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Date : 20211105


Dossier : IMM-1141-21

Référence : 2021 CF 1188

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 novembre 2021

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

QUNELYN ALLADA BAGATNAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Mme Qunelyn Allada Bagatnan, a fait depuis le Canada une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire. Un agent d’immigration (l’agent) a rejeté sa demande parce qu’elle n’avait pas su démontrer que des motifs humanitaires justifiaient de lui accorder, au titre du paragraphe 25(1) de Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, une dispense de l’exigence législative de faire à l’étranger sa demande de résidence permanente au Canada.

[2] Par sa demande de contrôle judiciaire, Mme Bagatnan veut faire annuler la décision de l’agent. Elle avance en effet que ce dernier a manqué à l’obligation d’équité procédurale en omettant d’énoncer les préoccupations que suscitaient chez lui la crédibilité de la demanderesse et la suffisance des renseignements qu’elle avait fournis dans sa demande pour motifs humanitaires, et qu’il l’a ainsi privée de l’occasion de s’expliquer. De plus, Mme Bagatnan est d’avis que la décision de l’agent n’est pas raisonnable, en cela qu’il n’a pas tenu compte d’éléments de preuve au dossier, notamment ceux touchant à l’intérêt supérieur de son enfant (ISE) et à son établissement au Canada, et qu’il n’a pas effectué une analyse approfondie de l’ISE.

[3] Je ne suis pas convaincue que l’agent ait manqué à l’obligation d’équité procédurale ou que sa décision soit déraisonnable. Je rejette donc la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse pour les motifs qui suivent.

II. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[4] Les questions en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire consistent à déterminer si l’agent a manqué à l’obligation d’équité procédurale et si sa décision était déraisonnable compte tenu des erreurs alléguées, à savoir :

[5] Les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon une norme qui s’apparente à celle de la décision correcte : Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au para 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au para 43; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au para 54 [Chemin de fer Canadien Pacifique]. L’obligation d’équité procédurale est « éminemment variable », intrinsèquement souple et tributaire du contexte : Vavilov, au para 77. La cour qui apprécie un argument relatif à l’équité procédurale doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée, au para 54.

[6] La question de savoir si la décision de l’agent est raisonnable doit être tranchée en fonction des indications données dans l’arrêt Vavilov. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est un contrôle empreint de déférence, mais aussi rigoureux : Vavilov, aux para 12‐13, 75 et 85. La cour de révision ne se demande donc pas quelle décision elle aurait rendue, ne tente pas de prendre en compte l’éventail des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution correcte au problème : Vavilov, au para 83. Elle est plutôt appelée à se concentrer sur la décision effectivement rendue, afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, aux para 15 et 83. À cet égard, il ne suffit pas que la décision soit justifiable; le décideur doit, au moyen de motifs, justifier sa décision : Vavilov, au para 86. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85.

[7] Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : arrêt Vavilov, au para 100.

III. Contexte

[8] Mme Bagatnan est une citoyenne des Philippines. À son arrivée au Canada en mai 2018, elle était la domestique d’une famille hong‐kongaise. Elle accompagnait alors la famille au pays pour un séjour censé durer une semaine. Mme Bagatnan a affirmé qu’elle avait été soumise à des conditions d’exploitation et qu’elle avait quitté la famille en juillet 2018. Le visa de la demanderesse est expiré depuis juin 2018.

[9] En novembre 2020, Mme Bagatnan a fait une demande de permis de séjour temporaire (PST) à titre de victime de traite de personnes ou de victime de violence familiale. La demande de Mme Bagatnan a été rejetée, et, en décembre 2020, cette dernière a présenté une deuxième demande, qui est en instance et dont notre Cour n’est pas saisie. Par ailleurs, une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision rendue à l’égard de la première demande de PST a été rejetée en mars 2021. Toujours en décembre 2020, Mme Bagatnan a déposé une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Cette demande a aussi été rejetée, et c’est elle qui fait l’objet du contrôle judiciaire en l’espèce.

IV. Analyse

A. L’agent a-t-il manqué à l’obligation d’équité procédurale en n’énonçant pas de préoccupations précises et en ne donnant pas à la demanderesse l’occasion d’y répondre en fournissant des éléments de preuve ou des observations supplémentaires?

