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Date : 20000406


Dossier : IMM-926-99

OTTAWA (ONTARIO), LE 6 AVRIL 2000

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER


ENTRE :


HAKIM MOUAZER

demandeur


- et -



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur




ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée devant un tribunal constitué de membres différents pour réexamen.


« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

Traduction certifiée conforme


Martin Desmeules, LL.B.






Date : 20000406


Dossier : IMM-926-99


ENTRE :


HAKIM MOUAZER

demandeur


- et -



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur




MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE TREMBLAY-LAMER

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié ( « la Commission » ) dans laquelle la Commission a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]      Le demandeur est un citoyen algérien. Il fonde sa revendication du statut de réfugié sur le motif qu'il craint d'être persécuté en Algérie du fait de sa race, en tant que membre du groupe ethnique des Berbères.

[3]      Le demandeur allègue plusieurs raisons qui expliquent la persécution. Il prétend qu'alors qu'il étudiait à l'Université de Tizi Ouzou, il a participé à une grève étudiante pour dénoncer le mauvais traitement infligé aux Berbères, qui étaient empêchés d'étudier la langue berbère à l'école. Il dit que plusieurs Berbères ont alors été renvoyés de l'université, tués, ou autrement punis.

[4]      En 1995, en raison d'une agitation constante et de la peur des extrémistes islamiques, un ami du demandeur a été décapité dans son voisinage.

[5]      Le demandeur prétend que depuis 1993, son frère, procureur à Boukader, a reçu de nombreuses menaces de mort des fondamentalistes islamiques qui se sont soldées par une tentative d'assassinat en 1997. La menace de mort a poussé la famille entière du demandeur à déménager de Boukader pour aller vivre dans un faubourg de Tizi Ouzou. Pendant cette période, le demandeur est déménagé à Oran pour y terminer un diplôme d'ingénieur électricien.

[6]      Le demandeur prétend que ses origines ethniques en tant que Berbère, conjuguées aux menaces provenant des fondamentalistes islamiques à l'égard de ceux qui joignent les rangs de l'armée, tout comme les représailles possibles du gouvernement algérien s'il se soustraiyait au service militaire, lui ont causé de graves inquiétudes. Le demandeur dit qu'il ne veut pas être placé dans une situation où il devrait tuer des civils non armés ou autrement commettre des actes contre l'humanité.

[7]      En somme, le demandeur dit qu'il a peur d'être persécuté s'il devait retourner en Algérie, en raison des difficultés auxquelles les Berbères ont à faire face en général, de sa relation avec son frère qui est maintenant juge et ciblé par les extrémistes islamiques, des conséquences de son refus de faire son service militaire, qui pourraient se traduire par une poursuite ou l'emprisonnement, et du fait de devoir se soumettre au service militaire pendant deux ans et subir les représailles des extrémistes islamiques à l'égard de ceux qui entreprennent leur service militaire.

[8]      De façon générale, la Commission a considéré le demandeur comme un témoin crédible. Au fond, la Commission a conclu que le demandeur n'avait pas démontré qu'il y avait plus qu'une simple possibilité qu'il soit persécuté, que ce soit en raison de sa relation avec son frère, de la façon dont il serait traité par les autorités s'il ne se soumettait pas au service militaire, ou en raison des représailles des extrémistes islamiques à l'égard de ceux qui s'enrôlent dans l'armée.

[9]      Pour ce qui est de la persécution par le gouvernement algérien en raison du refus de faire son service militaire, la Commission a conclu que l'infliction d'une sanction résultant du non-respect d'une loi ne constituait pas de la persécution. Sur la question de savoir si les extrémistes islamiques s'attaquent à ceux qui s'enrôlent, la Commission dit :

         [traduction]
         La question de savoir si les extrémistes islamiques s'attaquent à ceux qui s'enrôlent ou qui sont conscrits n'est pas non plus corroborée par la preuve documentaire. Bien que des déclarations aient été faites par les forces islamiques, il n'y a pas de preuve démontrant que ces menaces ont été mises à exécution d'une façon systématique et continue qui pourrait être qualifiée de persécution en vertu des normes internationales, ni par les extrémistes islamiques, ni par l'armée algérienne1.

[10]      De plus, la Commission a dit qu'aucune preuve documentaire ne donne à penser que le demandeur serait placé dans une situation de combat s'il faisait son service militaire.

[11]      Le demandeur allègue d'abord que la Commission n'a pas exercé sa compétence en ce qu'elle n'a pas tenu compte de la crainte de persécution liée à sa relation avec son frère, qui est juge. Je ne suis pas d'accord.

