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Date : 20211007


Dossier : T‑1328‑20

Référence : 2021 CF 1049

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 octobre 2021

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

JAFFET LOWE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Jaffet Lowe, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de la Commission des libérations conditionnelles du Canada [la Commission]. En avril 2020, après l’audience de libération conditionnelle du demandeur, la Commission a imposé une condition spéciale à la libération d’office du demandeur, soit l’obligation de déclarer toutes ses relations intimes, sexuelles ou non, et ses amitiés avec des femmes. Le demandeur a interjeté appel de l’imposition de cette condition auprès de la Section d’appel, qui a maintenu cet aspect de la décision de la Commission. Le demandeur conteste la décision de la Section d’appel. Il fait valoir qu’il s’agit d’une condition déraisonnable. De plus, il avance que le processus par lequel la Commission lui a communiqué des renseignements avant son audience de libération conditionnelle était injuste sur le plan de la procédure.

[2] Comme il est expliqué plus en détail ci‑dessous, la présente demande est rejetée. La Section d’appel n’a pas commis d’erreur en concluant que le processus d’audience mené par la Commission était équitable sur le plan de la procédure. De plus, la Section d’appel a conclu à juste titre que l’imposition par la Commission de la condition spéciale contestée était raisonnable.

II. Le contexte

[3] Le demandeur a récemment été incarcéré à l’établissement de Warkworth [Warkworth] pour purger une peine de 4 ans, 3 mois et 25 jours pour deux chefs d’accusation de possession d’une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte avec munitions, et un chef d’accusation de possession d’une arme en contravention d’une ordonnance d’interdiction.

[4] La date de libération d’office du demandeur était le 14 août 2020. Le 5 novembre 2019, le demandeur a présenté une demande de libération conditionnelle totale. En prévision de son audience de libération conditionnelle devant la Commission, le Service correctionnel du Canada [le SCC] a préparé une Évaluation en vue d’une décision, qui recommandait que la Commission refuse la libération conditionnelle totale au demandeur et impose des conditions spéciales à sa libération d’office. Parmi les conditions spéciales recommandées, il y avait l’obligation que le demandeur signale à son agente de libération conditionnelle toutes les relations intimes, sexuelles ou non, ainsi que les amitiés qu’il entretenait avec des femmes [la condition de déclaration des relations].

[5] Le 23 avril 2020, le demandeur a comparu devant la Commission pour son audience de libération conditionnelle. À cause de la pandémie de COVID‑19, l’audience s’est déroulée virtuellement, avec la participation de l’avocat du demandeur [appelé assistant dans les documents pertinents et par conséquent les présents motifs].

[6] Dans la décision du 23 avril 2020 [la décision de la Commission], la Commission a refusé d’accorder la libération conditionnelle totale au demandeur et a imposé des conditions spéciales à sa libération d’office, comme le recommandait l’Évaluation en vue d’une décision, dont la condition de déclaration des relations. La Commission a également imposé d’autres conditions qui n’étaient pas recommandées dans l’Évaluation en vue d’une décision, comme l’obligation pour le demandeur de donner de l’information financière documentée à son superviseur de libération conditionnelle dans un délai imparti.

[7] Le 20 juillet 2020, le demandeur a interjeté appel de la décision de la Commission auprès de la Section d’appel, en invoquant trois erreurs. Premièrement, il a soutenu que la Commission avait manqué à son obligation d’équité procédurale, car elle n’avait pas transmis, à son assistant et à lui, tous les renseignements pertinents sur lesquels elle allait fonder sa décision. Le demandeur a affirmé que son assistant et lui n’avaient reçu que l’Évaluation en vue d’une décision et son casier judiciaire. Ainsi, il n’a pas été en mesure de se préparer adéquatement pour l’audience ou de commenter l’information de façon éclairée.

[8] Deuxièmement, le demandeur a soutenu que la condition de déclaration des relations était déraisonnable, car la Commission n’avait pas pris la décision qui, compte tenu de la protection de la société, était la moins privative de liberté, comme l’exige l’alinéa 101c) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [la LSCMLC]. De plus, le demandeur a soutenu que la Commission n’avait pas respecté l’article 7.1 du Manuel des politiques décisionnelles à l’intention des commissaires [le Manuel des politiques], qui exige que la Commission établisse un lien clair entre la condition imposée à un délinquant et la probabilité qu’il récidive, et qu’elle montre comment la condition est liée aux facteurs de risque du délinquant, à un besoin identifié chez le délinquant ou à un comportement inapproprié. Le demandeur a affirmé que son dossier ne comportait que deux cas d’agression à l’endroit de la même femme, survenus en 2012 et 2013, et qu’il n’a donc pas d’antécédents concluants d’abus ou d’exploitation de femmes.

[9] Enfin, le demandeur a soutenu que la condition de divulgation de renseignements financiers était fondée sur des renseignements erronés ou incomplets, puisqu’il n’a pas été déclaré coupable d’avoir commis des infractions financières ou de vivre de produits de la criminalité.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[10] Dans sa décision du 11 septembre 2020 [la décision de la Section d’appel], la Section d’appel a accueilli un motif d’appel, mais a rejeté les autres.

[11] Pour ce qui est de l’équité procédurale, la Section d’appel a conclu que la Commission avait respecté l’exigence, prévue au paragraphe 141(1) de la LSCMLC, de faire parvenir au délinquant les documents contenant l’information pertinente au moins 15 jours avant l’audience. La Section d’appel a fait remarquer que, à l’audience, la Commission avait fait référence aux déclarations sur les garanties procédurales et aux mises à jour sur l’information transmise signées par le demandeur, qui attestaient qu’il avait reçu les documents faisant partie de son dossier. De plus, la Section d’appel a rappelé que, selon le paragraphe 141(1), la Commission est tenue de communiquer des renseignements au délinquant et non à son assistant. Par conséquent, la Section d’appel a conclu qu’il n’y avait pas eu de manquement à l’équité procédurale.

