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Date : 20060210

Dossier : DES-04-01

Référence : 2006 CF 180

Toronto (Ontario), le 10 février 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE W. ANDREW MACKAY

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

et LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

demandeurs

et

 

 

MAHMOUD JABALLAH

défendeur

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

(Requête du demandeur en dessaisissement)

 

[1]               La présente ordonnance et les motifs qui l’accompagnent se rapportent à une requête présentée au nom du demandeur, M. Jaballah, qui voudrait que je m’abstienne de        [traduction] « statuer, en raison de l’existence d’une crainte raisonnable de partialité, sur le caractère raisonnable ou non du certificat de sécurité délivré dans la présente affaire ».

 

[2]               La requête, présentée oralement, sans être appuyée par un texte ou par un affidavit, survient dans une procédure en cours introduite en août 2001, lorsqu’un certificat de sécurité, signé par les deux ministres fédéraux concernés, fut déposé devant la Cour pour qu’elle détermine s’il est raisonnable ou non, en application du régime maintenant décrit dans le paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et modifications (la LIPR).

 

[3]               L’historique de la présente instance est long et assez complexe. Il a été tout récemment résumé dans les paragraphes 2, 3 et 4 d’un jugement récent de la Cour (2006 CF 115, déposé le 1er février 2006), par lequel je rejetais la demande de mise en liberté présentée par M. Jaballah et ordonnais son maintien en détention jusqu’à nouvelle ordonnance. À ce résumé de l’historique s’ajoute bien sûr la décision ordonnant le maintien en détention de M. Jaballah (2006 CF 115).

 

[4]               Deux conclusions tirées dans ce jugement tout récent sont à l’origine de la requête en dessaisissement, selon laquelle je ne suis plus compétent pour juger si le certificat est ou non raisonnable. La première se rapporte à certains éléments du témoignage de M. Jaballah, c’est-à-dire à des explications données par lui en contre-interrogatoire et concernant des relevés d’appels téléphoniques vers des numéros à l’étranger qui ont été facturés à son numéro de téléphone à Toronto, et concernant aussi des appels et des contacts personnels entre lui et des personnes au Canada jugées douteuses par le SCRS sur le plan de la sécurité. J’avais dit que telles explications n’étaient « pas [...] satisfaisantes et [...] tout simplement pas crédibles ». La deuxième conclusion à l’origine de la requête est que, lors de l’examen de la demande de mise en liberté de M. Jaballah, j’avais adopté, ainsi que l’avaient proposé les avocats de M. Jaballah quand l’affaire fut instruite, la norme du paragraphe 83(3) de la LIPR applicable à l’examen de la demande de mise en liberté d’un résident permanent dans la même situation, et j’avais suivi cette disposition puisque j’étais d’avis que M. Jaballah « constitu[ait] toujours un danger pour la sécurité nationale ».

 

[5]               On fait valoir au nom de M. Jaballah que ces deux conclusions seront des éléments essentiels de l’évaluation du caractère raisonnable ou non du certificat des ministres et que, pour ce motif, me prononcer le moment venu sur le caractère raisonnable ou non du certificat soulèvera une crainte raisonnable de partialité. Avant d’examiner davantage le point soulevé, j’exposerai le contexte de la procédure dont il émane et je me référerai brièvement aux principes applicables à l’examen d’une allégation de crainte raisonnable de partialité.

 

[6]               Il est sans doute assez inusité qu’une affaire jugée dans une procédure interlocutoire débouche sur une requête en dessaisissement et non, du moins pas encore, sur un appel. Soit. En l’espèce, cela est également inusité en ce sens que la requête m’invitant à me récuser ne concerne que la question de savoir si le certificat de sécurité est ou non raisonnable, et non la question de la légalité de la décision, prise au nom du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, de refuser   la demande de protection présentée par M. Jaballah, une décision prise conformément au               sous-alinéa 113d)(ii) de la LIPR. J’ai entendu les arguments sur cet aspect en décembre 2005 et ma décision est depuis suspendue.

