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Date : 20211109


Dossier : T‐1052‐20

Référence : 2021 CF 1217

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 novembre 2021

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

TYLER NIELSEN

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Tyler Nielsen, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 28 juillet 2020 par laquelle la Section d’appel de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (la Commission) a confirmé la décision de la Commission de refuser de lui accorder la semi‐liberté.

[2] Le demandeur demande à la Cour d’annuler la décision contestée et d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience devant la Commission ou, subsidiairement, de renvoyer la décision contestée à la Section d’appel pour qu’elle rende une nouvelle décision, conformément aux directives de la Cour.

[3] Le demandeur sollicite également un jugement déclaratoire portant qu’il y a eu violation des droits qui lui sont garantis par l’article 7 de la Charte en raison d’un manquement à l’équité procédurale, car les victimes ont été autorisées à fournir des renseignements non pertinents, préjudiciables et incendiaires durant leur témoignage devant la Commission et la Commission n’a par la suite pas écarté ces renseignements.

[4] Le défendeur cherche à faire rejeter la demande de contrôle judiciaire, sans dépens.

[5] Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.

II. Les faits pertinents

[6] Le demandeur purge actuellement une peine de cinq ans d’emprisonnement pour négligence criminelle causant la mort. Le 12 novembre 2017, alors qu’il était sous l’influence du lorazépam, du témazépam, de la marijuana et de l’alcool, le demandeur a emprunté la voiture de son beau‐père sans sa permission pour faire une balade. À ce moment‐là, il était en probation et devait respecter les conditions suivantes : il ne devait pas conduire un véhicule à moteur; il ne devait pas avoir en sa possession des médicaments non prescrits; et il devait avoir une bonne conduite.

[7] Peu après 6 h ce jour‐là, le demandeur roulait à contresens sur une route en direction nord, à une vitesse qui, selon les constatations faites par la suite, se situait entre 200 et 227 km/h. En montant une pente, le demandeur est entré en collision avec le véhicule d’une personne qui se rendait au travail. Un témoin a dit que l’impact, qui a laissé des débris des deux véhicules sur toute la chaussée, était [traduction] « dévastateur ». La personne qui se rendait au travail est décédée sur les lieux de l’accident. Le demandeur a quant à lui subi des blessures graves et a été transporté dans un hôpital de Toronto où il a été traité aux soins intensifs.

[8] Les tests effectués ont révélé que l’alcoolémie du demandeur se situait entre 45 mg et 99 mg d’alcool par 100 ml de sang. Compte tenu de sa consommation de médicaments et de drogue, de la vitesse à laquelle il roulait et du fait qu’il circulait en sens inverse sur la route, le juge du procès a déclaré le demandeur coupable de négligence criminelle causant la mort.

[9] Le 19 mai 2019, le demandeur s’est vu imposer une peine d’emprisonnement de cinq ans et une interdiction de conduire pendant huit ans après sa peine. Il a également dû fournir un échantillon d’ADN en vue de son enregistrement dans la banque nationale de données.

[10] Le 19 mai 2020, le demandeur est devenu admissible à la semi‐liberté et en a fait la demande afin de pouvoir suivre un programme intensif de désintoxication.

[11] La Commission a rejeté sa demande de semi‐liberté le 22 mai 2020.

III. La décision contestée

[12] La Section d’appel a examiné le dossier du demandeur, a écouté l’enregistrement audio de l’audience de la Commission et a passé en revue les observations du demandeur. Le dossier original contient un certain nombre de déclarations des victimes qui ont été présentées à la Commission. Ces déclarations sont en litige et seront analysées plus en détail ultérieurement.

[13] La Section d’appel a jugé que le demandeur n’avait invoqué aucun motif lui permettant de modifier la décision de la Commission de refuser de lui accorder la semi‐liberté.

[14] La Section d’appel a conclu que la Commission avait procédé à une évaluation du risque adéquate et équitable et qu’elle avait tiré des conclusions raisonnables en ce qui a trait au risque que poserait le demandeur si sa demande de semi‐liberté était accueillie.

[15] La Section d’appel a expliqué que le demandeur n’avait pas fait assez de progrès pour corriger les problèmes ayant contribué à la perpétration de son infraction, tels que sa toxicomanie, ses fréquentations et ses attitudes. Elle a établi qu’il était raisonnable pour la Commission de conclure que le demandeur devait encore éliminer ces facteurs de risque en suivant un programme en établissement et non un programme intensif dans la collectivité.

[16] La Section d’appel a également conclu que la Commission n’était pas saisie de la question de la COVID‐19, qui avait été soulevée pour la première fois par le demandeur dans le cadre de son appel, et que la Commission ne pouvait donc pas prendre en compte la pandémie de COVID‐19 durant son évaluation du risque.

IV. La question préliminaire : COVID‐19 et réparation demandée

[17] Dans le cadre de la présente demande, le demandeur sollicite un jugement déclaratoire portant qu’il y a eu violation des droits qui lui sont garantis par l’article 7 de la Charte.

