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Date : 20211101


Dossier : IMM-4204-20

Référence : 2021 CF 1161

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er novembre 2021

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

UTHAYAKUMAR THANGAM ACHARY,

MANJULA UTHAYAKUMAR ET

DANANJEYAN UTHAYAKUMAR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. APERÇU

[1] Les demandeurs sont trois membres d’une famille tamoule originaire du Sri Lanka : les époux Uthayakumar Thangam Achary et Manjula Uthayakumar et leur fils Dananjeyan (né en janvier 2000). La famille compte deux autres enfants : une fille (née en mai 1995) et un fils aîné (né en décembre 1996).

[2] Les demandeurs ont sollicité l’asile au Canada au motif qu’ils craignaient un membre de gang nommé Rajkumar et des éléments de l’armée et de la police sri-lankaises qui, alléguaient-ils, étaient de mèche avec Rajkumar et son gang. Lorsque les trois demandeurs ont présenté leur demande d’asile au Canada en juin 2017, la fille se trouvait en Malaisie au titre d’un visa de visiteur et le fils aîné était en Australie au titre d’un visa d’étudiant.

[3] La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) a rejeté la demande d’asile des demandeurs pour des motifs liés à la crédibilité. Les demandeurs ont interjeté appel de cette décision devant la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la CISR. Dans une décision datée du 31 juillet 2020, la SAR a confirmé la conclusion de la SPR et a rejeté l’appel au motif que les demandeurs avaient une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable au Sri Lanka. Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[4] Dans leur appel devant la SAR, les demandeurs ont contesté les conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité et son appréciation du risque découlant de leur profil résiduel de demandeurs d’asile tamouls déboutés. Ils ont également tenté de déposer de nouveaux éléments de preuve à l’appui de leur appel. Avant de trancher l’appel, la SAR a soulevé la question de l’existence pour les demandeurs d’une PRI au Sri Lanka, ce que la SPR n’avait pas fait. Les demandeurs ont eu l’occasion de présenter des observations écrites sur la question.

[5] Dans sa décision, la SAR n’a admis aucun des nouveaux éléments de preuve présentés par les demandeurs. Elle a conclu que la question de la PRI était déterminante. Elle a rejeté l’appel au motif que, même si les principales allégations des demandeurs sont fondées, ils disposaient d’une PRI viable à quatre endroits au Sri Lanka.

[6] En l’espèce, les demandeurs contestent le caractère raisonnable de la décision de la SAR pour plusieurs motifs; cependant, examiner un seul d’entre eux suffit. J’estime que la décision de la SAR est déraisonnable du fait d’une incohérence fondamentale entre les motifs qu’elle a donnés pour justifier son refus d’admettre certains des nouveaux éléments de preuve présentés par les demandeurs et les motifs de sa conclusion selon laquelle les demandeurs disposaient d’une PRI. Par conséquent, la présente demande est accueillie et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen.

II. ANALYSE

[7] Les parties reconnaissent, tout comme moi, que la décision de la SAR sur le fond doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au para 35). Il en va de même pour les conclusions de la SAR quant à l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 au para 29) et à l’existence d’une PRI (Tariq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1017 au para 14).

[8] Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 85). Les motifs écrits fournis par le décideur administratif servent à communiquer la justification de sa décision (Vavilov au para 84). Lorsque des motifs sont fournis, la décision doit reposer sur ces motifs (Vavilov au para 86). Entre autres, la décision « doit être fondée sur un raisonnement à la fois rationnel et logique » (Vavilov au para 102). Pour qu’une décision résiste à un contrôle, la cour qui en est saisie doit notamment « être en mesure de suivre le raisonnement du décideur sans buter sur une faille décisive dans la logique globale » (ibid.).

[9] Il incombe aux demandeurs de démontrer que la décision de la SAR est déraisonnable. Pour pouvoir annuler une décision au motif qu’elle est déraisonnable, la Cour qui procède au contrôle doit être convaincue qu’« elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov au para 100).

[10] Je suis convaincue que la décision de la SAR n’est intrinsèquement ni cohérente ni rationnelle, car elle comporte une contradiction fondamentale dans l’appréciation de la preuve. Pour comprendre l’erreur et son importance, il est nécessaire de fournir des renseignements supplémentaires.

