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Date : 20060726

Dossier : IMM-7260-05

Référence : 2006 CF 916

Ottawa (Ontario), le 26 juillet 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’REILLY

 

 

ENTRE :

FENGAI KAIMONDO

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Fengai Kaimondo prétend avoir fui la Sierra Leone en 2001 parce qu’il craignait que l’armée ne le soupçonne de collaborer avec des rebelles. Il a obtenu l’asile aux Pays‑Bas, mais il a quitté ce pays quand il a cru que son permis temporaire ne serait pas renouvelé. En août 2004, il est entré au Canada et a demandé l’asile ici. 

[2]               En 2005, un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a entendu et rejeté la demande d’asile de M. Kaimondo. Celui‑ci soutient que la Commission a commis un certain nombre d’erreurs graves et il me demande d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience. Cependant, je ne vois aucune erreur qui justifierait l’annulation de la décision rendue par la Commission et je dois, par conséquent, rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

I.        Questions

 

1.   La Commission a-t-elle expliqué adéquatement pourquoi elle n’a pas cru la version des faits de M. Kaimondo?

  1. La Commission a-t-elle omis de prendre en compte ou rejeté indûment des éléments de preuve appuyant la demande d’asile de M. Kaimondo?

  2. La Commission a-t-elle traité injustement M. Kaimondo en permettant « l’ordre inversé des interrogatoires » lors de l’audience?

II.     Analyse

 

A.  La Commission a-t-elle expliqué adéquatement pourquoi elle n’a pas cru la version des faits de M. Kaimondo?

[3]               La Commission a avancé deux principales raisons de ne pas croire M. Kaimondo. En premier lieu, elle a conclu qu’il avait donné deux versions différentes de son récit : l’une dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) et l’autre au point d’entrée. En second lieu, la Commission a jugé que la description fournie par M. Kaimondo de la façon dont il est parvenu à garder cachées sur lui certaines pièces d’identité pendant trois années de détention et à s’en procurer de nouvelles par la suite n’était pas plausible.   

[4]                Je ne peux annuler les conclusions de la Commission que si je conclus qu’elles n’étaient pas soutenues par la preuve ou si la Commission a omis de les expliquer adéquatement.

(a)  Les deux versions des faits

[5]               Lorsqu’il est entré au Canada, M. Kaimondo a dit à un agent d’immigration qu’il avait travaillé pour le ministre de la Défense en Sierra Leone, lequel était alors détenu pour violations des droits de la personne. Il a également affirmé faire partie d’une milice appelée Kamajor. Il a plus tard admis que ce n’était pas vrai. Il a expliqué avoir concocté cette histoire parce qu’on lui avait conseillé de rendre son récit des faits plus convaincant afin d’être admis au Canada. Il prétend avoir par la suite raconté la vérité à un autre agent, mais il n’existe aucune trace de cette conversation. 

[6]               Dans son FRP, M. Kaimondo a affirmé que le Front révolutionnaire uni (FRU) avait choisi de s’en prendre particulièrement aux membres de sa famille parce qu’ils possédaient une entreprise lucrative dans le domaine du diamant. Il a déclaré qu’en 1998 des membres du FRU avaient fait prisonniers son père et lui et avaient violé sa mère et sa sœur. Il n’a réussi à s’échapper qu’en 2001, quand il a fui aux Pays‑Bas. Il a répété cette version des faits à l’audience. 

 

[7]               La Commission a pris note des divergences entre les deux récits et a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité de M. Kaimondo. Ce faisant, la Commission a commis une erreur. Elle n’a pas accepté la prétention de M. Kaimondo selon laquelle il avait fourni spontanément la véritable version des faits à un agent d’immigration parce que les notes prises au point d’entrée ne faisaient état que du premier récit. En fait, M. Kaimondo affirme avoir donné la seconde version des faits non pas au point d’entrée, mais à un autre agent, quand il était détenu. Cette conversation, de toute évidence, n’apparaîtrait pas dans les notes prises au point d’entrée.

 

[8]               Cependant, l’argument principal de la Commission demeure : M. Kaimondo a effectivement donné deux versions des faits et il n’existe aucune preuve qu’il a fourni spontanément le récit véritable avant qu’il ne dépose son FRP. Il est clair que, lorsqu’il était en détention, il a donné une version fausse des faits à un agent d’immigration. Le dossier contient la transcription de cette conversation. En conséquence, la position de la Commission selon laquelle tout récit révisé donné par M. Kaimondo aurait été pris en note par l’agent à qui il aurait été fait reste valide. 

