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                                                            T-1930-95

 

 

 

            AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ,

                        L.R.C. 1985, ch. C-29

 

 

                   ET un appel de la décision d'un

                        juge de la citoyenneté

 

 

                               ET M.H.

 

                                                            appelant.

 

 

 

 

                    MOTIFS DE JUGEMENT MODIFIÉS

 

LE JUGE MCKEOWN

 

     Ces motifs valent également pour le dossier portant le numéro du greffe T-1929-95.

 

     L'appelant a reçu le droit d'établissement en 1992. Environ huit mois après être arrivé au Canada, il a déposé sa demande de citoyenneté canadienne. Le juge de la citoyenneté a rejeté sa demande de citoyenneté, lui faisant savoir que :

 

[TRADUCTION]

[...] Vous avez satisfait à toutes les conditions fixées par la Loi sur la citoyenneté pour l'obtention de la citoyenneté, sauf en ce qui concerne la résidence. Selon l'alinéa 5(1)c) de la Loi, un demandeur doit avoir résidé au Canada pendant au moins trois ans dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande.

 

     Le juge de la Citoyenneté a également déclaré que :

 

[TRADUCTION]

Conformément au paragraphe 15(1) de la Loi sur la citoyenneté, je me suis demandé s'il y avait lieu ou non de recommander l'exercice du pouvoir discrétionnaire que prévoit le paragraphe 5(4) de la Loi. Le paragraphe 5(4) de la Loi confère au gouverneur en conseil le pouvoir de commander au Ministre d'accorder la citoyenneté à toute personne en cas de détresse inhabituelle ou pour récompenser des services exceptionnels rendus au Canada.


     Selon l'alinéa 5(1)c) de la Loi, pour être légalement admise au Canada aux fins de la résidence permanente, une personne doit, dans les quatre ans précédant la date de sa demande, avoir résidé au moins trois ans au Canada. Un appelant ne peut donc pas déposer une demande de citoyenneté avant d'avoir vécu au moins trois ans au Canada. Étant donné que la demande de l'appelant était, aux termes de l'alinéa 5(1)c), prématurée, peu importe ce qui a pu se produire dans l'intervalle en matière de résidence. Le paragraphe 5(4) de la Loi prévoit cependant que :

 

Afin de remédier à une situation particulière et inhabituelle de détresse ou de récompenser des services exceptionnels rendus au Canada, le gouverneur en conseil a le pouvoir discrétionnaire, malgré les autres dispositions de la présente loi, d'ordonner au ministre d'attribuer la citoyenneté à toute personne ...

 

     Le juge de la citoyenneté s'est en l'espèce refusé à formuler une recommandation au titre du paragraphe 5(4), déclarant que :

 

 

[TRADUCTION]

J'ai examiné la documentation que vous avez jointe à votre demande de citoyenneté, et j'estime que les éléments que vous avez portés à mon attention ne justifient pas la formulation d'une recommandation au titre du paragraphe 5(4).

 

     L'affaire me paraît délicate, car la Loi n'a pas prévu le cas des demandes prématurées. Cela dit, j'estime que les conditions posées par la Loi limitent aux cas tout à fait exceptionnels la recommandation pouvant être formulée au titre du paragraphe 5(4). Je n'ai souvenir que d'une seule affaire où cette disposition ait été appliquée dans le cas d'une demande déposée prématurément. Dans l'affaire Re Mady, en date du 19 octobre 1978 (jugement non publié), numéro du greffe T-2496-78 (C.F. 1re inst.), le juge suppléant Grant a accordé la citoyenneté à un demandeur qui n'était immigrant reçu que depuis deux ans. Dans cette affaire, le juge de la citoyenneté était, là aussi, dans l'incapacité d'approuver la demande et il a décidé de ne pas recommander l'exercice du pouvoir discrétionnaire du gouverneur en conseil au titre du paragraphe 5(4) de la Loi. Dans cette affaire, l'appelant était un nageur de haut niveau qui pouvait prétendre à une médaille d'or si on l'autorisait à prendre part, en tant que membre de l'équipe canadienne, aux Jeux olympiques qui devaient se dérouler un peu plus tard. Le juge suppléant Grant a déclaré à l'époque :

 

Il serait exceptionnellement avantageux pour le Canada de compter un athlète aussi doué dans son équipe olympique. En lui refusant maintenant la citoyenneté canadienne, on priverait l'appelant de toute possibilité de participer aux compétitions olympiques de natation. Puisqu'il s'est entraîné avec tant de zèle, en Roumanie comme au Canada, pour être à même de participer sérieusement à ces compétitions sous les couleurs de sa patrie adoptive, j'estime qu'il lui serait excessivement pénible d'être privé de cette possibilité...

 

     Puis il a recommandé que le gouverneur en conseil exerce son pouvoir discrétionnaire au titre du paragraphe 5(4) de la Loi et a accueilli l'appel.