[11] Selon le récit de la famille, leur crainte de Rajkumar provient de l’intérêt que ce dernier porte à leur fille. Rajkumar l’a remarquée à l’école où elle étudiait (lui et les autres membres de son gang traînaient souvent près de l’école) et il s’est senti attiré par elle. Il voulait l’épouser pour avoir accès à la fortune de la famille (M. Achary possédait alors à Colombo une bijouterie prospère qui avait précédemment appartenu à son père. En janvier 2014, après que la fille ait fermement refusé toutes ses avances, Rajkumar et trois autres hommes (un ex-officier de l’armée et deux policiers) l’ont appréhendée au travail, l’ont forcée à monter dans une camionnette et l’ont battue. Rajkumar l’a ensuite violée dans la camionnette. Après l’agression, la fille a été poussée hors de la camionnette et laissée sur le bord de la route, gravement blessée. Elle a été trouvée par des passants, emmenée à l’hôpital et gardée aux soins intensifs pendant plusieurs jours.

[12] Les documents relatifs au séjour à l’hôpital indiquent que les blessures de la fille résultaient d’un accident de la route. Les demandeurs soutiennent que les dossiers ont été falsifiés à l’hôpital afin de protéger Rajkumar et ses complices. Ils soutiennent également que le personnel de l’hôpital et la police leur ont conseillé et, en fait, les ont avertis de ne pas porter plainte au criminel contre Rajkumar.

[13] Selon les demandeurs, peu après que leur fille soit rentrée de l’hôpital, Rajkumar et trois autres personnes se sont introduits de force dans le domicile de la famille et l’ont à nouveau attaquée. Les agresseurs se sont enfuis seulement lorsque des voisins sont intervenus.

[14] En mars 2014, Rajkumar a été arrêté pour une tentative d’enlèvement de la fille d’un homme d’affaires cinghalais bien connu. Les demandeurs ont entendu dire qu’il avait été condamné à trois ans de prison, puis libéré au bout d’un an. En février 2016, Rajkumar et plusieurs associés ont saccagé le domicile des demandeurs au moyen de barres de fer et de bâtons. Rajkumar a continué de menacer et de harceler la famille et a suivi la fille partout où elle allait.

[15] En raison des menaces et du harcèlement à l’égard de la famille, Dananjeyan a été envoyé au Canada en juillet 2016. (Son visa de visiteur, obtenu aux fins d’un précédent voyage au Canada avec ses parents, était encore valide). Il a été hébergé par un ami de la famille. En septembre 2016, le reste de la famille a quitté Kotahena pour s’installer à Colpetty, une autre municipalité de la région métropolitaine de Colombo. En février 2017, le fils aîné a été envoyé en Australie grâce à un visa d’étudiant. M. Achary a fermé son commerce et vendu une partie de son stock pour pourvoir aux dépenses de la famille.

[16] Malgré les déménagements, Rajkumar a retrouvé la famille et a continué ses menaces et son harcèlement à son égard. En mars 2017, il s’est présenté à leur domicile brandissant une épée et cherchant la fille. Celle-ci y était seule. Elle s’est cachée à l’intérieur tandis que Rajkumar faisait du tapage à l’extérieur. Les voisins ont fini par convaincre Rajkumar de partir. À la suite de cet incident, qui s’est ajouté à tous les autres, les parents ont décidé que leur fille et eux-mêmes devaient quitter le pays. La fille a obtenu un visa de visiteur en Malaisie. Elle a quitté le Sri Lanka pour la Malaisie le 24 mars 2017. Le même jour, ses parents sont partis pour le Canada. (Eux aussi avaient encore des visas de visiteur valides de leur précédent voyage au Canada). Ils sont arrivés au Canada le lendemain et y ont retrouvé leur fils cadet. Tous trois ont présenté des demandes d’asile au Canada le 10 juin 2017.

[17] Les demandes d’asile des demandeurs ont été entendues par la SPR le 4 août et le 28 septembre 2017. La fille vivait alors encore en Malaisie. Les demandeurs ont déposé une lettre de celle-ci datée du 1er août 2017, dans laquelle elle décrit ce qui a poussé la famille à quitter le Sri Lanka.

[18] À l’appui de leur appel devant la SAR, les demandeurs ont produit une déclaration solennelle de la fille datée du 11 janvier 2018, laquelle déclaration comporte dix‐sept paragraphes numérotés. Les douze premiers paragraphes reprennent le récit de ce qui lui est arrivé à elle et à sa famille avec Rajkumar. Le paragraphe 13 porte sur la réaction de la fille lorsqu’elle a appris que la SPR avait rejeté les demandes d’asile. La fille s’est dite particulièrement choquée du fait que la SPR ne croyait pas qu’elle avait été agressée sexuellement et n’a même pas mentionné sa lettre décrivant ce qui lui était arrivé. Les paragraphes 14 et 15 précisent ce qui suit :

[traduction]

Je vis des moments très difficiles en Malaisie, séparée de ma famille et de tous ceux que je connais. Je loge dans une auberge réservée aux femmes à Kuala Lumpur. Je n’ai pas pu poursuivre mes études ni travailler. Je compte sur la charité d’un ami de mon père pour payer mon logement et subvenir à mes besoins essentiels.

