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Date : 20210914


Dossier : IMM‑6013‑21

Référence : 2021 CF 941

[TRADUCTION FRANÇAISE]

ENTRE :

ANNABEL ERHIRE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE NORRIS

I. APERÇU

[1] Le renvoi au Nigéria de la demanderesse, Annabel Erhire, devait avoir lieu le 7 septembre 2021. Le 2 septembre 2021, elle a demandé à l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) de reporter son renvoi de 60 jours pour lui permettre de prendre des dispositions au Nigéria afin d’y recevoir des soins pour traiter ses problèmes de santé mentale. Le 3 septembre 2021, un agent d’exécution de la loi pour les services intérieurs de l’ASFC a refusé sa demande. La demanderesse a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision. Elle a également demandé qu’il soit sursis à l’exécution de la mesure de renvoi dont elle faisait l’objet en attendant une décision finale sur cette demande. J’ai entendu sa requête en sursis en urgence le lundi 6 septembre 2021. Dans la brève ordonnance que j’ai rendue le même jour, j’ai fait droit à la requête pour des motifs qui devaient être communiqués ultérieurement. Voici ces motifs.

II. CONTEXTE

A. Les antécédents de la demanderesse en matière d’immigration

[2] Les faits à l’origine de la présente affaire sont relatés dans le jugement Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Erhire, 2021 CF 908, dans lequel j’ai fait droit à la requête présentée par le ministre en vue d’obtenir le sursis de l’ordonnance de mise en liberté de la demanderesse. Par souci de commodité, je vais faire un bref rappel de ces faits, en ajoutant ou en précisant certains détails à la lumière du dossier de la présente requête.

[3] La demanderesse est née au Nigéria en 1998. En septembre 2016, alors qu’elle était âgée de 18 ans, elle est arrivée au Canada avec sa mère et ses quatre frères et sœurs. Une fois arrivés au Canada, ils ont tous présenté une demande d’asile au motif que la bisexualité de la mère de la demanderesse les exposait à un risque au Nigéria. Leurs demandes d’asile ont été rejetées par la Section de l’immigration (la SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) le 20 septembre 2017, en raison du manque de crédibilité de la mère de la demanderesse sur des éléments essentiels. Il semble qu’un appel ait été interjeté à la Section d’appel des réfugiés, mais qu’il n’ait pas été mis en état et qu’il ait finalement été rejeté pour cette raison. À la suite du rejet de sa demande d’asile, la demanderesse a fait l’objet d’une mesure de renvoi du Canada.

[4] Conjointement, semble‑t‑il, avec sa mère et ses frères et sœurs, la demanderesse a présenté en mai 2018 une demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire (la demande CH) sur le fondement du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Sa demande de report de son renvoi du Canada a été accueillie en octobre 2018. Il semble que le renvoi des autres membres de la famille de la demanderesse ait également été reporté.

[5] Le 23 octobre 2018, la mère de la demanderesse a présenté, en son nom et au nom de ses enfants, une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) au titre du paragraphe 112(1) de la LIPR. Cette demande était fondée sur le même risque que celui qui avait été allégué dans la demande d’asile — à savoir, le risque d’être persécutés en raison de la bisexualité de la mère de la demanderesse. Après avoir reçu la demande, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a, le 9 novembre 2018, fait parvenir à la demanderesse un avis l’informant que, comme elle avait plus de 18 ans, elle devait soumettre sa propre demande d’ERAR, ce qu’elle n’a pas fait.

[6] En avril 2019, la mère de la demanderesse et les frères et sœurs de cette dernière se sont désistés de leurs demandes d’ERAR parce qu’ils avaient décidé de retourner au Nigéria. La demanderesse — qui était alors âgée de 20 ans — ne souhaitait pas retourner au Nigéria; elle a donc décidé de persister dans sa demande d’ERAR, laquelle a été rejetée le 25 mai 2019. L’auteur de la décision d’IRCC a fait observer que, comme la demanderesse n’avait pas présenté de demande distincte, sa décision était fondée uniquement sur les renseignements figurant au dossier. Comme sa décision l’indique, ces renseignements portaient exclusivement sur les risques découlant de la présumée bisexualité de la mère de la demanderesse.

[7] La demande CH de la demanderesse a été refusée le 29 mai 2019. Comme je l’explique plus loin, les décisions négatives rendues au sujet de la demande d’ERAR et de la demande CH n’ont été signifiées à la demanderesse que près de deux ans après avoir été rendues.

[8] L’ASFC a donné l’ordre à la demanderesse de se présenter à une entrevue préalable à son renvoi le 22 août 2019. La demanderesse ne s’est pas présentée à cette entrevue. Un mandat d’arrestation a par conséquent été délivré contre elle. L’ASFC a tenté en vain de retrouver la demanderesse en novembre 2019. Comme nous le verrons plus loin, il est à tout le moins permis de se demander si la demanderesse était au courant qu’elle devait se présenter à une entrevue en août 2019.

[9] Le 24 avril 2020, la demanderesse a été repérée par la police. Après en avoir été informée, l’ASFC a exécuté le mandat d’arrestation délivré contre la demanderesse et l’a ensuite libérée sous conditions. Dans le procès‑verbal de l’arrestation, l’agent de l’ASFC a noté qu’il ne semblait pas que la demanderesse [traduction] « ait tenté d’échapper à l’ASFC ». L’agent a également noté que, même si la demanderesse était prête pour son renvoi [TRADUCTION] « étant donné la situation actuelle créée par la COVID‑19, elle a été libérée sous conditions ».

[10] La demanderesse a reçu signification des décisions négatives rendues au sujet de la demande d’ERAR et de la demande CH un an plus tard, le 12 avril 2021. Il semble que le processus de renvoi ait été relancé vers cette date.

[11] Quelques semaines après avoir appris que ses demandes CH et d’ERAR avaient été rejetées, la demanderesse s’est filmée nue, postée sur le balcon d’un immeuble de grande hauteur et menaçant de se suicider. Elle a publié la vidéo sur les médias sociaux. Des amis qui l’ont vue l’ont signalée aux autorités. La demanderesse s’est fait appréhender et a été internée de force à l’hôpital du 5 au 26 mai 2021 en vertu de la Loi sur la santé mentale, LRO 1990, c M‑7.

[12] La demanderesse a obtenu son congé de l’hôpital après avoir reçu un diagnostic de trouble bipolaire ou de psychose cannabique (son psychiatre a été incapable de déterminer le bon diagnostic). Elle s’est fait prescrire des médicaments.

[13] L’ASFC a procédé à une entrevue préalable au renvoi de la demanderesse par téléphone le 16 juin 2021.

[14] Le 18 juin 2021, la demanderesse s’est fait évaluer par le Dr Gerald M. Devins, un psychologue clinicien et consultant. Dans le rapport qu’il a signé le même jour, le Dr Devins a signalé que, lorsqu’il lui avait demandé ce qu’elle ferait si on lui refusait le droit de rester au Canada, la demanderesse avait répondu qu’elle pourrait tenter de nouveau de se faire du mal. Lorsqu’il lui a demandé si elle songeait à attenter à ses jours, elle a affirmé qu’elle n’en savait rien, mais à un autre moment de l’entrevue, elle a déclaré qu’elle pourrait passer à l’acte si elle ne pouvait pas rester au Canada. Le Dr Devins s’est dit d’avis que la tentative de suicide de la demanderesse au début mai était directement reliée au fait d’avoir été informée par l’ASFC qu’une mesure de renvoi était prise à son égard.

[15] L’ASFC a convoqué la demanderesse à une autre entrevue préalable au renvoi devant avoir lieu le 21 juin 2021, mais elle ne s’y est pas présentée. La demanderesse a appelé l’ASFC plus tard dans la journée pour expliquer qu’elle était indisposée. Elle a également dit qu’elle ne comprenait pas le but de l’entrevue.

[16] Comme on le lui avait demandé, la demanderesse s’est présentée à une autre entrevue le lendemain. Elle a reçu l’ordre de se présenter en vue de son renvoi le 22 juillet 2021.

[17] Le 3 juillet 2021, la demanderesse a, avec l’aide de son ancien avocat, soumis à l’ASFC une demande de report de son renvoi. Sa demande était fondée sur le risque de préjudice auquel elle serait exposée au Nigéria en raison de sa santé mentale et de la difficulté qu’elle aurait à obtenir des soins là‑bas.

[18] La demanderesse s’est présentée à une entrevue préalable au renvoi le 13 juillet 2021. Elle a consenti à ce que l’ASFC obtienne un rapport d’évaluation médicale en vue du renvoi afin de déterminer si elle était apte à prendre l’avion. Ce rapport, fourni le 14 juillet 2021, estimait que la demanderesse était apte à voyager. L’ASFC a mené une autre entrevue préalable au renvoi de la demanderesse par téléphone.

