violation peut être soulevée dans le cadre d’un contrôle judiciaire devant cette Cour, elle peut forcément être soulevée dans le cadre d’un contrôle judiciaire devant la Cour d’appel lorsqu’il s’agit d’un office énuméré au paragraphe 28(1) de la LCF.

[77] L’ANIM souligne que puisque l’article 20 de la LLO en cause dans Devinat se trouve dans la Partie III de cette loi, qui n’est pas identifiée au paragraphe 77(1) de la LLO, cet article n’est pas assujetti aux procédures de l’article 77. Elle prétend qu’il est moins clair qu’une violation d’une des dispositions énoncées au paragraphe 77(1) peut être soulevée lors d’une demande de contrôle judiciaire.

[78] Même si Devinat porte sur une disposition de la LLO qui n’est pas énumérée au paragraphe 77(1), le raisonnement de la Cour d’appel indique qu’il n’est pas limité à de telles dispositions. La Cour d’appel a commencé son analyse notant que le tribunal en cause, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, est un « office fédéral » au sens du paragraphe 2(1) de la LCF et qu’elle est également soumise à la LLO. Par conséquent, la question était de savoir si la Partie X de la LLO exclut le recours en contrôle judiciaire intenté par M. Devinat selon la LCF : Devinat au para 22.

[79] La Cour d’appel a conclu que la Partie X de la LLO n’exclut pas un recours en contrôle judiciaire. Le tribunal a prétendu que la Partie X renferme un « code complet » et que dans les cas mentionnés dans l’article 77, un plaignant peut former un recours devant les tribunaux, mais aucun recours aux cours était disponible pour les autres dispositions : Devinat aux para 25–26. La Cour d’appel a rejeté cette « interprétation rigoureuse » parce qu’une telle exclusion devrait être expresse, ce qui n’est pas le cas dans la LLO : Devinat au para 28. La Cour a conclu qu’elle ne peut pas « en l’absence d’une disposition expresse, écarter un « office fédéral », telle la Commission, de l’application du régime juridique général tel l’article 18.1 de la LCF » [je souligne] : Devinat au para 35.

[80] Cette analyse de la Cour d’appel s’applique également aux parties IV et VII de la LLO qui sont énumérées au paragraphe 77(1). Il n’y a pas non plus dans la partie X une exclusion expresse de l’application du régime juridique général de la LCF quant aux parties IV et VII. Au contraire, la seule indication dans la loi est le paragraphe 77(5), qui indique que l’article 77 « ne porte atteinte à aucun autre droit d’action ». La Cour d’appel s’est fondée aussi sur le principe que s’il y a un droit, il doit y avoir un moyen pour le défendre. Ce principe est moins important dans le cas des dispositions énumérées au paragraphe 77(1), qui peuvent être défendues lors d’une demande selon l’article 77. Mais l’analyse centrale de la Cour d’appel, nommément qu’un office fédéral est assujetti au régime juridique général de l’article 18.1 dans l’absence d’une exclusion claire, reste applicable. Le juge Lemieux de cette Cour a tiré la même conclusion générale dans l’affaire Lavoie, une cause qui portait aussi sur une disposition de la LLO non énumérée au paragraphe 77(1) : Lavoie c Canada (Procureur général), 2007 FC 1251 aux para 39–42.

[81] Cette conclusion est en accord complet avec la LCF. L’article 18.1 de cette loi spécifie qu’une ordonnance en contrôle judiciaire peut être accordée si un tribunal n’a pas observé une procédure qu’il était « légalement tenu de respecter » ou a agi de façon « contre la loi » :

Motifs

Grounds of review

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l’office fédéral, selon le cas :

(4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l’exercer;

(a) acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;

b) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter;

(b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

(c) erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

e) a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages;

(e) acted, or failed to act, by reason of fraud or perjured evidence; or

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

(f) acted in any other way that was contrary to law.

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

[82] Cette disposition ne limite pas la source légale des obligations procédurales ni la « loi » qui doit être respectée. L’ANIM allègue effectivement que le CRTC n’a pas observé une procédure qu’il était légalement tenu de respecter par la LLO et qu’il a agi contraire à cette même loi.

[83] Sans trancher la question de sa compétence expressément, cette Cour s’est prononcée sur le bien-fondé d’une allégation de violation d’une disposition de la LLO non énumérée au paragraphe 77(1) dans plusieurs demandes de contrôle judiciaire : Kaudjhis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 567 aux para 14–21 (arts 22 et 27 de la Partie IV de la LLO); Musa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 298 aux para 11–15 (arts 21 et 22 de la Partie IV de la LLO); Moore c Canada (Procureur général), 2007 CF 1127 aux para 6, 9 (arts 21, 24, 25 de la Partie IV de la LLO).