[18] Le défendeur avance que la Cour ne devrait pas entendre les allégations de violation des droits conférés par l’article 7 de la Charte du demandeur, car il n’a présenté aucune analyse ni aucun détail pour étayer ses allégations et il n’a pas soulevé la question de la COVID‐19 durant son audience de libération conditionnelle.

[19] Je suis du même avis. Le fait que le demandeur n’a présenté aucun détail et le fait qu’il n’a pas soulevé la question de la COVID‐19 portent chacun un coup fatal à son argument selon lequel les droits qui lui sont garantis par l’article 7 de la Charte ont été violés.

[20] Le demandeur s’appuie sur la décision Latham c Canada, 2020 CF 670 (Latham) pour faire valoir que les décideurs doivent respecter l’article 7 de la Charte. Il soutient également que, dans le contexte de la COVID‐19, la Commission doit exercer son pouvoir discrétionnaire conformément à la Charte.

[21] La décision Latham n’est d’aucun secours au demandeur, car elle appuie plutôt le rejet de ses allégations de violation de la Charte. Cependant, les faits de l’affaire Latham sont similaires à tous les faits qui sont importants pour étayer les allégations de violation de la Charte du demandeur. Dans l’affaire Latham, le détenu craignait lui aussi de contracter la COVID‐19, mais il ne l’a pas attrapée. Le détenu n’a déposé aucun élément de preuve pour démontrer que le Service correctionnel du Canada (le SCC) ou une autre personne de l’établissement où il était incarcéré avait violé les droits que lui confère la Charte. Le demandeur en l’espèce n’a pas non plus présenté d’éléments de preuve à cet effet.

[22] Dans l’affaire Latham, le juge Pamel a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il y avait eu atteinte aux droits garantis par la Charte, car le simple fait qu’il était détenu dans un établissement correctionnel pendant la pandémie de COVID‐19, et qu’il serait vulnérable à l’exposition à la COVID‐19, ne saurait à lui seul constituer un manquement à la Charte. Le juge Pamel a déclaré que le détenu n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve concernant les mesures de santé et de sécurité de l’établissement, les initiatives administratives, ses conditions de logement, ses dossiers médicaux et ses antécédents de comportement pour étayer son argument selon lequel il risquait de contracter la COVID‐19.

[23] Le demandeur a cité l’arrêt R v Morgan, 2020 ONCA 279 (Morgan) pour illustrer le principe selon lequel il est généralement approprié de tenir compte de la COVID‐19 dans le processus décisionnel concernant la libération conditionnelle. Dans l’affaire Morgan, le demandeur a explicitement dit à la Cour que la pandémie de COVID‐19 devrait être prise en compte pour lui accorder une réduction de peine. En l’espèce, il est clair que le demandeur n’a pas soulevé la question de la COVID‐19 durant son audience devant la Commission, mais cette dernière en a bel et bien tenu compte puisqu’elle lui a demandé s’il avait des problèmes de santé susceptibles de mettre sa vie en danger s’il contractait la COVID‐19, et il lui a répondu par la négative.

[24] Dans la présente demande, le demandeur n’a pas non plus fourni d’éléments de preuve pour préciser les allégations générales formulées dans son mémoire des faits et du droit. Il n’a pas non plus analysé la façon dont la décision de la Commission et la décision de la Section d’appel portaient atteinte à ses droits garantis par la Charte. Par conséquent, la Cour ne peut s’appuyer sur aucun élément de fond en ce qui concerne les allégations de violation de la Charte du demandeur, et j’estime que rien n’étaye ces allégations.

V. Aperçu du droit applicable

[25] La Cour d’appel fédérale (la CAF) a confirmé, comme le prévoit la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [la Loi], que « [l]es critères que la Commission doit suivre aux fins d’autoriser une libération conditionnelle sont ceux énoncés à l’article 102 de la Loi, soit (a) qu’une récidive du délinquant avant l’expiration légale de la peine qu’il purge ne présentera pas un risque inacceptable pour la société, et (b) que sa libération conditionnelle contribuera à la protection de la société en favorisant la réinsertion sociale du délinquant en tant que citoyen respectueux des lois » : Ouellette c Canada (Procureur général), 2013 CAF 54 (Ouellette) au para 27.

[26] L’objet de la mise en liberté sous condition est énoncé à l’article 100 de la Loi. La mise en liberté sous condition vise à « contribuer au maintien d’une société juste, paisible et sûre en favorisant, par la prise de décisions appropriées quant au moment et aux conditions de leur mise en liberté, la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en tant que citoyens respectueux des lois ».

[27] Nonobstant la disposition précitée, l’article 100.1 de la Loi prévoit que « [d]ans tous les cas, la protection de la société est le critère prépondérant appliqué par la Commission [...] ».

[28] Un certain nombre de principes qui guident la Commission dans l’exécution de son mandat de mise en liberté sous condition sont établis à l’article 101 de la Loi.

