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Date : 20211109


Dossiers : IMM-6122-20

IMM-6123-20

Référence : 2021 CF 1207

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 novembre 2021

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

HUISHANG JI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’examen des risques avant renvoi [ERAR] au titre de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. L’agent a rejeté la demande d’ERAR présentée par la demanderesse. Il n’était pas convaincu que celle-ci serait exposée à un risque de persécution, au risque d’être soumise à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités après son renvoi du Canada. L’agent a également rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée depuis le Canada par la demanderesse.

[2] La demanderesse a déposé deux demandes de contrôle judiciaire. La première conteste la décision de l’agent de rejeter sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La seconde conteste la conclusion de l’agent selon laquelle la demanderesse ne serait pas exposée à un risque de persécution si elle était renvoyée dans son pays natal. Ces affaires ont été instruites ensemble, conformément aux ordonnances de la juge Fuhrer faisant droit aux demandes d’autorisation. Je rédigerai une seule décision pour les deux demandes.

II. Le contexte

[3] La demanderesse est une citoyenne chinoise âgée de 58 ans qui est arrivée au Canada en juin 2004 après avoir retenu les services d’un passeur. À l’époque, la demanderesse était mariée et avait un enfant en Chine. Elle a présenté une demande d’asile en août 2004 motivée par son statut de disciple du Falun Gong. La Section de la protection des réfugiés a rejeté sa demande en mars 2005. La demanderesse a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à la Cour fédérale, qui a été rejetée en juin 2005.

[4] La demanderesse soutient qu’elle a rencontré son deuxième époux vers le mois d’avril 2006. Le couple a commencé à faire vie commune en décembre 2006. La dissolution du premier mariage de la demanderesse a été prononcée en mars 2007 et celle-ci a épousé son deuxième époux plus tard le même mois. Par la suite, ce dernier a parrainé la demande de résidence permanente de la demanderesse, qui visait également son fils à titre de personne à charge. La demanderesse et son fils ont obtenu le statut de résident permanent en novembre 2008 et en février 2009 respectivement.

[5] Peu après, la demanderesse affirme que son mariage a viré au [traduction] « cauchemar ». Elle soutient qu’elle a été victime de violence sexuelle et physique de la part de son époux. Ultimement, ce dernier a déclaré que leur mariage en était un de complaisance et que la demanderesse lui avait offert 35 000 $ pour l’épouser.

[6] La Section d’immigration [la SI] a procédé à une enquête dans le cadre de cette affaire, qui s’est achevée en janvier 2012. La SI a refusé de conclure que le mariage de la demanderesse était frauduleux, mais a statué qu’elle était interdite de territoire pour fausses déclarations en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. La SI a jugé que la demanderesse n’était pas un témoin crédible et qu’elle n’était pas en mesure d’expliquer certains aspects de ses affaires financières. Elle a statué que la demanderesse et son époux avaient dissimulé certains faits aux autorités responsables d’étudier la demande de résidence permanente et qu’ils s’étaient donc rendus coupables de fausses déclarations. Par exemple, les époux n’ont pas dévoilé aux autorités le nom public de l’entreprise de massage de la demanderesse ni le fait que cette entreprise offrait des services de nature érotique. La SI a prononcé une mesure d’exclusion visant la demanderesse.

[7] La demanderesse a interjeté appel de la mesure d’exclusion à la Section d’appel de l’immigration [la SAI]. En septembre 2014, la SAI a confirmé la mesure d’exclusion et a conclu que la demanderesse n’était pas le « moindrement crédible ». La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la demanderesse a été rejetée par la Cour fédérale en janvier 2015.

[8] La demanderesse a déposé sa demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en décembre 2017. Elle a aussi soumis sa demande d’ERAR en janvier 2018. Les deux demandes ont été rejetées.

[9] L’agent a rejeté la demande d’ERAR après avoir conclu que la demanderesse ne serait pas exposée à un risque de persécution, au risque d’être soumise à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités si elle était renvoyée en Chine.