[12] La Section d’appel a également conclu que la décision de la Commission d’imposer la condition de déclaration des relations était raisonnable. La Section d’appel a examiné les éléments de preuve présentés à la Commission qui avaient amené cette dernière à imposer la condition contestée, notamment le plan correctionnel du demandeur du 29 janvier 2020 [le plan correctionnel], selon lequel il existait un risque modéré que celui‑ci pose un acte de violence conjugale à l’avenir. Son profil criminel en date du 1er mai 2018 faisait état de déclarations de culpabilité antérieures en 2012 et 2013 pour voies de fait dans le contexte d’une relation intime, au cours de laquelle il avait [traduction] « saisi, giflé, étouffé et frappé » sa partenaire intime. La Section d’appel a également rappelé que la Commission n’est pas tenue de faire référence à chaque élément d’information à l’appui de sa conclusion et qu’il est présumé qu’elle a examiné toute l’information, sauf preuve du contraire. La Section d’appel a conclu que la Commission avait examiné les renseignements pertinents et fiables au sujet de la violence et des menaces de violence du demandeur dans sa relation conjugale. De plus, elle a conclu qu’il était raisonnable que la Commission impose la condition de déclaration des relations afin de protéger la société et de favoriser la réinsertion sociale du demandeur.

[13] Toutefois, la Section d’appel a ordonné un examen de la condition spéciale relative à la divulgation de renseignements financiers, car celle-ci n’était pas recommandée dans l’Évaluation en vue d’une décision. Elle a expliqué que si la Commission impose une condition spéciale qui n’a pas été recommandée, elle doit donner au délinquant la possibilité d’être entendu à cet égard. Elle a conclu que, en l’espèce, la Commission n’avait pas donné au demandeur la possibilité d’être entendu. La Section d’appel a donc ordonné une nouvelle étude du dossier relativement à la condition de divulgation de renseignements financiers.

[14] Dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur conteste le rejet par la Section d’appel de ses motifs d’appel, sauf en ce qui concerne la condition de divulgation de renseignements financiers.

IV. Les questions en litige et la norme de contrôle

[15] Les arguments que le demandeur a soumis à la Cour aux fins d’examen soulèvent les questions en litige suivantes :

  1. La Section d’appel a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la Commission s’était acquittée de son obligation d’équité procédurale compte tenu de la manière dont elle avait communiqué les renseignements sur lesquels sa décision était fondée?
  2. La Section d’appel a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la condition de déclaration des relations, imposée dans la décision de la Commission, était raisonnable?

[16] Dans son mémoire des faits et du droit, le défendeur a également soulevé deux questions préliminaires :

  1. La question de l’équité procédurale a‑t‑elle été dûment soumise à la Cour, le demandeur ne l’ayant pas soulevée à la première occasion?

  2. La Cour devrait‑elle s’abstenir d’accorder du poids à l’affidavit souscrit par l’assistante juridique de l’avocat du demandeur, déposé à l’appui de la présente demande, au motif qu’il comprend du ouï‑dire, des opinions, des arguments juridiques et des éléments de preuve dont la Commission ne disposait pas?

[17] À l’audience relative à la présente demande, j’ai demandé à l’avocate du défendeur s’il valait mieux formuler la première des questions soulevées par son client comme la question de savoir si l’omission de soulever à la première occasion un argument quant à l’équité procédurale constitue un obstacle au succès de cet argument, par opposition à la question de savoir si l’argument a été dûment soumis à la Cour. Faisant référence à la jurisprudence sur laquelle s’appuie le défendeur (Abraham c Canada (Procureur général), 2016 CF 390 [Abraham] au para 23), l’avocate du défendeur a accepté cette formulation de la question. Dans mon analyse du bien‑fondé de la question en litige relative à l’équité procédurale, je tiendrai donc compte de l’argument du défendeur qui porte sur l’omission de soulever l’argument sur l’équité procédurale à la première occasion.

[18] Quant à l’affidavit souscrit par Colleen Carriere, l’assistante juridique de l’avocat du demandeur, je constate que le défendeur n’en conteste pas l’admissibilité. Les arguments du défendeur portent plutôt sur le poids à accorder aux éléments de preuve qu’il contient. Encore une fois, je ne traiterai pas de ces arguments à titre de question préliminaire, mais, dans la mesure où c’est nécessaire pour trancher les principales questions en litige dans le cadre de la présente demande, je les examinerai dans mon analyse ci‑dessous.

[19] Les parties conviennent, et je suis d’accord, que la norme de contrôle qui s’applique à la conclusion de la Section d’appel selon laquelle l’imposition de la condition de déclaration des relations était raisonnable est la norme de la décision raisonnable, telle qu’elle a été énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Le défendeur fait également référence à la jurisprudence selon laquelle la Cour devrait axer son examen de la décision de la Section d’appel sur la légitimité de la décision de la Commission (voir la décision Maldonado c Canada (Procureur général), 2019 CF 1393 [Maldonado] au para 18). J’accepte cette référence à la jurisprudence, ainsi que l’observation du défendeur selon laquelle il faut faire preuve d’une grande retenue à l’égard des conclusions de la Commission et de la Section d’appel (voir Maldonado, au para 18).