Je n’ai qu’un statut temporaire en Malaisie. Mon statut expire le 15 février 2018. J’ai essayé de trouver un moyen de prolonger le visa, mais jusqu’à présent, je n’ai pas réussi. Je me suis également rendu au HCR pour déposer une demande d’asile, mais on m’a dit que le bureau n’accepte plus de nouvelles demandes des nations sri-lankaises [sic] depuis janvier 2017. Je reste dans cette situation difficile car je suis terrorisée à l’idée de retourner au Sri Lanka. J’ai très peur pour mon avenir.

[19] Au paragraphe 16, la fille demande aux autorités canadiennes de réexaminer la demande d’asile de sa famille, car leur récit est véridique et ils ont beaucoup souffert. Au paragraphe 17, le dernier paragraphe de la déclaration solennelle, la fille déclare que le contenu du document est exact. Comme nous le verrons plus loin, les paragraphes 14 et 15 sont les éléments importants de la déclaration solennelle pour les besoins de la présente demande.

[20] Pour être tout à fait exhaustif, je tiens à souligner que les demandeurs ont également présenté comme nouvel élément de preuve une déclaration d’un avocat sri-lankais pour démontrer les efforts qu’ils avaient faits afin d’obtenir des preuves corroborantes avant l’audience devant la SPR, ainsi que les déclarations notariées de deux amis qui avaient été témoins du harcèlement que Rajkumar a fait subir à la famille.

[21] Dans leur mémoire d’appel, les demandeurs ont soutenu que tous les nouveaux éléments de preuve étaient admissibles en vertu du paragraphe 110(4) de la LIPR parce qu’ils étaient postérieurs à l’audience de la SPR et qu’ils étaient pertinents dans le cadre l’appel. En ce qui concerne la déclaration solennelle de la fille en particulier, les demandeurs ont fait valoir qu’elle [traduction] « voulait avoir l’occasion d’exprimer ce qu’elle ressentait à la SAR et aussi de décrire sa situation difficile en Malaisie ».

[22] La SAR n’a pas admis la déclaration solennelle de la fille comme nouvel élément de preuve (ni aucun autre nouvel élément preuve). La SAR a conclu que les douze premiers paragraphes de la déclaration solennelle n’étaient pas nouveaux parce qu’ils ne faisaient que reprendre le contenu de la lettre antérieure de la fille et le récit de la famille. Je ne comprends pas que les demandeurs contestent cette conclusion, qui est incontestablement raisonnable — voire correcte — en tout état de cause. Les demandeurs contestent aussi la conclusion de la SAR en ce qui concerne le reste de la déclaration solennelle — en particulier, les paragraphes 14 et 15, cités ci-dessus.

[23] La SAR a traité ainsi les paragraphes susmentionnés :

[traduction]

Le reste de l’affidavit (paragraphes 13 à 17) satisfait aux critères établis au paragraphe 110(4), étant donné que les renseignements ont été communiqués après la décision de la SPR. [La fille] parle [de] sa réaction à la décision, de son statut et de ses difficultés en Malaisie et souligne que les incidents décrits par ses parents sont véridiques. Cependant, je ne considère pas que ces éléments sont pertinents quant à la demande des parents car, comme il a été mentionné précédemment, le simple fait que la SPR n’ait pas mentionné sa lettre ne signifie pas qu’elle n’en a pas tenu compte. De plus, le contenu du reste de l’affidavit n’ajoute pas de poids à la demande des parents et les appelants n’ont pas présenté d’observations sur la pertinence des renseignements fournis par leur fille. À mon avis, la lettre n’est pas pertinente, car leur fille n’est pas une demanderesse ni une appelante au Canada et, par conséquent, elle n’est pas admissible d’après [les arrêts] Raza ou Singh.

[24] En somme, la SAR a conclu que la situation de la fille n’était pas pertinente pour la demande d’asile des demandeurs. Le problème que pose cette conclusion est qu’elle est incompatible avec l’analyse de la PRI que fait la SAR plus loin dans la décision.

