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Date : 20040325

Dossier : IMM-4696-03

Référence : 2004 CF 456

Ottawa (Ontario), le 25 mars 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

ENTRE :

                                                       REINALDO ANTONIO PAZ

                                                     DELMI CECILIA REYES PAZ

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                M. Reinaldo Antonio Paz et sa conjointe, Mme Delmi Cecilia Reyes Paz, sont arrivés au Canada en décembre 2001 après avoir quitté leur pays natal, le Salvador, et être passés par les États-Unis. M. Paz allègue qu'il a été persécuté sans relâche par ses anciens employeurs corrompus et qu'il était exposé à une menace à sa vie chez lui. Après qu'il a pris connaissance des activités de corruption de ses employeurs, il a été victime de menaces verbales et de deux tentatives d'assassinat.

[2]                M. Paz a demandé l'asile, mais un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande. La Commission a conclu que son récit des événements n'était pas plausible et qu'il y avait des contradictions dans son témoignage. Elle a également souligné que M. Paz n'avait pas cherché à obtenir la protection de la police.


[3]                M. Paz soutient que la Commission a commis de graves erreurs dans son analyse de sa demande, et il me demande d'ordonner une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué de la Commission. Je conclus que la Commission a commis une erreur justifiant l'intervention de la Cour. J'accueillerai donc la présente demande de contrôle judiciaire.

I. Questions en litige

[4]                Mr. Paz a soulevé deux questions clés :

1.          La conclusion de la Commission selon laquelle la vie de M. Paz n'était pas en danger était-elle étayée par la preuve dont elle disposait?

2.          La conclusion de la Commission selon laquelle M. Paz aurait dû se réclamer de la protection de l'État au Salvador était-elle compatible avec les éléments de preuve dont elle disposait?

II. Analyse

1.          La conclusion de la Commission selon laquelle la vie de M. Paz n'était pas en danger était-elle étayée par la preuve dont elle disposait?

[5]                M. Paz travaillait au Service des douanes. Il a allègué avoir appris l'existence d'un projet de détournement d'une somme d'argent importante représentant les droits de douane destinés au trésor public. Il a affirmé que ses problèmes ont commencé lorsqu'il a fait part de ses préoccupations à ses supérieurs et lorsqu'il a refusé de prendre part à la fraude.


[6]                La Commission a conclu que le récit de M. Paz concernant les nombreuses menaces qu'il a reçues par téléphone et les deux tentatives d'assassinat dont il a été victime n'était pas plausible. Elle a également conclu que son témoignage comportait des contradictions à certains égards.

[7]                M. Paz a dit qu'en septembre 2001 il a été suivi par une camionnette alors qu'il revenait du travail à la maison en motocyclette. Un passager de la camionnette a pointé un pistolet vers lui, mais M. Paz a accéléré et s'est éloigné avant qu'il n'ait pu tirer. M. Paz a également décrit un deuxième incident qui s'est produit un mois plus tard. Les trois passagers d'une voiture ont tiré des coups de feu en sa direction. Encore une fois, il a pu s'échapper en se faufilant dans un trafic dense sur sa motocyclette. Au cours de cette période, M. Paz a reçu de nombreuses menaces par téléphone à son domicile.

[8]                La Commission a conclu qu'il était peu probable :

·            que le premier assaillant n'ait pas fait feu;

·            que le deuxième groupe d'assaillants n'ait pas accidentellement blessé d'autres personnes si le trafic était dense au moment de l'incident;

·            que les attentats à la vie de M. Paz se soient produits dans la rue et non pas à son domicile;

·            que les ennemis de M. Paz n'aient pas réussi à le tuer s'ils voulaient vraiment mettre à exécution leurs menaces.


[9]                Les réserves de la Commission ont été communiquées à M. Paz pendant l'audience. Il a répondu qu'il ne pouvait évidemment pas savoir pourquoi le premier assaillant n'avait pas tiré sur lui. Toutefois, il croyait qu'il n'avait pas eu le temps de le faire. Concernant le deuxième incident, il a dit qu'il ne savait tout simplement pas si d'autres personnes avaient été blessées parce qu'il avait quitté les lieux immédiatement. Pour ce qui est des raisons pour lesquelles ses assaillants ont décidé de l'attaquer dans un endroit public et non pas à son domicile, il a dit qu'il croyait qu'ils ne voulaient pas s'en prendre à lui dans un quartier où il était bien connu. De plus, selon lui, il se pouvait qu'ils aient essayé d'aller le chercher chez lui mais ne l'aient pas trouvé à son domicile. Il évitait de se rendre chez lui pendant cette période. Ayant réussi à sauver sa vie à deux reprises lors des incidents décrits ci-dessus, M. Paz s'est dit que les menaces répétitives et les tentatives d'assassinat manquées étaient peut-être une forme de torture psychologique.

[10]            Je ne vois rien dans le témoignage de M. Paz qui étaye la conclusion de la Commission voulant que son récit des événements ne soit pas du tout plausible.