[20] Le demandeur ne formule aucune observation sur la bonne norme à appliquer aux questions d’équité procédurale. Le défendeur soutient que, bien que l’équité procédurale ne commande pas techniquement l’application d’une norme, pour examiner si la procédure est équitable, la Cour effectue un exercice fondamentalement analogue au contrôle selon la norme de la décision correcte (voir Chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Office des transports), 2021 CAF 69 au para 46). Encore une fois, je souscris à cet argument.

V. Analyse

A. La Section d’appel a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la Commission s’était acquittée de son obligation d’équité procédurale compte tenu de la manière dont elle avait communiqué les renseignements sur lesquels sa décision était fondée?

[21] Le demandeur renvoie la Cour à l’alinéa 101b) de la LSCMLC, qui dispose que les principes qui guident la Commission dans l’exécution de son mandat comprennent l’échange, au moment opportun, de renseignements utiles avec les délinquants. Comme le fait remarquer le défendeur, le paragraphe 141(1) de la LSCMLC dispose précisément :

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition

Corrections and Conditional Release Act

Délai de communication

Disclosure to offender

141 (1) Au moins quinze jours avant la date fixée pour l’examen de son cas, la Commission fait parvenir au délinquant, dans la langue officielle de son choix, les documents contenant l’information pertinente, ou un résumé de celle‑ci.

[EN BLANC]

141 (1) At least fifteen days before the day set for the review of the case of an offender, the Board shall provide or cause to be provided to the offender, in writing, in whichever of the two official languages of Canada is requested by the offender, the information that is to be considered in the review of the case or a summary of that information.

[22] Dans sa décision, la Section d’appel s’appuie sur le paragraphe 141(1) et souligne que, au début de l’audience devant la Commission, le greffier d’audience a fait référence aux déclarations sur les garanties procédurales datées des 9, 20 et 26 mars 2020, selon lesquelles les documents contenant toute l’information faisant l’objet d’un examen par la Commission, ou un résumé de celle‑ci, avaient été transmis au demandeur au moins 15 jours avant la date de l’audience. À l’appui de sa position dans la présente demande, le défendeur a déposé un affidavit de l’agente de libération conditionnelle du demandeur, Judy Cotnam [l’agente de libération conditionnelle], souscrit le 1er avril 2021, dans lequel elle dit avoir transmis au demandeur les documents qui feraient l’objet d’un examen lors de son audience devant la Commission et qu’elle avait rempli les déclarations sur les garanties procédurales.

[23] Je ne crois pas que le demandeur conteste ces éléments de preuve. Il soutient plutôt qu’il a été privé de son droit à l’équité procédurale, car aucune mesure n’a été prise pour faciliter la transmission des documents pertinents à son assistant. Le demandeur reconnaît que, à strictement parler, le paragraphe 141(1) exige que la Commission lui transmette les documents pertinents à lui, et qu’il lui incombait de les faire parvenir à son assistant. Cela dit, il soutient que les circonstances sans précédent créées par la pandémie de COVID‑19 ont nui à la communication avec son assistant et exigeaient que l’agente de libération conditionnelle et la Commission fassent preuve de souplesse pour faciliter l’accès aux documents pertinents par l’assistant.

[24] La plupart des faits se rapportant à cet argument peuvent être tirés des affidavits de l’agente de libération conditionnelle et de Mme Carriere. L’agente de libération conditionnelle a donné les explications suivantes :

  1. Les délinquants peuvent transmettre les documents reçus en lien avec leur audience devant la Commission à leurs assistants par courriel via Postes Canada. Le matériel nécessaire à l’envoi de ces documents, comme des enveloppes et des timbres, peut être acheté à la cantine de Warkworth, et des dispositions peuvent être prises pour que les documents soient livrés par courrier le jour suivant ou par courrier accéléré.

  2. Lorsqu’elle remet à un délinquant des copies des documents qui doivent être examinés par la Commission, l’agente de libération conditionnelle a l’habitude d’informer le délinquant qu’il lui incombe de les transmettre à son assistant. D’après ce dont elle se souvient, elle a informé le demandeur de sa responsabilité de transmettre les documents à son assistant chaque fois qu’elle lui a remis des documents qui allaient être examinés lors de l’audience.

  3. Au moment où l’agente de libération conditionnelle a remis des documents au demandeur le 9 et le 20 mars 2020, celui‑ci n’avait pas encore trouvé un assistant. Le 26 mars 2020, lors de la remise de la dernière trousse de documents par l’agente de libération conditionnelle, le demandeur a fait savoir qu’il avait retenu les services de son assistant en vue de son audience devant la Commission.

  4. Le cabinet de l’assistant a communiqué avec Warkworth pour la première fois par courriel le 17 avril 2020 pour parler de l’audience du demandeur devant la Commission. Le 21 avril 2020, l’agente de libération conditionnelle s’est entretenue avec le demandeur au sujet de son état de préparation en vue de l’audience du 23 avril 2020, ainsi qu’avec l’assistant, par téléphone. L’agente de libération conditionnelle a joint à son affidavit une copie des notes qu’elle a consignées dans le registre des chargés de cas peu après ces échanges, qui décrivent ainsi ses souvenirs de ces conversations :

[traduction]
Aujourd’hui, je me suis rendue à l’U4 et j’ai rencontré le délinquant Lowe à l’extérieur afin de respecter la distanciation physique. M. Lowe a dit qu’il était prêt pour son audience de jeudi. Je lui ai demandé si son avocat était prêt. Il m’a dit qu’il n’avait pas les documents. Je lui ai rappelé que, le mois dernier, il avait été informé de façon claire du fait qu’il lui incombait de transmettre ses documents à son avocat. Il a dit qu’il n’avait pas d’enveloppes ni de timbres et qu’il lui était impossible de les envoyer pendant la COVID. Il m’a accusée de refuser de l’aider. Je lui ai dit que j’avais obtenu une version différente de l’information auprès du cabinet de son avocat. M. Lowe a ensuite dit avoir envoyé le colis, mais en se trompant d’adresse. Questionné à ce sujet, M. Lowe est revenu à sa position initiale selon laquelle il ne pouvait pas les envoyer et qu’il s’était heurté à mon refus. Je lui ai demandé pour quelle raison il mentait à ce sujet. Il a répondu qu’il ne savait pas ce que je voulais de lui et a demandé à plusieurs reprises si nous avions terminé. Il est ensuite retourné à l’intérieur.