[10] L’agent a également rejeté la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et a conclu que les considérations d’ordre humanitaire exposées par la demanderesse ne permettaient pas de justifier l’octroi d’une dispense de l’obligation de demander la résidence permanente du Canada depuis l’étranger, énoncée à l’article 11 de la LIPR. L’agent a évalué l’admissibilité de la demanderesse au regard des facteurs que sont l’établissement au Canada, les conditions défavorables dans le pays et l’intérêt supérieur de l’enfant.

III. La question en litige

[11] En l’espèce, la question en litige est de savoir si la décision de l’agent était raisonnable.

IV. La norme de contrôle

[12] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. La Cour suprême du Canada a énoncé ce qui suit au paragraphe 23 de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] : « Lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond [...] [l’]analyse a [...] comme point de départ une présomption selon laquelle le législateur a voulu que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable. » Il s’agit de la présomption générale et je ne suis pas convaincue qu’elle est réfutée en l’espèce, compte tenu des faits.

V. Analyse

(1) La décision relative à l’ERAR

(i) Pratiquer le christianisme au sein d’une église chrétienne enregistrée

[13] La demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur en donnant un sens trop limité à la notion de persécution dans le cadre de son analyse de la demande d’ERAR. Elle prétend que les églises chrétiennes enregistrées auprès de l’État en Chine et celles aspirant à ce statut doivent contenter les autorités en déformant la doctrine chrétienne et les pratiques du christianisme, et en s’en écartant. Ainsi, parce que les églises enregistrées et leurs membres sont mieux traités par l’État que les Églises non enregistrées, les fidèles doivent accepter ces compromis pour assurer leur sécurité personnelle. Selon les observations de la demanderesse, cette situation équivaut à de la persécution.

[14] La demanderesse avance également que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte des éléments de preuve qui traitaient des différentes formes de persécution religieuse. À son avis, les commentaires de l’agent sur la [traduction] « sinisation » grandissante des pratiques religieuses en Chine depuis 2018 ne reflètent pas l’étendue et la gravité du problème.

[15] En outre, la demanderesse fait valoir que l’agent n’a pas fait mention de ces mesures dans son analyse subséquente de la persécution religieuse. Il a tenu pour acquis que la demanderesse ira grossir les rangs d’une église approuvée par l’État à son retour en Chine, et ce, malgré ce qui suit :

  1. la demanderesse ne pratique pas actuellement le type de christianisme sanctionné par l’État chinois (à savoir le genre qui donne préséance à l’État plutôt qu’à Dieu);

  2. elle ne devrait pas avoir à démontrer qu’elle n’adhérera pas à cette version du christianisme;

  3. les chances qu’elle adhère au type de christianisme sanctionné par le Parti communiste chinois [le PCC] sont minces parce que le PCC avait persécuté le père de son premier époux en raison de sa foi chrétienne.

[16] La demanderesse soutient que les églises enregistrées auprès de l’État en Chine se détachent du christianisme afin de complaire au PCC. Je fais remarquer que l’agent a pris acte de cette réalité lorsqu’il a noté que [traduction] « les mesures prises par l’État en 2018 visent à assimiler l’identité religieuse dans “la remarquable culture traditionnelle chinoise” et à promouvoir le patriotisme au sein de ces religions ». De surcroît, l’agent a également traité d’autres éléments de preuve documentaire qui montraient que les chrétiens chinois ont la liberté de pratiquer leur religion, d’étudier leurs textes religieux, d’accomplir leurs rites traditionnels comme le baptême et la communion et d’honorer leurs jours saints comme Noël et Pâques. La preuve retenue par l’agent établit que la réglementation des églises enregistrées en Chine n’équivaut généralement pas à de la persécution. En outre, tel que l’a noté l’agent, il existe des millions de chrétiens pratiquants en Chine. La demanderesse soutient que les commentaires de l’agent relatifs aux mesures de 2018 [traduction] « ne sont pas du tout représentatifs de l’étendue et de la gravité réelles de la question ». Or, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve examinée par l’agent (Vavilov). Ainsi, la décision de l’agent appartient aux issues raisonnables.