[19] La documentation appuyant la demande de report comprenait un rapport de suivi daté du 15 juillet 2021 dans lequel le Dr Devins déclarait ce qui suit :

[traduction]

J’ai encore parlé à Mme Erhire ce soir pour évaluer son état d’esprit actuel. Elle m’a dit sans ambages qu’elle avait l’intention d’attenter à ses jours si des mesures étaient prises pour la forcer à quitter le Canada. Lorsque je lui ai demandé quels seraient ses plans si elle était contrainte à partir, Mme Erhire a rétorqué directement et sans hésitation : « Me tuer... J’ai fait des recherches sur les moyens d’ouvrir les portes d’un avion et tout puis, eh bien, il y a aussi les couteaux. » Lorsque je lui ai demandé si elle voulait vraiment attenter à ses jours si ses recours étaient rejetés, elle a répliqué sans hésiter : « C’est exactement ce que je ferai ».

[20] La demande de report a été refusée par un agent d’exécution de la loi pour les services intérieurs le 19 juillet 2021. La demanderesse a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision (no du greffe IMM‑4845‑21). En lien avec cette demande, la demanderesse a également requis de la Cour qu’elle sursoie à son renvoi.

[21] Entre‑temps, la demanderesse devait se présenter pour subir un test de dépistage de la COVID‑19 et faire l’objet d’une autre entrevue préalable au renvoi le 20 juillet 2021. Elle ne s’y est pas présentée. Plus tard le même jour, elle a appelé l’ASFC après les heures de bureau pour expliquer qu’elle avait encore une fois été indisposée.

[22] À peu près au même moment, le renvoi qui devait avoir lieu le 22 juillet 2021 a été reporté au 10 août 2021. Il ne semble pas que la date du renvoi ait été modifiée parce que la demanderesse ne s’était pas présentée le 20 juillet 2021. Il semble plutôt que ce changement ait été effectué parce que l’ASFC estimait que la demanderesse devait être accompagnée durant son vol vers le Nigéria.

[23] La requête visant à suspendre le renvoi de la demanderesse a été entendue par le juge Bell le 4 août 2021. Le juge Bell a suspendu le prononcé de sa décision en attendant de recevoir, avant la fin de la journée du 5 août 2021, des renseignements complémentaires de la part de la demanderesse au sujet du préjudice irréparable, ainsi qu’une confirmation du défendeur quant à la date du renvoi.

[24] Le 5 août 2021, la demanderesse a été admise de nouveau à l’hôpital avec des symptômes de psychose liés à l’utilisation du cannabis. Le dossier de la présente requête ne permet pas de savoir combien de temps elle a séjourné à l’hôpital. Selon une note rédigée par son psychiatre le 10 août 2021, la demanderesse était toujours hospitalisée à ce moment‑là et sa date de congé restait inconnue. En tout état de cause, son hospitalisation a entraîné l’annulation de son renvoi, prévu pour le 10 août 2021, ce qui s’est soldé par le retrait de la requête en sursis en instance dont le juge Bell était saisi. De toute évidence, la demanderesse a reçu son congé de l’hôpital plus tard en août.

[25] Le renvoi sous escorte de la demanderesse a finalement été reporté au 24 août 2021.

[26] Le 13 août 2021 ou vers cette date, la demanderesse a soumis une deuxième demande écrite en vue de faire reporter son renvoi (toujours avec l’aide de son ancien avocat). Comme l’a résumé l’agent d’exécution de la loi pour les services intérieurs qui a examiné cette demande, la demanderesse souhaitait [traduction] « demeurer au Canada pour une période indéterminée pour se faire soigner pour ses problèmes de santé mentale ». Cette demande a été refusée le 20 août 2021. La demanderesse a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision (no du greffe IMM‑5650‑21). Elle a également présenté une requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi dont elle faisait l’objet en entendant qu’une décision finale soit rendue sur sa demande.

[27] La demanderesse a passé un test de dépistage de la COVID‑19 et une entrevue préalable au renvoi le 22 août 2021. Elle devait se présenter à un deuxième test de dépistage de la COVID‑19 et à une autre entrevue préalable au renvoi le 23 août 2021, mais elle ne l’a pas fait. La demanderesse a envoyé un message texte à l’agent de l’ASFC avec lequel elle avait traité pour lui expliquer qu’elle serait en retard, mais elle n’est finalement jamais arrivée.

[28] La requête en sursis a été entendue le 23 août 2021 par la juge McVeigh qui l’a rejetée le même jour. Dans l’ordonnance dans laquelle elle a rejeté la requête, la juge McVeigh a fait observer qu’elle avait accepté d’entendre la requête en sursis malgré le fait que la demanderesse ne se présentait pas devant le tribunal avec une attitude irréprochable. La juge McVeigh a conclu que [traduction] « il ne fait aucun doute que c’est par sa faute que la demanderesse ne s’est pas présentée à son entrevue préalable au renvoi le 22 août 2019 ». Elle a également constaté que la demanderesse ne s’était pas présentée à son entrevue préalable au renvoi et à son second test de dépistage de la COVID‑19 le 23 août 2021, de sorte que le renvoi devait être reporté. La juge McVeigh s’est malgré tout dite [traduction] « toujours disposée à examiner les arguments de [la demanderesse] étant donné qu’elle a des problèmes de santé mentale ».

[29] Sur le fond de la requête, la juge McVeigh a conclu que la demanderesse n’avait pas satisfait à l’élément du critère du sursis relatif au préjudice irréparable. Plus précisément, la juge McVeigh a conclu que la demanderesse n’avait présenté aucun élément de preuve démontrant qu’elle ne bénéficierait d’aucun soutien au Nigéria, qu’elle ne pourrait pas y obtenir les médicaments qui lui étaient prescrits ou qu’elle ne pourrait y recevoir les traitements recommandés. La juge McVeigh a également déclaré : [traduction] « Pour analyser le préjudice irréparable que représenterait le fait pour elle de retourner au Nigéria, il est important de tenir compte du fait qu’elle a été déboutée de sa demande d’asile parce que le tribunal a estimé que ses affirmations suivant lesquelles elle était bisexuelle n’étaient pas crédibles, ce qui éliminait d’emblée la crainte précédemment alléguée » (cette conclusion semble être fondée sur des renseignements inexacts communiqués à la juge McVeigh au sujet de la demande d’asile de la demanderesse.) La juge McVeigh a également noté que la demanderesse serait accompagnée au Nigéria de deux agents de l’ASFC [traduction] « chargés de veiller sur sa santé et sa sécurité, compte tenu de ses problèmes de santé mentale ». La juge McVeigh a conclu : [traduction] « La demanderesse n’a pas soumis d’éléments de preuve de préjudice irréparable du type nécessaire pour satisfaire à ce volet du critère, dès lors que le seul préjudice irréparable est celui qui est associé au processus de renvoi ».

[30] Le 24 août 2021, des agents de l’ASFC ont trouvé la demanderesse au domicile de son ex‑mari. Elle a été mise en état d’arrestation et détenue au Centre de surveillance de l’immigration.

[31] Le contrôle des motifs de détention de la demanderesse après 48 heures a eu lieu le 26 août 2021 devant la Section de l’immigration (la SI). L’avocat du ministre s’est opposé à la mise en liberté de la demanderesse au motif qu’elle présentait un risque de fuite et qu’aucune option réaliste autre que la détention n’était envisageable. L’avocat de la demanderesse a fait plutôt valoir que sa cliente devait être libérée sous conditions sous la surveillance de sa tante, Prisca Ese Bazarin.

[32] Pendant que l’audience se déroulait, l’ASFC a confirmé que le 7 septembre 2021 était la nouvelle date prévue pour l’exécution de la mesure de renvoi de la demanderesse. La SI en a été informée après la fin des observations, mais avant de rendre sa décision.

[33] Pour des motifs prononcés oralement le 26 août 2021, la SI a conclu qu’il était peu probable que la demanderesse se présente pour son renvoi. De fait, elle présentait un risque de fuite allant de [traduction] « modéré à élevé ». Toutefois, la SI a aussi jugé qu’il existait une solution de rechange à la détention permettant de dissiper cette préoccupation. La SI a conclu que la mise en liberté de la demanderesse sous la surveillance de Mme Bazarin comme caution constituait une solution de rechange appropriée. La SI a intimé à la tante de fournir un dépôt en argent comptant de 2 500 $ et un cautionnement de 10 000 $. De plus, entre autres conditions, la demanderesse était tenue d’habiter avec Mme Bazarin, de coopérer avec l’ASFC, de se présenter pour son renvoi et de rendre compte chaque semaine à l’ASFC.

[34] Le ministre a immédiatement présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision. Il a également demandé le sursis de l’ordonnance de mise en liberté de la demanderesse jusqu’à ce que la demande soit tranchée.

[35] Le 27 août 2021, le juge Roy a sursis provisoirement à l’exécution de l’ordonnance de mise en liberté en attendant l’instruction de la requête en sursis interlocutoire. Il a fixé la date de cette audience au 31 août 2021. J’ai alors entendu l’affaire et j’ai reporté le prononcé de ma décision. Dans la décision susmentionnée que j’ai rendue le 1er septembre 2021, j’ai fait droit à la requête et j’ai ordonné le sursis de l’ordonnance par laquelle la SI avait mis la demanderesse en liberté. Je crois comprendre que l’ordonnance de la SI a depuis été remplacée par la décision rendue par la SI lors du contrôle des motifs de détention de la demanderesse après sept jours (lequel contrôle a eu lieu le 2 septembre 2021).