[25] À l’exception d’un incident précis (un appel téléphonique que les demandeurs ont affirmé avoir reçu d’un voisin en septembre 2017, signalant que Rajkumar avait essayé de les retrouver), la SAR a accepté comme étant véridique le récit des demandeurs. Toutefois, elle a rejeté leur appel, car elle a conclu que l’existence d’une PRI était déterminante. En l’espèce, il suffit d’examiner le raisonnement de la SAR suivant le premier volet du critère relatif à la PRI, qui consiste à poser la question suivante : les demandeurs courraient-ils un risque s’ils se réinstallaient dans l’un des endroits proposés comme PRI? (Concernant le critère général aux fins de l’évaluation de la PRI, voir mon analyse dans Sadiq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 430 aux para 38-45, et les affaires qui y sont citées).

[26] L’application du premier volet du critère relatif à la PRI exige que l’on examine ce qui se passerait dans une situation hypothétique — à savoir, si les parties qui demandent l’asile vivaient dans l’un des endroits proposés comme PRI. À cet égard, la SAR a tenu le raisonnement suivant :

[traduction]

En l’espèce, les appelants sont pris pour cible principalement par Rajkumar, qui entretient une relation étroite avec un homme politique nommé Mervin De Silva et bénéficie du soutien de celui-ci. Selon le récit et le témoignage des appelants, Rajkumar souhaitait épouser leur fille et hériter de la fortune de la famille, car l’appelant principal était le propriétaire d’une bijouterie bien connue et prospère de Colombo. L’appelant mineur a quitté le Sri Lanka en juillet 2016 et les appelants principal et associés ainsi que leur fille ont quitté le Sri Lanka en mars 2017. Leur fille est allée en Malaisie. Par conséquent, la fille que Rajkumar désirait a quitté le pays et je n’ai aucune preuve qu’elle est retournée au Sri Lanka. De plus, l’appelant principal a déclaré qu’il a complètement fermé son commerce en raison des problèmes qu’il a connus. En tant que telles, les raisons pour lesquelles Rajkumar a initialement poursuivi la famille n’existent plus.

[27] La SAR a réitéré sa conclusion plus loin dans la décision, en déclarant ce qui suit :

[traduction]

J’estime que [les demandeurs] ne seraient pas en danger ailleurs dans les autres endroits proposés comme PRI, en particulier compte tenu du temps qui s’est écoulé, de l’absence de leur fille au pays, de la fermeture du commerce que Rajkumar cherchait à obtenir et de leur défaut d’intenter des poursuites criminelles contre lui au cours des trois dernières années, ce que Rajkumar voulait.

[28] Dans les passages ci-dessus, la SAR reconnaît que la situation de la fille — en particulier le lieu où elle se trouve — est pertinente quant au risque encouru par la famille, car elle a une incidence directe sur la motivation de Rajkumar à rechercher la famille, ce qui, cependant, est incompatible avec la raison pour laquelle la SAR n’a pas admis les éléments importants de la déclaration solennelle de la fille, c’est-à-dire, parce que la situation de celle-ci n’est pas pertinente.

[29] Comme le montre l’analyse de la question relative à la PRI, la SAR a reconnu que les raisons pour lesquelles Rajkumar recherchait la famille sont importantes. Elle a également reconnu que la preuve de la situation de la famille est pertinente pour trancher la question. À la lumière de ce qui précède, elle ne pouvait pas raisonnablement conclure, d’une part, que la situation a changé de telle sorte que les raisons de poursuivre la famille « n’existent plus » et que la famille serait donc en sécurité dans les endroits proposés comme PRI et conclure, d’autre part, que la preuve de la situation de la fille est inadmissible parce qu’elle est non pertinente.

[30] En ce qui concerne la pertinence, la preuve de la situation précaire de la fille en Malaisie était directement liée à la question de savoir si, en cas de réinstallation des demandeurs dans l’un des endroits proposés comme PRI, la menace à leur égard existerait toujours. À première vue, cette preuve implique qu’il n’est pas possible de présumer simplement, comme l’a fait la SAR dans son analyse de la question relative à la PRI, que la fille n’irait pas rejoindre sa famille si celle-ci déménageait dans l’un des endroits proposés comme PRI.