 

(b)  Les pièces d’identité

[9]               M. Kaimondo a dit à la Commission qu’il était d’usage répandu en Afrique pour les gens de cacher des documents ou d’autres objets de valeur dans leurs sous‑vêtements. Il prétend avoir gardé son passeport et sa carte d’identité cachés ainsi pendant les trois années qu’il a passées en captivité. Il n’a jamais été fouillé. Il a fini par perdre sa carte d’identité. Toutefois, après avoir été libéré, il a été en mesure d’en obtenir une nouvelle, ainsi qu’un certificat de naissance, même s’il était, selon lui, recherché par l’armée pour avoir collaboré avec les rebelles. 

 

[10]           Dans les circonstances, la Commission a douté que M. Kaimondo ait pu garder ses pièces d’identité cachées sur lui pendant trois ans. Elle a conclu que ce n’était tout simplement pas plausible « [c]ompte tenu du mode de fonctionnement des rebelles ». M. Kaimondo soutient que la Commission ne disposait d’aucune preuve quant à l’existence d’un « mode de fonctionnement » particulier et, par conséquent, qu’il n’existait aucun fondement permettant à la Commission de conclure que son récit des faits n’était pas plausible. 

 

[11]           Je ne crois pas que la Commission faisait référence à des pratiques particulières propres aux rebelles qui auraient détenu M. Kaimondo. Selon mon interprétation de la décision rendue par la Commission, celle‑ci ne faisait que souligner qu’il serait hautement improbable que ces rebelles, qui détenaient des personnes contre leur volonté et qui essayaient de les empêcher de s’échapper, ne les aient jamais fouillées en trois ans. À mon avis, la Commission pouvait tirer cette conclusion à partir de la preuve. 

 

[12]           Pour ce qui est des documents obtenus après sa libération, M. Kaimondo soutient que rien ne prouvait que les bureaux gouvernementaux de la Sierra Leone étaient intégrés au point où ceux délivrant les pièces d’identité auraient su que d’autres autorités le recherchaient. En fait, il prétend que l’infrastructure gouvernementale était plutôt rudimentaire, ayant été décimée pendant la guerre civile. 

 

[13]           La Commission a conclu que M. Kaimondo, en fait, n’était pas pris pour cible par les autorités gouvernementales. Cette conclusion est fondée en partie seulement sur la facilité avec laquelle M. Kaimondo a pu obtenir de nouvelles pièces d’identité. La Commission a également noté que la seule preuve confirmant qu’il était pris pour cible par les autorités gouvernementales était une preuve par ouï‑dire non corroborée provenant d’amis. En conséquence, la conclusion de la Commission selon laquelle M. Kaimondo n’était pas recherché par les autorités ne pourrait être considérée dénuée de tout fondement probatoire que si je concluais que la Commission a rejeté indûment la preuve par ouï‑dire. Comme je l’indique plus bas, je crois que la Commission a traité la preuve par ouï‑dire d’une manière que permettait son pouvoir discrétionnaire.    

 

2.  La Commission a-t-elle omis de prendre en compte ou rejeté indûment des éléments de preuve appuyant la demande d’asile de M. Kaimondo?

            (a)  La preuve documentaire

[14]           La Commission a cité un rapport du Département d’État américain décrivant les conditions en Sierra Leone comme s’étant améliorées après la fin de la guerre civile en 2002, après le départ de M. Kaimondo. Le gouvernement fait respecter son autorité dans tout le pays et a mis sur pied un tribunal de crimes de guerre pour traduire en justice les combattants de la guerre civile. Des forces de l’ONU sont présentes afin d’aider à rétablir l’ordre. La Commission a reconnu que certaines régions connaissaient encore des problèmes, mais elle a conclu qu’il n’y avait pas de preuve crédible que les personnes se trouvant dans la situation de M. Kaimondo couraient un danger. 

 

[15]           M. Kaimondo soutient que la Commission a omis de prendre en compte certains éléments de preuve documentaire démontrant que la situation en Sierra Leone demeure violente, chaotique et dangereuse. Il a insisté, en particulier, sur l’affidavit d’un expert qui avait été préparé en 2004. M. Kaimondo soutient que la Commission aurait dû tenir compte du rapport de l’expert. 