[84] Pourtant, même si la Cour est compétente de connaître une demande de contrôle judiciaire, elle peut exercer sa discrétion de la rejeter parce qu’il existe une « voie de recours adéquate » : Strickland c Canada (Procureur général), 2015 CSC 37 aux para 40–42. Dans l’affaire Vicrossano, le juge Gibson a conclu qu’à la lumière du processus de plainte à la Commissaire aux langues officielles et le processus de demande à la Cour selon l’article 77 de la LLO, la demanderesse ne pouvait pas soulever une allégation de contravention de la LLO sur sa demande de contrôle judiciaire : Vicrossano Inc c Canada (Procureur général), 2002 CFPI 1999 aux para 2, 20–22. Le juge Beaudry a également rejeté un argument fondé sur la LLO quand une plainte a été déposée avec le Commissaire et le demandeur n’a pas intenté une demande selon l’article 77 : Poulin c Canada (Procureur général), 2004 CF 1132 aux para 16–19. Par contre, ni le juge Gibson ni le juge Beaudry n’ont fait référence à Devinat ou au paragraphe 77(5) de la LLO en tirant ses conclusions.

[85] Je ne dois pas trancher la question de savoir si un recours selon l’article 77 est une voie de recours adéquate, ou peut l’être dans certains cas. Face à une demande de contrôle judiciaire fondée en tout ou en partie sur une violation d’une obligation selon une disposition énumérée au paragraphe 77(1) de la LLO, la Cour devra considérer cette question. Elle devra, entre autres, considérer si un recours qui exige d’attendre un rapport qui peut prendre six ans à obtenir, ou au moins d’attendre six mois après le dépôt d’une plainte, est adéquat dans les circonstances.

[86] La raison pour laquelle je ne me trouve pas obligé de trancher cette question dans cette affaire est que je conclus qu’il n’est pas évident et manifeste que les paragraphes 18(3) et 28(3) de la LCF enlèvent à la compétence conférée par l’article 77(4) le pouvoir d’accorder un recours extraordinaire.

[87] Dans l’affaire Forum des maires, la Cour d’appel a dit que « [l]e redressement que peut rechercher le demandeur [sous le paragraphe 77(4)] n’est pas limité à ceux prescrits au paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales » [je souligne] : Forum des maires au para 18. Ceci indique qu’un recours extraordinaire prescrit au paragraphe 18.1(3) peut être également accordé en vertu du paragraphe 77(4).

[88] Cette Cour a donc compétence d’accorder un recours extraordinaire en vertu du paragraphe 77(4) de la LLO même si la LCF dit qu’un tel recours peut être cherché seulement par présentation d’une demande de contrôle judiciaire. Cela signifie-t-il que cette Cour a toujours compétence d’accorder un recours extraordinaire en vertu du paragraphe 77(4) quand la LCF dit qu’il peut être accordé seulement par présentation d’une demande de contrôle judiciaire à la Cour d’appel fédérale? À mon avis, la réponse à cette question n’est pas si évidente et manifeste qu’elle peut justifier la radiation préliminaire de la demande pour l’ordonnance dans l’Avis de demande de l’ANIM.

[89] En effet, on a une loi, la LLO, qui stipule que la Cour fédérale en particulier peut accorder une ordonnance et une autre loi, la LCF, qui stipule que seulement la Cour d’appel fédérale peut accorder l’ordonnance. La jurisprudence ne donne pas de réponse claire à l’intersection des deux lois sur cette question.

[90] L’arrêt le plus pertinent que les parties ont pu citer est Centre québécois du droit de l’environnement c Office national de l’énergie, 2015 CF 192. Dans cette affaire, le juge de Montigny, alors qu’il était de notre Cour, a conclu qu’il ne pouvait pas accorder une injonction contre l’Office national de l’énergie (ONÉ) pour une prétendue violation de la LLO. Il a décidé que le pouvoir d’injonction contre l’ONÉ était accordé à la Cour d’appel fédérale par l’alinéa 28(1)f) de la LCF et que les demandeurs auraient dû contester la décision de l’ONÉ devant la Cour d’appel. Par contre, en considérant l’article 77 de la LLO, le juge de Montigny a remarqué seulement que les conditions préalables à l’exercice du recours, à savoir le dépôt d’une plainte auprès de la CLO, n’étaient pas encore réalisées. Par conséquent, il n’a pas conclu qu’un tel recours ne peut jamais être octroyé par cette Cour, mais simplement que « le recours en vertu de la LLO n’est pas encore né ».