Le délinquant Lowe a une audience devant la CLCC ce jeudi. Il n’a transmis aucun document à son avocat et m’a accusée de ne pas les avoir envoyés, même s’il a été clairement et constamment informé de sa responsabilité de s’assurer que son avocat dispose des renseignements nécessaires. J’ai communiqué avec le cabinet de l’avocat de M. Lowe et parlé avec l’assistant. Celui‑ci a expliqué qu’ils avaient besoin de l’Évaluation en vue d’une décision et du casier judiciaire de M. Lowe. Il a ensuite dit qu’ils avaient besoin de tous les documents transmis à la CLCC. Je lui ai expliqué que M. Lowe avait été clairement instruit d’envoyer la documentation, mais qu’il avait choisi de ne pas le faire. Je lui ai expliqué que j’étais disposée à envoyer un exemplaire de l’Évaluation en vue d’une décision et des deux addendas qui l’accompagnent, en plus du rapport d’interrogation du CIPC sur son casier judiciaire, mais que je n’avais pas le temps de faire une nouvelle mise en commun des renseignements et de les envoyer à l’avocat, alors que M. Lowe n’a tout simplement pas assumé sa responsabilité.

J’ai indiqué que je m’informerais de la date de l’audience relative à son accusation d’infraction disciplinaire et que je transmettrais également cette information.

Peu après l’appel téléphonique, j’ai envoyé un courriel contenant le rapport et le casier judiciaire.

[25] La preuve par affidavit de l’agente de libération conditionnelle comprend une copie du courriel qu’elle a envoyé au cabinet de l’assistant le 21 avril 2020, auquel étaient annexés l’Évaluation en vue d’une décision et les addendas, ainsi que le rapport d’interrogation du CIPC sur le casier judiciaire du demandeur.

[26] L’affidavit de Mme Carriere traite également de la question de l’échange de renseignements de la part de l’agente de libération conditionnelle. Ses éléments de preuve comprennent les déclarations suivantes :

  1. Le demandeur n’a pas été en mesure de transmettre les documents à son avocat. L’agente de libération conditionnelle a envoyé une copie du casier judiciaire du demandeur et de l’Évaluation en vue d’une décision à son assistant par courriel.

  2. Le demandeur a sollicité l’aide de son agente de libération conditionnelle pour envoyer à l’assistant les documents dont la Commission allait disposer. Le demandeur s’est vu refuser de l’aide et s’est fait dire de s’en occuper lui‑même. Il ne pouvait pas envoyer les documents par la poste, parce qu’il n’avait accès à aucun des moyens possibles pour le faire. En outre, les documents n’auraient pas été reçus à temps.

  3. Comme Warkworth était souvent en confinement à cause des restrictions liées à la COVID‑19, l’assistant n’a pas pu se rendre à Warkworth pour ramasser la documentation nécessaire.

[27] En réponse aux éléments de preuve de Mme Carriere concernant l’incidence du confinement à Warkworth, l’agente de libération conditionnelle a produit un affidavit, qui comprend les renseignements suivants :

  1. Le 13 mars 2020, à cause des restrictions liées à la COVID‑19, les visites en personne à Warkworth ont été suspendues.

  2. L’agente de libération conditionnelle ne se souvient pas que l’assistant ou son assistante juridique aient demandé à ramasser des documents à Warkworth. L’agente de libération conditionnelle ne peut pas confirmer si des dispositions auraient pu être prises pour que l’assistant ramasse les documents du demandeur à ce moment‑là.

[28] Comme il a été mentionné ci-dessus, le défendeur soutient qu’il ne faut accorder aucun poids à la preuve de Mme Carriere au sujet des efforts déployés par le demandeur pour les transmettre à son assistant, puisqu’elle n’a aucune connaissance personnelle de ces événements. Le défendeur souligne non seulement qu’il s’agit de ouï‑dire non corroboré, mais aussi que Mme Carriere ne précise pas la source de chaque élément d’information énoncé dans son affidavit.

[29] Je partage les préoccupations du défendeur. Dans son affidavit, Mme Carriere dit avoir examiné le dossier et pris l’information du demandeur ou de l’assistant. Or, en fournissant des éléments de preuve sur le fond plus loin dans l’affidavit, elle ne donne pas la source des éléments de preuve précis. L’imprécision dans la rédaction de l’affidavit soulève des préoccupations quant au poids à accorder aux éléments de preuve qu’il contient.

[30] Cela dit, Mme Carriere a indiqué que l’une des sources des éléments de preuve dans son affidavit est l’information donnée par l’assistant. Il est raisonnable de déduire qu’il était la source de l’information selon laquelle il n’a pas été en mesure de se présenter à Warkworth pour ramasser les documents du demandeur. De plus, à ce sujet, la divergence est très mince entre cet élément de preuve et celui de l’agente de libération conditionnelle. Cette dernière affirme seulement qu’elle ne se souvient pas d’une demande de la part de l’assistant ou de son assistante juridique pour ramasser les documents à Warkworth et qu’elle ne peut pas confirmer si des dispositions auraient pu être prises pour que l’assistant vienne chercher les documents du demandeur. Elle confirme également que, le 13 mars 2020, les visites en personne à Warkworth ont été suspendues. Par conséquent, malgré les lacunes de l’affidavit de Mme Carriere, j’accepte la preuve selon laquelle, à cause de restrictions liées à la COVID‑19, l’assistant n’a pas pu se présenter à Warkworth pour obtenir des copies des documents du demandeur.