[17] Je conclus d’une façon similaire que l’agent n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a jugé que la demanderesse n’allait pas, à cause de sa religion, attirer l’attention des autorités chinoises à son détriment lors de son retour au pays. La demanderesse avance que [traduction] « le fait qu’[elle] n’était pas chrétienne au moment où elle a quitté la Chine ne devrait pas influer sur la question de savoir si elle serait en sécurité au moment de son retour ». L’agent n’a pas dit que la demanderesse serait en sécurité en Chine parce qu’elle n’était pas chrétienne au moment de son départ, seulement que la demanderesse était peu susceptible d’attirer l’attention des autorités à son retour en Chine parce qu’elle n’était pas chrétienne à son départ. La demanderesse n’a pas produit d’éléments de preuve selon lesquels ses croyances religieuses personnelles allaient attirer l’attention des autorités de l’État. Il s’agit d’une évaluation du risque prospectif qui est clairement fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). De ce fait, la norme de la décision raisonnable impose à la cour de révision l’obligation de faire preuve de retenue à l’égard de la décision. Par conséquent, je conclus que la décision est raisonnable.

(2) La décision relative aux motifs d’ordre humanitaire

(i) La violence conjugale

[18] La demanderesse affirme que les lignes directrices d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada recommandent plus particulièrement aux agents de tenir compte de la violence conjugale dans les considérations d’ordre humanitaire. De plus, la demanderesse a fait valoir que la Cour a déjà statué que le fait de ne pas tenir compte de la violence conjugale lorsqu’elle constitue un facteur pertinent est une erreur susceptible de contrôle. Vu la preuve abondante qu’elle a produite au regard de la violence subie aux mains de son époux, la demanderesse plaide que la mise à l’écart de cette preuve par l’agent et son défaut de l’analyser s’assimilent à de l’aveuglement volontaire. Puisque l’époux de la demanderesse a déclaré qu’il cherchait à se servir du système d’immigration pour faire du tort et [traduction] « détruire » son épouse, les agents du système devraient être particulièrement soucieux en l’espèce de ne pas en faire un instrument contribuant à la violence conjugale.

[19] Je conclus que l’agent n’a pas déraisonnablement fait abstraction de la violence conjugale vécue par la demanderesse. Comme celle-ci l’explique, les lignes directrices relatives aux motifs d’ordre humanitaire recommandent aux agents « d’être sensible[s] aux situations où l’époux (ou un autre membre de la famille) d’un citoyen canadien ou d’un résident permanent quitte une situation de violence et, par conséquent, ne bénéficie pas d’une demande de parrainage approuvée ». Or, ce principe ne s’applique pas en l’espèce. La demanderesse n’a pas perdu son statut de résident permanent parce qu’elle a quitté une situation de violence, mais plutôt, comme le souligne le défendeur, parce qu’elle a fait de fausses déclarations.

[20] La jurisprudence invoquée par la demanderesse peut être distinguée sur les faits. Dans la décision Jogia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 596, la preuve avait permis d’établir que la demanderesse (qui n’était pas une résidente permanente) était demeurée avec son époux violent parce qu’un consultant en immigration, un ami de ce dernier, lui avait dit qu’elle serait renvoyée du pays si elle quittait son époux. La Cour a expliqué que le défaut de l’agent de tenir compte de la violence conjugale en l’occurrence faisait en sorte que « la décision ne reconnaît pas le rôle que le processus d’immigration a joué dans la violence, bien que ce ne soit pas intentionnel [...] ». De la même manière, dans la décision Febrillet Lorenzo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 925, la Cour a conclu que le rejet de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire par l’agent était déraisonnable parce que « ces motifs ne mentionnaient aucunement que la situation de la demanderesse, qui s’était sortie d’une relation marquée par la violence et avait ainsi renoncé à toute possibilité d’être parrainée par son mari, méritait une approche empathique » [non souligné dans l’original]. L’affaire Dayal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1188, se distingue de l’espèce parce que sa trame factuelle est totalement différente et traite d’une demanderesse qui cherchait à parrainer les membres de sa famille en dépit du fait qu’elle ne respectait pas les exigences liées au revenu vital minimum après s’être séparée de son conjoint violent.