[91] Les principes d’interprétation législative ne donnent pas non plus de réponse claire. Le statut quasi constitutionnel de la LLO suggère que ces dispositions doivent avoir primauté. Par contre, la LLO stipule expressément que les dispositions des Parties I à V « l’emportent sur les dispositions incompatibles de toute autre loi » mais n’accorde pas le même privilège à la Partie X: LLO, art 82. Il n’y a pas d’indication expresse dans la LLO que le Parlement voulût effectivement enlever ou dupliquer le pouvoir général de surveillance qu’exerce la Cour d’appel sur les tribunaux énumérés à l’article 28 de la LCF quand il s’agit d’une violation de la LLO. De l’autre côté, il n’y a pas d’indication expresse que le Parlement voulait que le « vaste pouvoir de réparation » conféré à cette Cour soit limité quand il s’agit d’un tribunal énuméré à l’article 28.

[92] Je note aussi que d’une façon ou l’autre, il y a des risques de multiples procédures. Si les recours selon les paragraphes 18(1) et 18.1(3) sont seulement disponibles à la Cour d’appel fédérale lors d’une demande de contrôle judiciaire (comme pour les violations de la Charte), comme prétend le CRTC, un demandeur devrait commencer une demande devant cette Cour pour certains recours et une autre demande devant la Cour d’appel pour les autres recours, les deux fondées sur les mêmes faits et peut-être les mêmes prétendues allégations de violation de la LLO. Si, par contre, ce type de recours est disponible à cette Cour pour une violation de la LLO, comme prétend l’ANIM, un demandeur qui allègue des violations de la LLO, de la Charte et des principes comme l’équité procédurale, devrait toujours commencer plusieurs demandes devant les deux Cours, surtout s’il sollicite, comme le fait l’ANIM, des ordonnances diverses dont celles visées par la LCF et celles qui ne sont pas. Un tel résultat est peut-être nécessaire dans le contexte assez rare des allégations de violation de la LLO par un office fédéral identifié à l’article 28 de la LCF. Cependant, ce résultat souligne que l’interaction de ces deux lois dans un tel cas n’est pas une fondation appropriée pour la radiation.

[93] Je conclus alors qu’il n’est pas évident et manifeste, à la lumière des dispositions pertinentes de la LLO et la LCF et la jurisprudence qui les traitent, que cette Cour n’a pas compétence d’accorder un recours extraordinaire contre le CRTC en vertu du paragraphe 77(4) de la LLO si elle conclut que le CRTC n’a pas respecté ses obligations selon la LLO. Cette Cour doit déterminer cette question lorsqu’elle statue la demande sur le fond.

[94] La demande de l’ANIM pour une ordonnance que le CRTC, dans le cadre de ses décisions de radiodiffusion, impose les conditions de licence dans le futur ne sera donc pas radiée dans la mesure où elle est fondée sur une prétendue violation de la LLO.

C. Les paragraphes 36 à 58 ne devraient pas être radiés

[95] La demande finale du CRTC est la radiation des paragraphes 36 à 58 de l’Avis de demande de l’ANIM, dits « correspondants » aux deux demandes d’ordonnance traitées ci-dessus. Le CRTC n’a pas fait de représentations détaillées sur cet aspect de leur demande, ni dans leurs représentations écrites ni lors de l’audition, et a franchement reconnu que cette demande était « accessoire » aux demandes en radiation des deux ordonnances.

[96] Tel qu’indiqué plus haut, les paragraphes font référence à la Décision de radiodiffusion CRTC 2012-629, décrivent le prétendu manquement d’avis donné aux CFSM par le CRTC et récitent le préjudice souffert par les CFSM suite à cette décision sous forme des montants inégaux qu’ont reçus MUSICACTION et la FACTOR.

[97] À mon avis, ces paragraphes sont pertinents aux allégations de l’ANIM de préjudice et de violation des obligations du CRTC selon la LLO, même s’ils ne peuvent pas justifier une demande en dommages-intérêts. J’accepte l’argument de l’ANIM que même avec la radiation de la demande en dommages-intérêts, et même si j’allais radier la deuxième demande d’ordonnance dans sa totalité, ces faits sont pertinents au contexte et aux allégations du problème systématique. Je rejette alors cet aspect de la requête du CRTC.

D. Dépens

[98] Le CRTC a demandé ses dépens dans le cas où sa requête est accueillie et a concédé que l’ANIM a droit à ses dépens si la requête est rejetée. Pour sa part, l’ANIM demande ses frais, peu importe la disposition de la requête. Elle prétend qu’elle a soulevé des principes importants et nouveaux quant à la LLO, et que dans ce cas, l’article 81 de la LLO stipule que la Cour l’accordera ses frais :

Frais et dépens

Costs

81 (1) Les frais et dépens sont laissés à l’appréciation du tribunal et suivent, sauf ordonnance contraire de celui-ci, le sort du principal.