[29] Selon ces principes, qui sont les plus pertinents en l’espèce, la Commission doit :

  • tenir compte de toute l’information pertinente dont elle dispose, notamment les motifs et les recommandations du juge qui a infligé la peine, la nature et la gravité de l’infraction, le degré de responsabilité du délinquant, les renseignements obtenus au cours du procès ou de la détermination de la peine et ceux qui ont été obtenus des victimes, des délinquants ou d’autres éléments du système de justice pénale, y compris les évaluations fournies par les autorités correctionnelles : art 101a);

  • accroître son efficacité et sa transparence par l’échange, au moment opportun, de renseignements utiles avec les victimes, les délinquants et les autres éléments du système de justice pénale : art 101b);

  • prendre les décisions qui, compte tenu de la protection de la société, sont les moins privatives de liberté : art 101c);

  • de manière à assurer l’équité et la clarté du processus, donner aux délinquants les motifs des décisions, ainsi que tous autres renseignements pertinents, et la possibilité de les faire réviser : art 101e).

[30] Aux termes de l’article 102 de la Loi, la Commission peut autoriser la libération conditionnelle si elle est d’avis :

  • a) qu’une récidive du délinquant avant l’expiration légale de la peine qu’il purge ne présentera pas un risque inacceptable pour la société;

  • b) que cette libération contribuera à la protection de la société en favorisant la réinsertion sociale du délinquant en tant que citoyen respectueux des lois.

[31] Selon l’alinéa 107(1)a) de la Loi, la Commission a toute compétence et latitude pour accorder une libération conditionnelle. Autrement dit, notre Cour n’a pas compétence pour accorder une libération conditionnelle au demandeur.

VI. Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[32] Le demandeur soumet à l’examen de la Cour les quatre questions suivantes :

  1. La Section d’appel a‐t‐elle commis une erreur en concluant que la décision de la Commission était justifiée, transparente et intelligible?

  2. La Section d’appel a‐t‐elle commis une erreur en concluant que la norme en matière d’information a été respectée?

  3. La Section d’appel a‐t‐elle commis une erreur en refusant d’accorder un ajournement pour la réalisation d’une évaluation psychologique?

  4. La Section d’appel a‐t‐elle commis une erreur en concluant que les renseignements non pertinents contenus dans les déclarations des victimes ne rendaient pas l’audience inéquitable sur le plan procédural?

[33] Le défendeur soutient que chacune des questions soulevées par le demandeur est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable et que les faits de l’espèce ne démontrent pas qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale.

[34] Bien que cet argument soit en grande partie juste, le demandeur a soulevé la question de savoir si la Commission aurait dû ajourner l’audience. Il s’agit là d’une question d’équité procédurale.

[35] Je suis d’avis que les questions en litige amènent la Cour à se demander si la décision de la Commission était (1) raisonnable et (2) équitable sur le plan procédural.

[36] Il existe une présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit la norme applicable chaque fois qu’une cour contrôle une décision, sous réserve de certaines exceptions limitées, dont aucune ne s’applique en l’espèce : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) aux para 16 et 17.

[37] En l’espèce, la jurisprudence établit que lorsqu’une décision de libération conditionnelle fait l’objet d’un contrôle judiciaire, et que la Section d’appel entérine la décision de la Commission, la cour de révision, en l’absence d’une erreur distincte de la part de la Section d’appel, examine en fait la légalité de la décision de la Commission : Cartier c Canada (Procureur général), 2002 CAF 384 au para 10; Smith c Canada (Procureur général), 2019 CF 1658 au para 37 et la jurisprudence qui y est citée.

[38] Dans la décision Coon c Canada (Procureur général), 2016 CF 340, le juge LeBlanc, qui était alors juge de notre Cour, a confirmé la conclusion selon laquelle le législateur semblait avoir privilégié la décision de la Commission. Par conséquent, si la décision de la Commission est jugée raisonnable, celle par laquelle la Section d’appel l’a confirmée le sera également, sauf erreur particulière de sa part.

[39] Bien que la libération conditionnelle relève du pouvoir discrétionnaire de la Commission, celle‐ci doit se plier aux exigences de l’équité procédurale lorsqu’elle prend la décision d’accorder ou non la libération conditionnelle. Les renseignements sur lesquels elle se fonde pour prendre une telle décision doivent être « sûrs et convaincants ». Cette obligation se veut une forme de contrepoids au fait que la Commission est habilitée à considérer des renseignements qui ne seraient pas autrement admissibles en preuve devant une cour de justice : Ouellette, au para 68.

[40] Historiquement, la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale était celle de la décision correcte. La CAF s’est penchée récemment sur la question de la norme de contrôle applicable dans le cadre de l’appréciation de l’équité procédurale et a confirmé que « même s’il y a une certaine maladresse dans l’utilisation de la terminologie, cet exercice de révision est [traduction] “particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte”, même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée ». Ce faisant, la CAF a déclaré que « la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre » : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 54 et 56.

[41] Pour que la Cour intervienne dans un cas d’équité procédurale, le manquement allégué doit avoir eu une incidence déterminante sur l’issue du litige : Abraham c Canada (Procureur général), 2016 CF 390 au para 18.

[42] La décision de la Commission et la décision de la Section d’appel sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, alors que la question d’équité procédurale relative à la possibilité d’un ajournement ne l’est pas.

VII. Examen de la décision de la Commission

[43] Le demandeur prétend que la décision de la Section d’appel et la décision de la Commission n’étaient pas justifiées, intelligibles et transparentes et n’étaient donc pas raisonnables.