[10] Selon Mme Bagatnan, l’agent s’est concentré sur les lacunes dans la preuve et a fait fi de la preuve comme telle. Elle ajoute que, comme l’agent n’avait rien dit de ses préoccupations quant à l’insuffisance des éléments de preuve et à sa crédibilité, elle ignorait ce qu’il lui reprochait et a ainsi été privée du droit de répondre à de telles préoccupations et de faire valoir son point de vue. Mme Bagatnan s’appuie sur la décision Asanova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1173 [Asanova], au para 29 :

[...] l’obligation d’équité procédurale peut imposer qu’un demandeur ait la possibilité de répondre aux préoccupations d’un décideur lorsque ces préoccupations vont au‐delà de la simple question de savoir si la loi ou les exigences connexes sont respectées au regard de la demande [...]Lorsque, par exemple, le demandeur n’est pas au courant de l’existence ou du motif des doutes, l’équité procédurale peut exiger qu’un avis préalable des doutes soit donné avant qu’une décision ne soit prise afin de donner au demandeur l’occasion de dissiper les doutes de l’agent.

[Renvois omis.]

[11] Mme Bagatnan allègue que l’agent a tiré des conclusions importantes qui allaient à l’encontre de la preuve qu’elle avait présentée. À titre d’exemple, l’agent a conclu que la demanderesse et son enfant né au Canada habiteraient à Cabuyao City, aux Philippines, où vivent la mère et le fils aîné de Mme Bagatnan, plutôt qu’à Iloilo, comme cette dernière l’avait indiqué dans sa demande de résidence permanente pour motifs humanitaires. L’agent a aussi fait des suppositions au sujet du soutien dont jouirait la demanderesse aux Philippines. Mme Bagatnan affirme qu’avant d’en venir à ses conclusions, l’agent ne l’a même pas consultée, la privant ainsi de l’occasion de fournir des éléments de preuve ou des observations supplémentaires en réponse. Pour étayer ses arguments, elle se fonde sur l’affidavit qu’elle a déposé à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, et qui contient les éléments de preuve qu’elle aurait fournis à l’agent s’il lui en avait donné l’occasion.

[12] Mme Bagatnan soutient en outre que l’agent a tiré des conclusions négatives en lien avec sa crédibilité et qu’il ne lui a pas donné la possibilité de s’expliquer. Il a également tiré une inférence négative du fait que Mme Bagatnan n’avait pas informé la police qu’elle avait quitté son ancien employeur en raison de conditions d’exploitation. L’agent a aussi tiré une conclusion négative de la contradiction entre, d’une part, l’explication de Mme Bagatnan voulant qu’elle ait laissé à son employeur une note dans laquelle elle prétendait avoir un petit ami à Toronto et annonçait qu’elle partait le rejoindre (elle a expliqué qu’elle avait menti pour pouvoir s’enfuir), et, d’autre part, les déclarations faites par un cousin et un ami rencontré à son église selon lesquelles elle avait bel et bien un petit ami à Toronto. Mme Bagatnan a affirmé qu’elle aurait pu fournir des explications relatives aux déclarations de ces deux personnes si on lui en avait donné la possibilité.

[13] Le défendeur affirme que l’obligation d’agir équitablement n’exige pas d’un agent qu’il informe un demandeur d’une préoccupation soulevée directement par les exigences de la législation : Kim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 526 au para 9 [Kim]; Marsh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 408 aux para 35 à 40 [Marsh]. Le défendeur prétend en outre que l’agent n’a pas fondé sa décision sur ses préoccupations quant à la crédibilité de Mme Bagatnan ni quant à l’exactitude ou à l’authenticité des documents qu’elle avait présentés à l’appui de sa demande de résidence permanente pour motifs humanitaires. L’agent, selon lui, avait plutôt analysé les éléments de preuve dont il disposait et conclu que la demanderesse n’avait pas su démontrer que des motifs d’ordre humanitaire justifiaient de lui accorder une dispense de l’application des exigences de la Loi. Dans les circonstances, l’agent n’était pas tenu de donner à la demanderesse la possibilité de s’expliquer avant qu’il rende sa décision.

[14] Mme Bagatnan réplique que les décisions Kim et Marsh ne s’appliquent pas à elle, car elles portent sur le contrôle judiciaire de décisions rejetant des demandes de permis de travail postdiplôme (PTPD), et que contrairement aux exigences législatives relatives aux demandes fondées sur des motifs humanitaires, celles concernant les PTPD sont claires.

[15] Je conclus que Mme Bagatnan n’a pas démontré qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale.