[31] En revanche, il y a des divergences plus importantes dans les éléments de preuve sur la capacité du demandeur de transmettre les documents à son assistant par la poste. L’agente de libération conditionnelle soutient que le matériel nécessaire à l’envoi de documents aux assistants, comme des enveloppes et des timbres, peut être acheté à la cantine de Warkworth, et que des dispositions peuvent être prises pour que les documents soient livrés par courrier le jour suivant ou par courrier accéléré. En outre, elle affirme que, d’après ce dont elle se souvient, elle a informé le demandeur de sa responsabilité de transmettre les documents à son assistant chaque fois qu’elle lui a remis des documents qui allaient être examinés lors de l’audience. Or, dans son affidavit, Mme Carrière affirme que le demandeur s’est vu refuser toute aide pour envoyer ses documents à l’assistant et qu’on lui a dit de le faire lui‑même, mais qu’il ne pouvait pas envoyer de documents par la poste, parce qu’il n’avait accès à aucun des moyens possibles pour le faire et que les documents n’auraient pas été reçus à temps.

[32] À ce sujet, le témoignage de l’agente de libération conditionnelle est beaucoup plus précis que celui de Mme Carriere. Même en supposant que les renseignements que Mme Carriere a inscrits dans cette partie de son affidavit proviennent du demandeur, je remarque que sa preuve n’explique pas pourquoi le demandeur était d’avis qu’il n’avait pas accès à un moyen d’envoyer les documents par la poste à son assistant ou que les documents n’auraient pas été reçus à temps. Ces éléments de preuve ne concordent pas avec l’explication de l’agente de libération conditionnelle concernant l’accès des délinquants aux services postaux et le fait que le demandeur avait embauché son assistant et reçu tous les documents pertinents avant le 26 mars 2020, soit quatre semaines avant son audience du 23 avril 2020. De plus, selon les notes de l’agente de libération conditionnelle sur sa rencontre du 21 avril 2020 avec le demandeur, celui‑ci a donné des explications contradictoires sur son incapacité à transmettre ses documents à son assistant. Pour ces motifs, en présence de contradictions à cet égard entre la preuve de l’agente de libération conditionnelle et celle de Mme Carriere, je choisis d’accepter la preuve de l’agente de libération conditionnelle.

[33] L’autre élément factuel qui est important pour l’issue de la question relative à l’équité procédurale est la question de savoir si la préoccupation relative à l’équité procédurale avait été soulevée auprès de la Commission. Comme le fait valoir le défendeur, la décision Abraham explique ainsi l’importance de ce point (au para 23) :

23 Quoi qu’il en soit, le demandeur s’est vu remettre, dans les délais prévus à l’article 141 de la Loi, un résumé des renseignements contenus au rapport portant sur l’incident du 23 novembre 2013. À l’audience devant la Commission, ni lui ni son procureur n’ont formulé d’objection quant à la suffisance de ce résumé ou encore quant au fait que le rapport lui‑même ne lui avait pas été transmis. À mon avis, le défendeur a raison de dire qu’il lui fallait soulever cette objection à la première occasion, ce qu’il n’a pas fait. Cela lui est, selon moi, fatal (Hudon c Canada (Procureur général) 2001 CFPI 1313, au para 29, 214 FTR 193 [Hudon]).

[34] Le demandeur soutient que, au cours de l’audience devant la Commission, celle‑ci a été mise au courant de ce qui constitue, aux dires du demandeur, une lacune dans les renseignements à la disposition du demandeur et de son assistant. Il appert de la transcription de l’audience que, à deux occasions, l’assistant a informé la Commission qu’il disposait d’un exemplaire du casier judiciaire du demandeur et de l’Évaluation en vue d’une décision, mais qu’il ne parvenait pas à obtenir d’autres documents. Or, le demandeur et son assistant n’ont profité d’aucune de ces deux occasions pour invoquer une préoccupation en matière d’équité procédurale. Ni le demandeur ni son assistant n’ont demandé un ajournement ou toute autre mesure d’adaptation procédurale pour donner à l’assistant plus de temps pour obtenir les documents. Au contraire, le demandeur a déclaré qu’il avait reçu des exemplaires de tous les renseignements devant être examinés par la Commission au cours de l’audience et qu’il était prêt pour l’audience.

[35] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que cette seule raison suffit pour rejeter l’argument quant à l’équité procédurale avancé par le demandeur. Or, même en faisant abstraction de cet aspect, je conclurais que le demandeur n’a pas été privé de son droit à l’équité procédurale compte tenu des faits de l’espèce. Comme l’explique la Section d’appel dans son analyse, l’obligation de divulgation de la Commission prévue au paragraphe 141(1) de la LSCMLC est envers le demandeur, et non son assistant. Cette obligation a été respectée. Je n’exclurais pas la possibilité que, comme l’a fait valoir le demandeur, il puisse y avoir des circonstances particulières où les principes d’équité procédurale de la common law exigeraient des mesures supplémentaires pour faciliter la transmission des documents à l’avocat du délinquant ou à un autre assistant, mais ce n’est pas le cas en l’espèce. Malgré les conséquences de la pandémie de COVID‑19 qui ont empêché l’assistant de se rendre à Warkworth en personne, la preuve démontre que le demandeur a reçu les documents pertinents, retenu les services de son assistant et eu accès aux services postaux, et qu’il a eu suffisamment de temps pour transmettre ces documents à son assistant.