 

     J'estime qu'en l'espèce les circonstances sont beaucoup plus concluantes que dans l'affaire Mady, car l'appelant a déjà apporté au Canada une contribution fort appréciable. L'appelant a travaillé à une ambassade du Canada. C'est à cette époque qu'il a commencé à représenter, dans son pays d'origine, les intérêts politiques et commerciaux canadiens. Mais c'est après qu'il eut quitté l'ambassade du Canada que sa contribution au Canada est devenue encore plus considérable. Il ne fait aucun doute que l'appelant a contribué de manière très importante à repérer les occasions de commercer dans son pays d'origine et qu'il a aidé les entreprises canadiennes à obtenir de nombreux contrats dans ce pays. Il a pris les mesures nécessaires pour envoyer ses quatre enfants faire leurs études au Canada; trois d'entre eux sont devenus citoyens canadiens et le quatrième est en train de le devenir. L'appelant travaille pour une entreprise canadienne et continue à passer beaucoup de temps dans son pays d'origine à promouvoir les intérêts d'entreprises canadiennes. Il ressort de la preuve que, sans l'aide de l'appelant, les entreprises canadiennes et le gouvernement du Canada se seraient retrouvés sans représentant dans ce pays. L'appelant a par ailleurs joué un rôle essentiel pour obtenir, auprès du nouveau régime politique, la reconnaissance des intérêts canadiens. L'attachement de l'appelant au service du Canada est resté solide malgré des difficultés considérables et le climat politique dangereux qui s'est instauré au cours de cette période d'intense nationalisme et de fanatisme religieux, pendant laquelle toutes les influences et symboles occidentaux ont été la cible des charges les plus diverses. L'appelant et son épouse sont restés, pendant toute cette période, fortement attachés au Canada, ne se laissant aucunement influencer par des considérations de sécurité personnelle. Son action en tant que représentant politique et commercial des intérêts canadiens au cours de cette période très troublée des rapports intergouvernementaux ont incité plusieurs personnes à soutenir sa demande de citoyenneté canadienne.

 

     Comme le juge en chef adjoint Thurlow l'a déclaré dans l'affaire Re Salon (1978), 88 D.L.R. (3d) 238 (C.F. 1re inst.) aux pp. 241-242 :

 

[TRADUCTION]

Contrairement à la plupart des lois qui confèrent aux parties un droit d'appel devant un tribunal, cette Loi ne comporte aucune définition des pouvoirs que peut exercer la Cour en cas d'appel. En ce qui concerne les décisions que pourrait prendre la Cour, on ne voit que le paragraphe 13(6) qui prévoit que la Cour statue en dernier ressort. Étant donné que le législateur a sans doute voulu faire de ce droit d'appel un recours efficace, on ne peut pas supposer qu'il n'entendait conférer à la Cour aucun pouvoir et j'estime que ce qu'il faut en déduire, aussi bien en ce qui concerne le fait que les pouvoirs de la Cour ne sont pas définis que le fait que le recours s'exerce devant une cour supérieure d'archives, est que la Cour est investie des pleins pouvoirs de faire ce qui en droit serait juste et à propos et, à cette fin, de faire ou de corriger tout ce que pouvait faire le juge qui a rendu la décision dont il est fait appel... J'estime, lors de l'appel interjeté d'une décision refusant d'autoriser une demande après avoir refusé d'effectuer une recommandation, la Cour a à la fois le pouvoir et le devoir d'examiner et de corriger si besoin est aussi bien la décision du juge de la citoyenneté sur la question de savoir si les conditions légales avaient été respectées, et la décision de ne pas recommander l'exercice des pouvoirs conférés au ministre ou au gouverneur en conseil au titre des paragraphes 5(3) et (4) respectivement. Dans ce genre de situation, le refus d'effectuer une recommandation fait partie intégrante de la décision de rejet, au même titre que la décision touchant le respect des conditions légales. En concluant ainsi, je n'ignore pas que dans l'affaire Re Atkins, no du greffe T-4359-77 (1978), 87 D.L.R. (3d) 93, comme dans l'affaire Re Peter Daniel Albers, no de greffe T-75-78 (arrêt non publié), mon confrère le juge Addy a interprété différemment les pouvoirs de la Cour, mais la conclusion à laquelle je suis parvenu est conforme à plusieurs décisions récemment rendues par mes confrères le juge Walsh et le juge Dubé et, étant donné le manque d'unanimité sur ce point, je crois être en droit de parvenir à ma propre conclusion quant à l'interprétation qu'il convient de donner à la loi.

 

     J'estime être en droit de formuler, à l'instar du juge en chef adjoint Thurlow et du juge suppléant Grant, une recommandation au titre du paragraphe 5(4).

 

     L'appelant m'a convaincu qu'en l'espèce il a fourni au Canada des services d'une valeur exceptionnelle au sens du paragraphe 5(4), et l'on peut effectivement faire état en l'espèce de difficultés particulières et c'est pourquoi je recommande que le pouvoir discrétionnaire que ce paragraphe confère au gouverneur en conseil soit exercé de manière à ordonner au ministre d'accorder la citoyenneté canadienne à l'appelant.

 

 

                                                         W.P. McKeown

                                                                 Juge   

 

 

OTTAWA (ONTARIO)

Le 30 septembre 1996

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme______________________________

 

Louise Dumoulin-Clark, LL.L.


                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                 SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

           AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

No DE GREFFE : T-1930-95

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :Affaire intéressant la Loi sur la citoyenneté et M.H.

 

LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :le 29 avril 1996

 

MOTIFS DE JUGEMENT MODIFIÉS

PRONONCÉS PAR :Monsieur le juge McKeown

 

EN DATE DU :30 septembre 1996

 

 

ONT COMPARU :

 

M. Gordon Bent  pour le compte de l'appelant

M. Peter K. LargeAmicus Curiae

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lafleur Brown

Toronto (Ontario)pour le compte de l'appelant

 

 

M. Peter K. LargeAmicus Curiae

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