[44] Plus précisément, le demandeur soutient que la Commission a accordé plus de poids aux facteurs aggravants qu’aux facteurs favorables dans sa vie.

[45] Le demandeur a également affirmé qu’il est difficile de savoir si la Commission a tenu compte de ses 15 mois de liberté sous caution et a précisé qu’il ne pouvait guère faire plus pour améliorer ses facteurs dynamiques avant sa remise en liberté dans la société. Selon lui, la Commission n’a pas pris en considération les renseignements contradictoires fournis par l’équipe de gestion de cas (l’EGC).

[46] Il est évident que la Commission a tenu compte des 15 mois de liberté sous caution du demandeur.

[47] La Commission a pris en considération le fait que le demandeur avait été libéré sous caution et qu’il était [traduction] « resté dans la collectivité pendant environ 15 mois sans qu’un incident se produise ». Elle a également souligné que, durant cette période, le demandeur a rencontré un psychiatre et un travailleur social à l’hôpital local une fois par semaine pendant environ 11 mois.

[48] La Commission a fait remarquer que le demandeur a suivi une thérapie de groupe avec un psychiatre afin de l’aider à régler ses problèmes de toxicomanie et de santé mentale. Elle a également mentionné que le demandeur avait réussi à trouver un emploi d’apprenti plombier et que son employeur avait confirmé qu’il pourrait reprendre son poste après sa mise en liberté.

[49] D’après le demandeur, les motifs de la Commission ne lui permettent pas de comprendre comment elle en est arrivée à la conclusion que les facteurs aggravants l’emportaient sur le fait qu’aucun incident ne s’était produit pendant sa liberté sous caution et le fait que l’EGC avait recommandé, durant l’audition de sa demande de semi‐liberté, qu’il était possible de gérer tout risque qui se présenterait.

[50] Cependant, la recommandation de l’EGC se limite à ce qu’elle est. La Commission n’est pas tenue de la mettre en application. Il est reconnu depuis longtemps que la Commission joue un rôle inquisitoire et s’appuie sur des renseignements fiables et convaincants. Elle n’a pas pour mandat de recevoir et d’examiner les éléments de preuve. Il s’agit d’un tribunal indépendant qui n’est pas lié par le SCC ou les recommandations de l’EGC d’un délinquant : Twins c Canada (Procureur général), 2016 CF 537 au para 41 (références internes omises).

[51] Le demandeur reconnaît que le respect de ses conditions de mise en liberté sous caution n’était pas un facteur déterminant, mais il soutient que cet élément avait tout de même une forte valeur probante.

[52] À cet égard, après avoir examiné l’évaluation psychiatrique produite lors du procès criminel, la Commission a conclu que le SCC avait sous‐estimé le risque à la lumière de cette évaluation. La Commission a fait observer que le demandeur avait [traduction] « de lourds antécédents de toxicomanie liés à de graves troubles de santé mentale » et que l’évaluation [traduction] « semble indiquer que le risque [qu’il] présent[e] dépend de la prise d’un traitement approprié ».

[53] La Commission a expliqué de façon claire et raisonnable à la fin de sa décision comment et pourquoi elle en est arrivée à la conclusion que les facteurs aggravants l’emportaient sur les facteurs favorables. Voici ce qu’elle a déclaré :

[traduction]

En résumé, vous avez un casier judiciaire peu chargé, mais extrêmement grave, qui comprend notamment le fait d’avoir causé la mort de la victime et le traumatisme constant des membres de sa famille. Bien que vous acceptiez la responsabilité de vos actes, vous avez tendance à la minimiser en invoquant vos troubles de santé mentale. Malheureusement, une évaluation psychologique du risque n’a pas été demandée au départ. Par contre, l’évaluation psychiatrique soumise au procès révèle que vous avez de lourds antécédents de toxicomanie liés à de graves troubles de santé mentale et semble indiquer que le risque que vous présentez dépend de la prise du traitement approprié. Malgré ces observations, vous avez été jugé inadmissible à un programme correctionnel. L’évaluation actuarielle du risque, effectuée à l’aide de l’échelle d’ISR, montre que vous présentez un faible risque, mais la Commission estime que ce risque a été sous‐estimé à la lumière de l’évaluation psychiatrique produite lors de votre procès. La Commission constate que vous êtes toujours aux prises avec des troubles de santé mentale dans votre quotidien et que, même si vous prenez les médicaments qui vous sont prescrits, les gains que vous faites sont généralement de courte durée. Il convient cependant de souligner que votre conduite en établissement s’est améliorée au cours des derniers mois, que vous avez conservé un emploi et que vous avez obtenu un diplôme. De plus, vous bénéficiez du soutien d’un programme de prévention de la toxicomanie très respecté dans la communauté, ainsi que du soutien de votre EGC et de votre famille.