B. La demande de report du 2 septembre 2021

[36] Le 2 septembre 2021, la demanderesse (avec l’aide de l’avocat du Bureau du droit des réfugiés) a présenté une troisième demande écrite en vue de faire surseoir à son renvoi. La demande était fondée sur le risque que la demanderesse s’inflige volontairement des blessures en raison de ses problèmes de santé mentale si elle devait être envoyée au Nigéria sans pouvoir compter sur des mesures d’accueil fiables pour répondre à ses besoins. En résumé, l’avocat a fait valoir ce qui suit :

[traduction]

Nous réclamons un report parce que la santé mentale de Mme Erhire s’est considérablement détériorée depuis le refus de sa demande de report précédente et depuis son arrestation et sa détention par l’ASFC la semaine dernière. Elle est en crise. La renvoyer maintenant dans son état actuel sans mesures d’accueil appropriées l’exposerait à une menace sérieuse pour sa vie.

Aujourd’hui, à la lumière des éléments de preuve convaincants suivant lesquelles Mme Erhire se ferait du mal si elle était libérée, la Cour fédérale a conclu qu’il était dans l’intérêt public qu’elle demeure en détention afin de pouvoir recevoir les soins médicaux et la surveillance dont elle a besoin. À notre avis, il est également dans l’intérêt public que l’ASFC accorde un délai supplémentaire pour que des mesures d’accueil appropriées soient prises au Nigéria pour s’assurer que Mme Erhire reçoive les mêmes soins médicaux et la même supervision après son renvoi.

[37] La demanderesse a réclamé un report de 60 jours pour lui donner le temps de prendre les dispositions nécessaires. (Comme elle était alors détenue, il est évident que la demanderesse devait essentiellement s’en remettre à d’autres personnes pour prendre des dispositions en son nom. Son avocat a signalé que la tante de la demanderesse, Mme Bazarin, était disposée à l’aider.)

[38] La demande de report était étayée par un dossier complet et par des observations détaillées. Elle a été complétée par des renseignements et des observations complémentaires communiqués le 3 septembre 2021.

C. La décision du 3 septembre 2021 refusant le report

[39] La demande de report a été refusée dans une décision datée du 3 septembre 2021. En résumé, l’agent d’exécution de la loi pour les services intérieurs a conclu que le report demandé n’était pas justifié pour les raisons suivantes :

  • bien que l’avocat ait fait valoir qu’il serait dans l’intérêt public de laisser à la demanderesse le temps de prendre des mesures en vue de son accueil, l’agent a fait observer que la demanderesse [traduction] « sera escortée par des agents de l’ASFC lors de ses déplacements et l’ASFC est en train de prendre des dispositions pour qu’elle soit accompagnée d’une infirmière pendant le trajet en avion ». L’agent a également noté que [TRADUCTION] « l’ASFC est en train de prendre les dispositions pour l’accueil de Mme Annabel ERHIRE au Nigéria pour s’assurer qu’elle peut compter sur un encadrement adéquat à son arrivée au Nigéria ». L’agent poursuit en expliquant que [TRADUCTION]« je constate qu’une infirmière voyagera avec les agents d’escorte pour régler tout problème médical qui pourrait survenir au cours du voyage, et que l’ASFC est en train d’organiser l’accueil au Nigéria. Vu ce qui précède, l’avocat n’a pas fourni de preuves suffisantes pour justifier un report pour ces motifs ».

  • Bien que l’avocat ait fait valoir que la demanderesse souffrait d’une grave maladie mentale et qu’elle montrait des signes de crise de santé mentale, l’agent a fait observer que [traduction] « l’ASFC travaille sans relâche avec Mme Annabel ERHIRE pour régler les problèmes qui peuvent survenir, en plus de lui fournir les services d’une infirmière et d’agents d’escorte pour l’accompagner lors de son voyage au Nigéria, en plus d’être en train d’organiser son accueil au Nigéria. Vu ce qui précède, l’avocat n’a pas fourni de preuves suffisantes pour justifier un report du renvoi du Canada ».

  • Bien que l’avocat ait fait valoir qu’il serait difficile d’obtenir au Nigéria les soins et les traitements nécessaires pour répondre aux besoins de la demanderesse en matière de santé mentale, l’agent d’exécution de la loi pour les services intérieurs a conclu que les nouveaux éléments de preuve qui avaient été présentés à cette fin n’étaient pas suffisants pour remettre en cause la conclusion — en réponse à la première demande de report — selon laquelle le même agent avait conclu que le report n’était pas justifié. (Je note entre parenthèses que l’avocat avait demandé 60 jours pour prendre des mesures d’accueil au motif qu’il était difficile d’obtenir des soins de santé mentale au Nigéria. En revanche, la première demande — présentée par l’ancien avocat de la demanderesse — visait à obtenir un report pour une période indéterminée afin de permettre à la demanderesse de recevoir au Canada des traitements qui n’étaient pas offerts au Nigéria.)

III. ANALYSE

A. Introduction : Le principe de la conduite irréprochable

[40] La demanderesse réclame un sursis de son renvoi du Canada en attendant qu’une décision finale soit rendue en réponse à sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision refusant de surseoir à son renvoi. La décision d’accorder ou de refuser une mesure interlocutoire comme celle qui est réclamée en l’espèce fait appel à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire (R c Société Radio‑Canada, 2018 CSC 5 au para 27). Pour déterminer si la demanderesse a droit à cette réparation, la question fondamentale est celle de savoir si l’octroi d’un sursis est une réparation juste et équitable eu égard à l’ensemble des circonstances de l’espèce. La réponse à cette question dépend nécessairement du contexte (voir Google Inc c Equustek Solutions Inc, 2017 CSC 34 au para 25).

[41] En plus des éléments du critère à trois volets bien connu auxquels il faut satisfaire pour pouvoir obtenir un sursis interlocutoire et sur lesquels nous reviendrons plus loin, lorsqu’il examine l’opportunité d’accorder une telle mesure, le tribunal peut vérifier si le requérant qui se présente devant lui a une conduite irréprochable. Le défendeur affirme que la demanderesse n’a pas une conduite irréprochable, ce qui l’empêche d’obtenir la réparation qu’elle sollicite.

[42] Dans l’arrêt Canada (Revenu national) c Cameco Corporation, 2019 CAF 67, la Cour d’appel fédérale affirme que le principe de la « conduite irréprochable » est « un principe d’equity en vertu duquel on peut refuser à une partie un redressement auquel elle aurait normalement droit en raison de son comportement antérieur ou de sa mauvaise foi ». La Cour poursuit en signalant ce qui suit : « Fait important, pour qu’un comportement antérieur puisse justifier le refus d’un redressement, la conduite doit porter directement sur l’enjeu même de la revendication » (au para 37, renvois omis).

[43] Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanabalasingham, 2006 CAF 14, le juge Evans conclut pour sa part que « si la juridiction de contrôle est d’avis qu’un demandeur a menti, ou qu’il est d’une autre manière coupable d’inconduite, elle peut rejeter la demande sans la juger au fond ou, même ayant conclu à l’existence d’une erreur sujette à révision, elle peut refuser d’accorder la réparation sollicitée » (para 9, souligné dans l’original). Ainsi que le juge Evans l’a expliqué, dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, la juridiction de contrôle « doit s’efforcer de mettre en balance d’une part l’impératif de préserver l’intégrité de la procédure judiciaire et administrative et d’empêcher les abus de procédure, et d’autre part l’intérêt public dans la légalité des actes de l’administration et dans la protection des droits fondamentaux de la personne » (au para 10).

[44] Même si le juge Evans s’intéressait au pouvoir discrétionnaire de refuser de juger sur le fond une demande de contrôle judiciaire, il ne fait aucun doute que le même pouvoir discrétionnaire s’applique dans le cadre d’une demande de réparation interlocutoire. Il est également de jurisprudence constante que ce pouvoir discrétionnaire s’applique également à la décision de statuer ou non sur une requête. Il semble donc qu’il existe trois issues défavorables possibles pour le plaideur qui n’a pas une conduite irréprochable :

  • le tribunal peut refuser d’être saisi de l’affaire;

  • après avoir entendu les parties, le tribunal peut estimer que le fait que l’une d’entre elles n’a pas une conduite irréprochable est déterminant et refuser par conséquent de statuer sur le fond de l’affaire;

  • après avoir entendu les parties, le tribunal peut estimer que, même s’il a établi le bien‑fondé de sa demande de réparation, le demandeur n’a pas droit à cette réparation parce qu’il n’a pas une conduite irréprochable.

[45] Lorsqu’une demande de réparation est présentée d’urgence — dans le contexte du droit de l’immigration et des réfugiés, le plus souvent sous la forme d’une demande de sursis au renvoi lorsque la date du renvoi n’est qu’à un jour ou deux près (tout au plus) —, une autre question se pose. Il s’agit de savoir si l’instruction de l’affaire causera un préjudice inutile ou injuste au défendeur en nuisant à sa capacité de répondre à la demande ou si elle nuira à la capacité du tribunal de juger la demande correctement. Il s’agit d’une autre décision discrétionnaire qui est distincte de toute question de conduite irréprochable, bien que les deux questions puissent certainement se poser dans la même affaire. Dans un cas comme dans l’autre, lorsque la question qui se pose est celle de savoir s’il y a lieu d’instruire la cause, ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé avec prudence (voir Beros c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 325, pour une analyse très utile des facteurs qui peuvent éclairer l’exercice du pouvoir discrétionnaire de refuser d’entendre une requête urgente. Voir également les Lignes directrices des Cours fédérales sur la pratique publiées le 18 février 2021 au sujet des requêtes urgentes visant à surseoir au renvoi du Canada).