[16] Eu égard aux circonstances, je suis d’accord avec le défendeur, qui estime que l’agent n’était pas tenu de donner à Mme Bagatnan la possibilité de répondre à ses préoccupations avant qu’il rende sa décision. L’agent n’a pas soulevé de préoccupations en lien avec une nouvelle question ni de préoccupations auxquelles la demanderesse ne pouvait raisonnablement s’attendre. Selon moi, les réserves de l’agent tenaient à l’insuffisance des éléments de preuve soumis par Mme Bagatnan pour justifier qu’une dispense fondée sur l’article 25 de la Loi lui soit accordée, compte tenu de l’intérêt supérieur de son enfant et de son établissement au pays. Le fardeau de justifier une dispense pour motifs d’ordre humanitaire incombe au demandeur; l’agent n’est pas tenu de signaler les lacunes de la demande et de réclamer d’autres observations : Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189 au para 44 [Kisana]. L’agent n’était nullement tenu d’offrir à la demanderesse la possibilité de combler les lacunes que comportait sa demande : Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 983 au para 7.

[17] De plus, dans la décision Asanova, sur laquelle Mme Bagatnan s’appuie, il est précisé qu’un agent peut être obligé de donner au demandeur la possibilité de répondre aux préoccupations lorsque celles-ci vont au‐delà de la simple question de savoir si la loi ou les exigences connexes sont respectées au regard de la demande. Selon moi, Mme Bagatnan n’a pas démontré que la décision de l’agent était fondée sur des préoccupations allant au-delà de la simple question de savoir si la loi ou les exigences connexes relatives à l’octroi d’une mesure spéciale prévue à l’article 25 de la Loi étaient respectées.

[18] L’allégation de Mme Bagatnan voulant qu’elle n’ait pas eu la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent et que ce dernier se soit plutôt contenté de tirer des conclusions et de rendre une décision à partir de celles-ci n’est pas fondée. Dans le cadre du processus décisionnel, on attend des décideurs qu’ils examinent la preuve qui leur a été présentée et qu’ils tirent des conclusions en fonction de cette preuve. En l’espèce, l’agent a tiré des inférences négatives fondées sur l’insuffisance des éléments de preuve de même que sur les contradictions relevées dans la preuve et les observations soumises. Un agent n’est aucunement tenu d’informer un demandeur des contradictions relevées dans les documents présentés ni de lui offrir la possibilité d’expliquer ces contradictions : Begum c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 265 au para 46 (citant Kisana, para 45) et 47.

[19] En résumé, l’agent a fondé sa décision sur la preuve présentée et les observations faites, sans s’aventurer à examiner des questions auxquelles la demanderesse ne pouvait raisonnablement s’attendre. Mme Bagatnan a préparé sa demande fondée sur des motifs humanitaires avec l’aide d’un avocat. Si elle croyait que d’autres éléments de preuve ou explications à leur sujet pouvaient être utiles aux fins de sa demande, elle aurait dû ajouter ces éléments et ces observations à son dossier. L’affirmation de la demanderesse voulant que l’agent ait commis une erreur lorsqu’il a tiré des inférences négatives sans la consulter la relèverait effectivement de sa charge et empêcherait l’agent de rendre une décision définitive.

B. L’agent a-t-il fait une évaluation déraisonnable de l’ISE et de l’établissement de Mme Bagatnan au Canada?

[20] Mme Bagatnan soutient que l’agent n’a pas tenu compte de la preuve concernant l’intérêt supérieur de son fils né au Canada ou qu’il a mal interprété cette preuve, et qu’il n’a pas mené d’analyse complète de l’ISE. Elle affirme que la conclusion de l’agent dans laquelle il a accordé [traduction] « un certain poids favorable » à l’ISE est à la fois inintelligible et contraire aux instructions de la Cour suprême du Canada, à savoir que le décideur devrait considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt : De Oliveira Borges c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 193 au para 6, citant Baker c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1999] 2 RCS 817 à la p 864, 1999 CanLII 699.