La Commission accorde plus de poids aux facteurs aggravants pris ensemble, à savoir les répercussions de vos actes criminels, le risque lié à vos problèmes chroniques de toxicomanie, qui n’ont toujours pas été réglés, ainsi que vos troubles de santé mentale persistants qui sont exacerbés par votre consommation de substances intoxicantes. La Commission est d’avis que vous n’avez pas pris des mesures adéquates pour corriger ces facteurs contributifs et ainsi atténuer le risque que vous présentez pour la société.

Par conséquent, la Commission refuse de vous accorder la semi‐liberté. La Commission estime que vous présenteriez un risque inacceptable pour la société si vous étiez mis en liberté. De plus, votre libération ne contribuera pas à la protection de la société en favorisant votre réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois.

[54] Le demandeur affirme également que la Commission n’a pas expliqué si elle a accepté les éléments de preuve concernant sa conduite en établissement et qu’elle n’a pas précisé la pertinence et le poids qu’elle a accordé à chaque allégation.

[55] Cet argument fait fi du témoignage du demandeur devant la Commission. La Section d’appel a confirmé que [traduction] « lors de l’audience de la Commission, il a été question du comportement du demandeur en établissement, et la Commission a souligné dans sa décision que le demandeur avait reconnu qu’il n’avait pas pu mettre à profit les techniques ou les outils acquis durant son traitement pour prendre de meilleures décisions pendant qu’il était en liberté sous caution ». Cette déclaration du demandeur démontre également son incapacité à gérer ses problèmes de toxicomanie dans la communauté, ce qui étaye par ailleurs la conclusion de la Commission selon laquelle le SCC a sous‐estimé le risque que présenterait le demandeur pour la société s’il jouissait d’une semi‐liberté.

[56] Le demandeur ne tient pas non plus compte du fait qu’un décideur administratif n’est pas tenu de préciser le poids qu’il a accordé à chaque élément de preuve pour justifier la conclusion à laquelle il en est venu :

Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‐il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391). En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‐Neuve‐et‐Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 16.

[57] Pour revenir à l’arrêt Vavilov, la Cour suprême énonce au paragraphe 102 les éléments qui rendent une décision raisonnable :

Pour être raisonnable, une décision doit être fondée sur un raisonnement à la fois rationnel et logique. Il s’ensuit qu’un manquement à cet égard peut amener la cour de révision à conclure qu’il y a lieu d’infirmer la décision. Certes, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas [...] « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » : Pâtes & Papier Irving, par. 54, citant Newfoundland Nurses, par. 14. Cependant, la cour de révision doit être en mesure de suivre le raisonnement du décideur sans buter sur une faille décisive dans la logique globale; elle doit être convaincue qu’« [un] mode d’analyse, dans les motifs avancés, [...] pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait » [...].

[58] Après avoir examiné attentivement les motifs de la Commission, je suis d’avis que celle‐ci a raisonnablement expliqué les raisons qui l’ont amenée à conclure que les facteurs aggravants l’emportaient sur les facteurs favorables. Les facteurs aggravants comprenaient les répercussions des actes criminels du demandeur, le risque lié à ses problèmes chroniques de toxicomanie, qui n’ont toujours pas été réglés, ainsi que ses troubles de santé mentale persistants qui sont exacerbés par sa consommation de substances intoxicantes.

[59] Aux termes de l’article 102 de la Loi, la Commission devait décider si le demandeur présenterait un risque inacceptable pour la société s’il était en semi‐liberté et si sa libération contribuerait à la protection de la société en favorisant sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois. La Commission a clairement dit que le demandeur présenterait un tel risque et que sa libération ne favoriserait pas sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois, car il n’a pas pris des mesures adéquates pour remédier à ses problèmes de toxicomanie et de santé mentale.

[60] Les doutes de la Commission sont bien étayés par le dossier original.

[61] L’enregistrement audio de l’audience de la Commission a été versé au dossier certifié du tribunal (le DCT), de même que le plan correctionnel révisé très détaillé de 19 pages. À l’écoute de l’enregistrement audio, on apprend que le Dr Gojer a écrit dans son rapport que le demandeur avait déclaré avoir eu des hallucinations de commandement avant l’infraction, au cours desquelles des voix lui disaient de faire une embardée avec sa voiture. En raison de cette déclaration, la Commission a jugé que le demandeur n’avait pas pris ses conditions de probation au sérieux, ce qui a été confirmé par le demandeur.

[62] L’enregistrement audio révèle également que la Commission s’est penchée sur les incidents qui se sont produits en établissement, ainsi que sur le fait que la grand‐mère du demandeur était malade, que le demandeur fumait du tabac en dépit des règles, qu’il avait une console de jeu et un sac de sauge dans sa cellule et qu’il alléguait qu’un autre détenu lui avait volé sa barre d’alimentation. Peu après cette analyse, le demandeur a affirmé qu’il essayait de contrôler son comportement problématique et ses pulsions.