[12]      Dans ses motifs, il est clair que la Commission traite de la question de la crainte de persécution du demandeur quand elle dit :

         [traduction]
         Le tribunal doit être guidé par la preuve documentaire du HCR qui dit que l'on doit être prudent lorsque l'on fait la distinction entre les revendicateurs du statut de réfugié politique algériens qui ont des craintes légitimes qui se fondent sur qui ils sont et ce qu'ils ont fait. À mon avis, le revendicateur en l'espèce n'entre pas dans cette catégorie. Cependant, son frère en ferait peut-être partie2.

[13]      Il est clair que la Commission a bel et bien traité de la crainte de persécution du demandeur fondée sur sa relation avec son frère, un juge ciblé par les fondamentalistes islamiques. Je suis donc d'avis que la Commission n'a pas commis d'erreur de droit susceptible de révision en ne décrivant pas en détail dans ses motifs toute la preuve présentée sur ce point.

[14]      L'avocat du demandeur fait aussi valoir qu'il serait persécuté en raison des sanctions découlant du refus de se soumettre au service militaire, à savoir un procès et une condamnation inéquitables, et il prétend que la Commission a commis une erreur en ne considérant pas ces conséquences comme étant de nature persécutante.

[15]      Dans Rajudeen c. MEI3, la Cour d'appel fédérale a clairement établi que la persécution est [traduction] « le fait d'infliger sans relâche des traitements cruels ou une succession de mesures prises systématiquement pour punir » 4.

[16]      En l'espèce, je suis d'avis que la Commission a appliqué la bonne définition de persécution quand elle fait allusion à des actes exécutés [traduction] « d'une façon systématique et continue » .5 Je crois que la Commission pouvait très bien arriver à la conclusion que le refus du demandeur de se soumettre au servive militaire n'entraînerait pas de persécution, étant donné que la pénalité pour le refus de se soumettre au service militaire découle d'une loi d'application générale et que le demandeur n'a pas démontré que cette loi était en soi ou d'une quelconque façon de nature à créer de la persécution, tel qu'exposé dans Zolfagharkhani c. M.E.I6.

[17]      Finalement, pour ce qui est de l'argument du demandeur selon lequel la Commission a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments de preuve portés à sa connaissance, je suis d'accord avec l'avocat du demandeur.

[18]      La Commission dit qu'il n'existe pas de preuve documentaire après 1996 qui donne à penser que les extrémistes islamiques s'en prennent aux jeunes hommes afin de les dissuader d'entreprendre leur service militaire obligatoire. Cependant, le « Country Reports on Human Rights Practice for 1997 » dit que dans certains cas, les victimes [des extrémistes islamiques] ont été assassinées seulement parce qu'il s'agissait de jeunes hommes d'un âge les rendant admissibles au service militaire7.

[19]      De plus, je suis d'accord avec l'avocat du demandeur lorsqu'il dit qu'aucune preuve ne démontre que le demandeur serait traité différemment en raison de son expertise technique en tant qu'ingénieur électricien. Au contraire, la preuve documentaire mentionne que depuis les années 80, le nombre des affectations à des fins non militaires a diminué au point qu'elles ne se produisent que dans une minorité de cas8.

[20]      Ces erreurs de fait étaient déterminantes pour la décision de la Commission. En fait, elles portent sur des faits qui sont au coeur de la crainte de persécution du demandeur.

[21]      En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée pour réexamen devant un tribunal constitué de membres différents.



« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge


OTTAWA (ONTARIO)

6 avril 2000



Traduction certifiée conforme


Martin Desmeules, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :              IMM-926-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :          HAKIM MOUAZER c. M.C.I.
LIEU DE L'AUDIENCE :          VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)
DATE DE L'AUDIENCE :          30 mars 2000


MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE TREMBLAY-LAMER


EN DATE DU :              6 avril 2000


COMPARUTIONS :

M. Martin D. Jones                  POUR LE DEMANDEUR
M. Garth Smith                  POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Martin D. Jones

Vancouver (Colombie-Britannique)          POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada          POUR LE DÉFENDEUR


__________________

1      Décision de la Commission, Dossier du demandeur, aux pages 10 et 11.

2      Décision de la Commission, Dossier du demandeur, aux pages 11 et 12.

3      (1984) 55 N.R. 129 (C.A.F.).

4      Ibid, aux pages 133 et 134.

5      Décision de la Commission, Dossier du demandeur, à la page 11.

6      [1993] 3 C.F. 540.

7      Dossier du demandeur, onglet 11, à la page 113.

8      Dossier du demandeur, onglet 10, à la page 108.

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