[36] De plus, l’agente de libération conditionnelle a pris une mesure de plus en transmettant l’Évaluation en vue d’une décision et le casier judiciaire du demandeur à son assistant. Comme je l’expliquerai ci‑dessous dans l’analyse de la prochaine question en litige, l’Évaluation en vue d’une décision a recommandé la condition de déclaration des relations sur le fondement des déclarations de culpabilité antérieures pour voies de fait dans un contexte conjugal. Le demandeur n’a cité de façon convaincante aucun des documents supplémentaires qui lui ont été communiqués, mais qui n’ont pas été transmis à son assistant, qui auraient eu une grande incidence sur l’issue de l’audience devant la Commission. Comme l’explique la décision Abraham, pour que la Cour intervienne, le manquement à l’équité procédurale qui a été avancé doit avoir eu une incidence importante sur l’issue (au para 18).

[37] Par conséquent, je ne relève aucune erreur susceptible de révision quant à l’équité procédurale de l’audience devant la Commission ou dans l’analyse de cette question par la Section d’appel.

B. La Section d’appel a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la condition de déclaration des relations, imposée dans la décision de la Commission, était raisonnable?

[38] Comme il est expliqué plus loin, le demandeur avance beaucoup d’arguments à l’appui de sa position selon laquelle il était déraisonnable que la Commission impose la condition de déclaration des relations et que la Section d’appel confirme la décision de la Commission à cet égard. En résumé, le demandeur soutient que, au vu du des exigences prévues par la LSCMLC et par le Manuel des politiques (contexte juridique), ainsi que des antécédents du demandeur (contexte factuel), la décision de la Commission et celle de la Section d’appel ne tiennent pas compte de certains renseignements pertinents et n’articulent pas un raisonnement qui justifie d’imposer la condition de déclaration des relations. Pour ce qui est des faits, il souligne que ses déclarations de culpabilité pour voies de fait en lien avec de la violence conjugale (à l’endroit d’une seule victime) remontent à 2012 et à 2013. Il insiste également sur la preuve selon laquelle il entretient maintenant une relation stable et à long terme sans incident de ce genre, ainsi que sur les éléments de son dossier du SCC qui montrent qu’il présente un risque faible de récidive en ce qui a trait à ce type de violence.

[39] Le demandeur s’appuie sur les points 7a) et b) du Manuel des politiques, qui prescrivent certains critères décisionnels dont la Commission doit tenir compte lorsqu’elle impose une condition spéciale à la libération d’office d’un délinquant :

Critères et processus décisionnels

Decision‑Making Criteria and Process

7. Une condition spéciale peut être imposée lorsqu’elle est jugée raisonnable et nécessaire pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délinquant ou raisonnable et nécessaire pour protéger la victime. Lorsqu’ils imposent une condition spéciale, les commissaires :

7. A special condition may be imposed when the condition is considered reasonable and necessary in order to protect society and to facilitate the successful reintegration into society of the offender or reasonable and necessary in order to protect the victim. When imposing a special condition, Board members will:

a. établissent un lien clair entre la condition imposée et la probabilité de récidive si la condition n’est pas respectée;

a. establish a clear link between the condition and the probability of re‑offending if the condition is violated;

b. montrent comment la condition est liée aux facteurs de risque, à un besoin identifié chez le délinquant ou à un comportement qui est inapproprié ou inacceptable;

b. relate the condition to the offender’s risk factors, to an identified need or to behaviour that is inappropriate or unacceptable;

[40] En tenant compte de ces dispositions, le demandeur renvoie la Cour à l’arrêt Vavilov (au para 81), qui met l’accent sur la nécessité que les motifs d’un tribunal administratif établissent la justification de la décision ainsi que la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel. Au vu de la stabilité de sa relation actuelle et d’autres remarques positives dans son dossier du SCC, le demandeur soutient que la décision de la Commission et celle de la Section d’appel n’établissent pas de lien entre les déclarations de culpabilités de 2012 et de 2013 pour voies de fait en lien avec de la violence conjugale et son risque actuel de récidive. De plus, il soutient que ces décisions n’expliquent pas la raison pour laquelle, compte tenu d’autres renseignements actuellement accessibles, ces déclarations de culpabilité antérieures se traduisent par la nécessité d’imposer la condition de déclaration des relations. Examinons donc le raisonnement qui sous‑tend ces décisions.

[41] En décidant d’imposer la condition de déclaration des relations, la Commission a souligné qu’il s’agissait de l’une des conditions spéciales recommandées par le SCC et a fait remarquer que le demandeur avait été violent et avait menacé de faire usage de violence dans le contexte d’une relation conjugale. La Commission a donc conclu que la condition de déclaration des relations devait être imposée pour protéger les futures partenaires du demandeur et pour veiller à ce qu’elles soient informées de ses antécédents criminels. En examinant ce raisonnement dans la décision de la Commission, la Section d’appel a fait référence à la violence et aux menaces de violence dans la relation conjugale du demandeur pour lesquelles il a été déclaré coupable de voies de fait en 2012 et en 2013, ainsi qu’à l’opinion exprimée par le SCC dans le plan correctionnel, selon laquelle il présentait un risque modéré de violence conjugale à l’avenir. La Section d’appel a jugé qu’il était raisonnable que la Commission conclue que, comme le demandeur avait agressé une ancienne partenaire intime dans le contexte de son cycle de délinquance, il y avait des préoccupations quant au risque en lien avec ses relations conjugales.