 

[7]               La Cour a fixé la reprise de l’audience au 7 février 2006, pour l’administration de la preuve, après avoir auparavant accordé une autorisation à M. Jaballah, qui avait d’abord refusé de produire des preuves concernant le certificat des ministres, mais qui avait témoigné plus tard à propos de sa requête de mise en liberté. La reprise de l’audience a été suspendue jusqu’à ce que la requête m’invitant à me dessaisir de cette affaire soit entendue et résolue. Quand la requête fut entendue le 7 février, j’ai suspendu mon jugement afin de pouvoir examiner les conclusions des avocats. Par la présente ordonnance et les motifs qui l’accompagnent, je rejette aujourd’hui la requête qui m’invite à me récuser.

 

[8]               Les avocats des parties se sont entendus sur les principes généraux régissant la crainte raisonnable de partialité, qui sont exposés dans des précédents bien connus. On ne se surprendra pas de constater que les avocats des ministres concernés, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, ne s’entendent pas avec les avocats de M. Jaballah sur l’application des principes dans la présente affaire. Après les principes généraux, j’examinerai leur application aux circonstances de la crainte de partialité qui est alléguée au nom de M. Jaballah, en examinant d’abord la conclusion relative à la crédibilité, puis la conclusion selon laquelle M. Jaballah constitue toujours un danger pour la sécurité nationale.

 

Examen d’une allégation de crainte raisonnable de partialité

 

[9]               Il est admis que le principe juridique applicable à une allégation de crainte raisonnable de partialité est celui qu’avait exposé le juge de Grandpré, rédigeant un avis dissident dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty et al. c. L’Office national de l’énergie et al., [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394 :

[À] quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. [X], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?

 

 

[10]           Dans l’arrêt Arthur c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 C.F. 94, [1992] A.C.F. n° 1000 (QL), M. le juge MacGuigan, rédigeant l’arrêt de la Cour d’appel, à propos de décisions successives rendues par un arbitre, écrivait ce qui suit, au paragraphe 15 :

L’énoncé le plus juste de la règle de droit paraîtrait donc être le suivant : le seul fait qu’une seconde audience soit tenue devant le même arbitre, sans plus, ne suscite pas de crainte raisonnable de partialité; toutefois, d’autres facteurs qui témoignent d’un parti pris de l’arbitre à l’égard de la question à résoudre à la seconde audience pourront susciter une telle crainte. Évidemment, le rapport entre les questions sur lesquelles portent les deux audiences sera un facteur important à considérer, tout comme le caractère définitif de la seconde décision. Si, par exemple, les deux décisions sont de nature interlocutoire, comme deux décisions relatives à la garde (comme dans l’affaire Rosario), il sera peut-être indifférent que la question en litige soit la même; cependant, lorsque la seconde décision revêt un caractère définitif quant aux droits du demandeur de demeurer au pays, il faudra peut-être qu’il y ait une différence plus importante entre les questions sur lesquelles le tribunal doit se prononcer dans les deux cas pour éviter une crainte raisonnable de partialité.

 

 

[11]           Dans l’arrêt R. c. S (R.D), [1997] 3 R.C.S. 484, aux pages 531-532, le juge Cory s’exprimait sur la nécessité de justifications substantielles à l’appui d’une allégation de crainte raisonnable de partialité, ajoutant qu’il faut faire preuve de rigueur pour conclure à la partialité et que l’existence d’une crainte raisonnable de partialité dépendra entièrement des circonstances de l’affaire considérée.

 

[12]           Dans la décision Charkaoui, 2004 CF 624, [2004] A.C.F. n° 757 (QL), mon collègue le juge Noël examinait les dispositions de la LIPR relatives aux juges désignés, en particulier la disposition conférant à un juge unique le pouvoir d’examiner les demandes de mise en liberté et aussi celui de déterminer si le certificat de sécurité est ou non raisonnable. Je suis d’accord pour dire que, dans la LIPR, le législateur a inséré des dispositions conférant au même juge le pouvoir d’examiner les diverses phases de la procédure se rapportant aux personnes détenues en vertu de certificats et déclarées interdites de territoire pour des raisons de sécurité nationale, et d’examiner aussi toute demande de mise en liberté. Aux paragraphes 15 à 22 du jugement Charkaoui, le juge Noël comparait la décision relative au maintien en détention et la décision relative au caractère raisonnable ou non du certificat. Il concluait ainsi :

Donc, il en découle que l’étude du caractère raisonnable d’un certificat, la détermination ou non du danger et le contrôle du maintien de la détention, sont des tâches distinctes qui aboutissent respectivement à des déterminations différentes. On ne peut pas déduire qu’une détermination concernant le maintien en détention amène nécessairement le même genre de détermination à l’égard du caractère raisonnable du certificat.