[21] En l’espèce, les observations de la demanderesse sur les motifs d’ordre humanitaire n’exposaient aucune crainte d’être expulsée ou autrement punie par le système d’immigration si elle se séparait de son conjoint. En fait, ces observations révèlent qu’elle avait [traduction] « peu de chances » d’avoir eu ce souci lorsqu’elle tentait de se réconcilier avec son époux puisqu’elle avait déjà obtenu son statut de résident permanent. Les fausses déclarations de la demanderesse concernant ses finances et son travail auraient entraîné la perte de son statut si elles avaient été révélées autrement que par les déclarations de son époux. Ces fausses déclarations étaient les siennes et la façon dont elles ont été mises au jour importe peu puisqu’il s’agissait de ses mensonges, que les fausses déclarations ont été remises en cause devant la SAI et qu’elles ne peuvent plus être contestées dans la présente demande. Cette question a déjà été tranchée dans une autre demande, donc la conclusion de fausses déclarations ne peut plus être attaquée dans la présente demande. Par conséquent, je conclus que l’agent pouvait raisonnablement évoquer seulement brièvement les épisodes de violence conjugale vécus par la demanderesse.

(ii) Le raisonnement inadmissible

[22] La demanderesse avance que le raisonnement du décideur est fondé sur des stéréotypes, des préjugés et des idées discriminatoires et que l’agent a commis une erreur en reprenant en grande partie la teneur de la décision finale prise par la SI dans la décision relative aux motifs d’ordre humanitaire. La demanderesse indique que l’agent a attaqué sa moralité parce qu’elle aurait peut-être travaillé dans l’industrie du sexe dans le passé, et ce, alors que ni la SI ni la SAI n’ont tiré de conclusion explicite sur sa moralité.

[23] Lors de l’audience, la SI a expliqué qu’elle fouillait dans les antécédents professionnels de la demanderesse parce que, [traduction] « si quelqu’un est prêt à se livrer à des activités sexuelles pour de l’argent, il peut être légitime de tirer l’inférence, ou du moins pour le Ministre de plaider, que cette personne serait prête à entretenir une relation sexuelle à long terme avec quelqu’un pour obtenir la résidence permanente ».

[24] Si elle influait sur le raisonnement de la décision, la déclaration de l’agent constituerait une approche discriminatoire inadmissible fondée sur des stéréotypes et des préjugés à propos des travailleurs du sexe. Il s’agit du type de déclaration que la société cherche à reléguer aux oubliettes et cette déclaration ne devrait aucunement être interprétée comme étant raisonnable ou représentative de l’état du droit. Le fait qu’une personne soit une travailleuse du sexe ne permet pas de conclure qu’elle serait plus à même d’entretenir une relation pour obtenir le statut de résident permanent, et le fait de s’appuyer sur ce genre de commentaire ou de raisonnement serait déraisonnable. Or, la décision de l’agent n’était pas fondée sur ce commentaire inadmissible. Malgré son commentaire, l’agent s’en est plutôt remis pour l’essentiel aux conclusions de la SI et de la SAI qui contredisaient les lettres rédigées par les connaissances de la demanderesse et dont la teneur en faisait une personne honnête, respectable et professionnelle. L’agent s’est fondé sur les conclusions des décideurs selon lesquelles la demanderesse était « évasive » et « pas le moindrement crédible », ce qui, sans constituer des conclusions explicites quant à la moralité de la demanderesse, démontrait qu’elle possédait certains traits défavorables qui contredisaient la teneur des lettres déposées. L’agent a pondéré les lettres à titre de preuve en tenant compte des conclusions tirées par les juridictions inférieures et a raisonnablement conclu qu’il ne fallait leur accorder que peu de poids. Si l’agent avait suivi un raisonnement fondé sur les stéréotypes et les préjugés, sa démarche aurait été déraisonnable et inacceptable, mais, outre cette déclaration isolée, ce n’est pas le cas en l’espèce. Il n’appartient pas à la Cour lors d’un contrôle judiciaire d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur (Vavilov, au para 125), et je conclus que la décision de l’agent était fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et était justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles (Vavilov, au para 87). De la sorte, je conclus que la décision était raisonnable.

(iii) L’établissement au Canada

[25] La demanderesse soutient que la jurisprudence interdit aux agents d’utiliser l’établissement au Canada comme motif pour écarter la conclusion voulant qu’un demandeur éprouverait des difficultés advenant son retour dans son pays natal. De plus, la demanderesse fait valoir que l’agent a mis l’accent sur une divergence apparente entre ses économies et ses revenus en 2008 plutôt que de s’en remettre à ses documents fiscaux qui illustraient des années de solide gestion financière. Elle avance que l’agent a fait preuve d’un zèle excessif en focalisant sur l’écart de 2008.