[63] Dans la section du plan correctionnel contenant de l’information sur la santé mentale du demandeur, il est précisé que [traduction] « M. Nielsen souffre d’un trouble anxieux chronique qui se caractérise par de l’anxiété sociale et des crises de panique. Cette anxiété s’accompagne de longs antécédents de dépression et d’idées suicidaires. » Dans le sommaire, qui contient de nombreux commentaires positifs et critiques, il est également écrit que [traduction] « M. Nielsen n’a pas d’antécédents d’agression ou de violence envers les autres. Sa délinquance semble être due à un comportement négligent en raison de son incapacité à gérer son stress et son anxiété et à la consommation inappropriée de médicaments et d’alcool pour faire face à la réalité. Le risque qu’il présente dépend de sa capacité à s’abstenir de consommer de la drogue, à suivre un traitement approprié pour ses problèmes psychiatriques et à acquérir de meilleures méthodes pour gérer le stress et les conflits. Jusqu’à ce que de telles mesures soient prises, il ne devrait pas conduire. »

[64] En conclusion, j’estime que la Commission a examiné les éléments de preuve dans leur ensemble et non individuellement. Elle ne s’est pas livrée à une chasse au trésor à la recherche d’une erreur et il n’y avait aucune faille décisive dans la logique de son raisonnement. Le mode d’analyse utilisé dans les motifs avancés l’a amenée, au vu de la preuve, à conclure que la semi‐liberté ne devait pas être accordée.

[65] Si, par ses arguments, le demandeur invite la Cour à soupeser de nouveau les éléments de preuve, il convient de souligner qu’il ne s’agit pas là de l’objet d’un contrôle judiciaire. À moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas les conclusions de fait d’un décideur administratif. Voici ce qui est dit à cet égard au paragraphe 125 de l’arrêt Vavilov :

Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur » [...]. D’ailleurs, bon nombre des mêmes raisons qui justifient la déférence d’une cour d’appel à l’égard des conclusions de fait tirées par une juridiction inférieure, dont la nécessité d’assurer l’efficacité judiciaire, l’importance de préserver la certitude et la confiance du public et la position avantageuse qu’occupe le décideur de première instance, s’appliquent également dans le contexte du contrôle judiciaire [...].

(Références internes omises)

[66] Je suis d’avis que c’est particulièrement le cas en l’espèce, car il est établi dans la jurisprudence que la cour de révision doit faire preuve d’une grande déférence à l’égard de la Commission et de la Section d’appel compte tenu de leur expertise : May c Canada (Procureur général), 2020 CF 292 au para 23.

VIII. L’évaluation psychologique, l’ajournement et l’équité procédurale

[67] Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en refusant de lui accorder la semi‐liberté, en partie parce qu’elle ne disposait pas d’une évaluation psychologique du risque. Selon lui, la demande d’une telle évaluation révélait que les renseignements présentés à la Commission ne l’avaient pas convaincue.

[68] Par conséquent, le demandeur affirme que l’audience de la Commission aurait dû être ajournée en attendant la réalisation d’une évaluation psychologique du risque.

[69] La Commission peut ajourner une audience si elle a besoin de renseignements supplémentaires, mais elle n’est pas obligée de le faire : Manuel des politiques décisionnelles à l’intention des commissaires [le Manuel des politiques décisionnelles], chapitre 11, sections 5 et 7.

[70] Le demandeur allègue en outre que la Commission s’est appuyée sur des renseignements incomplets pour rendre sa décision puisqu’elle ne disposait pas de l’information que lui aurait fourni une évaluation psychologique du risque.

[71] Je ne suis pas d’avis que la question d’une évaluation psychologique du risque a été soulevée à l’audience ni que les renseignements présentés à la Commission ne l’avaient pas convaincue.

[72] Pour rendre sa décision, la Commission s’est appuyée sur l’évaluation psychiatrique très détaillée de 69 pages qui avait été réalisée pour le procès du demandeur.

[73] La Commission n’a pas refusé d’accorder la semi‐liberté au demandeur en partie parce qu’une évaluation psychologique n’avait pas été effectuée. Elle a demandé qu’une évaluation psychologique soit réalisée avant le prochain examen afin de définir les répercussions des antécédents de santé mentale du demandeur sur son risque de récidive.

[74] Le demandeur prétend que la Commission pouvait ajourner l’audience pour obtenir une telle évaluation, comme le prévoit la section 2.2 du Manuel des politiques décisionnelles, et qu’elle aurait dû le faire.

[75] Aux termes de la section 2.2.7 du Manuel des politiques décisionnelles, l’évaluation psychologique du risque est considérée comme valide pendant une période de deux ans. L’évaluation psychiatrique était datée du 1er janvier 2019 et était donc valide lorsque la Commission a rendu sa décision le 22 mai 2020.

[76] Compte tenu de ce qui précède, je suis d’avis que la décision de la Commission de ne pas ajourner l’audience ne constituait pas un manquement à l’équité procédurale.

[77] Le demandeur affirme également qu’il était inéquitable sur le plan procédural que l’EGC ne recommande pas la réalisation d’une évaluation psychologique, car, en l’absence d’une telle recommandation, il n’avait aucun moyen de savoir que cette question serait abordée à l’audience. Comme je l’ai déjà mentionné, la question de l’évaluation psychologique n’a pas été soulevée à l’audience.