 

[13]           Dans la décision Fong c. Winnipeg Regional Health Authority, [2004] M.J. No. 299 (QL), 2004 MBQB 182, une affaire où l’on prétendait que les décisions rendues par un arbitre avaient suscité une crainte raisonnable de partialité, la juge Beard, voyant dans l’absence de « parti pris » l’une des composantes de l’équité procédurale, écrivait ce qui suit, au paragraphe 12 :

[traduction] [...] il s’agira donc généralement de savoir si le décideur a manifesté un niveau de parti pris envers une partie ou l’autre au point qu’il y a lieu de craindre raisonnablement qu’il soit fermé aux preuves et aux arguments qui seront avancés durant l’audience [...]

 

[14]           J’appliquerai ces principes à la présente affaire et aux circonstances particulières dont on affirme qu’elles suscitent une crainte raisonnable de partialité.

 

Conclusion d’absence de crédibilité

 

[15]           Dans la décision en cause, j’ai accepté une bonne partie du témoignage de M. Jaballah à propos des conditions de sa détention et des effets qu’elles ont sur lui, ainsi que les témoignages de son épouse et de son fils à propos des conséquences défavorables de son maintien en détention sur sa famille, et j’ai accepté également le rapport écrit du Dr Bagby sur son état psychologique et affectif. Je n’ai pas fait les inférences qu’ils m’invitaient à faire concernant l’à-propos de la mise en liberté de M. Jaballah, ou que préconisait le rapport du Dr Bagby, favorable à une mise en liberté.

 

[16]           Dans ma décision, j’examinais aussi la preuve des conditions de sa détention, puis la preuve se rapportant à d’autres aspects, dont « [l]’attitude de M. Jaballah au regard de sa mise en liberté et de sa crédibilité ». Cette partie de la décision, aux paragraphes 53 à 57, est ainsi rédigée :

[53]         Durant sa déposition, M. Jaballah a promis que, s’il était maintenant mis en liberté, il se conformerait aux conditions que lui imposerait la Cour. Il a souligné que, pour lui, le plus important est d’être auprès de sa famille. Il s’est engagé à respecter les conditions de sa mise en liberté, qu’il s’agisse des conditions de la résidence surveillée ou de la condition selon laquelle il ne pourrait quitter son domicile qu’accompagné de personnes agréées par la Cour. Selon ses propres mots (transcription, page 501 lignes 7 à 12) :

 

[traduction] [...] Je suis disposé à accepter toute condition que la Cour me demandera d’observer, parce que la violation de ces conditions signifierait que je serais privé de l’unique chose pour laquelle je lutte, c’est-à-dire être auprès de mes enfants.

 

[54]         Je ne doute nullement du profond désir de M. Jaballah d’être auprès de sa famille et de subvenir à ses besoins. Toutefois, sa crédibilité sous d’autres aspects laisse beaucoup à désirer. En contre-interrogatoire, il a d’abord dit qu’il ne se souvenait pas d’avoir communiqué avec quiconque au Pakistan après être arrivé au Canada, qu’il n’avait communiqué avec personne au Yémen après avoir quitté ce pays où il ne connaissait qu’une personne avec laquelle il avait travaillé, et que, plus tard, après avoir quitté l’Azerbaïdjan en 1995, il n’y avait pas laissé d’amis et n’avait pas communiqué avec quiconque dans l’un ou l’autre de ces pays, une fois arrivé au Canada. Plus tard, il a été interrogé sur des relevés de téléphone, produits à ce moment-là, qui indiquaient plusieurs appels vers ces trois pays, notamment 72 appels au Yémen et 47 appels en Azerbaïdjan depuis son téléphone au Canada, principalement en 1996 et 1997. Il a alors reconnu que certains des appels indiqués avaient été faits par lui, ou peut-être par son épouse. Certains des appels indiqués étaient si brefs, une minute environ, qu’il avait pu s’agir, comme il l’a donné à entendre, d’appels impossibles à exécuter, mais de nombreux appels d’une durée plus longue, qu’il a semblé reconnaître comme siens, n’ont pas été expliqués d’une manière satisfaisante.