[46] Dans le cas qui nous occupe, le défendeur demande au tribunal de ne pas instruire la requête urgente présentée par la demanderesse en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi, au motif que la demanderesse n’a pas une conduite irréprochable. Le défendeur ne prétend pas qu’il subirait un préjudice s’il devait répondre de façon urgente. Dans une directive que j’ai donnée le vendredi 3 septembre 2021, j’ai confirmé que j’instruirais la requête le lundi 7 septembre 2021. Cette décision a été prise expressément sans préjudice du droit du défendeur de soulever la question de la conduite irréprochable pour l’application du critère du sursis.

[47] Ainsi que je vais l’expliquer plus en détail plus loin, eu égard aux circonstances particulières de l’espèce, j’estime qu’il est préférable d’aborder la question de la conduite irréprochable lors de l’examen du volet du critère du sursis relatif à la prépondérance des inconvénients. Il va sans dire qu’il peut exister d’autres situations — notamment lorsque le défendeur ou le tribunal risque aussi de subir un préjudice en raison du moment choisi pour instruire la demande — dans lesquelles le fait qu’une partie n’a pas une conduite irréprochable peut amener le tribunal à refuser d’entendre l’affaire. Le principal facteur porte sur la question de savoir s’il ne serait pas dans l’intérêt de l’administration de la justice d’instruire l’affaire. Je le répète, une telle décision doit être prise avec prudence.

B. Le critère applicable à l’octroi d’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi

[48] Les réparations interlocutoires comme les injonctions et les sursis visent à préserver l’objet du litige, de sorte qu’une réparation efficace soit possible au moment où l’affaire sera finalement jugée au fond (voir Google Inc, au para 24). Comme je l’ai déjà signalé, la décision d’accorder ou de refuser cette réparation suppose l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire qui dépend de ce qui est juste et équitable eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire.

[49] Le critère applicable à l’octroi d’un sursis interlocutoire à l’exécution d’une mesure de renvoi est bien connu. Le demandeur doit démontrer trois choses : (1) la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente soulève une question sérieuse à juger; (2) il subira un préjudice irréparable si le sursis est refusé; (3) la prépondérance des inconvénients (c.‑à‑d. l’évaluation visant à établir quelle partie subirait le plus grand préjudice si l’injonction était accordée ou refusée en attendant qu’une décision soit rendue sur le fond de la demande de contrôle judiciaire) favorise l’octroi du sursis (voir Toth c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 NR 302, 6 Imm LR (2d) 123 (CAF); de façon plus générale, voir également Société Radio‑Canada, au para 12; Manitoba (Procureur général) c Metropolitan Stores Ltd, [1987] 1 RCS 110; et RJR‑MacDonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 à la p 334).

[50] Bien que chacun des volets du critère soit important et que tous les trois doivent être remplis, ils ne constituent pas des compartiments distincts et étanches. Chacun d’entre eux met l’accent sur des facteurs qui influent sur l’exercice global du pouvoir discrétionnaire de la Cour dans une affaire (Wasylynuk c Canada (Gendarmerie royale), 2020 CF 962 au para 135). Le critère devrait être appliqué d’une manière globale, les forces attribuables à l’un de ses volets pouvant compenser les faiblesses attribuables à un autre (RJR‑MacDonald, à la p 339; Wasylynuk, au para 135; Spencer c Canada (Procureur général), 2021 CF 361 au para 51; et Colombie‑Britannique (Procureur général) c Alberta (Procureur général), 2019 CF 1195 au para 97 (inf. pour d’autres motifs par 2021 CAF 84). Voir aussi Robert J Sharpe, « Interim Remedies and Constitutional Rights » (2019) 69 UTLJ (suppl. 1) à la p 14).

[51] Ensemble, les trois volets du critère aident la Cour à évaluer et à répartir ce que l’on a appelé le risque d’injustice corrective (voir Sharpe, précité). Ils aident la Cour à répondre à la question suivante : est‑il plus juste et équitable pour la partie requérante ou pour la partie intimée de supporter le risque que l’issue du litige sous‑jacent ne coïncide pas avec l’issue de la requête interlocutoire?

C. Application du critère

(1) La question sérieuse

[52] Habituellement, le critère minimal à satisfaire pour établir l’existence d’une question sérieuse à juger est peu exigeant. Il suffit au demandeur de démontrer que sa demande de contrôle judiciaire n’est ni futile ni vexatoire (RJR‑MacDonald, aux pp 335 et 337; voir aussi Gateway City Church c Canada (Revenu national), 2013 CAF 126 au para 11, et Glooscap Heritage Society c Canada (Revenu national), 2012 CAF 255 au para 25).

[53] Suivant la Cour suprême du Canada, l’application habituelle de ce critère peu exigeant à l’étape du premier volet du critère comporte une exception « lorsque le résultat de la requête interlocutoire équivaudra en fait à un règlement final de l’action » (RJR‑MacDonald, à la p 338). En pareil cas, le requérant doit satisfaire à un critère minimal plus rigoureux pour avoir droit à une réparation interlocutoire.

[54] C’est le cas en l’espèce. S’il est accordé, le sursis de la mesure de renvoi aura effectivement pour effet d’accorder la réparation demandée dans la demande contrôle judiciaire sous‑jacente — à savoir, l’annulation de la décision refusant le report du renvoi (voir Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 3 CF 682, 2001 CFPI 148 (CanLII) au para 10; et Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, [2010] 2 RCF 311 aux para 66‑67 (le juge Nadon, avec l’appui de la juge Desjardins) et au para 74 (le juge Blais)).

[55] Cette norme plus rigoureuse a été formulée de différentes façons. Ainsi, dans l’arrêt RJR‑MacDonald, la Cour a expliqué qu’il fallait se livrer à « un examen plus approfondi du fond » de la demande (à la p 339). Si j’ai bien compris, dans le contexte spécifique d’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi, l’idée fondamentale est que le juge doit être convaincu, après un examen approfondi des moyens invoqués, que la demande de contrôle judiciaire a des chances d’être accueillie (voir, de nouveau, les arrêts Wang et Baron).

[56] Dans le contexte de la présente affaire, la Cour doit composer avec au moins deux contraintes importantes lors de son examen du fond de la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente. Tout d’abord, la solidité des motifs de contrôle doit être évaluée en tenant compte du paragraphe 48(2) de la LIPR — qui prévoit qu’une mesure de renvoi exécutoire doit être « exécutée dès que possible » —, ainsi que de la très faible marge de manœuvre dont dispose l’agent en matière de report de l’exécution (Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130 aux para 54‑61; voir également Toney c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1018 au para 50; et Gill v Canada (Public Safety and Emergency Preparedness), 2020 FC 1075 aux para 15‑19). Ainsi, il peut être difficile de démontrer qu’une question sérieuse se pose relativement à une décision qui refuse une demande de report et qui déborde de toute évidence le cadre du pouvoir du décideur d’accorder un tel report. Cela dit, j’estime que cette difficulté ne se pose pas en l’espèce. Le report limité dans le temps demandé dans le but précis d’assurer le bien‑être de la demanderesse semble relever carrément du pouvoir discrétionnaire et des pouvoirs juridiques conférés à l’agent d’exécution de la loi pour les services intérieurs.

[57] En second lieu, la solidité des motifs de contrôle judiciaire doit être évaluée en fonction de la norme de contrôle applicable. Le fond de la décision de l’agent d’exécution de la loi pour les services intérieurs est assujetti à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Lewis, au para 43). La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et [être] justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 85). Ainsi, pour satisfaire à ce volet du critère relatif aux motifs de contrôle portant sur le fond de la décision, la demanderesse doit démontrer en l’espèce qu’elle est en mesure d’établir que la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

[58] Par contre, lorsque les motifs de contrôle se rapportent à des questions d’équité procédurale, la juridiction de contrôle doit procéder à sa propre analyse du raisonnement suivi par le décideur et déterminer elle‑même si ce raisonnement était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances pertinentes, y compris celles énumérées dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 RCS 817 aux para 21 à 28; voir Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54, et Elson c Canada (Procureur général), 2019 CAF 27 au para 31). Il s’agit pratiquement de la même chose que d’appliquer la norme de contrôle de la décision correcte (voir Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée, aux para 49‑56 et Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c. Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35). Pour satisfaire à ce volet du critère relatif aux motifs de contrôle du raisonnement suivi par le décideur, la demanderesse doit démontrer qu’elle est susceptible d’établir que les exigences de l’équité procédurale n’ont pas été respectées.

[59] Pour les besoins de la présente requête, la demanderesse fait valoir trois motifs de contrôle de la décision de l’agent, que j’énonce comme suit :

  • a) Était‑il déraisonnable de la part de l’agent de conclure que le délai supplémentaire demandé pour prendre des dispositions pour accueillir la demanderesse au Nigéria n’était pas justifié parce que l’ASFC était en train de prendre ces dispositions?