[42] En bref, les deux tribunaux administratifs ont conclu que, compte tenu des déclarations de culpabilité du demandeur liées à la violence conjugale en 2012 et 2013, et de l’évaluation actuelle du SCC du risque de violence conjugale à l’avenir, l’imposition de la condition de déclaration des relations, comme l’a recommandé le SCC, était nécessaire pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du demandeur. Je trouve que ce raisonnement est tout à fait intelligible.

[43] Au moyen de ses arguments, le demandeur avance que la décision de la Commission et celle de la Section d’appel la confirmant sont déraisonnables, parce qu’elles ne se sont pas penchées expressément sur la question de savoir si des éléments plus favorables des antécédents relationnels du demandeur et du dossier du SCC militent contre l’imposition de la condition contestée. Selon le défendeur, par ses arguments, le demandeur demande à la Cour d’examiner à nouveau la preuve. Le demandeur répond qu’il ne fait pas valoir que les tribunaux auraient dû examiner la preuve différemment, mais plutôt que certains éléments de preuve ont été écartés, ce qui constitue une erreur susceptible de révision.

[44] En examinant ces observations, je tiens compte du fait que le défendeur s’est appuyé sur un principe de droit administratif, expliqué ainsi dans la décision Barr c Canada (Procureur général), 2018 CF 217 [Barr] au para 45 :

45 En droit administratif, il est bien établi qu’il faut tenir pour acquis que le décideur a soupesé et pris en considération la totalité des éléments de preuve à sa disposition, à moins d’une preuve du contraire (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF nº 598 (CAF) (QL), au paragraphe 1). Le demandeur n’a présenté aucun argument ou élément de preuve pour réfuter cette présomption. Même si la Commission ne mentionne pas un élément de preuve, il ne faut pas en déduire qu’elle n’en a pas tenu compte. Le décideur n’est pas obligé de faire référence à chaque élément de preuve fondant ses conclusions (Newfoundland Nurses, au paragraphe 16).

[45] Le demandeur reproche au défendeur d’avoir invoqué ce principe, car il soutient qu’il est très rare qu’une partie qui comparaît devant un tribunal administratif soit en mesure de présenter des éléments de preuve pour réfuter la présomption selon laquelle tous les renseignements présentés au tribunal administratif ont été pris en considération. Il soutient que la Cour ne peut pas s’attendre à ce qu’il présente des éléments de preuve pour prouver un fait négatif.

[46] À mon avis, les observations du demandeur dénotent une mauvaise compréhension du principe énoncé dans la décision Barr. Selon ma compréhension, la décision Barr ne laisse pas entendre que, pour réfuter la présomption, une partie doit présenter des éléments de preuve directs, comme un énoncé du tribunal administratif démontrant qu’il n’a pas tenu compte de certains renseignements. En revanche, il est possible de réfuter la présomption de la façon expliquée par la Cour dans la décision Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 1 CF 53, 157 FTR 35 [Cepeda‑Gutierrez] aux para 16-17 :

16 Par ailleurs, les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal (Medina c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990) 12 Imm. L.R. (2d) 33 (C.A.F.)), et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve (voir, par exemple, Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut‑être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd. Une simple déclaration par l’organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l’ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l’organisme a analysé l’ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.

[17] Toutefois, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

[47] J’accepte également l’argument du défendeur selon lequel, lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit examiner les motifs du tribunal administratif en fonction de l’historique de l’instance, notamment des observations précises des parties devant le tribunal (voir Vavilov, au para 94). En l’espèce, les observations du demandeur devant la Commission n’ont soulevé aucune préoccupation au sujet de la condition de déclaration des relations. Au contraire, selon la transcription de l’audience, l’assistant a déclaré, dans ses observations devant la Commission, que les conditions spéciales proposées étaient raisonnables et que, à sa connaissance, le demandeur allait les accepter. En appel devant la Section d’appel, le demandeur a contesté la condition de déclaration des relations. Le paragraphe pertinent des observations que le demandeur a transmises à la section d’appel est ainsi rédigé :

[traduction]
Le dossier ne montre pas que M. Lowe pose un risque pour les femmes. Son dossier comporte une seule agression à l’endroit d’une femme, qui remonte à 2012. Il y est mentionné que M. Lowe a serré violemment la main d’une femme lorsqu’il s’est emporté dans une fête, mais il n’y a rien dans le dossier qui atteste une agression plus grave. Aucune accusation n’a été portée relativement à cet incident et aucune déclaration de culpabilité n’a donc été enregistrée. Il n’y a pas d’antécédents convaincants montrant que M. Lowe aurait infligé un mauvais traitement à une femme ou qu’il aurait profité d’une femme. Il n’y a tout simplement aucune preuve que M. Lowe pose un risque pour les femmes. La Commission a exagéré en imposant qu’il déclare toute relation avec des amies. Cette condition est donc trop restrictive et a été imposée sans objectif clair. La Commission n’a pas établi de lien clair entre la condition et la probabilité de récidive si la condition n’est pas respectée.

[48] L’argument que le demandeur a formulé à la Cour, selon lequel certains éléments de preuve ont été écartés, porte principalement sur les relations fructueuses qu’il entretient depuis la relation qui a donné lieu aux déclarations de culpabilité en 2012 et en 2013, notamment sa relation actuelle qui dure maintenant depuis environ cinq ans, et sur l’évaluation dans son dossier du SCC selon laquelle il présente un faible risque de récidive pour ce qui est de la violence conjugale.