[21] Mme Bagatnan affirme que l’agent ne peut simplement récapituler la preuve des difficultés auxquelles l’enfant serait exposé pour ensuite rendre sa décision sans mener une évaluation comparative et complète de l’ISE. Elle renvoie à cet égard à l’arrêt Hawthorne c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2002 CAF 475 au para 4, dans lequel la Cour d’appel fédérale précise qu’on détermine l’ISE en considérant le bénéfice que retirerait l’enfant si son parent n’était pas renvoyé du Canada ainsi que les difficultés que vivrait l’enfant, soit advenant le renvoi de l’un de ses parents du Canada, soit advenant qu’il quitte le Canada volontairement s’il souhaite accompagner son parent à l’étranger. Dans le même ordre d’idées, dans la décision Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 166 au paragraphe 63, la Cour a conclu que « [l]orsqu’il analyse l’intérêt supérieur d’un enfant, l’agent doit d’abord déterminer en quoi consiste l’intérêt supérieur de l’enfant, en deuxième lieu, jusqu’à quel point l’intérêt de l’enfant est compromis par une décision éventuelle par rapport à une autre et, enfin, à la lumière de l’analyse susmentionnée, le poids que ce facteur joue lorsqu’il s’agit de trouver un équilibre entre les facteurs positifs et les facteurs négatifs dont il a été tenu compte lors de l’examen de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. »

[22] Mme Bagatnan soutient que l’agent a récité, telles qu’elles avaient été précisées dans la demande pour motifs humanitaires, les difficultés auxquelles son enfant serait exposé, puis a conclu qu’il était dans l’intérêt supérieur de celui-ci de quitter le Canada avec sa mère, en omettant toutefois d’effectuer l’analyse des différents scénarios possibles qui était requise, de sorte que sa décision était déraisonnable. Elle affirme également que l’agent n’a pas tenu compte d’éléments de preuve comme ceux concernant les inquiétudes pour la santé que suscite le fait de voyager pendant la pandémie de COVID-19, le risque de violence aux Philippines et le fait de vivre à la campagne avec des ressources limitées.

[23] Selon moi, Mme Bagatnan se méprend sur les motifs de l’agent en ce qui a trait à l’analyse de l’ISE. Elle affirme que l’agent n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve, mais ne dit pas lesquels ont été ignorés, plutôt que rejetés. Elle allègue par ailleurs que toute l’analyse de l’ISE tient en un paragraphe de conclusion dans la décision, alors que ce n’est pas le cas. L’agent a tenu compte de l’âge de l’enfant, des inquiétudes pour la santé que suscite la COVID-19, de la possibilité que l’enfant subisse de la violence ou encore qu’il soit forcé de vivre à la campagne en raison de ressources limitées, ainsi que du soutien dont jouirait l’enfant. Mme Bagatnan a aussi affirmé qu’elle ne disposerait pas d’un soutien communautaire adéquat aux Philippines, mais l’agent a constaté l’absence de preuve pour étayer sa prétention. Il a noté que des membres de la famille immédiate de Mme Bagatnan vivaient aux Philippines, et qu’il n’y avait guère de preuve du fait qu’ils ne lui offriraient aucune aide. La mère de la demanderesse a élevé le fils aîné de cette dernière, et Mme Bagatnan a déjà habité avec son fils et sa mère à Cabuyao City, aux Philippines. L’agent a pris en compte l’affirmation de Mme Bagatnan voulant qu’elle habiterait en campagne, à Iloilo, soit à deux ou trois heures du marché et de toute école, et a estimé qu’il était plus probable qu’elle retourne habiter à Cabuyao City avec son fils aîné et sa mère.

[24] J’ajoute que l’agent n’a pas négligé de prendre en considération les différents scénarios possibles pour Mme Bagatnan, à savoir rester au Canada ou retourner aux Philippines. Il a conclu que dans les deux cas, l’enfant resterait avec sa mère, puisque son père canadien n’était pas présent dans la vie de l’enfant. En examinant le scénario selon lequel la demanderesse resterait au Canada, l’agent a constaté que cette dernière était obligée de faire appel à des amis et à des services communautaires, qu’elle avait beaucoup déménagé et qu’elle peinait à subvenir à ses besoins. Il a estimé que, contrairement au fait de retourner vivre avec sa mère aux Philippines, la situation actuelle de la demanderesse au Canada n’était stable ni pour elle ni pour son fils en bas âge. En plus de l’insuffisance de la preuve quant au manque de soutien auquel la demanderesse ferait face aux Philippines, l’agent a estimé que le niveau de soutien de la communauté dont elle jouissait au Canada n’était pas supérieur à celui qu’elle et son tout jeune fils recevraient aux Philippines. L’agent a tenu compte des prétentions de la demanderesse selon lesquelles elle avait l’intention d’entreprendre des démarches juridiques pour obtenir une pension alimentaire pour enfants (tout en soulignant qu’elle n’avait pas encore entrepris de telles démarches), mais il n’était pas convaincu qu’elle ne serait pas en mesure de le faire depuis l’étranger.