  • b) Dans la mesure où l’agent s’est appuyé sur des éléments de preuve extrinsèques concernant les dispositions prises en vue d’accueillir la demanderesse au Nigéria, y a‑t‑il eu un manquement aux exigences de l’équité procédurale parce que la demanderesse ne s’est pas vu offrir la possibilité de formuler des observations au sujet de ces éléments de preuve avant que la décision ne soit prise?

  • c) Était‑il déraisonnable de la part de l’agent de conclure qu’un report n’était pas justifié parce que la demanderesse n’avait pas fourni d’éléments de preuve démontrant qu’elle serait exposée à un risque personnalisé au Nigéria?

[60] À mon avis, le premier de ces motifs satisfait de toute évidence au critère minimal plus rigoureux permettant de conclure à l’existence d’une question sérieuse. L’agent n’a pas écarté les éléments de preuve suggérant qu’il n’était pas nécessaire de prendre des dispositions pour s’occuper de la demanderesse une fois qu’elle serait arrivée au Nigéria. En fait, cela irait à l’encontre des décisions prises par d’autres agents de l’ASFC — y compris la haute direction — suivant lesquelles il y avait lieu de prendre des mesures pour accueillir la demanderesse. L’agent peut très bien avoir présumé que les mesures que l’ASFC a finalement prises seraient appropriées et efficaces. Le problème est simplement que le fait de savoir que l’on était en train de prendre des dispositions en ignorant de quelles dispositions il s’agissait — ou même si ces dispositions pouvaient effectivement être prises — ne constitue pas une raison suffisante pour faire jouer cette présomption ou pour conclure en définitive que le report demandé n’était pas justifié. Il s’agit d’une lacune fondamentale de l’analyse qui remet en question le caractère raisonnable global de la décision (voir Vavilov, au para 96).

[61] En ce qui concerne le deuxième motif de contrôle, à ce stade, ce motif est quelque peu hypothétique parce que nous ne savons pas sur quels éléments de preuve extrinsèques, le cas échéant, l’agent s’est fondé pour prendre sa décision. Selon la décision elle‑même, l’agent s’est simplement fondé sur le fait que l’ASFC [traduction] « est en train de prendre des dispositions » pour accueillir la demanderesse au Nigéria. Bien que ce fait n’ait pas été porté à la connaissance de la demanderesse avant que la décision soit prise, il est difficile de voir comment on pourrait considérer cette omission autrement que comme un manquement technique aux exigences de l’équité procédurale. En revanche, si l’agent s’est appuyé sur d’autres informations — ce qu’on ne pourra savoir qu’une fois qu’on pourra consulter le dossier certifié du tribunal —, l’argument suivant lequel les exigences de l’équité procédurale n’ont pas été respectées devient plus solide. À lui seul, le deuxième motif de contrôle ne satisfait peut‑être pas au critère minimal plus rigoureux. Je suis toutefois convaincu qu’il satisfait à ce critère si on le considère conjointement avec le premier motif de contrôle. En effet, pris ensemble, ces deux motifs de contrôle placent le défendeur devant un dilemme : si l’agent s’est appuyé uniquement sur le fait que l’on était en train de prendre des dispositions, le caractère raisonnable de sa décision est très douteux, alors que s’il s’est fondé sur d’autres informations portant sur ces dispositions, l’équité procédurale exigeait sans doute que l’on accorde à la demanderesse la possibilité de formuler des observations sur ces renseignements avant que la décision ne soit prise.

[62] Comme cela suffit pour satisfaire au premier volet du critère, il n’est pas nécessaire d’examiner le bien‑fondé du troisième motif de contrôle.

(2) Préjudice irréparable

[63] En ce qui concerne le deuxième volet du critère, « la seule question est de savoir si le refus du redressement pourrait être si défavorable à l’intérêt du requérant que le préjudice ne pourrait pas faire l’objet d’une réparation, en cas de divergence entre la décision sur le fond et l’issue de la demande interlocutoire » (RJR‑MacDonald, à la p 341). C’est ce qu’on veut dire lorsqu’on qualifie d’« irréparable » le préjudice qu’il faut démontrer. Le terme « irréparable » a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu’à son étendue (ibid.). Il est important de noter que, dans le contexte d’une affaire comme celle‑ci, les incidences du préjudice sur les intérêts de la demanderesse doivent être évaluées en tenant pour acquis que la décision qui sera rendue sur la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente ne concorde pas avec celle refusant d’accorder un sursis. En d’autres termes, la question à ce stade est celle de savoir si, dans l’hypothèse où le sursis est refusé, la demanderesse subira un préjudice qui ne pourra être réparé advenant le cas où sa demande de contrôle judiciaire serait accueillie.

[64] Généralement, est irréparable le préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou qui, même s’il peut être quantifié, ne pourrait être réparé pour quelque autre raison (par exemple, l’autre partie est à l’abri de tout jugement). La notion de ce qui est ou n’est pas réparable est facile à comprendre dans les litiges de droit privé et les litiges commerciaux. Elle est sans doute plus difficile à saisir lorsque le litige sous‑jacent est une demande de contrôle judiciaire, qui ne permet pas de toute façon d’obtenir des dommages‑intérêts, et que d’autres intérêts non économiques sont prépondérants.

[65] Pour établir l’existence d’un préjudice irréparable, le demandeur doit montrer qu’il subira « un préjudice réel, certain et inévitable — et non pas hypothétique et conjectural » (Janssen Inc c Abbvie Corporation, 2014 CAF 112 au para 24). Il doit produire une preuve claire et non hypothétique qu’un préjudice irréparable résultera du refus de lui accorder un sursis. Des affirmations de préjudice non étayées ne suffisent pas. Au contraire, « il faut produire des éléments de preuve suffisamment probants, dont il ressort une forte probabilité que, faute de sursis, un préjudice irréparable sera inévitablement causé » à moins que le sursis ne soit accordé (Glooscap Heritage Society, au para 31; voir aussi Canada (Procureur général) c Canada (Commissaire à l’information), 2001 CAF 25 au para 12; International Longshore and Warehouse Union c Canada (Procureur général), 2008 CAF 3 au para 25; United States Steel Corporation c Canada (Procureur général), 2010 CAF 200 au para 7).

[66] À ce stade, il est important de souligner le commentaire formulé dans l’arrêt RJR‑MacDonald selon lequel, en particulier lorsqu’on applique le critère minimal plus rigoureux dans le cadre du premier volet du critère, il faut tenir compte du résultat attendu au moment de l’application des deuxième et troisième étapes de l’analyse (à la p 339).

[67] S’agissant d’une requête visant à surseoir à l’exécution d’une ordonnance de remise en liberté d’une partie, le juge Little a fait observer, dans le jugement Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Thomas, 2021 CF 456, que « [d]ans les requêtes particulières visant à obtenir des mesures provisoires, les premier et deuxième volets du cadre RJR‑MacDonald sont souvent extrêmement liés, d’une manière qui ne l’est peut‑être pas toujours dans les demandes de suspension ou d’injonction interlocutoire présentées dans d’autres domaines du droit. Une question sérieuse et un préjudice irréparable peuvent se succéder ou découler l’un de l’autre » (au para 46). À mon avis, cette observation vaut aussi pour les demandes de sursis présentées dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision refusant de reporter un renvoi.

[68] Je suis convaincu que, si la demanderesse devait être renvoyée avant qu’une décision définitive soit rendue au sujet de sa demande de contrôle judiciaire de la décision relative au report, elle subirait un préjudice irréparable, étant donné qu’elle serait privée de la possibilité d’obtenir véritablement réparation dans le cadre de cette procédure. M’ayant convaincu qu’elle soulève des questions sérieuses dans sa demande de contrôle judiciaire — selon une norme plus rigoureuse, rien de moins —, la demanderesse m’a également persuadé qu’elle subira un préjudice irréparable si l’on ne préserve pas le statu quo en sursoyant à son renvoi du Canada. Une ordonnance annulant la décision refusant le report et renvoyant l’affaire pour réexamen serait vide de sens et inefficace si elle est rendue alors que la demanderesse se trouve déjà au Nigéria. Aucune autre réparation qu’elle pourrait demander ne pourrait remédier à cette situation.

[69] Voilà qui suffit pour satisfaire au deuxième volet du critère. Toutefois, parce que cela a une incidence sur le volet du critère relatif à la prépondérance des inconvénients, je suis également d’avis que le préjudice irréparable causé à la demanderesse est aggravé par la probabilité réelle qu’elle subisse un préjudice au Nigéria si elle y est renvoyée maintenant.

[70] Il est nécessaire à ce stade de fournir d’autres éléments d’information.

[71] Selon la preuve dont je dispose dans le cadre de la présente requête, l’ASFC a pris des dispositions pour s’assurer que la demanderesse soit admise à l’hôpital Novacrest à Abuja, au Nigéria, à son arrivée dans ce pays. Ces dispositions ont été prises après la décision par laquelle l’agent d’exécution de la loi pour les services intérieurs a refusé de reporter le renvoi. L’hôpital a accepté d’admettre la demanderesse pour 14 jours. Il enverra également une infirmière pour l’accueillir à l’aéroport et l’accompagner entre l’aéroport et l’hôpital. Le gouvernement du Canada se chargera des coûts de ce séjour.