[26] Je ne suis pas d’accord avec la demanderesse pour dire que le raisonnement de l’agent concernant son établissement au Canada était erroné. La demanderesse a invoqué la décision Sebbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 813 [Sebbe], pour affirmer que l’établissement des demandeurs au Canada devrait peser en leur faveur et ne devrait pas être utilisé comme une excuse pour refuser de leur octroyer la dispense. Par contre, en l’espèce, la déclaration de l’agent selon laquelle la demanderesse sera en mesure de s’acclimater de nouveau à la vie dans son pays natal vu sa situation financière relativement favorable a été faite directement en réponse aux observations de la demanderesse selon lesquelles elle risque probablement d’être au chômage et d’éprouver des difficultés financières après son retour en Chine. La Cour a jugé qu’une réponse directe de ce type ne revient pas à utiliser l’établissement de la demanderesse au Canada contre elle (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1350 au para 11 [Singh]).

[27] En outre, bien que la décision Lauture c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 336 [Lauture], reprend le même principe que la décision Sebbe, la trame factuelle dans ce dossier est unique. Les demandeurs avaient atteint un degré d’établissement au Canada qualifié de « remarquable » par l’agent, qui avait pourtant rejeté le facteur d’établissement sous prétexte que les demandeurs pouvaient atteindre le même niveau d’établissement dans leur pays natal. La Cour a refusé de suivre cette décision dans les cas où le degré d’établissement d’un demandeur n’est pas « remarquable » et où les agents n’ont pas rejeté ce facteur (Ramesh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 778 au para 38; voir aussi Singh, au para 12).

[28] En l’espèce, l’agent n’a pas rejeté le facteur d’établissement; il a plutôt choisi de lui accorder peu de poids. De plus, le degré d’établissement de la demanderesse au Canada n’a pas un caractère remarquable dans la même veine que dans l’affaire Lauture. L’agent a reconnu que la demanderesse est propriétaire d’une maison, possède un véhicule et dispose de biens et d’économies. Il a aussi noté que le fils de la demanderesse est au Canada et que la demanderesse jouit d’un certain appui de sa communauté. Cependant, la demanderesse a passé la plus grande partie de sa vie en Chine (y compris sa jeunesse). Elle y a reçu son instruction, s’y est mariée et y a donné naissance à son fils. Sa mère et sa fratrie vivent en Chine et elle est retournée dans ce pays depuis son arrivée au Canada. Au regard de ces facteurs, l’agent pouvait raisonnablement accorder peu de poids à l’établissement de la demanderesse au Canada.

[29] Je ne suis pas d’accord avec la demanderesse pour dire que l’évaluation faite par l’agent de ses finances est microscopique ou non pertinente. L’agent pouvait raisonnablement prendre acte d’une préoccupation non résolue soulevée par la SI au sujet des finances de la demanderesse. Il a crédité cette dernière de lui avoir fourni jusqu’à huit ans de documents fiscaux comme preuve de sa gestion financière. Il a aussi noté qu’elle paie avec soin ses paiements hypothécaires mensuels. L’agent n’a pas fait preuve d’un zèle excessif en analysant la situation financière de la demanderesse.

[30] En somme, je conclus que les deux décisions ne sont pas parfaites, mais qu’elles sont raisonnables et se trouvent dans l’éventail des décisions raisonnables.

[31] Les parties n’ont pas présenté de question aux fins de certification.

[32] Je rejette les deux demandes de contrôle judiciaire.


JUGEMENT DANS LES DOSSIERS IMM-6122-20 ET IMM-6123-20

LA COUR STATUE :

  1. Les demandes de contrôle judiciaires sont rejetées.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS


DOSSIERS :

IMM-6122-20 ET IMM-6123-20

 

INTITULÉ :

HUISHANG JI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 octobRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 NOVEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Richard Ann

POUR LA DEMANDERESSE

Leanne Briscoe

POUR LE DEMANDEUR

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS :

Dov Maierovitz

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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