[25] À l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire, Mme Bagatnan a déposé un affidavit contenant des éléments de preuve dont l’agent n’avait pas été saisi, notamment une lettre que le fils aîné de la demanderesse avait écrite au sujet de ses conditions de vie aux Philippines. Comme je l’ai mentionné plus haut, le demandeur a le fardeau d’établir qu’une dispense pour des motifs humanitaires est justifiée : Kisana, au para 45. Il incombe à un demandeur de communiquer tout renseignement pertinent, notamment l’information touchant à l’intérêt supérieur de l’enfant : Owusu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CAF 38 aux para 5 et 8. Là encore, si Mme Bagatnan croyait que d’autres éléments de preuve pouvaient être utiles à sa demande, elle aurait dû les joindre à son dossier. Les renseignements qui n’ont pas été portés à la connaissance de l’agent ne peuvent être pris en compte dans l’évaluation du caractère raisonnable de la décision soumise au contrôle judiciaire : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Leasing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19.

[26] Au sujet de son établissement, Mme Bagatnan affirme que l’agent n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve concernant son établissement au Canada et le soutien communautaire dont elle disposerait. Elle affirme que l’agent a omis d’analyser sérieusement les circonstances qui feraient en sorte qu’elle doive repartir de zéro si elle retournait aux Philippines.

[27] À l’instar du défendeur, je suis d’avis que l’agent a bel et bien examiné la preuve et les observations de Mme Bagatnan au sujet de son établissement au Canada. L’agent a reconnu que la demanderesse habitait au Canada depuis plus de deux ans et demi et que son degré d’établissement correspondait à celui auquel on pouvait s’attendre d’une personne dans des circonstances semblables. L’agent a accordé un certain poids à ce facteur.

[28] L’agent a aussi tenu compte des prétentions de Mme Bagatnan selon lesquelles elle devrait repartir de zéro. Il a estimé qu’elle retournerait vraisemblablement vivre avec son fils aîné et sa mère aux Philippines, une situation plus stable que si elle restait au Canada. Mme Bagatnan a en effet habité avec différents amis canadiens avant de trouver à se loger auprès d’organismes communautaires. L’agent a pris en considération les prétentions de la demanderesse quant au fait que ses amis canadiens étaient disposés à lui offrir du soutien pour la garde de son fils, mais il a constaté qu’aucune lettre des amis en question n’étayait les dires de Mme Bagatnan. Enfin, l’agent n’était pas convaincu que cette dernière serait incapable de s’intégrer et de s’établir de nouveau aux Philippines; il a souligné qu’elle avait acquis des compétences transférables et qu’elle retournerait dans le pays où elle est née, a grandi, a fait ses études et a déjà travaillé.

[29] Comme je le soulignais plus haut, l’agent a tenu compte, d’une part, du soutien que des organismes communautaires offraient à la demanderesse, et d’autre part, de la probabilité que cette dernière obtienne, aux Philippines, de l’aide des membres de sa famille immédiate. Il a conclu que le soutien que Mme Bagatnan recevrait au Canada ne surpassait pas le soutien que sa famille lui donnerait aux Philippines. Les conclusions de l’agent découlaient logiquement de son appréciation de la preuve, et il lui était loisible de les tirer compte tenu du dossier dont il disposait.

[30] Pour résumer, la décision de l’agent témoigne d’une évaluation raisonnable de l’ISE ainsi que du degré d’établissement de la demanderesse. L’agent a examiné attentivement les éléments de preuve, et les motifs de sa décision étaient transparents , intelligibles et justifiés.

V. Conclusion

[31] À mon avis, la décision de l’agent est raisonnable. Par conséquent, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

[32] Aucune des parties ne propose de question aux fins de certification, et j’estime que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM -1141-21

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Christine M. Pallotta »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie-Marie Bissonnette, traductrice agréé


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1141-21

 

INTITULÉ :

QUNELYN ALLADA BAGATNAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 AOÛT 2021

 

jugement et MOTIFS :

LA JUGE PALLOTTA

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 5 NOVEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Prabhpreet Kaur Sangha

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Jessica Ko

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lehal Law Corporation

Avocats

Delta (Colombie‐Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‐Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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