 

[55]         Les relevés de téléphone indiquent aussi qu’il a fait depuis son téléphone quelque 75 appels à Londres, en Angleterre, principalement au International Office for Defence of the Egyptian People, organisme dont on croit qu’il constitue un lien opérationnel pour Al-Qaeda. Ces appels, il a reconnu les avoir faits quand il était en quête de conseils ou d’une aide pour sa demande d’asile, afin d’appuyer sa demande de révision à l’encontre du rejet de sa demande d’asile. Il reste que de nombreux appels consignés en 1996 et au début de 1997 ont été faits avant que la demande d’asile de M. Jaballah soit entendue et, à mon avis, ces appels n’ont pas été expliqués d’une manière satisfaisante. Il n’y a pas eu non plus d’explication satisfaisante pour plus de 20 appels facturés par Bell Canada au numéro de téléphone de M. Jaballah pour la période allant du 4 au 6 juin 1996, peu après son arrivée au Canada, appels qui étaient dirigés vers le Royaume-Uni, le Yémen, l’Azerbaïdjan et le Pakistan.

 

[56]         Un autre témoignage de M. Jaballah au cours duquel il a dit qu’il n’avait pas communiqué avec d’autres au Canada après son arrivée ici a été mis en doute en raison de relevés indiquant des appels faits depuis son téléphone vers Montréal, Winnipeg et Edmonton, dans chaque cas vers des numéros de téléphone de personnes suspectées par le SCRS d’avoir des liens avec le terrorisme international. Quant à ses déplacements à l’intérieur du Canada, il a d’abord dit qu’il n’avait visité que Montréal (afin d’obtenir une assurance automobile moyennant une prime inférieure à celle qu’il pouvait obtenir à Toronto), Niagara Falls et London. Prié plus tard de préciser les autres endroits qu’il avait visités, il a reconnu qu’il s’était rendu en voiture à St. Catherine’s et aussi à Winnipeg pour visiter une personne en particulier, dont il a dit qu’elle n’était pas véritablement un ami, mais qui l’avait aidé, lui et sa famille, à leur arrivée au Canada. Il a dit que sa relation avec une autre personne, qui vivait alors en Alberta et qui a depuis été accusée par des procureurs aux États-Unis d’activités de financement du terrorisme, avait été accidentelle et s’était produite à l’initiative de la personne en Alberta dont M. Jaballah a dit qu’il ne la connaissait pas vraiment. Or, d’après les relevés, M. Jaballah a fait, depuis son numéro de téléphone de Toronto, de nombreux appels téléphoniques à Edmonton et à Leduc, où sa relation résidait alors. Ces appels n’ont pas été expliqués d’une manière satisfaisante.

 

[57]         Les appels et visites en question ont eu lieu presque dix ans auparavant, mais les explications de M. Jaballah, bien que n’intéressant pas directement les conditions de sa détention, qui constituent la principale question soulevée dans sa demande de mise en liberté, n’ont pas été satisfaisantes et ne sont tout simplement pas crédibles. À mon avis, cela jette également le doute sur tout engagement qu’il pourrait donner au regard des conditions imposées s’il était aujourd’hui mis en liberté.

 

Il s’agit là, dans ma décision, de la dernière référence à la crédibilité de M. Jaballah. Je reconnaissais ensuite une exemption constitutionnelle, en application du paragraphe 24(1) de la Charte, au motif que l’application du paragraphe 82(2) de la LIPR pour justifier son maintien en détention, sans qu’un juge puisse exercer un contrôle, constituait une violation des droits à l’égalité garantis par le paragraphe 15(1) de la Charte des droits et libertés. J’ai donc examiné la détention de M. Jaballah en me référant par analogie à la procédure prévue par le paragraphe 83(3) de la LIPR, qui permet à un juge de contrôler la détention d’un résident permanent qui se trouve dans une situation semblable à celle dans laquelle se trouve M. Jaballah.

 

[17]           Ma décision ne faisait pas état du témoignage de M. Jaballah à propos des appels téléphoniques ou autres contacts avec certaines personnes se trouvant à l’étranger ou au Canada, et elle ne renfermait aucune autre mention portant sur la crédibilité de ses explications.