[72] On sait très peu de choses à ce stade sur cet hôpital. Il s’agit de l’un des deux établissements qui avaient été suggérés par l’agent de liaison de l’ASFC à Abuja. Selon son site Web — dont des extraits ont été versés au dossier de la demanderesse dans le cadre de la présente requête —, cet hôpital est un [traduction] « centre d’excellence pour la médecine bio‑psychologique, la gestion des troubles mentaux, les maladies neurologiques et les services de traitement de l’alcoolisme et de la toxicomanie ». On affirme ce qui suit sur le site Web de cet organisme : [traduction] « Nous offrons des services de soins de santé de première classe adaptés aux besoins individuels dans un environnement serein et exclusif. Nous sommes fiers d’offrir des soins holistiques, d’où notre devise : “Prendre soin de l’homme dans sa globalité” ». Parmi les services offerts, on mentionne les suivants :

  • services psychologiques

  • traitement de l’alcoolisme et de la toxicomanie

  • éducation psychologique
  • gestion du stress et de la colère
  • gestion des troubles mentaux
  • services médicaux/gestion des soins intensifs
  • centre d’hébergement et de soins palliatifs
  • services de laboratoire.

[73] Cette même liste générique de services est reproduite dans le courriel adressé le 5 septembre 2020 à l’avocat de la demanderesse par l’un des agents qui devaient accompagner la demanderesse au Nigéria. Aucun plan de traitement n’a été proposé en ce qui concerne la demanderesse, ce qui n’est guère étonnant puisque, n’ayant pas obtenu le consentement de la demanderesse pour divulguer à l’hôpital des renseignements personnels, médicaux ou de santé mentale, l’ASFC s’est abstenue de le faire. Dans son courriel, l’agent accompagnateur se contente de déclarer ce qui suit : [traduction] « La cliente sera évaluée et elle recevra des soins en conséquence ». Les démarches entreprises par l’avocat de la demanderesse pour en savoir davantage sur l’hôpital et sur ses services dans le peu de temps dont il disposait entre le moment où il a été mis au courant des dispositions et l’instruction de la présente requête n’ont pas abouti.

[74] Pour en revenir au critère du préjudice irréparable, contrairement au préjudice dont nous avons déjà fait état et qui découle logiquement des questions soulevées dans la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente, la question du préjudice que la demanderesse subirait au Nigéria concerne des événements futurs aléatoires. Ce préjudice n’existe pas encore et est uniquement appréhendé et ne devrait se produire que si la demanderesse est renvoyée un jour du Canada au Nigéria. Comme le juge Gascon l’a fait observer au paragraphe 57 de la décision Letnes c Canada (Procureur général), 2020 CF 636, « [l]e fait que le préjudice que l’on tente d’éviter se situe dans l’avenir ne le rend pas hypothétique pour autant. Tout dépend des faits et des éléments de preuve. » (Voir aussi Delgado v Canada (Citizenship and Immigration), 2018 FC 1227 aux para 14‑19; et Wasylynuk, au para 136).

[75] Comme je l’ai déjà déclaré ailleurs, la « probabilité réelle » de préjudice est fondamentalement déterminée à la suite d’une évaluation qualitative, et non quantitative (voir Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 846 au para 29; et Erhire, au para 37). Le préjudice invoqué ne peut certainement pas être simplement hypothétique ou conjectural, mais en même temps, il est irréaliste d’exiger des éléments de preuve établissant un niveau précis de risque lorsque le préjudice faisant l’objet de la réparation existera uniquement dans l’avenir, le cas échéant. De même, ainsi que mon collègue le juge Grammond l’a affirmé dans le jugement Cerrato c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 1231, « le véritable risque global d’un préjudice irréparable sera toujours fonction de deux facteurs : la probabilité que ce préjudice survienne, et son ampleur ou son importance s’il survient. Une approche analytique judicieuse devrait en tenir compte » (au para 22).

[76] Le défendeur affirme que le préjudice qu’invoque la demanderesse est simplement hypothétique et conjectural parce que des dispositions appropriées ont été mises en place au Nigéria pour répondre à ses besoins en santé mentale. Le défendeur s’appuie également sur le fait que, lors de sa requête précédente visant à faire surseoir à son renvoi, la demanderesse n’a pas réussi à convaincre la juge McVeigh qu’elle subirait un préjudice irréparable si elle était renvoyée au Nigéria. Pour sa part, la demanderesse soutient qu’elle a établi une probabilité réelle de préjudice au Nigéria parce qu’il existe des preuves convaincantes de son besoin de traitement médical et de soutien et qu’il n’y a pas suffisamment de preuves pour démontrer l’efficacité des dispositions qui ont été mises en place pour elle par l’ASFC. Comme je vais l’expliquer, je suis d’accord avec la demanderesse.

[77] Pour ce qui est tout d’abord des conclusions tirées par la juge McVeigh au sujet du préjudice irréparable, j’estime qu’elles sont d’une utilité limitée dans le cadre de la présente requête, et ce, pour essentiellement trois raisons. Premièrement, il s’agit de conclusions mixtes de fait et de droit qu’elle a tirées à la lumière du dossier dont elle disposait. Rien ne permet de penser que le principe de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige s’applique. Deuxièmement, bien que le dossier dont je suis saisi renferme des éléments de preuve dont disposait également ma collègue, le dossier de la présente requête comprend des éléments de preuve supplémentaires qui suggèrent que l’état mental de la demanderesse s’est détérioré récemment et qu’elle connaît des crises aiguës de santé mentale. Une grande partie des éléments de preuve relatifs à la santé mentale de la demanderesse m’avait déjà été soumise lorsque j’ai statué sur la requête présentée par le ministre en vue de faire surseoir à l’ordonnance de remise en liberté de la demanderesse. Ce sont en partie ces éléments de preuves qui m’ont amené à accueillir la requête (voir, notamment, les paragraphes 38 à 42 de ma décision précédente, qui traitent du préjudice irréparable). Le préjudice dont il était question dans cette requête n’est pas le même que celui dont il s’agit en l’espèce, mais les deux trouvent leur origine dans les problèmes de santé mentale de la demanderesse. Troisièmement, le préjudice irréparable allégué dans la présente requête est différent de celui dont il était question dans la requête examinée par ma collègue. Ainsi que l’a résumé la juge McVeigh, la thèse de la demanderesse dans la requête précédente était que [traduction] « renvoyer une personne qui souffre de problèmes de santé mentale au Nigéria, où elle ne peut compter sur un réseau de soutien et où les gens sont en butte à “l’hostilité et sont maltraités” constitue manifestement un préjudice irréparable et un traitement déraisonnable ». Cette position se reflète également dans le fait que la demande en question visait à obtenir un report du renvoi pour une période indéterminée afin de permettre à la demanderesse de recevoir des soins en santé mentale au Canada. La demande sous‑jacente en l’espèce — un report de 60 jours pour prendre des dispositions pour accueillir la demanderesse au Nigéria — est tout à fait différente. Il en va de même pour le risque de préjudice qui est allégué.

[78] La demanderesse allègue qu’elle risque de subir un préjudice psychologique grave et de se faire du mal si elle est renvoyée avant que des mesures efficaces ne soient mises en place pour assurer sa prise en charge et son traitement. D’ailleurs, son avocat fait valoir que sa cliente court un risque accru de suicide si elle devait être renvoyée sans que des dispositions d’accueil fiables soient mises en place. Il est incontestable que, s’il existe une probabilité réelle que l’une de ces deux situations se produise, le deuxième volet du critère serait satisfait (voir Tiliouine c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 1146 au para 13; et Konaté c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 703 aux para 12‑22). Je suis convaincu que la preuve démontre que ces situations risquent fort probablement de survenir si des mesures appropriées ne sont pas prises pour la demanderesse à son arrivée au Nigéria. La question déterminante est de savoir si les dispositions qui ont été prises par l’ASFC seront assez efficaces pour répondre aux besoins de la demanderesse. Le défendeur affirme qu’elles le seront, mais, d’après la preuve dont je dispose, je ne puis souscrire à son opinion. Je suis plutôt d’accord avec la demanderesse pour dire qu’on ne dispose pas de suffisamment de renseignements au sujet de l’hôpital et de son plan de traitement en ce qui la concerne qui démontrent qu’il s’agit d’un établissement approprié auquel elle peut et doit faire confiance pour ses soins et où elle sera en sécurité.

[79] De plus, outre le manque de renseignements sur l’établissement et sur la question de savoir s’il est en mesure de répondre aux besoins de la demanderesse, l’efficacité des mesures prises par l’ASFC dépend de la volonté de la demanderesse d’y adhérer. (On n’a pas laissé entendre qu’on devait l’interner contre son gré à Novacrest. Si cela avait été le cas, d’autres questions se seraient posées.) La volonté de la demanderesse de collaborer avec ces mesures dépend à son tour de la question de savoir si elle les juge appropriées. Le problème à l’heure actuelle réside dans le fait qu’on ne lui a donné aucune raison de croire que c’était le cas. On sait très peu de choses au sujet de l’établissement avec lequel l’ASFC a signé une entente et on ignore tout du traitement précis qu’il prodiguerait à la demanderesse. Ce que la demanderesse sait, c’est que ces dispositions ont été prises par son adversaire dans la présente instance. Par conséquent, dans l’état actuel des choses, il serait tout à fait raisonnable qu’elle soit sceptique à l’égard de ces dispositions et qu’elle décide de ne pas collaborer. Elle se retrouverait alors sans aucun soutien, ce qui l’exposerait à un risque sérieux de préjudice. De plus, je ne puis ignorer le fait que, tant qu’ils ne seront pas correctement traités, les problèmes de santé mentale de la demanderesse pourraient la porter à prendre des décisions qui ne sont pas dans son intérêt.