[11]            Pour ce qui est des contradictions dans le témoignage de M. Paz, la Commission en a mentionné deux. Premièrement, la Commission a constaté que M. Paz a déclaré dans son exposé écrit que son supérieur l'avait congédié en septembre 2001. À l'audience, M. Paz a dit qu'il n'avait pas été congédié mais qu'il avait été affecté à d'autres tâches de moindre importance et qu'on ne lui avait confié aucun travail par la suite. La Commission était préoccupée par le fait que M. Paz n'était pas en mesure d'expliquer cette contradiction. En fait, à l'audience, M. Paz a dit que son supérieur immédiat qui lui avait dit qu'il était congédié n'avait pas en fait le pouvoir de le congédier. Il a donc été affecté à d'autres tâches. Après que M. Paz a donné cette explication à l'audience, la Commission a dit : [traduction] _ Quoi qu'il en soit, c'est clarifié. _


[12]            La deuxième contradiction mentionnée par la Commission avait trait à la description de M. Paz de ses activités après la deuxième tentative d'assassinat. Dans son exposé écrit, M. Paz a affirmé qu'après l'incident, il s'est caché dans les maisons de ses amis et parents. À l'audience, selon la Commission, il a dit qu'il demeurait parfois chez lui, parfois chez sa mère ou chez sa belle-mère. En fait, M. Paz a témoigné à l'audience que sa femme et lui avaient complètement abandonné leur maison après la deuxième fusillade. Son témoignage au sujet de ses séjours sporadiques à la maison avait trait à la période entre les deux incidents.

[13]            Là encore, je ne vois rien dans la preuve qui justifie le rejet en bloc du témoignage de M. Paz par la Commission.

2.          La conclusion de la Commission selon laquelle M. Paz aurait dû se réclamer de la protection de l'État au Salvador était-elle compatible avec les éléments de preuve dont elle disposait?

[14]            La Commission a mentionné la preuve documentaire selon laquelle le gouvernement du Salvador a pris des mesures importantes pour combattre la corruption. Elle a parlé d'un incident particulier lors duquel la police a arrêté des personnes qui avaient pris part à une affaire de corruption presque identique à celle que M. Paz a décrite. La Commission a conclu que cette preuve _ dément[ait] _ le témoignage de M. Paz selon lequel la police était impuissante dans ce genre d'affaires. La Commission était d'avis que M. Paz n'avait _ rien à perdre _ en se plaignant auprès de la police, même s'il croyait ne pas pouvoir obtenir sa protection.

[15]            Toutefois, dans son témoignage, M. Paz a fait plus qu'affirmer que la police était impuissante. En fait, il a dit qu'il craignait ce qui allait lui arriver s'il se plaignait auprès de la police. Il travaillait dans un ministère, et il a dit qu'il était au courant d'activités criminelles de hauts fonctionnaires du gouvernement. Il croyait que la police allait protéger ces personnes et qu'elle allait en fait les aider à se venger de lui. Il a dit que déposer une plainte auprès de la police équivalait à [traduction] _ me rendre à mes assassins _.

[16]            Une personne qui ne veut pas se réclamer de la protection de l'État du fait de la crainte qu'elle éprouve peut néanmoins tomber sous le coup de la définition de _ réfugié _ (Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27). C'est une telle situation que M. Paz a décrite. Il a dit que se plaindre auprès de la police pouvait nuire à sa situation. Selon la preuve documentaire dont disposait la Commission, les agents de police du Salvador commettent parfois des crimes graves, comme la fraude et la corruption. De plus, M. Paz a décrit un incident précis lors duquel une personne riche et puissante avait bénéficié d'un traitement clément de la part de la police, alors que les gens ordinaires, comme lui, avaient été traités durement.

[17]            À mon avis, la Commission devait à tout le moins se pencher sur la question de la prétendue crainte de la police éprouvée par M. Paz. Son omission de le faire rend son analyse de la question de la protection de l'État incomplète.

III. Conclusion

[18]            Compte tenu de la manière dont la Commission a analysé la preuve dont elle disposait et de la façon dont elle a abordé la question de la protection de l'État, j'accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire. Les parties n'ont proposé aucune question de portée générale aux fins de certification, et aucune question n'est énoncée.


                                                                   JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.          La tenue d'une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué de la Commission est ordonnée;

3.          Aucune question d'importance générale n'est énoncée.

                                                                                                                          _ James W. O'Reilly _             

                                                                                                                                                     Juge                           

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


                                                                        Annexe


Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

Définition de « réfugié »

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention - le réfugié - la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

Immigration and Refugee Protection Act, S.C. 2001, c. 27

Convention refugee

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries;



                                                            COURT FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DE DOSSIER :                     IMM-4696-03

INTITULÉ :                                              REINALDO ANTONIO PAZ, DELMI CECILIA REYES PAZ

c.

LE MINSITRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                       OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 4 FÉVRIER 2004

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS :                             LE 25 MARS 2004

COMPARUTIONS:

Russell Kaplan                                            POUR LES DEMANDEURS

Elizabeth Kikuchi                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Russell Kaplan                                            POUR LES DEMANDEURS

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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