[49] Tout d’abord, en ce qui concerne la relation actuelle du demandeur, je prends acte du fait qu’il cherche à s’appuyer sur une déclaration de sa partenaire intime actuelle, énoncée dans un courriel envoyé à l’assistant du demandeur le 17 décembre 2020 et jointe à titre de pièce à l’affidavit de Mme Carriere. Comme le défendeur le soutient à juste titre, la Commission ne disposait pas de cette déclaration au moment de rendre sa décision le 23 avril 2020. Par conséquent, elle ne fait pas partie du dossier dont la Cour doit tenir compte dans le cadre de son contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable.

[50] Le dossier à la disposition de la Commission comporte une déclaration, contenue dans un courriel envoyé le 8 mai 2019 par la partenaire du demandeur à l’appui de la demande de libération conditionnelle du demandeur, qui ne mentionne aucune expérience de violence conjugale. De plus, l’Évaluation en vue d’une décision, qui fait état de l’évaluation du SCC en vue de l’audience du demandeur devant la Commission, souligne expressément que le demandeur semble avoir une relation stable et que sa partenaire a catégoriquement nié tout préjudice qu’il aurait causé. En raison des antécédents de violence conjugale, l’Évaluation en vue d’une décision dit expressément que, malgré la relation actuelle sans indices de violence conjugale, la condition de déclaration des relations est recommandée.

[51] Il serait difficile d’avancer de façon crédible que la Commission ou la Section d’appel n’ont pas tenu compte de l’Évaluation en vue d’une décision, car il s’agit de l’un des principaux documents dont les tribunaux administratifs doivent tenir compte pour rendre leurs décisions et c’est le document qui énonce les conditions spéciales proposées. De plus, il s’ensuit de la décision Cepeda‑Gutierrez que le fait que le demandeur entretient actuellement une relation stable ne contredit pas les conclusions des tribunaux administratifs, de façon à appuyer la conclusion selon laquelle certains éléments de preuve ont été écartés. Je fais également remarquer que, dans ses observations devant les tribunaux administratifs, le demandeur n’a pas invoqué expressément sa relation actuelle pour appuyer sa position selon laquelle la condition contestée est injustifiée. Je conclus que l’absence de référence expresse aux éléments de preuve qui portent sur cette relation dans les décisions des tribunaux administratifs ne permet pas de conclure que ces éléments de preuve ont été écartés.

[52] L’évaluation selon laquelle le demandeur présente un faible risque de récidive en ce qui a trait à la violence conjugale se trouve dans une Évaluation du risque de violence conjugale [ERVC] préparée en avril 2018. Comme le fait remarquer le demandeur, ce document indique que son [traduction] « risque imminent de violence à l’endroit d’une partenaire » est faible. Toutefois, comme l’a fait remarquer le défendeur, l’ERVC explique également que les détails entourant les déclarations de culpabilité du demandeur pour voies de fait en lien avec de la violence conjugale en 2012 et 2013 n’étaient pas accessibles avant que l’ERVC soit effectuée et que les rapports de police sur les voies de fait étaient en suspens au moment de sa rédaction.

[53] De plus, comme il est indiqué dans la décision de la Section d’appel, le plan correctionnel énonce l’évaluation du SCC, selon laquelle le demande présente un risque modéré de violence conjugale à l’avenir en raison de ses antécédents de violence conjugale. Le demandeur soutient qu’il s’agit simplement de l’opinion de l’agent du SCC qui a rédigé le plan correctionnel, qui est peut‑être motivée, à tort, par le simple fait que le demandeur n’a pas participé à des programmes correctionnels axés sur la violence conjugale. Or, cet argument invite la Cour à soupeser la preuve d’une manière qui diffère de ce qui est exigé dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[54] Encore une fois, dans ses observations devant la Section d’appel, le demandeur n’invoque pas les éléments de preuve contenus dans l’ERVC pour appuyer la position selon laquelle la condition contestée est injustifiée. Dans un tel contexte et au vu des autres éléments de preuve examinés ci‑dessus et de la décision Cepeda‑Gutierrez, le dossier n’appuie pas la conclusion selon laquelle l’ERVC n’a pas été examinée.

[55] Enfin, le demandeur soutient que les décisions contestées sont déraisonnables parce que l’imposition de la condition de déclaration des relations est incompatible avec le principe directeur énoncé à l’alinéa 101c) de la LSCMLC, qui exige que la Commission prenne les décisions qui, compte tenu de la protection de la société, sont les moins privatives de liberté.

[56] Je considère que cette observation est peu fondée. Comme le fait valoir le défendeur, le principe qui consiste à exiger la décision la moins privative de liberté est assujetti au critère prépondérant de la protection de la société (voir Ouelette c Canada (Procureur général), 2013 CAF 54 au para 62). La Section d’appel a expressément conclu, après avoir examiné des renseignements pertinents et fiables au sujet de la violence et des menaces de violence du demandeur dans sa relation conjugale, qu’il était raisonnable de conclure que la condition de déclaration des relations était nécessaire afin de protéger la société et de favoriser la réinsertion sociale du demandeur. Je conclus que cette analyse est tout à fait raisonnable.

VI. Conclusion

[57] Ayant examiné les arguments du demandeur et n’ayant trouvé aucune erreur susceptible de révision, je conclus que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Comme le défendeur n’a pas demandé de dépens, aucuns dépens ne seront adjugés contre le demandeur.

 


JUGEMENT dans le dossier T‑1328‑20

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée sans dépens.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1328‑20

INTITULÉ :

JAFFET LOWE C LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 SEPTEMBRE 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 7 OCTOBRE 2021

COMPARUTIONS :

James J. McGrath

POUR LE DEMANDEUR

Jennifer L. Caruso

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Cobourg (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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