[80] Il est fort possible que les dispositions qui ont été mises en place pour accueillir la demanderesse à son arrivée au Nigéria soient tout à fait appropriées, qu’elles constituent la meilleure solution qui s’offre et qu’elles soient suffisantes pour répondre aux risques de préjudice auquel serait exposée la demanderesse si elle est renvoyée (du moins à court terme). Cependant, dans l’état actuel du dossier, je ne suis pas en mesure de tirer cette conclusion. En effet, je n’ai aucun moyen de savoir si l’hôpital peut être en mesure de fournir à la demanderesse les soins dont elle a besoin. Et même si l’hôpital peut les lui fournir, je ne peux pas affirmer qu’il serait déraisonnable de la part de la demanderesse de refuser de collaborer avec les dispositions qui ont été prises.

[81] En fait, je relève que le risque de préjudice au Nigéria que la demanderesse invoque au titre de cet aspect du deuxième volet du critère correspond à celui qu’a évalué l’agent qui a examiné sa demande de report. Ainsi que le juge Grammond l’a fait observer dans le jugement Gill v Canada (Public Safety and Emergency Preparedness), 2020 FC 1075, en pareil cas, [traduction] « étant donné que le rôle de l’agent de l’ASFC consiste à évaluer le préjudice découlant du renvoi du demandeur, les deux premiers volets du critère énoncé dans l’arrêt RJR se chevauchent considérablement » (au para 22). Ce chevauchement peut aller dans les deux sens. D’une part, le tribunal peut être convaincu que la décision de l’agent mérite qu’on lui accorde un certain poids — voire un poids important — lors de son propre examen du préjudice irréparable. D’autre part, s’il est persuadé, lors de son examen du premier volet du critère, que la décision de l’agent comporte une grave lacune, on peut s’attendre à ce que le tribunal accorde beaucoup moins de poids, voire aucun, à cette décision lorsqu’il évalue lui‑même le préjudice irréparable. Comme j’ai conclu que des questions sérieuses ont été soulevées au sujet du caractère raisonnable et de l’équité de la décision de l’agent, je n’accorde aucun poids à la conclusion de l’agent suivant laquelle la demanderesse ne serait pas exposée au risque de subir un préjudice irréparable si elle était renvoyée Nigéria à ce moment‑ci.

(3) Prépondérance des inconvénients

[82] Quant au troisième volet du critère, la demanderesse doit établir en l’espèce que le préjudice qu’elle subirait si le sursis était refusé est plus grave que le préjudice que subirait le défendeur si le sursis était accordé. Cet exercice de pondération n’est ni scientifique ni précis (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Conseil canadien pour les réfugiés, 2020 CAF 181 au para 17). Mais cela ne signifie pas qu’il ne repose pas sur des principes. Au contraire, il est au centre de la question de savoir ce qui est juste et équitable eu égard aux circonstances de l’espèce.

[83] Pour apprécier la prépondérance des inconvénients, il faut tenir compte de l’incidence qu’un refus d’accorder le sursis aurait sur les intérêts privés de la demanderesse. De plus, l’intérêt public doit être pris en compte puisqu’il s’agit d’une affaire qui met en cause les décisions d’un organisme public (RJR‑MacDonald, à la p 350). Toutefois, la question de savoir laquelle des parties subirait le plus grand préjudice par suite de l’octroi ou du refus de l’injonction en attendant une décision au fond sur la demande sous‑jacente de contrôle judiciaire n’appelle pas nécessairement une réponse simple, binaire. En effet, l’intérêt public n’est pas nécessairement un concept monolithique qui penche exclusivement du côté du défendeur. Par exemple, le public est manifestement fondé à constater que justice est rendue dans la demande sous‑jacente de contrôle judiciaire. Cela requiert notamment de veiller à ce que la demanderesse obtienne véritablement réparation pour le cas où elle parviendrait à faire invalider la décision refusant de surseoir à son renvoi. Les intérêts privés de la demanderesse et l’intérêt public convergent donc sur ce point important, même s’ils divergent sur d’autres aspects.

[84] La demanderesse fait l’objet d’une mesure de renvoi valide et exécutoire qui a été prise en vertu d’un pouvoir légal et réglementaire. On présume donc que cette mesure a été prise dans l’intérêt public. L’exécution effective de cette mesure est également présumée être dans l’intérêt public. De plus, comme nous l’avons déjà indiqué, aux termes du paragraphe 48(2) de la LIPR, une mesure de renvoi doit être « exécutée dès que possible » dès qu’elle est exécutoire.

[85] On présume aussi qu’une action qui suspend l’effet d’une mesure prise dans l’intérêt public (comme dans le cas d’un sursis interlocutoire) est préjudiciable à l’intérêt public (voir RJR‑MacDonald, aux pp 346 et 348—349). Ceci étant dit, l’incidence de cette suspension sur l’intérêt public est une question de degré qui doit être déterminée à la lumière des circonstances particulières de l’affaire en cause. Comme le faisait observer la Cour suprême dans l’arrêt RJR‑MacDonald, l’incidence sur l’intérêt public d’une décision soustrayant un plaideur à l’application d’une mesure législative valide est moindre que l’incidence d’une suspension intégrale de l’effet d’une telle mesure. L’incidence d’une suspension temporaire de la mise en œuvre d’une mesure de renvoi est sans doute encore plus faible (mais, encore une fois, le calibrage précis de cette incidence dépendra des circonstances particulières du cas). L’incidence de la suspension d’une mesure de renvoi sur l’intérêt public peut également dépendre de la durée de la suspension de l’effet de cette mesure (voir Conseil canadien pour les réfugiés, au para 27).

[86] Ainsi que je vais l’expliquer, j’estime que la prépondérance des inconvénients penche en faveur de la demanderesse. Toutefois, avant de le faire, j’estime qu’il est nécessaire d’en dire plus sur la question de la conduite irréprochable et sur son application en l’espèce.

[87] Dans l’arrêt Thanabalasingham, le juge Evans a suggéré une liste non exhaustive de facteurs à prendre en compte pour s’efforcer « de mettre en balance d’une part l’impératif de préserver l’intégrité de la procédure judiciaire et administrative et d’empêcher les abus de procédure, et d’autre part l’intérêt public dans la légalité des actes de l’administration et dans la protection des droits fondamentaux de la personne » (au par. 10). Ces facteurs sont les suivants :

  • · la gravité de l’inconduite du demandeur et la mesure dans laquelle cette dernière mine la procédure en cause;

  • · la nécessité de dissuader d’autres personnes d’adopter une conduite semblable;

  • · la nature de l’acte prétendument illégal de l’administration et la solidité apparente du dossier;

  • · l’importance des droits individuels concernés et les conséquences probables pour le demandeur si la validité de l’acte administratif contesté est confirmée.

[88] Ces facteurs et le critère auquel il faut satisfaire pour obtenir un sursis interlocutoire se chevauchent considérablement. Eu égard aux circonstances de l’espèce, il n’y a aucun avantage à examiner ces facteurs en fonction du principe de la conduite irréprochable en tant que critère autonome avant d’appliquer le critère à trois volets régissant l’octroi d’un sursis. La question à laquelle il faut répondre lorsqu’on applique le principe de la conduite irréprochable est celle de savoir si, en l’espèce, l’inconduite de la demanderesse devrait la priver de la réparation qu’elle sollicite maintenant. Cette question s’inscrit parfaitement dans le cadre de l’appréciation globale des considérations d’équité de la présente affaire à laquelle il faut procéder lors de l’examen du troisième volet du critère de l’octroi d’un sursis.

[89] Le défendeur table fortement sur les conclusions tirées par la juge McVeigh concernant le fait que la demanderesse n’a pas eu une conduite irréprochable pour affirmer que ce facteur — parmi d’autres — fait pencher la prépondérance des inconvénients en faveur du défendeur. J’ai examiné attentivement les conclusions de ma collègue. Pour les raisons qui suivent, j’estime toutefois qu’elles n’appuient pas la position du défendeur dans la présente requête autant qu’il l’aurait souhaité.

[90] Tout d’abord, l’application que la juge McVeigh fait du principe de la conduite irréprochable ne concerne qu’accessoirement les questions qu’il reste à trancher en l’espèce, et ce, parce que ma collègue applique ce principe pour trancher la question préliminaire de l’opportunité même de statuer sur la requête en sursis. Elle a conclu qu’elle examinerait la requête malgré le fait que la demanderesse n’avait pas une conduite irréprochable. De plus, la juge McVeigh a conclu que le défaut de la demanderesse de démontrer qu’elle subirait un préjudice irréparable était déterminant quant à l’issue de la requête dont elle était saisie. Par conséquent, elle n’a pas du tout examiné l’incidence de l’absence de conduite irréprochable sur la prépondérance des inconvénients, le volet du critère qui m’intéresse à ce stade.