 

[18]           L’argument avancé par les avocats de M. Jaballah se présente ainsi :

[traduction] La présente requête a deux fondements. Le premier est que, dans sa décision relative au maintien en détention, la Cour a tiré, en matière de crédibilité, des conclusions défavorables à M. Jaballah, conclusions qui donnent des raisons de craindre que toute volonté de sa part de réagir au certificat et à la preuve sur laquelle il est fondé serait parfaitement inutile (transcription, 7 février 2006, page 11).

 

 

[19]           On fait valoir que, puisque la conclusion touchant la crédibilité reposait sur la preuve de relations entre M. Jaballah et d’autres personnes, l’un des éléments à l’origine de la décision des ministres de délivrer le certificat de sécurité, la Cour donnerait l’impression à un observateur raisonnable et informé qu’elle a préjugé cette affaire et qu’elle a suscité une crainte de partialité envers tout témoignage que M. Jaballah pourrait désormais produire.

 

[20]           Je ne suis pas convaincu que l’observateur raisonnable et informé, conscient de toutes les circonstances, et après avoir étudié la question en profondeur, conclurait à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité en raison de commentaires sur le niveau de crédibilité de M. Jaballah lorsqu’il s’était expliqué, en contre-interrogatoire, sur certains de ses relevés d’appels téléphoniques. Il ne s’agissait pas là d’une évaluation de sa crédibilité en général, mais uniquement de la crédibilité de son témoignage relatif à sa volonté de se conformer aux conditions raisonnables qui pourraient être imposées s’il était mis en liberté. Par ailleurs, comme je l’ai dit, une bonne part de son témoignage portant sur les conditions de sa détention et sur leurs effets, ainsi que sur sa vie avant qu’il n’arrive au Canada, a été acceptée par la Cour. L’évaluation de sa crédibilité se limitait à certaines parties de son témoignage et elle a servi à des fins limitées.

 

[21]           D’ailleurs, l’évaluation de sa crédibilité au regard de son témoignage portant sur sa volonté de se conformer aux conditions qui pourraient lui être imposées s’il était délivré en liberté n’est pas un élément significatif pour ce qui est de savoir si le certificat de sécurité délivré par les ministres est ou non raisonnable. L’évaluation portait sur les témoignages produits jusqu’alors. D’autres témoignages, y compris des témoignages portant sur le même sujet, pourront être produits si ses avocats jugent que cela est utile. Le cas échéant, ma fonction en tant que juge consistera à apprécier et à examiner l’ensemble de la preuve que j’aurai devant moi.

 

M. Jaballah en tant que menace persistante

 

[22]           La deuxième conclusion qui paraît-il suscite une crainte raisonnable de partialité est celle dans laquelle je disais, refusant la demande de mise en liberté de M. Jaballah, qu’il « constitue toujours un danger pour la sécurité nationale » et que sa détention doit donc être maintenue, en me référant par analogie au paragraphe 83(3) de la LIPR, applicable aux résidents permanents détenus pour les mêmes raisons. J’expliquais cette conclusion aux paragraphes 88 à 92 de la décision.

 

[23]           Ce n’est pas un facteur qui entrera en ligne de compte lorsqu’il s’agira de savoir si le certificat de sécurité est ou non raisonnable. Cette évaluation dépendra du poids qui sera accordé à l’ensemble de la preuve et aux renseignements soumis à la Cour qui concernent le point de savoir si l’avis certifié des ministres est raisonnable lorsqu’ils affirment que M. Jaballah est interdit de territoire pour des motifs indiqués dans l’article 34 de la LIPR. S’agissant des motifs indiqués dans la présente affaire en application de la Loi sur l’immigration de 1978, le texte qui était applicable quand le certificat fut délivré, j’ai déjà conclu (voir Re: Jaballah, [2003] 3 C.F. 85 (1re inst.), au paragraphe 4) que ce sont les motifs mentionnés dans les alinéas 34(1)b), c) et f) de la LIPR.

 

[24]           Les raisons de sécurité pour lesquelles M. Jaballah est interdit de territoire sont les suivantes :

b)            être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

c)             se livrer au terrorisme;

f)              être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de      croire quelle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a) b) ou c).

