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Date : 19990526


Dossier : IMM-4475-98

ENTRE:

     MIGUEL ARTURO AGUIRRE LOPEZ

     Demandeur

     ET

     LE MINISTRE

     Défendeur

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]          Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 5 août 1998, dans laquelle la Commission a déterminé que le requérant n'est pas un réfugié au sens de la Convention.

LES FAITS

[2]          Il s'agit d'un demandeur âgé de 34 ans, natif du Mexique. Il a obtenu en 1992 un diplôme en architecture de l'Université Autonome Métropolitaine, à Mexico. Il a commencé à travailler dans un bureau d'architecte.

[3]          Le demandeur a également commencé à s"impliquer en politique en 1990 et il est devenu militant du Parti de la Révolution démocratique (PRD) en participant à des réunions d'information avec des groupes de gens des quartiers défavorisés.

[4]          Les problèmes du revendicateur ont commencé lorsqu'il a participé à une prise de possession de terrain avec un groupe de citoyens où l'objectif était de prendre possession de terres appartenant à la municipalité et de les séparer ensuite entre les groupes de gens défavorisés pour planifier le développement organisé des habitations.

[5]          Les prétentions du demandeur sont à l'effet qu'il a été enlevé par la police judiciaire, qu'il a été torturé et interrogé. Il a été ensuite relaché et plus tard, il a participé une deuxième fois à une occupation d'autres terrains et ayant appris que la police le recherchait, il a quitté son emploi pour ensuite quitter le Mexique le 16 mai 1995, pour arriver au Canada le lendemain, après avoir transité par les États Unis. Il a revendiqué le statut de réfugié le 7 octobre 1995.

[6]      Il dit craindre le retour dans son pays, particulièrement la police judiciaire et le gouvernement.

ANALYSE

[7]      Une revue détaillée de la preuve au dossier et de la transcription de l'audition révèle une preuve importante corroborant les prétentions du demandeur concernant ses activités au Mexique, qui lui auraient valu d'être arrêté et torturé.

[8]      Le fait que le demandeur ait omis de parler de la séquence du viol n'est pas déterminant en soi pour conclure au manque de crédibilité du demandeur. Son explication à l'effet qu'il n'était pas à l'aise d'en parler est tout a fait plausible et la conclusion à laquelle en arrive la Commission, à ce sujet, m'apparaît déraisonnable.

[9]      Le doute émis par la Commision quant aux dessins, plans et photos présentés comme porte-folio à titre de preuve de la profession du demandeur, parce qu'il n'était pas identifié par le bureau d'architecte, apparaît également exagéré, puisque l'absence d'une telle identification par un bureau d'architecte n'enlève pas de valeurs probantes au document et la lettre de l'employeur confirmant l'emploi du demandeur n'a aucune raison d'être mise en doute.

[10]      La Commission a également qualifié d'invraisemblables, les explications du demandeur quant à la prise de terrrains et l'évacuation de ces terrains par les policiers, telles que fournies par le demandeur.

[11]      La lecture de la transcription de l'audience devant la Commission de même que l'information contenue au Formulaire de renseignements personnels du demandeur apportent des précisions sur l'occurence de ces événements qui ne permettent pas de les qualifier d'invraisemblables.

[12]      Au contraire, la Cour comprend de ces explications que ces terrains étaient voulus par les familles afin de pouvoir les occuper en vertu de leur droit à l'habitation, lequel n'étant pas respecté par le gouvernement, les forçaient à les occuper sans autorisation. Ces terrains faisaient d'ailleurs partie du patrimoine de la municipalité.

[13]      Il semble que le rôle du demandeur consistait à s'assurer auprès des registres publics que les terrains visés étaient bel et bien destinés à l'habitation et faire bénéficier de son expertise en tant qu'architecte afin de planifier la construction d'habitations répondant aux besoins des familles.

[14]      Une fois cette étape accomplie, les citoyens étaient à même de revendiquer l'occupation légale de ces terrains et d'obtenir que les travaux d'infrastructures soient complétés par la municipalité. Il semble que ces activités faisaient partie d'un objectif plus grand d'arriver au pouvoir en gagnant la faveur et le vote des habitants. Même si ce choix de procédé peut sembler peu judicieux ou inapproprié, il semble ne faire aucun doute que le groupe d'individus impliqués était organisé et sincère dans sa lutte et il a fallu l'intervention musclée de la police pour y mettre fin.

[15]      À mon avis, il n'y a rien de farfelu dans ces explications et je comprends mal que la Commission puisse considérer les réponses du demandeur, à ce sujet, comme étant invraisemblables et peu crédibles.

[16]      La torture dont aurait souffert le demandeur suite à son implication dans cette organisation est supportée par des notes médicales suffisamment détaillées qui confirment les mauvais traitements reçus et ne devraient pas être prise à la légère.

[17]      Le fait qu'on n"ait pas donné suite à la plainte du demandeur pour manque de preuve ne veut pas dire que les événements ne se sont pas produits, particulièrement lorsqu'une mention sur ce document est à l"effet que le dossier aurait été égaré. De plus, il faut comprendre que le fait que la plainte a été mise de côté par manque de preuve peut se comprendre du fait que le revendicateur a déjà quitté le pays depuis plus d'un an après la signature dudit document.

[18]      Quant au document de la Commision des droits humains, il semble assez évident qu'il y a une erreur de date sur ledit document.

[19]      En effet, la date figurant en haut du document est le 22 juillet 1993, alors que l'agression se serait produite en mars 1995; cependant, le numéro d'enquête mentionné dans la plainte suite à l'agression qui apparaît dans le document émanant du Procureur général du district fédéral est le même numéro de dossier que celui qui apparaît sur le document de la Commission des droits humains du district fédéral, ce qui semble bien démontrer l'existence d'une plainte déposée auprès des deux organismes.

[20]      Le demandeur a témoigné que suite aux événements du 23 mars 1995, il avait souffert de dépression profonde et que son travail s'en était ressenti, puisqu'il avait réduit ses heures de travail à un minimum. Malgré cet état dépressif, le demandeur a tout de même acquiescé à la demande de l'organisation de participer à une deuxième prise de terrain. Cela pourrait sembler invraisemblable, mais le demandeur a expliqué qu'il l'avait fait sans y participer physiquement, mais uniquement qu'il s'est contenté de fournir des plans. Encore là, cette explication apparaît tout à fait vraisemblable.

[21]      De façon générale, la Cour est très réticente à intervenir sur une question de crédibilité étant donné le principe bien établi à l'effet que la Commission est la mieux placée pour évaluer la preuve présentée par le revendicateur.

[22]      Par contre, en l'espèce, une étude approfondie du dossier permet de constater que la Commission lors de l'audition est revenue à maintes reprises avec les mêmes questions et que les réponses du demandeur, telles qu'enregistrées, démontrent une constance qui va tout à fait à l'encontre des conclusions de la Commission, évaluant que le demandeur s'était contredit. En effet, je ne relève aucune contradiction digne de mention dans le témoignage du demandeur et dois en conclure que la Commission a manifestement émis une opinion déraisonnable à cet égard.

[23]      Pour les motifs ci-haut exprimés, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée et la Cour retourne l'affaire à la Commission pour la tenue d"une nouvelle audition par un tribunal différemment constitué.

[24]      Les avocats des deux parties n'ayant soumis aucune question, aucune question ne sera certifiée.

                             Pierre Blais                              Juge

OTTAWA, ONTARIO

Le 26 mai 1999

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