81 (1) Subject to subsection (2), the costs of and incidental to all proceedings in the Court under this Act shall be in the discretion of the Court and shall follow the event unless the Court orders otherwise.

Idem

Idem

(2) Cependant, dans les cas où il estime que l’objet du recours a soulevé un principe important et nouveau quant à la présente loi, le tribunal accorde les frais et dépens à l’auteur du recours, même s’il est débouté.

(2) Where the Court is of the opinion that an application under section 77 has raised an important new principle in relation to this Act, the Court shall order that costs be awarded to the applicant even if the applicant has not been successful in the result.

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

[99] La question de la disponibilité de dommages-intérêts selon le paragraphe 77(4) de la LLO contre un tribunal quasi judiciaire n’a pas été traitée auparavant dans la jurisprudence. Comme je l’ai indiqué ci-dessus, la question du pouvoir de cette Cour de rendre une ordonnance de la nature de celle décrite aux paragraphes 18(1) et 18.1(3) de la LCF reste incertaine. À la fois, la pertinence de ces questions dans cette affaire n’est pas encore déterminée, étant donné que le bien-fondé de la demande de l’ANIM, et notamment l’existence d’une violation de la LLO, reste à être statué.

[100] À mon avis, dans les circonstances actuelles, où la requête du CRTC était accordée seulement en partie et où la demande de l’ANIM reste encore à être déterminée, il est approprié que la question de dépens de cette requête soit déférée au juge qui examinera au fond la demande principale.

IV. Conclusion

[101] Pour ces motifs, la requête du CRTC est accueillie en partie. La demande pour l’octroi des dommages-intérêts est radiée. La demande pour une ordonnance que le CRTC impose des conditions de licence dans le futur est radiée seulement dans la mesure qu’elle est fondée sur la Charte.


ORDONNANCE dans le dossier T-1480-19

LA COUR ORDONNE que

  1. La requête du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes est accueillie en partie.

  2. La demande suivante est radiée de l’Avis de demande, à savoir la demande pour une ordonnance :

ORDONNANT QUE le CRTC paie des dommages-intérêts à l’ANIM, dont le quantum sera précisé avant l’audience, pour le financement des projets de ses membres qui sont admissibles à un financement au titre du développement du contenu canadien (« DCC ») en vertu du Règlement de 1986 sur la radio, DORS/86-982 (« Règlement sur la Radio »), comme réparation convenable et juste, en vertu du paragraphe 77(4) de la LLO et du paragraphe 24(1) de la Charte, pour le préjudice que les manquements du [CRTC] à la LLO et à la Charte ont causé aux membres de l’ANIM;

  1. Les mots « et du paragraphe 24(1) de la Charte » et « et à la Charte » sont radiés de la demande suivante de l’Avis de demande, à savoir la demande pour une ordonnance :

ORDONNANT QUE le CRTC, dans le cadre de ses décisions de radiodiffusion, durant une période de temps qui sera précisée avant l’audience, impose les conditions de licence nécessaires pour augmenter les contributions annuelles des titulaires de licences à MUSICACTION, à concurrence d’un quantum qui sera précisé avant l’audience, pour le financement de projets des CFSM qui sont admissibles à un financement au titre du DCC en vertu du Règlement sur la Radio, comme réparation convenable et juste, en vertu du paragraphe 77(4) de la LLO et du paragraphe 24(1) de la Charte, pour le préjudice causé aux CFSM par les manquements du [CRTC] à la LLO et à la Charte.

  1. La demande en radiation des paragraphes 36 à 58 de l’Avis de demande est rejetée.

  2. Les dépens de cette requête sont déférés au juge qui statuera de la demande sur le fond.

« Nicholas McHaffie »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1480-19

 

INTITULÉ :

ALLIANCE NATIONALE DE L’INDUSTRIE MUSICALE c CONSEIL DE LA RADIODIFFUSION ET DES TÉLÉCOMMUNICATIONS CANADIENNES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 MAI 2021

ORDONNANCE ET MOTIFS:

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 septembre 2021

 

COMPARUTIONS :

Me Perri Ravon

Me Mélanie Power

 

Pour LA DEMANDEresse

 

Me Ian Demers

Pour LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Juristes Power

Vancouver (Colombie Britannique)

 

Pour lA DEMANDEresse

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour lE DÉFENDEUR

 

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