[78] Quoi qu’il en soit, dans la décision Twins précitée, la Cour a établi que la Commission n’est pas liée par le SCC ou les recommandations de l’EGC d’un délinquant. Pour ces motifs, la décision de la Commission de ne pas ajourner l’audience, mais de s’appuyer plutôt sur le rapport d’évaluation psychiatrique qui avait été rédigé pour le procès, ne constituait pas un manquement à l’équité procédurale.

IX. Les déclarations des victimes

[79] Le demandeur affirme que la Section d’appel a commis une erreur en concluant que l’admission des renseignements non pertinents contenus dans les déclarations des victimes ne rendait pas l’audience inéquitable sur le plan procédural.

[80] En termes généraux, le défendeur soutient que le demandeur a reçu les déclarations des victimes et a eu la possibilité d’y répondre, et que le critère de l’équité procédurale a donc été respecté.

[81] Les renseignements non pertinents seraient des renseignements qui ne devraient pas être pris en considération, comme il est indiqué au paragraphe 140(10.1) de la Loi, qui renvoie aux alinéas 140(10)a) et b) :

Déclaration par la personne à l’audience

(10) Lors de l’audience à laquelle elles assistent à titre d’observateur :

a) d’une part, la victime peut présenter une déclaration à l’égard des dommages ou des pertes qu’elle a subis par suite de la perpétration de l’infraction et des répercussions que celle‐ci a encore sur elle, notamment les préoccupations qu’elle a quant à sa sécurité, et à l’égard de l’éventuelle libération du délinquant;

b) d’autre part, la personne visée au paragraphe 142(3) peut présenter une déclaration à l’égard des dommages ou des pertes qu’elle a subis par suite de la conduite du délinquant — laquelle a donné lieu au dépôt d’une plainte auprès de la police ou du procureur de la Couronne ou a fait l’objet d’une dénonciation conformément au Code criminel — et des répercussions que cette conduite a encore sur elle, notamment les préoccupations qu’elle a quant à sa sécurité, et à l’égard de l’éventuelle libération du délinquant.

Prise en considération de la déclaration

(10.1) Lorsqu’elle détermine si le délinquant devrait bénéficier d’une libération et, le cas échéant, fixe les conditions de celle‐ci, la Commission prend en considération la déclaration présentée en conformité avec les alinéas 10a) ou b).

Presentation of statements

(10) If they are attending a hearing as an observer,

(a) a victim may present a statement describing the harm, property damage or loss suffered by them as the result of the commission of the offence and its continuing impact on them — including any safety concerns — and commenting on the possible release of the offender; and

(b) a person referred to in subsection 142(3) may present a statement describing the harm, property damage or loss suffered by them as the result of any act of the offender in respect of which a complaint was made to the police or Crown attorney or an information laid under the Criminal Code, and its continuing impact on them — including any safety concerns — and commenting on the possible release of the offender.

Consideration of statement

(10.1) The Board shall, in deciding whether an offender should be released and what conditions might be applicable to the release, take into consideration any statement that has been presented in accordance with paragraph (10)(a) or (b).

[82] L’article 101 de la Loi énonce les principes qui guident la Commission dans l’examen d’une demande de mise en liberté sous condition. L’alinéa 101a) prévoit que la Commission doit tenir compte de toute l’information pertinente dont elle dispose, notamment les motifs et les recommandations du juge qui a infligé la peine, la nature et la gravité de l’infraction, le degré de responsabilité du délinquant, les renseignements obtenus au cours du procès ou de la détermination de la peine et ceux qui ont été obtenus des victimes, des délinquants ou d’autres éléments du système de justice pénale, y compris les évaluations fournies par les autorités correctionnelles.

[83] Aux termes du paragraphe 141(1) de la Loi, la Commission doit faire parvenir au délinquant les documents contenant l’information pertinente qu’elle prendra en considération. Comme l’a souligné le défendeur, d’après le DCT, les déclarations des victimes qui devaient être présentées à l’audience ont été soumises à la Commission et au demandeur.

[84] Les principes de justice fondamentale exigent que la Commission fournisse au délinquant les renseignements sur lesquels elle entend faire reposer sa décision. Le délinquant doit recevoir assez de renseignements, suffisamment détaillés, pour lui permettre de réfuter la preuve présentée contre lui et de présenter des observations éclairées à l’appui de sa position : Ewonde c Canada (Procureur général), 2020 CF 829 (Ewonde) au para 33 (références internes omises).

[85] Le demandeur n’a relevé aucune lacune ou erreur importante dans les renseignements qui lui ont été fournis qui l’aurait empêché de réfuter la preuve présentée contre lui.

[86] Je ne souscris pas à l’observation du demandeur selon laquelle la Commission doit exercer un rôle de gardien afin de s’assurer que les déclarations des victimes contiennent uniquement des renseignements pertinents qui seront pris en considération.

[87] Le demandeur a insisté sur le fait que la Commission n’aurait pas dû tenir compte des renseignements contenus dans les déclarations des victimes, car ils sont contraires à la jurisprudence établie sous le régime du Code criminel en ce qui concerne les éléments contenus dans une déclaration de la victime qui sont jugés acceptables ou non acceptables.