[91] Ensuite, comme je vais l’expliquer, bien que ma collègue et moi soyons d’accord sur certains points clés concernant l’inconduite de la demanderesse, j’arrive à une conclusion différente de celle de ma collègue quant à l’ampleur de cette inconduite.

[92] Il n’est pas contesté que le défaut de la demanderesse de se présenter le 23 août 2021 à une entrevue préalable au renvoi ainsi qu’à un test de dépistage de la COVID‑19 a entraîné l’annulation de son renvoi le 24 août 2021. Il n’est pas non plus contesté que le fait d’entraver délibérément le processus de renvoi compromet l’intégrité du système d’immigration et cause un préjudice sérieux à l’intérêt public (voir Debnath c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 332 au para 25; et Wu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 779 aux para 14‑15). Sur ces aspects, la juge McVeigh et moi sommes tout à fait d’accord. De plus, au vu du dossier dont je dispose, il existe au moins certains éléments de preuve permettant de conclure que le caractère répréhensible de l’inconduite de la demanderesse est atténué par les troubles de la pensée et du jugement qui sont associés aux troubles psychologiques qui ont été diagnostiqués chez elle. La juge McVeigh semble arriver à une conclusion semblable à cet égard, puisqu’elle estime que, même si la demanderesse ne se présentait pas devant elle avec une conduite irréprochable, elle était néanmoins disposée à entendre l’affaire [traduction] « étant donné que [la demanderesse] a des problèmes de santé mentale ».

[93] Par ailleurs, et en toute déférence, contrairement à ma collègue, je suis d’avis de conclure que [traduction] « il ne fait aucun doute que c’est par sa faute que la demanderesse ne s’est pas présentée à son entrevue préalable au renvoi le 22 août 2019 ». D’après le dossier dont je dispose, qui semble inclure des éléments de preuve supplémentaires qui n’avaient pas été portés à la connaissance de la juge McVeigh — surtout les notes de l’agent qui a arrêté puis relâché la demanderesse en avril 2020 —, il est à tout le moins permis de se demander si la demanderesse était même au courant de cette entrevue. (Bien entendu, si la demanderesse n’était pas au courant de cette entrevue, cela peut fort bien être attribuable au fait qu’elle n’avait pas communiqué à l’ASFC ses coordonnées les plus récentes. Bien qu’il s’agisse également d’une question sérieuse, elle n’a qu’une faible importance par rapport au fait de faire délibérément obstacle aux mesures prises en vue de son renvoi.)

[94] Ainsi, bien que j’aie examiné attentivement les conclusions tirées par la juge McVeigh au sujet de l’absence de conduite irréprochable de la demanderesse, j’estime qu’elles n’ont qu’une incidence limitée sur la présente requête.

[95] Après avoir procédé à ma propre évaluation de l’inconduite de la demanderesse dans le cadre de l’examen de la prépondérance des inconvénients, j’estime que, même si cette inconduite est grave, elle ne devrait pas, envisagée seule ou combinée à d’autres facteurs favorisant la thèse du défendeur, priver la demanderesse de la réparation qu’elle sollicite maintenant. J’ai tenu compte des facteurs suivants :

  • · L’inconduite de la demanderesse porte sur l’enjeu même de la présente requête — à savoir, le moment où elle devrait être forcée de quitter le Canada. Si elle s’était présentée comme prévu le 23 août, la demanderesse aurait probablement été renvoyée à la date prévue et la présente requête n’aurait jamais été déposée. Par conséquent, le principe de la conduite irréprochable entre de toute évidence en jeu (voir Cameco Corporation, au para 37).

  • · Bien que l’inconduite dont a fait preuve la demanderesse le 23 août tende à compromettre l’intégrité du système d’immigration, elle ne menace pas l’intégrité de la présente instance (comme ce serait le cas, par exemple, si elle avait présenté des éléments de preuve faux ou trompeurs).

  • · Comme nous l’avons vu lors de l’examen du premier et du second volets du critère, pour reprendre les mots employés dans l’arrêt Thanabalasingham, la solidité apparente de la cause de la demanderesse et les conséquences probables pour elle d’une confirmation de la validité de l’acte administratif contesté sont des facteurs qui militent tous les deux en faveur de ne pas lui refuser la réparation qu’elle sollicite.

  • · Comme nous l’avons déjà vu, la gravité de l’inconduite de la demanderesse est atténuée par ses problèmes de santé mentale.

  • · Conclure que la demanderesse ne perd pas son droit à la réparation qu’elle sollicite ne risque pas de donner l’impression que son défaut de respecter les obligations que la loi canadienne sur l’immigration mettait à sa charge n’entraînera pas de conséquences importantes. La demanderesse a déjà subi de graves conséquences en raison de son inconduite. Elle a été placée en détention. Elle risque de rester en détention jusqu’à ce qu’elle soit renvoyée. Ces éléments devraient être suffisants pour dissuader d’autres personnes de se livrer à des actes semblables. Il n’est pas nécessaire d’ajouter d’autres conséquences.

[96] Pour conclure que la prépondérance des inconvénients penche en faveur de la demanderesse, j’ai tenu compte des éléments suivants :

  • · La demanderesse invoque des motifs solides à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire de la décision refusant de surseoir à son renvoi.

  • · Permettre que la demanderesse soit renvoyée maintenant ferait en sorte qu’elle se retrouverait privée de la possibilité d’obtenir véritablement réparation advenant le cas où elle aurait gain de cause dans sa demande de contrôle judiciaire.

  • · La demanderesse a également démontré qu’elle subirait un préjudice irréparable au Nigéria si son renvoi n’est pas suspendu.

  • · Il est clairement dans l’intérêt public d’éviter ces deux conséquences.

  • · L’intérêt public quant à l’efficacité du processus de renvoi subira un effet négatif si un sursis est ordonné, mais cet impact est limité. Dans la mesure où le renvoi rapide de la demanderesse est dans l’intérêt public, on fera échec à cet intérêt. Toutefois, l’intérêt public dans le processus de renvoi est plus complexe. Il est également clairement dans l’intérêt public que le processus de renvoi se déroule de façon équitable et raisonnable et conformément à la loi. En l’espèce, ces considérations l’emportent sur l’intérêt public quant au renvoi rapide de la demanderesse.

  • · Il est loisible au défendeur de demander que la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire fasse l’objet d’une gestion de l’instance et qu’elle soit jugée de manière accélérée. Ces mesures permettraient de limiter tout impact négatif qu’aurait sur l’intérêt public le prononcé d’une ordonnance sursoyant à l’exécution de la mesure de renvoi de la demanderesse.

  • · La demanderesse a eu plusieurs mois pour prendre ses propres dispositions en vue de se faire soigner au Nigéria et il semblerait qu’elle n’a même pas entrepris de démarches. Toutefois, l’importance de ce fait pour l’appréciation de la prépondérance des inconvénients est atténuée par ses problèmes de santé mentale.

  • · Le défendeur soulève des préoccupations légitimes au sujet de la remise en question constante des questions relatives au renvoi de la demanderesse du Canada. La présente requête concerne la deuxième demande de report du renvoi en moins de trois semaines et la troisième en deux mois. Il s’agit de la troisième fois depuis juillet que la demanderesse s’adresse aux tribunaux pour obtenir le sursis de son renvoi. Cependant, rien ne permet de conclure que la demanderesse a abusé des protections inhérentes au processus de renvoi ou qu’elle a abusé de la procédure de la Cour.

(4) Conclusion

[97] En résumé, étant donné que la demanderesse a satisfait aux trois volets du critère lui permettant d’obtenir un sursis interlocutoire à l’exécution de la mesure de renvoi du Canada dont elle fait l’objet, je suis convaincu qu’il est plus juste et équitable que ce soit le défendeur et non la demanderesse qui assume le risque que l’issue du litige sous‑jacent ne corresponde pas à l’issue de la présente requête. En conséquence, la demanderesse a droit à un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du Canada dont elle fait l’objet en attendant que soit rendue une décision finale sur sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision du 3 septembre 2021 rejetant sa demande de report de son renvoi.

IV. DISPOSITIF

[98] Pour ces motifs, le 6 septembre 2021, j’ai fait droit à la requête présentée par la demanderesse en vue de faire surseoir à son renvoi.

[99] Pour terminer, je tiens à remercier les avocats pour leur dossier exhaustif et pour leurs observations écrites et orales très utiles. Tous les avocats ont dû travailler pendant tout le long week‑end de la fête du Travail pour respecter des délais très serrés. Les efforts soutenus qu’ils ont déployés au nom de leur client respectif méritent nos éloges.

« John Norris »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 14 septembre 2021

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6013‑21

 

INTITULÉ :

ANNABEL ERHIRE c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 SEPTEMBRE 2021

 

MOTIF DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 SEPTEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Aviva Basman

 

Pour lA demanderesse

 

Monmi Goswami

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bureau du droit des réfugiés

Toronto (Ontario)

 

Pour lA demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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