[31] La SAR a affirmé que les demandeurs n’ont pas déposé d’observations sur la pertinence de cette partie de la déclaration solennelle de la fille. Bien que l’affirmation ne soit pas tout à fait exacte, il est vrai que les demandeurs n’ont pas exposé clairement la pertinence du témoignage de la fille, que ce soit dans leur mémoire initial (lequel, il faut le rappeler, a été déposé avant que la SAR ne soulève la question d’une PRI) ou dans leurs observations ultérieures sur la question relative à la PRI. Néanmoins, cela ne change rien à l’erreur fondamentale du raisonnement de la SAR, à savoir que sa propre théorie de la pertinence est appliquée de manière incohérente. À mon avis, la SAR a conclu raisonnablement que la situation de la famille — y compris celle de la fille — est pertinente quant au risque encouru par les demandeurs dans les endroits proposés comme PRI. Il était donc déraisonnable que la SAR retienne le point de vue contraire concernant la situation de la fille et conclue que les paragraphes 14 et 15 de la déclaration solennelle de la fille ne sont pas pertinents.

[32] Je reconnais que l’élément de preuve n’a peut-être pas une grande valeur probante. Au moment où la SAR a tranché l’appel, la preuve était assez ancienne. De plus, au mieux, elle montre seulement que la situation de la fille en Malaisie était précaire en janvier 2018. En outre, comme l’a souligné la SAR, il n’y avait aucune preuve que la fille était retournée au Sri Lanka au moment où l’appel a été tranché. Toutefois, la SAR a fondé sa conclusion quant à l’admissibilité sur la pertinence et non sur la valeur probante. Il ne m’appartient pas de reconstruire son raisonnement sous une forme défendable : voir Vavilov aux para 87, 96; voir aussi Alexion Pharmaceuticals Inc c Canada (Procureur général), 2021 CAF 157 aux para 8-10. De même, mon rôle n’est pas de m’avancer sur la valeur probante que la SAR aurait attribuée à la nouvelle preuve si elle l’avait admise au lieu de l’exclure (à tort) au motif qu’elle était non pertinente.

[33] Dans le même ordre d’idées, je suis également d’accord avec les demandeurs pour dire qu’il était déraisonnable que la SAR conclue que la famille n’avait plus suffisamment d’argent pour intéresser Rajkumar, simplement parce que M. Achary avait fermé sa bijouterie. Il n’est pas question d’apprécier la preuve d’une manière différente de celle de la SAR. Il n’y avait aucune preuve que la famille n’était plus riche ni aucune preuve que Rajkumar ne la percevrait plus comme telle de toute façon. La SAR a simplement tiré une inférence ce qui précède du fait que le commerce était fermé. Cependant, son inférence ne résiste pas à un examen minutieux. La conclusion ne découle pas de la prémisse conformément à la logique, au bon sens ou à l’expérience commune : voir Vavilov au para 104.

[34] En résumé, la conclusion de la SAR selon laquelle les motifs de Rajkumar pour poursuivre la famille n’existent plus est déraisonnable parce qu’elle suppose que de nouveaux éléments de preuve ont été jugés inadmissibles par erreur et parce qu’elle repose sur une inférence déraisonnable. Étant donné que cette conclusion est au cœur du raisonnement de la SAR à l’appui du rejet de la demande, elle remet en question le caractère raisonnable de la décision dans son ensemble : voir Vavilov au para 100.

[35] Avant de conclure, je souhaite ajouter deux autres observations. Premièrement, puisque l’affaire doit être réexaminée, les demandeurs pourront, s’il leur est conseillé de le faire, présenter à nouveau l’argument qu’ils ont soulevé en appel selon lequel la SPR a commis une erreur en tirant une inférence défavorable du fait qu’ils n’ont pas modifié le contenu dans leur formulaire de demande d’asile pour y inclure l’appel téléphonique de septembre 2017. Deuxièmement, les demandeurs pourront également présenter à nouveau leur argument en faveur de l’admission des autres nouveaux éléments de preuve qu’ils ont produits à l’appui de leur appel initial, s’il leur est conseillé de le faire. Puisqu’il n’était pas nécessaire que j’examine les questions précédentes, le fait que je me sois abstenu de le faire ne signifie pas que j’appuie les conclusions de la SAR sur l’une ou l’autre des questions.

III. CONCLUSION

[36] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision rendue le 31 juillet 2020 par la Section d’appel des réfugiés est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

[37] Les parties n’ont soulevé aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que l’affaire n’en soulève pas.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4204-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision rendue le 31 juillet 2020 par la Section d’appel des réfugiés est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

  3. Aucune question de portée générale n’est énoncée.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

Noémie Pellerin Desjarlais


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4204-20

 

INTITULÉ :

UTHAYAKUMAR THANGAM ACHARY ET AUTRES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 juin 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 1er novembre 2021

 

COMPARUTIONS :

Meghan Wilson

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Nicole Rahaman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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