[88] La Commission n’agit cependant pas de manière judiciaire ou quasi judiciaire. Elle n’est pas tenue d’entendre et d’évaluer des témoignages et elle n’est pas liée par les règles strictes de présentation de la preuve applicables aux déclarations des victimes dans le cadre de procédures criminelles. La Commission doit s’assurer que les renseignements sur lesquels elle se fonde pour agir sont « sûrs et convaincants » : Mooring c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 RCS 75 aux para 29 et 36. (Non en italique dans l’original.) Voir également Ouellette, au para 68.

[89] Selon la section 1.2.5 du Manuel des politiques décisionnelles, la Commission tient compte des renseignements pertinents fournis par les victimes dans les cas suivants :

Renseignements provenant des victimes

5. La Commission tient compte des renseignements pertinents fournis par les victimes, y compris les déclarations des victimes, afin d’évaluer :

a. la nature et l’étendue des pertes ou des dommages causés à la victime et des effets que la perpétration de l’infraction a encore sur elle;

b. le risque de récidive que le délinquant peut présenter s’il est mis en liberté, y compris les préoccupations exprimées par la victime quant à sa sécurité;

c. la propension du délinquant à commettre une infraction accompagnée de violence, par exemple les renseignements fournis prouvent que le délinquant s’est montré menaçant ou a eu un comportement violent ou abusif par le passé;

d. la compréhension des conséquences de l’infraction par le délinquant;

e. les conditions à imposer pour contrôler le risque que pourrait présenter le délinquant;

f. le plan de libération du délinquant. Si la victime est un membre de la famille ou qu’elle était étroitement liée avec le délinquant, et/ou que le plan de libération amènera le délinquant à proximité de la victime, les répercussions possibles devraient être soigneusement évaluées.

Information from Victims

5. The Board will consider relevant information from victims, including victim statements, in order to assess:

a. the nature and extent of harm done to the victim or the loss suffered by the victim and the continuing impact of the commission of the offence;

b. the risk of re‐offending the offender may pose if released, including any safety concerns expressed by the victim;

c. the offender’s potential to commit a violent crime, for example information about threatening or previous violent or abusive behaviour;

d. the offender’s understanding of the impact of the offence;

e. the conditions necessary to manage the risk which might be presented by the offender; and

f. the offender’s release plans. Possible repercussions should be carefully assessed when the victim is a family member or was closely associated with the offender, and/or when the release plan will place the offender in close proximity to the victim.

[90] Comme on peut le constater, la Commission doit tenir compte d’un grand nombre de renseignements.

[91] La Section d’appel a reconnu que des renseignements supplémentaires avaient été fournis et que la Commission ne devait pas les prendre en considération selon le paragraphe 140(10.1) de la Loi. La Section d’appel a conclu que la décision de la Commission ne révélait pas que la Commission s’était appuyée à tort sur ces renseignements supplémentaires pour rendre sa décision. L’examen de la décision de la Commission confirme cette conclusion.

[92] Le demandeur allègue que la Commission n’a pas été en mesure d’écarter tous les renseignements non pertinents.

[93] Je ne suis pas de cet avis. La Commission et la Section d’appel sont toutes deux des experts dans leur domaine. Par conséquent, si le demandeur affirme simplement que la Commission n’est pas en mesure d’écarter des renseignements non pertinents, il doit prouver, à partir de la décision ou des déclarations faites à l’audience, que la Commission ne pouvait pas faire la différence entre des déclarations pertinentes et non pertinentes.

[94] La Section d’appel était convaincue que la Commission [traduction] « n’avait pas laissé entendre qu’elle avait pris en considération les renseignements supplémentaires fournis par les victimes ». Elle a également fait la déclaration suivante au demandeur : [traduction] « [L]a Commission vous a posé des questions au sujet de l’évaluation du risque et vous avez eu la possibilité d’y répondre et de fournir des renseignements à la Commission. »

[95] La Section d’appel a conclu que la Commission a tenu compte des renseignements fournis par les victimes conformément au paragraphe 140(10.1).

[96] Je suis du même avis. De plus, j’estime que la Section d’appel n’a commis aucune erreur particulière.

X. Conclusion

[97] Dans les affaires portant sur la libération conditionnelle, « cette Cour ne doit pas intervenir dans une décision [de la Commission] en l’absence d’éléments de preuve clairs et non équivoques que celle‐ci est tout à fait injuste et entraîne une injustice à l’égard du détenu [...] » : Korn c Canada (Procureur général), 2014 CF 590 (Korn) au para 14.

[98] Pour tous les motifs qui précèdent, je conclus que la décision de la Section d’appel et la décision de la Commission étaient raisonnables et qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale dans la présente affaire. Par conséquent, compte tenu de la décision Korn, je n’interviendrai pas dans la décision de la Section d’appel ou la décision de la Commission.

[99] La demande est rejetée, sans dépens.


JUGEMENT dans le dossier T‐1052‐20

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée, sans dépens.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Manon Pouliot


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‐1052‐20

 

INTITULÉ :

TYLER NIELSEN c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 30 mars 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 novembre 2021

 

COMPARUTIONS :

Simon Borys

 

Pour le demandeur

 

Dylan Smith

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Simon Borys

Avocat

Kingston (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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