 

Le fait de constituer « un danger pour la sécurité du Canada » est indiqué comme motif dans l’alinéa 34(1)d) de la LIPR, mais ce motif n’apparaissait pas dans l’alinéa 19(1)e) ou f) de la Loi sur l’immigration de 1978, le texte en vigueur et invoqué quand le certificat fut délivré. Ce motif, qui figure dans le paragraphe 34(1) de la LIPR, n’est pas réputé avoir été indiqué dans le certificat de sécurité se rapportant à M. Jaballah.

 

[25]           Ainsi, s’agissant de sa demande de mise en liberté, la conclusion selon laquelle M. Jaballah constitue toujours un danger pour la sécurité nationale n’intéresse pas directement la question de savoir si le certificat de sécurité est ou non raisonnable au regard des motifs précisés. Les points à décider en ce qui a trait au certificat, à la lumière de l’ensemble de la preuve qui s’y rapporte, diffèrent de la question de savoir si, s’agissant de sa demande de mise en liberté, il constitue toujours un danger pour la sécurité nationale. Cette différence était évoquée au paragraphe 92 de ma décision relative à la demande de mise en liberté :

Finalement, j’ajouterai pour mémoire que, eu égard aux témoignages et arguments produits dans la procédure du certificat de sécurité et la demande de mise en liberté, ma décision selon laquelle M. Jaballah constitue toujours un danger pour la sécurité nationale est à ce stade une décision rendue d’après le dossier que j’ai devant moi. Il ne s’agit pas d’une décision sur le caractère raisonnable ou non du certificat de sécurité. Cet aspect sera examiné après audition de témoignages complémentaires, dont la production a été autorisée.

 

[26]           Dans ces conditions, je suis d’avis qu’un observateur raisonnable et informé, bien au fait des circonstances de la présente affaire, ne trouverait pas, après avoir étudié la question en profondeur, que la conclusion selon laquelle M. Jaballah constituait toujours, au moment de la décision, un danger pour la sécurité nationale risque de susciter une crainte de partialité si je devais entendre d’autres témoignages et arguments concernant le caractère raisonnable ou non du certificat de sécurité.

 

Dispositif

 

[27]           S’agissant des deux moyens ici avancés, en tant que fondements de la requête m’invitant à m’abstenir de statuer sur le caractère raisonnable ou non du certificat des ministres, je suis d’avis qu’une personne raisonnable et informée, au fait de l’ensemble des circonstances de la présente affaire, ne conclurait pas à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité si je devais poursuivre mon examen des témoignages et arguments se rapportant au certificat de sécurité, et je suis d’avis que les conclusions exposées dans la décision relative à la mise en liberté de M. Jaballah ne permettent pas de croire que j’ai préjugé les témoignages et arguments qui seront produits sur la question de savoir si le certificat est ou non raisonnable.

 

[28]           La tâche de la Cour consiste à examiner scrupuleusement toute nouvelle preuve et tout nouvel argument, ainsi que tout autre renseignement, preuve ou argument utile se rapportant au certificat des ministres. J’entends m’acquitter de cette tâche en ma qualité de juge, dans le respect de mon serment d’office.

 


 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE : La requête présentée oralement au nom de M. Jaballah, qui a été entendue le 7 février 2006 et qui m’invite à me dessaisir de la question de savoir si le certificat de sécurité délivré par les ministres est ou non raisonnable, est rejetée.

 

« W. Andrew MacKay »

Juge suppléant

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                    DES-04-01

 

INTITULÉ :                                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                      et LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                      c.

                                                      MAHMOUD JABALLAH

                                                                                               

 

LIEU DE L’AUDIENCE :            TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :          LE 8 FÉVRIER 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE 

ET ORDONNANCE :                  LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY

 

DATE DES MOTIFS :                 LE 10 FÉVRIER 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Donald A. MacIntosh                      POUR LES DEMANDEURS

Melkia Visnick

David Tyndale

Robert Batt                                    

 

Barbara Jackman                            POUR LE DÉFENDEUR

 

John R. Norris                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Morris Rosenberg                            POUR LES DEMANDEURS

Sous-procureur général du Canada  

 

Barbara Jackman                            POUR LE DEMANDEUR

Avocate

Toronto (Ontario)

                                                     

John R. Norris                                 POUR LE DÉFENDEUR

Avocat

Ruby & Edward

Toronto (Ontario)                           

 

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