 

[16]           L’expert affirme que [traduction] « les anciens prisonniers du FRU […] peuvent être pris pour cible afin qu’ils ne portent jamais d’accusations ou ne témoignent jamais en cour. Les anciens rebelles […] croient avoir raison d’intimider ou de tuer ces personnes, car ils croient être en droit de passer à autre chose et ces personnes viennent gâcher leur vie. »

 

[17]           Si la Commission avait cru que M. Kaimondo était un ancien prisonnier, le rapport de l’expert aurait constitué un élément de preuve important indiquant qu’il risquait d’être persécuté ou maltraité s’il retournait en Sierra Leone. Cependant, la Commission a clairement conclu que M. Kaimondo n’avait pas été prisonnier et qu’il avait « inventé tout son récit afin de demander l’asile au Canada ». Dans les circonstances, la Commission n’était pas tenue de se référer au rapport de l’expert. 

 

(b)  La preuve par ouï-dire

 

[18]           Tel qu’il a été indiqué précédemment, la Commission a pris note que le seul élément de preuve démontrant que M. Kaimondo était recherché par les autorités en Sierra Leone constituait du ouï‑dire. En particulier, M. Kaimondo a témoigné que ses amis lui avaient dit que les autorités gouvernementales le recherchaient.

 

[19]           La Commission a jugé qu’elle ne pouvait accorder à cet élément de preuve aucune valeur. M. Kaimondo soutient que la Commission a commis une erreur en niant son importance. 

 

[20]           La Commission a déclaré qu’elle ne pouvait se fonder sur cet élément de preuve, car la crédibilité de M. Kaimondo dans son ensemble était mise en doute. Le fait que la Commission doutait de la crédibilité de M. Kaimondo signifiait qu’elle n’était pas convaincue que ses amis aient jamais formulé ces déclarations. Dans ces circonstances, la Commission avait le droit de n’accorder aucune valeur à cet élément de preuve. La Commission n’a pas affirmé que cet élément de preuve était inadmissible; elle a simplement choisi de ne pas se fonder sur cet élément de preuve, ce qu’elle était libre de faire.    

 

3.  La Commission a-t-elle traité injustement M. Kaimondo en permettant « l’ordre inversé des interrogatoires » lors de l’audience?

 

[21]           M. Kaimondo prétend que la pratique générale de la Commission permettant à l’agent de protection des réfugiés d’interroger le demandeur d’asile avant que celui‑ci n’ait eu la chance d’exposer le fondement de sa demande, par l’intermédiaire de son conseil ou directement, est injuste. Il affirme que la jurisprudence de la Cour soutient son argument.

[22]           En fait, dans Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 461, [2006] A.C.F. n631, le juge Richard Mosley a conclu que la pratique de la Commission (telle qu’elle a été établie par les Directives no 7) n’est pas injuste, pas plus qu’elle n’entrave le pouvoir discrétionnaire permettant aux commissaires de suivre la procédure qui convient le mieux aux circonstances de chaque affaire (voir les paragraphes 127, 128 et 171). En outre, le juge Mosley a conclu que le demandeur d’asile doit soulever toute question relative à l’équité dès que les circonstances le permettent, ce qui, en l’espèce, aurait été au début de l’audience devant la Commission. M. Kaimondo n’a soulevé aucune objection à l’ordre des interrogatoires devant la Commission. Il ne prétend pas non plus que l’ordre dans lequel il a été interrogé à l’audience a eu des conséquences défavorables pour lui.

[23]           En conséquence, je dois rejeter l’argument de M. Kaimondo à cet effet et rejeter sa demande de contrôle judiciaire.

[24]           Compte tenu des conclusions que j’ai tirées sur les deux premières questions, je choisis de ne pas certifier de question sur la troisième – l’ordre des interrogatoires – comme l’a réclamé M. Kaimondo. Il ne prétend pas que l’ordre des interrogatoires a influencé les conclusions de fait tirées par la Commission. Par conséquent, il n’y a aucune raison que je conclue que le résultat de sa demande aurait différé en quelque manière si la Commission n’avait pas suivi les Directives no 7. Dans ces circonstances, je ne crois pas qu’il soit approprié de certifier une question. 

 

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
  2. Aucune question de portée générale n’est énoncée.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-7260-05

 

INTITULÉ :                                                   FENGAI KAIMONDO

                                                                        c.

                                                                        MCI

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 5 JUIN 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 26 JUILLET 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Patrick Roche

POUR LE DEMANDEUR

 

Mary Matthews

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Patrick J. Roche

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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